La nouvelle du jeudi 20:42
Chaque jour de cette semaine, Ă 20:42, une nouvelle de 2042 concoctĂ©e avec amour par les participantâ es des ateliers #solarpunk #UPLOAD de lâUniversitĂ© Technologique de CompiĂšgne (UTC).
Aujourdâhui, sous le regard Ă©tonnĂ© des enfants de 2042, une exposition sur CompiĂšgne autrefois, visite commentĂ©e par la ville elle-mĂȘme. Au menu : lâUniversitĂ©, le mode de gouvernement, un vote libre et populaire, et tout ce qui aura changĂ© dans une nouvelle conception de la sociĂ©tĂ©âŠ
CompiÚgne avant les années sobres
Voici mon tĂ©moignage. En quelques paragraphes, je vais vous raconter cette journĂ©e importante pour Thomas et sa famille. Je nâai pas choisi nâimporte quelle journĂ©e, Ă©videmment, mais vous vous en rendrez compte par vous-mĂȘme au fil des lignes, et peut-ĂȘtre comprendrez vous pourquoi elle est Ă©galement importante pour moi, CompiĂšgneâŠ
Cela faisait plusieurs annĂ©es que les citoyenâ neâ s avaient prĂ©vu lâexposition. Par crainte que celle-ci ne soit trop rapprochĂ©e des Ă©vĂ©nements traumatisants, les habitant·e·s avaient dĂ©placĂ© son inauguration jusquâĂ aujourdâhui. Il sâĂ©tait dĂ©roulĂ© un nombre incalculable dâassemblĂ©es au cours desquelles elle avait Ă©tĂ© au cĆur des discussions, suscitant des avis tranchĂ©s par les membres, tant opposĂ©s que favorables. Enfin, aprĂšs cinq annĂ©es, des affiches firent leur apparition devant la mairie, sur les places publiques et dans lâUPLOAD. Cependant, le titre ne faisait pas lâunanimitĂ©, surtout pas Ă mes yeux. « CompiĂšgne avant les annĂ©es sobres », semblait attĂ©nuer la gravitĂ© de la pĂ©riode sombre que nous avions traversĂ©e, celle de lâeffondrement⊠Lâexposition ayant enfin ouvert ses portes, de nombreuses personnes Ă©taient impatientes dâadmirer les Ćuvres exposĂ©es, particuliĂšrement dĂ©sireuses dâentendre les tĂ©moignages des plus ĂągĂ©es qui avaient tout vĂ©cu. Thomas faisait partie des guides bĂ©nĂ©voles, dĂ©vouĂ©s Ă consacrer de leur temps Ă expliquer aux visiteurs et visiteuses ce quâil sâĂ©tait passĂ© et pourquoi. Il Ă©tait venu spĂ©cialement afin de faire dĂ©couvrir lâexposition Ă ses enfants, en leur prĂ©sentant tous ses Ă©lĂ©ments par des images.
Thomas entra dans la premiĂšre salle consacrĂ©e Ă la prĂ©sentation et lâĂ©volution de lâUPLOAD. Placer celle-ci en premier ne me paraissait pas absurde. AprĂšs tout, câest elle qui avait rendu tout cela possible. LâUPLOAD, lâUniversitĂ© populaire, libre, ouverte, autonome et dĂ©centralisĂ©e, constituait le point de dĂ©part de toutes les Ă©volutions positives des annĂ©es sobres.
Au dĂ©but, lâUPLOAD Ă©tait un projet Ă©tudiant dont le but Ă©tait de modifier drastiquement le systĂšme Ă©ducatif de lâĂ©poque. LâĂ©ducation prĂ©sentait des lacunes, les Ă©tudiant·e·s adoptaient un Ă©tat dâesprit incompatible avec le risque dâeffondrement que prĂ©sentait la planĂšte entiĂšre, et sortaient de leurs Ă©tudes avec une conception conformiste de ce quâĂ©tait le savoir. Chaque Ă©tudiant·e quittait lâinstitution en pensant que les mathĂ©matiques, la physique ou la chimie reflĂ©taient lâintĂ©gralitĂ© des connaissances.
