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La nouvelle du jeudi 20:42

Par : Framasoft
25 janvier 2024 Ă  14:42

Chaque jour de cette semaine, Ă  20:42, une nouvelle de 2042 concoctĂ©e avec amour par les participant⋅es des ateliers #solarpunk #UPLOAD de l’UniversitĂ© Technologique de CompiĂšgne (UTC).

Aujourd’hui, sous le regard Ă©tonnĂ© des enfants de 2042, une exposition sur CompiĂšgne autrefois, visite commentĂ©e par la ville elle-mĂȘme. Au menu : l’UniversitĂ©, le mode de gouvernement, un vote libre et populaire, et tout ce qui aura changĂ© dans une nouvelle conception de la sociĂ©té 

 

CompiÚgne avant les années sobres

Voici mon tĂ©moignage. En quelques paragraphes, je vais vous raconter cette journĂ©e importante pour Thomas et sa famille. Je n’ai pas choisi n’importe quelle journĂ©e, Ă©videmment, mais vous vous en rendrez compte par vous-mĂȘme au fil des lignes, et peut-ĂȘtre comprendrez vous pourquoi elle est Ă©galement importante pour moi, CompiĂšgne


Cela faisait plusieurs annĂ©es que les citoyen⋅ne⋅s avaient prĂ©vu l’exposition. Par crainte que celle-ci ne soit trop rapprochĂ©e des Ă©vĂ©nements traumatisants, les habitant·e·s avaient dĂ©placĂ© son inauguration jusqu’à aujourd’hui. Il s’était dĂ©roulĂ© un nombre incalculable d’assemblĂ©es au cours desquelles elle avait Ă©tĂ© au cƓur des discussions, suscitant des avis tranchĂ©s par les membres, tant opposĂ©s que favorables. Enfin, aprĂšs cinq annĂ©es, des affiches firent leur apparition devant la mairie, sur les places publiques et dans l’UPLOAD. Cependant, le titre ne faisait pas l’unanimitĂ©, surtout pas Ă  mes yeux. « CompiĂšgne avant les annĂ©es sobres Â», semblait attĂ©nuer la gravitĂ© de la pĂ©riode sombre que nous avions traversĂ©e, celle de l’effondrement
 L’exposition ayant enfin ouvert ses portes, de nombreuses personnes Ă©taient impatientes d’admirer les Ɠuvres exposĂ©es, particuliĂšrement dĂ©sireuses d’entendre les tĂ©moignages des plus ĂągĂ©es qui avaient tout vĂ©cu. Thomas faisait partie des guides bĂ©nĂ©voles, dĂ©vouĂ©s Ă  consacrer de leur temps Ă  expliquer aux visiteurs et visiteuses ce qu’il s’était passĂ© et pourquoi. Il Ă©tait venu spĂ©cialement afin de faire dĂ©couvrir l’exposition Ă  ses enfants, en leur prĂ©sentant tous ses Ă©lĂ©ments par des images.

Thomas entra dans la premiĂšre salle consacrĂ©e Ă  la prĂ©sentation et l’évolution de l’UPLOAD. Placer celle-ci en premier ne me paraissait pas absurde. AprĂšs tout, c’est elle qui avait rendu tout cela possible. L’UPLOAD, l’UniversitĂ© populaire, libre, ouverte, autonome et dĂ©centralisĂ©e, constituait le point de dĂ©part de toutes les Ă©volutions positives des annĂ©es sobres.

Au dĂ©but, l’UPLOAD Ă©tait un projet Ă©tudiant dont le but Ă©tait de modifier drastiquement le systĂšme Ă©ducatif de l’époque. L’éducation prĂ©sentait des lacunes, les Ă©tudiant·e·s adoptaient un Ă©tat d’esprit incompatible avec le risque d’effondrement que prĂ©sentait la planĂšte entiĂšre, et sortaient de leurs Ă©tudes avec une conception conformiste de ce qu’était le savoir. Chaque Ă©tudiant·e quittait l’institution en pensant que les mathĂ©matiques, la physique ou la chimie reflĂ©taient l’intĂ©gralitĂ© des connaissances.