Initialement, lâUPLOAD occupait les locaux de lâuniversitĂ© technologique de CompiĂšgne et servait de lieu central oĂč les Ă©tudiant·e·s se rencontraient. Progressivement, elle avait regroupĂ© non seulement des Ă©tudiant·e·s mais aussi des habitant·e·s pour rassembler leur savoir et le transmettre aux autres. Tout cela sâĂ©tait montrĂ© particuliĂšrement utile dans les premiĂšres annĂ©es de lâeffondrement. Par la suite, elle Ă©tait devenue un lieu communautaire, constituĂ© de nombreux bĂątiments, aux frontiĂšres moins dĂ©finies.
Thomas et ses enfants arrivĂšrent devant la photo de lâancienne mairie. On pouvait y voir un maire serrer la main du prĂ©sident de la rĂ©publique. Lâun de ses enfants demanda alors ce quâĂ©taient un « maire » et un « prĂ©sident »⊠LâidĂ©e dâavoir une seule personne pour gouverner le pays lui Ă©tait absolument impensable, comment un seul individu pourrait-il diriger tout un peuple ? Comment pourrait-elle prendre des dĂ©cisions pour tous sans mĂȘme connaĂźtre chacun et chacune ? Et pourquoi Ă©lire des maires ? Ă quoi servaient-ils, sâils nâavaient aucun pouvoir ou presque ? Thomas se retrouvait bien surpris par toutes ces questions quâil ne sâĂ©tait jamais posĂ©es et qui pourtant lui paraissaient complĂštement lĂ©gitimes. Afin dây rĂ©pondre, il dĂ©cida de raconter dâoĂč venait notre forme de politique actuelle.
« Avant lâeffondrement, toutes les dĂ©cisions ou presque Ă©tait prises Ă Paris, câest ce quâon appelait un gouvernement centralisĂ©. Le prĂ©sident et son gouvernement prenaient toute les dĂ©cisions, et celles-ci Ă©taient relayĂ©es par les prĂ©fets, puis par les maires. Ceux-ci nâavaient donc quâun pouvoir trĂšs limitĂ©.
â Mais ils nây a jamais eu dâautre forme de gouvernement avant ?
â Si bien sĂ»r, il y a eu diffĂ©rentes formes de gouvernement, les plus notables sont la monarchie, oĂč un roi gouvernait tout un peuple ; la thĂ©ocratie, oĂč le gouvernement agissait au nom dâun dieu ; lâoligarchie oĂč un petit groupe de personnes gardait le pouvoir entre leurs mains et prenait toutes les dĂ©cisions ; et il y avait bien dâautre formes encore. Celle que nous utilisons actuellement se rapproche beaucoup de la dĂ©mocratie athĂ©nienne, oĂč une partie du peuple votait les dĂ©cisions ensemble. La diffĂ©rence est que notre forme de politique inclut tout le monde, alors que la leur excluait les femmes et les esclaves de la vie politique.
â Et pourquoi avons-nous changĂ© de politique ?
â Lors de lâeffondrement, lâancienne organisation nâa plus fonctionnĂ©. Chaque rĂ©gion a connu des problĂšmes diffĂ©rents, notamment des pĂ©nuries dâeau, de nourriture, des inondations, des incendies⊠Mais comme ce fonctionnement obligeait le prĂ©sident Ă prendre des dĂ©cisions pour tout le monde en mĂȘme temps, il nâa pas pu rĂ©pondre Ă tous les problĂšmes. Et câest dans la panique quâune nouvelle loi est passĂ©e, cĂ©dant la majoritĂ© des prises de dĂ©cisions Ă une Ă©chelle plus locale, ville par ville », expliqua Thomas.
Cette dĂ©cision avait Ă©tĂ© prise Ă peine 20 ans auparavant et pourtant elle avait tout changĂ©. Cette politique dĂ©centralisĂ©e avait permis la mise en place dâun vote libre (et) populaire. DĂ©sormais, chaque loi Ă©tait proposĂ©e par les citoyen·ne·s, puis votĂ©e dans un forum. Et lâensemble des instances des villes sont assurĂ©es par des Ă©luâ eâ s au service des citoyenâ neâ s, renouvelĂ©â eâ s rĂ©guliĂšrement. Thomas sâĂ©tait mis en tĂȘte dâexpliquer Ă Louka et Lucy comment votent les citoyenâ neâ s, et il comprit que câĂ©tait bien compliquĂ© pour des enfants de leur Ăąge. PlutĂŽt que tenter de vous lâexpliquer je pense que la fiche explicative donnĂ©e lors de chaque vote sera bien plus claire :
Cette forme de vote a vraiment permis de rendre les choix et les dĂ©cisions plus reprĂ©sentatives de la volontĂ© des citoyenâ neâ s.
« Bon laissez tomber, vous comprendrez sĂ»rement quand vous serez plus grands⊠En attendant passons Ă la suite de lâexposition ! »
Le petit groupe sâavança alors devant une photographie dâun homme, apparemment dĂ©semparĂ©, contemplant un graphique couvert de chandelles rouges et vertes. Il y Ă©tait Ă©crit : « NASDAQ, bourse de New York ».
« Papa, papa ! Quâest ce quâil fait celui-lĂ ? demanda Lucy, la fille cadette de Thomas. Il se tourna vers elle, mit un genou Ă terre et pointa du doigt le clichĂ© pendu au mur :
â Tu vois ça câest ce quâon appelait « la Bourse de New York », enfin ce quâelle Ă©tait quand jâĂ©tais jeune. Ă lâĂ©poque on pensait le monde en termes de croissance Ă©conomique, de richesse pour les actionnaires et dâĂ©change financiers. Le PIB, saint Graal des analystes Ă©conomiques, Ă©tait lâindicateur phare. »
Thomas voyait bien que son discours ne passionnait pas les foules, il surprit mĂȘme ses enfants Ă bĂąiller devant ses dires. Pourtant il le savait, le changement de paradigme post-effondrement avaient rebattu toutes les cartes. Consciente quâune croissance infinie nâĂ©tait pas un modĂšle viable, la sociĂ©tĂ© avait cherchĂ© de nouveaux moyens de mesurer lâĂ©volution de lâhumanitĂ©. Une idĂ©e Ă©mergea alors, pourquoi ne pas intĂ©grer la biodiversitĂ© dans tout les futurs projets de construction ? Une nouvelle loi avait alors Ă©tĂ© votĂ©e afin dâintĂ©grer des indices de biodiversitĂ©, obligeant ensuite les autoritĂ©s publiques Ă ne faire que des projets dĂ©veloppant la biodiversitĂ©. Cette vision politique sâest cristallisĂ©e autour du RIP, Le Rapport dâImpact Projet. On pouvait savoir si un projet Ă©tait bĂ©nĂ©fique pour lâenvironnement en regardant le RIP. Sâil Ă©tait supĂ©rieur Ă 1, on pouvait alors lancer le projet, sinon il Ă©tait mis de cĂŽtĂ©. Afin dâĂȘtre au plus proche de la rĂ©alitĂ©, il avait fallu dĂ©velopper une vision multifactorielle, en se fondant par exemple sur lâabondance et la biodiversitĂ© ou sa diversitĂ©. Voici la formule employĂ©e dans le cadre de nouveaux projets.
Lâimpact du projet sur lâenvironnement et lâindice actuel de biodiversitĂ© se dĂ©finissent par des indicateurs dâabondance et de richesse spĂ©cifiques.
Cet indice a permis de choisir des projets plus durables et respectueux de lâenvironnement et de mieux comprendre les services rendus par certains bĂątiments. Thomas sâĂ©tait par exemple battu pour une grange menacĂ©e de destruction par une nouvelle route alors quâelle servait de refuge pour les oiseaux nocturnes. GrĂące au RIP, les Ă©luâ eâ s sâĂ©taient rendu compte que le tracĂ© de la nouvelle nationale posait en fait beaucoup de problĂšmes et ils avaient pris la dĂ©cision de le modifier.
Perdu dans ses pensĂ©es, Thomas ne sâĂ©tait pas rendu compte que ses enfants sâĂ©taient dispersĂ©s dans lâexposition.