Initialement, l’UPLOAD occupait les locaux de l’universitĂ© technologique de CompiĂšgne et servait de lieu central oĂč les Ă©tudiant·e·s se rencontraient. Progressivement, elle avait regroupĂ© non seulement des Ă©tudiant·e·s mais aussi des habitant·e·s pour rassembler leur savoir et le transmettre aux autres. Tout cela s’était montrĂ© particuliĂšrement utile dans les premiĂšres annĂ©es de l’effondrement. Par la suite, elle Ă©tait devenue un lieu communautaire, constituĂ© de nombreux bĂątiments, aux frontiĂšres moins dĂ©finies.

Thomas et ses enfants arrivĂšrent devant la photo de l’ancienne mairie. On pouvait y voir un maire serrer la main du prĂ©sident de la rĂ©publique. L’un de ses enfants demanda alors ce qu’étaient un « maire Â» et un « prĂ©sident Â»â€Š L’idĂ©e d’avoir une seule personne pour gouverner le pays lui Ă©tait absolument impensable, comment un seul individu pourrait-il diriger tout un peuple ? Comment pourrait-elle prendre des dĂ©cisions pour tous sans mĂȘme connaĂźtre chacun et chacune ? Et pourquoi Ă©lire des maires ? À quoi servaient-ils, s’ils n’avaient aucun pouvoir ou presque ? Thomas se retrouvait bien surpris par toutes ces questions qu’il ne s’était jamais posĂ©es et qui pourtant lui paraissaient complĂštement lĂ©gitimes. Afin d’y rĂ©pondre, il dĂ©cida de raconter d’oĂč venait notre forme de politique actuelle.

« Avant l’effondrement, toutes les dĂ©cisions ou presque Ă©tait prises Ă  Paris, c’est ce qu’on appelait un gouvernement centralisĂ©. Le prĂ©sident et son gouvernement prenaient toute les dĂ©cisions, et celles-ci Ă©taient relayĂ©es par les prĂ©fets, puis par les maires. Ceux-ci n’avaient donc qu’un pouvoir trĂšs limitĂ©.

– Mais ils n’y a jamais eu d’autre forme de gouvernement avant ?

– Si bien sĂ»r, il y a eu diffĂ©rentes formes de gouvernement, les plus notables sont la monarchie, oĂč un roi gouvernait tout un peuple ; la thĂ©ocratie, oĂč le gouvernement agissait au nom d’un dieu ; l’oligarchie oĂč un petit groupe de personnes gardait le pouvoir entre leurs mains et prenait toutes les dĂ©cisions ; et il y avait bien d’autre formes encore. Celle que nous utilisons actuellement se rapproche beaucoup de la dĂ©mocratie athĂ©nienne, oĂč une partie du peuple votait les dĂ©cisions ensemble. La diffĂ©rence est que notre forme de politique inclut tout le monde, alors que la leur excluait les femmes et les esclaves de la vie politique.

– Et pourquoi avons-nous changĂ© de politique ?

– Lors de l’effondrement, l’ancienne organisation n’a plus fonctionnĂ©. Chaque rĂ©gion a connu des problĂšmes diffĂ©rents, notamment des pĂ©nuries d’eau, de nourriture, des inondations, des incendies
 Mais comme ce fonctionnement obligeait le prĂ©sident Ă  prendre des dĂ©cisions pour tout le monde en mĂȘme temps, il n’a pas pu rĂ©pondre Ă  tous les problĂšmes. Et c’est dans la panique qu’une nouvelle loi est passĂ©e, cĂ©dant la majoritĂ© des prises de dĂ©cisions Ă  une Ă©chelle plus locale, ville par ville Â», expliqua Thomas.