Maintenant seul, Thomas parcourait lâexposition Ă leur recherche. Un peu inquiet, il sâarrĂȘta Ă cĂŽtĂ© dâune personne ĂągĂ©e qui observait une photo dâun porte-conteneur chinois. Du haut de son mĂštre quatre-vingt-dix, Francis portait un bĂ©ret bleu marine et une salopette vert bouteille. Ses manches retroussĂ©s laissaient voir des tatouages. Thomas lui fit signe et Francis lui esquissa un sourire.
« Bonjour monsieur, savez-vous que jâai dĂ©jĂ travaillĂ© sur un de ces bateaux ? Dans ma jeunesse si le monde tournait, câest parce que ces gros engins mĂ©caniques flottaient, expliqua Francis en se tournant vers Thomas.
â Oui bonjour, câest vrai quâaujourdâhui ces types de bateaux ont complĂštement disparu, rĂ©pliqua Thomas.
â Vous savez, vous avez sĂ»rement dĂ» observer ce changement aussi, mais la principale raison de leur disparition câest la mise en place du nouvel indice qui a supplantĂ© le PIB. Ă cette Ă©poque la quantitĂ© dâĂ©change de nature Ă©conomique rĂ©alisĂ©e par un pays produisait sa valeur, ainsi on observait une intensification des Ă©changes, une dĂ©localisation de la production, bref on faisait des Ă©changes pour faire des Ă©changes.
Cette dynamique sâest totalement inversĂ©e, on a dĂ©cidĂ© de non plus mettre en valeur le nombre croissant dâĂ©changes Ă©conomiques, mais le faible nombre de celui-ci. Les pays se sont ainsi mis en concurrence dans des objectifs dâautonomie de leurs citoyenâ
neâ
s. Moins un pays se repose sur une centralisation des productions, câest Ă dire plus ses citoyenâ
neâ
s sont autonomes dans la réalisation de leur quotidien, plus ce pays est mis en valeur.
â Câest vrai, jâĂ©tais encore assez jeune lors de ce renversement, mais jâavoue que je vois pas trop le lien direct avec la raison pour laquelle les porte-conteneurs ont disparu, sâinterrogea Thomas.
â Bien, ça câest grĂące Ă un autre indice, il est encore prĂ©sent aujourdâhui mais il est si bien incorporĂ© par tout le monde quâon a tendance Ă lâoublier, jâen ai mĂȘme oubliĂ© le nom.
â Lâindice de maniabilitĂ© ? proposa Thomas.
â Oui, câest ça⊠lâindice de maniabilitĂ©. En fait, il permettait dâobserver la dĂ©pendance dâune sociĂ©tĂ© Ă une technologie elle-mĂȘme dĂ©pendante de ressource, dâĂ©nergie non-humaine. Le propos, câest de dire que lâunivers technique que produit lâHomme doit se baser sur les capacitĂ©s physiques de lâHomme et non sur un asservissement de la nature comme ressource. De cette vision, il en dĂ©coule une dĂ©croissance forte dans les usages des technologies Ă bouton, vous savez celle oĂč on appuie sur un bouton et ça marche tout seul sans quâon sache vraiment comment, mais ce que lâon sait, câest que ça consomme un Ă©quivalent en Ă©nergie non-humaine, expliqua Francis.
â Et de cette maniĂšre tous les procĂ©dĂ©s dâautomatisation, les moteurs Ă©nergivores et tous ces autres Ă©lĂ©ments techniques superflus, ont disparu progressivement.Câest tout de mĂȘme fou quâon ait pu penser de cette façon, un Homme hors de la nature quelle idĂ©e ! » reprit Thomas.
Francis sourit Ă Thomas, puis poursuivit sa visite. Thomas reprit sa quĂȘte.
AprĂšs avoir suivi cette conversation, des souvenirs de mon usage destructeur me frappĂšrent. Je suis et je serais toujours Ă lâimage des Hommes qui me façonnent, mais tout de mĂȘme lâĂ©vocation dâun ancien moi en opposition avec la nature, me donne des frissons.