Cette dĂ©cision avait Ă©tĂ© prise Ă  peine 20 ans auparavant et pourtant elle avait tout changĂ©. Cette politique dĂ©centralisĂ©e avait permis la mise en place d’un vote libre (et) populaire. DĂ©sormais, chaque loi Ă©tait proposĂ©e par les citoyen·ne·s, puis votĂ©e dans un forum. Et l’ensemble des instances des villes sont assurĂ©es par des Ă©lu⋅e⋅s au service des citoyen⋅ne⋅s, renouvelĂ©â‹…e⋅s rĂ©guliĂšrement. Thomas s’était mis en tĂȘte d’expliquer Ă  Louka et Lucy comment votent les citoyen⋅ne⋅s, et il comprit que c’était bien compliquĂ© pour des enfants de leur Ăąge. PlutĂŽt que tenter de vous l’expliquer je pense que la fiche explicative donnĂ©e lors de chaque vote sera bien plus claire :

 Le vote par note À la suite des dĂ©bats sur les nouvelles lois Ă  voter et les reprĂ©sentants Ă  Ă©lire, chaque citoyen sera amenĂ© Ă  donner son avis par un vote. Afin de rendre le vote plus reprĂ©sentatif de l’avis rĂ©el des citoyens, une nouvelle forme de vote a Ă©tĂ© Ă©tablie. Vous serez donc amenĂ© Ă  donner pour chaque vote, une note allant de 1 Ă  5 Ă  chacune des propositions et/ou des reprĂ©sentants. Une fois tous les bulletins rassemblĂ©s, la moyenne des notes nous donnera l’avis du peuple. La note minimale Ă  obtenir pour que la loi soit adoptĂ©e ou la personne Ă©lue dĂ©pendra de plusieurs situations: - Un candidat ne peut ĂȘtre Ă©lu dĂ©s que sa note descend sous 3/5. La personne avec la moyenne la plus haute est dĂ©signĂ©e victorieuse. - Une loi, ou partie de loi, est adoptĂ©e si sa note dĂ©passe une certaine valeur dĂ©finie. Cette valeur sera choisie selon la rĂšgle suivante : sans dĂ©bat, la loi doit avoir une note supĂ©rieur Ă  3/5 cette note augmente de 0,3 point pour chaque demi-journĂ©e de dĂ©bat La note limite ne peux excĂ©der 4,5/5. exemple : Un projet de loi dĂ©battu tout une journĂ©e avant d'ĂȘtre votĂ©, devra avoir une note supĂ©rieur Ă  3,6/5 pour ĂȘtre adoptĂ©. Nous invitons chaque citoyen Ă  lire Du contrat social de Rousseau ainsi que les diffĂ©rents livres relatifs aux formes de vote se trouvant Ă  la bibliothĂšque de l’UPLOAD pour comprendre pourquoi cette forme de vote est optimale.

Cette forme de vote a vraiment permis de rendre les choix et les dĂ©cisions plus reprĂ©sentatives de la volontĂ© des citoyen⋅ne⋅s.

« Bon laissez tomber, vous comprendrez sĂ»rement quand vous serez plus grands
 En attendant passons Ă  la suite de l’exposition ! Â»

Le petit groupe s’avança alors devant une photographie d’un homme, apparemment dĂ©semparĂ©, contemplant un graphique couvert de chandelles rouges et vertes. Il y Ă©tait Ă©crit : « NASDAQ, bourse de New York Â».
« Papa, papa ! Qu’est ce qu’il fait celui-lĂ  ? demanda Lucy, la fille cadette de Thomas. Il se tourna vers elle, mit un genou Ă  terre et pointa du doigt le clichĂ© pendu au mur :
– Tu vois ça c’est ce qu’on appelait « la Bourse de New York Â», enfin ce qu’elle Ă©tait quand j’étais jeune. À l’époque on pensait le monde en termes de croissance Ă©conomique, de richesse pour les actionnaires et d’échange financiers. Le PIB, saint Graal des analystes Ă©conomiques, Ă©tait l’indicateur phare. Â»

Thomas voyait bien que son discours ne passionnait pas les foules, il surprit mĂȘme ses enfants Ă  bĂąiller devant ses dires. Pourtant il le savait, le changement de paradigme post-effondrement avaient rebattu toutes les cartes. Consciente qu’une croissance infinie n’était pas un modĂšle viable, la sociĂ©tĂ© avait cherchĂ© de nouveaux moyens de mesurer l’évolution de l’humanitĂ©. Une idĂ©e Ă©mergea alors, pourquoi ne pas intĂ©grer la biodiversitĂ© dans tout les futurs projets de construction ? Une nouvelle loi avait alors Ă©tĂ© votĂ©e afin d’intĂ©grer des indices de biodiversitĂ©, obligeant ensuite les autoritĂ©s publiques Ă  ne faire que des projets dĂ©veloppant la biodiversitĂ©. Cette vision politique s’est cristallisĂ©e autour du RIP, Le Rapport d’Impact Projet. On pouvait savoir si un projet Ă©tait bĂ©nĂ©fique pour l’environnement en regardant le RIP. S’il Ă©tait supĂ©rieur Ă  1, on pouvait alors lancer le projet, sinon il Ă©tait mis de cĂŽtĂ©. Afin d’ĂȘtre au plus proche de la rĂ©alitĂ©, il avait fallu dĂ©velopper une vision multifactorielle, en se fondant par exemple sur l’abondance et la biodiversitĂ© ou sa diversitĂ©. Voici la formule employĂ©e dans le cadre de nouveaux projets.

RIP= impact du projet sur l'environnement/indice actuel de biodiversité

L’impact du projet sur l’environnement et l’indice actuel de biodiversitĂ© se dĂ©finissent par des indicateurs d’abondance et de richesse spĂ©cifiques.

Cet indice a permis de choisir des projets plus durables et respectueux de l’environnement et de mieux comprendre les services rendus par certains bĂątiments. Thomas s’était par exemple battu pour une grange menacĂ©e de destruction par une nouvelle route alors qu’elle servait de refuge pour les oiseaux nocturnes. GrĂące au RIP, les Ă©lu⋅e⋅s s’étaient rendu compte que le tracĂ© de la nouvelle nationale posait en fait beaucoup de problĂšmes et ils avaient pris la dĂ©cision de le modifier.

Perdu dans ses pensĂ©es, Thomas ne s’était pas rendu compte que ses enfants s’étaient dispersĂ©s dans l’exposition.

Maintenant seul, Thomas parcourait l’exposition Ă  leur recherche. Un peu inquiet, il s’arrĂȘta Ă  cĂŽtĂ© d’une personne ĂągĂ©e qui observait une photo d’un porte-conteneur chinois. Du haut de son mĂštre quatre-vingt-dix, Francis portait un bĂ©ret bleu marine et une salopette vert bouteille. Ses manches retroussĂ©s laissaient voir des tatouages. Thomas lui fit signe et Francis lui esquissa un sourire.

« Bonjour monsieur, savez-vous que j’ai dĂ©jĂ  travaillĂ© sur un de ces bateaux ? Dans ma jeunesse si le monde tournait, c’est parce que ces gros engins mĂ©caniques flottaient, expliqua Francis en se tournant vers Thomas.
– Oui bonjour, c’est vrai qu’aujourd’hui ces types de bateaux ont complĂštement disparu, rĂ©pliqua Thomas.
– Vous savez, vous avez sĂ»rement dĂ» observer ce changement aussi, mais la principale raison de leur disparition c’est la mise en place du nouvel indice qui a supplantĂ© le PIB. À cette Ă©poque la quantitĂ© d’échange de nature Ă©conomique rĂ©alisĂ©e par un pays produisait sa valeur, ainsi on observait une intensification des Ă©changes, une dĂ©localisation de la production, bref on faisait des Ă©changes pour faire des Ă©changes.