Son pĂšre retrouva Louka prĂšs dâune ancienne carte de la rĂ©gion, regardant surpris de longs chemins de couleur grisĂątre qui serpentaient dans la ville et au-delĂ .
« Câest quoi Papa ? câest tout gris, dit lâenfant en pointant du doigt ces longs tracĂ©s.
â Ăa tu vois, câest une autoroute. Et lĂ ce sont des routes nationales, ici les routes dĂ©partementales et lĂ les rues de la ville, expliquait Thomas.
Thomas poursuivit, dĂ©crivant Ă ces enfants ces voies de transports quâils nâavaient pas connues.
â Ă cette Ă©poque, nous utilisions des voitures pour nous dĂ©placer dans la ville. La voiture câest 4 siĂšges plus ou moins quâon met dans une boite. Puis on met cette boite sur quatre roues, on lui rajoute un moteur avec de lâessence, et ça roule !
Thomas continua en disant que chaque voiture avait un « propriétaire » et de ce fait, on en faisait un usage individuel la plupart du temps.
â Mais, elle sont Ă©normes ces voitures ! Pourquoi elles sont si grosses si on est seul dedans ? ça sert Ă rien ! sâĂ©tonna Louka. »
Face Ă la surprise de son fils, Thomas soupira. Il lui revint en mĂ©moire ces heures de bouchon pour aller travailler au bureau, dans une compagnie dâassurances Ă 25 km de chez lui.
Son Ă©vocation des voitures me rappela le temps oĂč les immeubles sâassombrissaient Ă cause de la pollution et oĂč ces voies bruyantes, polluantes, et dangereuses me traversaient de toute part. Aujourdâhui, le vĂ©lo a remplacĂ© la voiture mais les traces de ces anciennes routes nâont pas pu ĂȘtre complĂštement effacĂ©es en si peu de temps. Elles sont maintenant recouvertes de terre, mais la nature peine Ă reprendre ses droits face au bitume, encore trop proche de la surface de la terre. Seul les routes en dehors de la ville subsistent encore, mais ceux qui possĂšdent une voiture doivent la garer Ă lâancienne zone commerciale avant de prendre un autre moyen de transport pour rejoindre le centre.
Louka sâintĂ©ressa ensuite Ă de curieux bĂątiments. De grandes structures de couleur blanche sont accompagnĂ©es dâimmenses surfaces planes vides. Thomas dĂ©crivit ce lieu atypique comme un centre industriel destinĂ© au soin.
« Mais ils sont tout le temps malades ? sâinterrogea lâenfant.
Thomas, amusé de cette réaction inattendue, répondit :
â Non, Ă cette Ă©poque les gens ne savaient pas se soigner, du moins une majoritĂ©. Une certaine Ă©lite de la sociĂ©tĂ© trimait pour apprendre un nombre considĂ©rable de connaissances afin de soigner les gens. Ces personnes aux diffĂ©rentes spĂ©cialitĂ©s se regroupaient dans des hĂŽpitaux, cliniques ou tous les autres lieux dĂ©diĂ©s au soin. » poursuivit Thomas.
Aujourdâhui, suite Ă une surcharge des hĂŽpitaux durant lâeffondrement, la centralisation des pratiques mĂ©dicales, câest terminĂ©. Un processus de dĂ©centralisation des savoirs sâest enclenchĂ©. Des lieux de soins alternatifs sont apparus, ils regroupent un petit nombres de spĂ©cialistes. Ces lieux sont prĂ©sents presque Ă chaque coin de rue, ils permettent de former les citoyenâ
neâ
s aux pratiques mĂ©dicales et de mettre Ă disposition un matĂ©riel mĂ©dical spĂ©cialisĂ©. Ainsi, tout le monde peut se soigner en consultant ces spĂ©cialistes gratuitement, et mĂȘme se former afin de succĂ©der Ă ces mĂ©decins. DĂ©sormais, les citoyenâ
neâ
s se soignent en grande partie en autonomie ou en se soignant mutuellement.
Thomas regardait Lucy et Louka jouer avec dâautres enfants. CâĂ©tait beau. Avant lâeffondrement, il Ă©tait enfermĂ© dans une compagnie dâassurance pour gagner une misĂšre. Tous les savoirs acquis pour se reconvertir dans lâĂ©bĂ©nisterie, auparavant personne nây faisait attention. Aujourdâhui, les sociologues cherchent Ă reprĂ©senter ces interactions sociales aux travers de modĂšles, les modĂšles de DensitĂ©s EA2D (Echange, Acteurs, DiversitĂ© de savoir, DiversitĂ© de culture). Ces modĂšles tendent Ă valoriser les espaces dâĂ©changes culturels, de savoir ou juste dâinteraction sociales. On voit apparaĂźtre diffĂ©rents niveaux de EA2D. Avant, les structures du savoir Ă©taient descendantes [SchĂ©ma 1 ci-dessous], avec peu dâacteurs et dâactrices transmettant un savoir en particulier. Suite Ă lâeffondrement, dâautres structures se sont dĂ©mocratisĂ©es, avec plus de diversitĂ© de savoirs [SchĂ©ma 2 ci-dessous] (limitant lâenfermement dans les bulles de filtres) et plus dâacteursâ actrices de cultures diverses permettant une mixitĂ© sociale importante [SchĂ©ma 3 et SchĂ©ma 4]. Des infrastructures comme lâUPLOAD reposent sur ces travaux pour Ă©laborer des schĂ©mas dâinteractions entre les individus afin de coller aux dimensions PAPS.
SchĂ©ma 1 : Peu dâacteurs distribuant le savoir Ă peu de personnes, apprentissage descendant
Schéma 2 : davantage de savoir partagé, toujours dans un modÚle descendant
Schéma 3 : davantage de savoir partagé, mise en réseaux des savoirs
Schéma 4 : diversité des interlocuteurs, chaque personne peut proposer et apprendre
Vous vous demandez sĂ»rement Ă quoi correspond les dimensions PAPS nâest ce pas ? En plus de tous ces schĂ©mas et calculs, les hommes ont aussi dĂ©veloppĂ© une nouvelle vision de la sociĂ©tĂ©, fondĂ©e autour de 4 grandes dimensions : une dimension Pluriculturelle, Artisane, PĂ©dagogique et Subsistantielle. Thomas est occupĂ© avec ses enfants, je vais donc vous dĂ©tailler Ă sa place ce quâelles reprĂ©sentent.
1. La dimension Pluriculturelle
Cette dimension promeut lâouverture Ă lâautre et le refus de lâenfermement des individus dans des bulles de filtres. Elle ne pose pas de hiĂ©rarchie entre les matiĂšres, les savoirs ou des savoirs-faire.
2. La dimension Artisane
Cet Ă©clairage vise Ă produire et rĂ©parer les objets de son quotidien. En gĂ©nĂ©rant un nouvel environnement technique, cette dimension transforme le rapport Ă lâoutil et permet aux individus de se rĂ©approprier les moyens de productions.
3. La dimension PĂ©dagogique
La dimension PĂ©dagogique prĂŽne les concept de transmission, de rĂ©ception et de partage du savoir sans limite ni barriĂšre. Elle vise a proposer le savoir pour tous et par tous Ă la maniĂšre de structures comme lâUPLOAD ou dâautres lieux dâĂ©changes plus petits.
4. La dimension Subsistantielle
Lâautosuffisance passe aussi par une autosuffisance alimentaire. Dans cette optique, la sociĂ©tĂ© a cherchĂ© Ă crĂ©er des rĂ©seaux de savoirs pour la subsistance du commun. Un individu seul ne pouvant pas toujours subvenir Ă tout ces besoins, lâentraide devint le maĂźtre-mot de cette dimension. Le nouvel humain est connectĂ© avec la nature Ă la maniĂšre de lâHomme selon Hans Jonas. Ce nouvel humain tend Ă prĂ©server, et non plus Ă asservir la nature.