Cette dynamique s’est totalement inversĂ©e, on a dĂ©cidĂ© de non plus mettre en valeur le nombre croissant d’échanges Ă©conomiques, mais le faible nombre de celui-ci. Les pays se sont ainsi mis en concurrence dans des objectifs d’autonomie de leurs citoyen⋅ne⋅s. Moins un pays se repose sur une centralisation des productions, c’est Ă  dire plus ses citoyen⋅ne⋅s sont autonomes dans la rĂ©alisation de leur quotidien, plus ce pays est mis en valeur.
– C’est vrai, j’étais encore assez jeune lors de ce renversement, mais j’avoue que je vois pas trop le lien direct avec la raison pour laquelle les porte-conteneurs ont disparu, s’interrogea Thomas.
– Bien, ça c’est grĂące Ă  un autre indice, il est encore prĂ©sent aujourd’hui mais il est si bien incorporĂ© par tout le monde qu’on a tendance Ă  l’oublier, j’en ai mĂȘme oubliĂ© le nom.
– L’indice de maniabilitĂ© ? proposa Thomas.
– Oui, c’est ça
 l’indice de maniabilitĂ©. En fait, il permettait d’observer la dĂ©pendance d’une sociĂ©tĂ© Ă  une technologie elle-mĂȘme dĂ©pendante de ressource, d’énergie non-humaine. Le propos, c’est de dire que l’univers technique que produit l’Homme doit se baser sur les capacitĂ©s physiques de l’Homme et non sur un asservissement de la nature comme ressource. De cette vision, il en dĂ©coule une dĂ©croissance forte dans les usages des technologies Ă  bouton, vous savez celle oĂč on appuie sur un bouton et ça marche tout seul sans qu’on sache vraiment comment, mais ce que l’on sait, c’est que ça consomme un Ă©quivalent en Ă©nergie non-humaine, expliqua Francis.
– Et de cette maniĂšre tous les procĂ©dĂ©s d’automatisation, les moteurs Ă©nergivores et tous ces autres Ă©lĂ©ments techniques superflus, ont disparu progressivement.C’est tout de mĂȘme fou qu’on ait pu penser de cette façon, un Homme hors de la nature quelle idĂ©e ! Â» reprit Thomas.
Francis sourit Ă  Thomas, puis poursuivit sa visite. Thomas reprit sa quĂȘte.

AprĂšs avoir suivi cette conversation, des souvenirs de mon usage destructeur me frappĂšrent. Je suis et je serais toujours Ă  l’image des Hommes qui me façonnent, mais tout de mĂȘme l’évocation d’un ancien moi en opposition avec la nature, me donne des frissons.

Son pĂšre retrouva Louka prĂšs d’une ancienne carte de la rĂ©gion, regardant surpris de longs chemins de couleur grisĂątre qui serpentaient dans la ville et au-delĂ .
« C’est quoi Papa ? c’est tout gris, dit l’enfant en pointant du doigt ces longs tracĂ©s.
– Ça tu vois, c’est une autoroute. Et lĂ  ce sont des routes nationales, ici les routes dĂ©partementales et lĂ  les rues de la ville, expliquait Thomas.
Thomas poursuivit, dĂ©crivant Ă  ces enfants ces voies de transports qu’ils n’avaient pas connues.
– À cette Ă©poque, nous utilisions des voitures pour nous dĂ©placer dans la ville. La voiture c’est 4 siĂšges plus ou moins qu’on met dans une boite. Puis on met cette boite sur quatre roues, on lui rajoute un moteur avec de l’essence, et ça roule !
Thomas continua en disant que chaque voiture avait un « propriĂ©taire Â» et de ce fait, on en faisait un usage individuel la plupart du temps.
– Mais, elle sont Ă©normes ces voitures ! Pourquoi elles sont si grosses si on est seul dedans ? ça sert Ă  rien ! s’étonna Louka. Â»
Face Ă  la surprise de son fils, Thomas soupira. Il lui revint en mĂ©moire ces heures de bouchon pour aller travailler au bureau, dans une compagnie d’assurances Ă  25 km de chez lui.

Son Ă©vocation des voitures me rappela le temps oĂč les immeubles s’assombrissaient Ă  cause de la pollution et oĂč ces voies bruyantes, polluantes, et dangereuses me traversaient de toute part. Aujourd’hui, le vĂ©lo a remplacĂ© la voiture mais les traces de ces anciennes routes n’ont pas pu ĂȘtre complĂštement effacĂ©es en si peu de temps. Elles sont maintenant recouvertes de terre, mais la nature peine Ă  reprendre ses droits face au bitume, encore trop proche de la surface de la terre. Seul les routes en dehors de la ville subsistent encore, mais ceux qui possĂšdent une voiture doivent la garer Ă  l’ancienne zone commerciale avant de prendre un autre moyen de transport pour rejoindre le centre.

Louka s’intĂ©ressa ensuite Ă  de curieux bĂątiments. De grandes structures de couleur blanche sont accompagnĂ©es d’immenses surfaces planes vides. Thomas dĂ©crivit ce lieu atypique comme un centre industriel destinĂ© au soin.
« Mais ils sont tout le temps malades ? s’interrogea l’enfant.
Thomas, amusĂ© de cette rĂ©action inattendue, rĂ©pondit :
– Non, Ă  cette Ă©poque les gens ne savaient pas se soigner, du moins une majoritĂ©. Une certaine Ă©lite de la sociĂ©tĂ© trimait pour apprendre un nombre considĂ©rable de connaissances afin de soigner les gens. Ces personnes aux diffĂ©rentes spĂ©cialitĂ©s se regroupaient dans des hĂŽpitaux, cliniques ou tous les autres lieux dĂ©diĂ©s au soin. Â» poursuivit Thomas.
Aujourd’hui, suite Ă  une surcharge des hĂŽpitaux durant l’effondrement, la centralisation des pratiques mĂ©dicales, c’est terminĂ©. Un processus de dĂ©centralisation des savoirs s’est enclenchĂ©. Des lieux de soins alternatifs sont apparus, ils regroupent un petit nombres de spĂ©cialistes. Ces lieux sont prĂ©sents presque Ă  chaque coin de rue, ils permettent de former les citoyen⋅ne⋅s aux pratiques mĂ©dicales et de mettre Ă  disposition un matĂ©riel mĂ©dical spĂ©cialisĂ©. Ainsi, tout le monde peut se soigner en consultant ces spĂ©cialistes gratuitement, et mĂȘme se former afin de succĂ©der Ă  ces mĂ©decins. DĂ©sormais, les citoyen⋅ne⋅s se soignent en grande partie en autonomie ou en se soignant mutuellement.

Thomas regardait Lucy et Louka jouer avec d’autres enfants. C’était beau. Avant l’effondrement, il Ă©tait enfermĂ© dans une compagnie d’assurance pour gagner une misĂšre. Tous les savoirs acquis pour se reconvertir dans l’ébĂ©nisterie, auparavant personne n’y faisait attention. Aujourd’hui, les sociologues cherchent Ă  reprĂ©senter ces interactions sociales aux travers de modĂšles, les modĂšles de DensitĂ©s EA2D (Echange, Acteurs, DiversitĂ© de savoir, DiversitĂ© de culture). Ces modĂšles tendent Ă  valoriser les espaces d’échanges culturels, de savoir ou juste d’interaction sociales. On voit apparaĂźtre diffĂ©rents niveaux de EA2D. Avant, les structures du savoir Ă©taient descendantes [SchĂ©ma 1 ci-dessous], avec peu d’acteurs et d’actrices transmettant un savoir en particulier. Suite Ă  l’effondrement, d’autres structures se sont dĂ©mocratisĂ©es, avec plus de diversitĂ© de savoirs [SchĂ©ma 2 ci-dessous] (limitant l’enfermement dans les bulles de filtres) et plus d’acteurs⋅actrices de cultures diverses permettant une mixitĂ© sociale importante [SchĂ©ma 3 et SchĂ©ma 4]. Des infrastructures comme l’UPLOAD reposent sur ces travaux pour Ă©laborer des schĂ©mas d’interactions entre les individus afin de coller aux dimensions PAPS.

SchĂ©ma 1 : Peu d’acteurs distribuant le savoir Ă  peu de personnes, apprentissage descendant

 

 SchĂ©ma 2 : davantage de savoir partagĂ©, toujours dans un modĂšle descendant

 

SchĂ©ma 3 : davantage de savoir partagĂ©, mise en rĂ©seaux des savoirs

 

SchĂ©ma 4 : diversitĂ© des interlocuteurs, chaque personne peut proposer et apprendre

 

Vous vous demandez sĂ»rement Ă  quoi correspond les dimensions PAPS n’est ce pas ? En plus de tous ces schĂ©mas et calculs, les hommes ont aussi dĂ©veloppĂ© une nouvelle vision de la sociĂ©tĂ©, fondĂ©e autour de 4 grandes dimensions : une dimension Pluriculturelle, Artisane, PĂ©dagogique et Subsistantielle. Thomas est occupĂ© avec ses enfants, je vais donc vous dĂ©tailler Ă  sa place ce qu’elles reprĂ©sentent.

1. La dimension Pluriculturelle
Cette dimension promeut l’ouverture Ă  l’autre et le refus de l’enfermement des individus dans des bulles de filtres. Elle ne pose pas de hiĂ©rarchie entre les matiĂšres, les savoirs ou des savoirs-faire.

2. La dimension Artisane
Cet Ă©clairage vise Ă  produire et rĂ©parer les objets de son quotidien. En gĂ©nĂ©rant un nouvel environnement technique, cette dimension transforme le rapport Ă  l’outil et permet aux individus de se rĂ©approprier les moyens de productions.

3. La dimension PĂ©dagogique
La dimension PĂ©dagogique prĂŽne les concept de transmission, de rĂ©ception et de partage du savoir sans limite ni barriĂšre. Elle vise a proposer le savoir pour tous et par tous Ă  la maniĂšre de structures comme l’UPLOAD ou d’autres lieux d’échanges plus petits.

4. La dimension Subsistantielle
L’autosuffisance passe aussi par une autosuffisance alimentaire. Dans cette optique, la sociĂ©tĂ© a cherchĂ© Ă  crĂ©er des rĂ©seaux de savoirs pour la subsistance du commun. Un individu seul ne pouvant pas toujours subvenir Ă  tout ces besoins, l’entraide devint le maĂźtre-mot de cette dimension. Le nouvel humain est connectĂ© avec la nature Ă  la maniĂšre de l’Homme selon Hans Jonas. Ce nouvel humain tend Ă  prĂ©server, et non plus Ă  asservir la nature.

L’histoire de Thomas s’inscrit dans une histoire plus globale avec l’effondrement, ce sont l’ensemble des fondements sur lesquels reposaient la sociĂ©tĂ© qui se sont effondrĂ©s. Une sociĂ©tĂ© servicielle et fonctionnaliste qui s’est ordonnĂ©e en classe sociale et mĂ©tier, le tout soumis aux principes d’une hiĂ©rarchie verticale. Avec la rarĂ©faction des ressources et l’augmentation de la frĂ©quence des catastrophes naturelles, les mĂ©tiers sont devenus inutiles, la chaĂźne servicielle s’est brisĂ©e. Afin de rependre de l’activitĂ©, les humains se sont rĂ©inventĂ©s, ils ont imaginĂ© une sociĂ©tĂ© organique oĂč chacun, chacune possĂ©dait une multitude de savoirs. Ces savoirs sont partagĂ©es dans les communs.

De cette maniĂšre l’UPLOAD permet la formation aux principes d’une vie autonome Ă  un large publique. Le citoyen apprend de cette maniĂšre Ă  s’approprier les moyens de production, de subsistance et les moyens pĂ©dagogiques. Ces concepts sont rĂ©employĂ©s dans la ville, Ă  travers des ateliers communaux de production, autrement nommĂ©s des tiers-lieux. Ces lieux alternatifs sont l’extension de l’UPLOAD, ils permettent le partage des connaissances artisanales, ainsi que la mise en commun des outils de production et de rĂ©paration.
L’arrivĂ©e de ces nouveaux espaces m’a fait grandement du bien, il a renforcĂ© le lien entre mes habitant⋅e⋅s et a permis de mettre en avant des pratiques non-destructrices de mon milieu.

Dans la derniĂšre salle, une stĂšle Ă©tait placĂ©e au centre de la piĂšce. Un panneau placĂ© Ă  sa droite donnait les explications suivantes :

L’effondrement est nĂ© de l’accumulation de diffĂ©rents facteurs. Au dĂ©but du XXIe siĂšcle, l’amplification des problĂšmes sociaux et sociĂ©taux, l’absence de remise en cause du systĂšme Ă©conomique capitaliste et l’inaction face aux enjeux environnementaux ont Ă©tĂ© le terreau fertile entraĂźnant le dĂ©clin de la sociĂ©tĂ©. Une pĂ©riode sombre durant laquelle la rarĂ©faction des ressources et la destruction du systĂšme Ă©conomique par une rĂ©cession qu’on n’a pas su empĂȘcher, ont mis Ă  mal la souverainetĂ© alimentaire et l’accĂšs au soin de chaque individu, d’autant plus fragilisĂ© par la haute frĂ©quence et l’intensitĂ© des catastrophes naturelles. Les individus ont vu leur mode de vie se mĂ©tamorphoser, se dĂ©grader, ne pouvant plus se projeter dans l’avenir, devant lutter pour survivre pour rĂ©pondre Ă  leur besoins de premiĂšre nĂ©cessitĂ©.

Dessiné au trait, un arbre dont on voit bien la base et tronc mais pas la houppe/ Un panneau écrit est posé contre le tronc sur une branche basse

Dessin de Martin ROUSSEL CC-BY-SA

Presque Ă©mu par tous ces mots, je vis Thomas et ses deux enfants quitter l’exposition, le cƓur plein d’espoir pour cette future gĂ©nĂ©ration.

L’exposition en mon honneur Ă©tait belle et poignante et montrait tout Ă  fait Ă  quel point il Ă©tait important de ne pas tomber Ă  nouveau dans nos anciennes habitudes. J’attends avec impatience et confiance l’exposition suivante, celle qui illustrera ce que je serai devenue demain..

Texte sous licence CC-BY-SA
Écrit par : AUBERT Paul, DETEVE Damien, DUFOUR TimothĂ©, EGLES Lisa, ROUSSEL Martin
Co-Ă©ditrice : Numa HELL

 

 

Bibliographie

[1] COGNIE Florentin, PERON Madeleine. Mesurer la biodiversitĂ© [en ligne]. Conseil d’analyse Ă©conomique, Septembre 2020 (gĂ©nĂ©rĂ© le 18 janvier 2024). Disponible sur Internet : https://www.psychaanalyse.com/pdf/MESURER%20LA%20BIODIVERSITE%20FOCUS%202020%20(11%20Pages%20-%20569%20Ko).pdf

Comprendre un peu mieux les thĂ©ories autour de l’effondrement :

À propos de la dĂ©mocratie athĂ©nienne :

  • MOSSÉ, C. (2013). Regards sur la dĂ©mocratie athĂ©nienne. Perrin.

Pour en apprendre plus sur les diffĂ©rentes mĂ©thodes de vote :

Pour comprendre d’oĂč vient l’idĂ©e que plus une proposition provoque des dĂ©bats, plus elle doit faire l’unanimitĂ© Ă  la fin du dĂ©bat :

  • ROUSSEAU, J. (1762). Du contrat social ou Principes du droit politique.

Pour comprendre nos hypothĂšses autour de l’universitĂ© populaire libre ouverte, autonome et dĂ©centralisĂ©e, la dĂ©finition de l’UPLOAD : https://upload.framasoft.org/fr/

Pour comprendre davantage ce dont nous parlions autour du « conformisme du savoir Â», l’utilitĂ© des connaissances :

  • GRAEBER, D. (2018) Bullshit Jobs.

Pour comprendre la bascule rĂ©alisĂ©e par l’UPLOAD dans la sociĂ©tĂ© :

  • FRIEDMANN, G.(1963). OĂč va le travail humain ?
  • ILLICH, I. (2014). La convivialitĂ©.
  • GORZ, A. (2008). Écologica. Editions GalilĂ©e.
  • PARRIQUE, T. (2022). Ralentir ou pĂ©rir : L’économie de la dĂ©croissance.
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