Lâhistoire de Thomas sâinscrit dans une histoire plus globale avec lâeffondrement, ce sont lâensemble des fondements sur lesquels reposaient la sociĂ©tĂ© qui se sont effondrĂ©s. Une sociĂ©tĂ© servicielle et fonctionnaliste qui sâest ordonnĂ©e en classe sociale et mĂ©tier, le tout soumis aux principes dâune hiĂ©rarchie verticale. Avec la rarĂ©faction des ressources et lâaugmentation de la frĂ©quence des catastrophes naturelles, les mĂ©tiers sont devenus inutiles, la chaĂźne servicielle sâest brisĂ©e. Afin de rependre de lâactivitĂ©, les humains se sont rĂ©inventĂ©s, ils ont imaginĂ© une sociĂ©tĂ© organique oĂč chacun, chacune possĂ©dait une multitude de savoirs. Ces savoirs sont partagĂ©es dans les communs.
De cette maniĂšre lâUPLOAD permet la formation aux principes dâune vie autonome Ă un large publique. Le citoyen apprend de cette maniĂšre Ă sâapproprier les moyens de production, de subsistance et les moyens pĂ©dagogiques. Ces concepts sont rĂ©employĂ©s dans la ville, Ă travers des ateliers communaux de production, autrement nommĂ©s des tiers-lieux. Ces lieux alternatifs sont lâextension de lâUPLOAD, ils permettent le partage des connaissances artisanales, ainsi que la mise en commun des outils de production et de rĂ©paration.
LâarrivĂ©e de ces nouveaux espaces mâa fait grandement du bien, il a renforcĂ© le lien entre mes habitantâ
eâ
s et a permis de mettre en avant des pratiques non-destructrices de mon milieu.
Dans la derniÚre salle, une stÚle était placée au centre de la piÚce. Un panneau placé à sa droite donnait les explications suivantes :
Lâeffondrement est nĂ© de lâaccumulation de diffĂ©rents facteurs. Au dĂ©but du XXIe siĂšcle, lâamplification des problĂšmes sociaux et sociĂ©taux, lâabsence de remise en cause du systĂšme Ă©conomique capitaliste et lâinaction face aux enjeux environnementaux ont Ă©tĂ© le terreau fertile entraĂźnant le dĂ©clin de la sociĂ©tĂ©. Une pĂ©riode sombre durant laquelle la rarĂ©faction des ressources et la destruction du systĂšme Ă©conomique par une rĂ©cession quâon nâa pas su empĂȘcher, ont mis Ă mal la souverainetĂ© alimentaire et lâaccĂšs au soin de chaque individu, dâautant plus fragilisĂ© par la haute frĂ©quence et lâintensitĂ© des catastrophes naturelles. Les individus ont vu leur mode de vie se mĂ©tamorphoser, se dĂ©grader, ne pouvant plus se projeter dans lâavenir, devant lutter pour survivre pour rĂ©pondre Ă leur besoins de premiĂšre nĂ©cessitĂ©.

Dessiné au trait, un arbre dont on voit bien la base et tronc mais pas la houppe/ Un panneau écrit est posé contre le tronc sur une branche basse
Dessin de Martin ROUSSEL CC-BY-SA
Presque Ă©mu par tous ces mots, je vis Thomas et ses deux enfants quitter lâexposition, le cĆur plein dâespoir pour cette future gĂ©nĂ©ration.
Lâexposition en mon honneur Ă©tait belle et poignante et montrait tout Ă fait Ă quel point il Ă©tait important de ne pas tomber Ă nouveau dans nos anciennes habitudes. Jâattends avec impatience et confiance lâexposition suivante, celle qui illustrera ce que je serai devenue demain..
Texte sous licence CC-BY-SA
Ăcrit par : AUBERT Paul, DETEVE Damien, DUFOUR TimothĂ©, EGLES Lisa, ROUSSEL Martin
Co-Ă©ditrice : Numa HELL
Bibliographie
[1] COGNIE Florentin, PERON Madeleine. Mesurer la biodiversitĂ© [en ligne]. Conseil dâanalyse Ă©conomique, Septembre 2020 (gĂ©nĂ©rĂ© le 18 janvier 2024). Disponible sur Internet : https://www.psychaanalyse.com/pdf/MESURER%20LA%20BIODIVERSITE%20FOCUS%202020%20(11%20Pages%20-%20569%20Ko).pdfComprendre un peu mieux les thĂ©ories autour de lâeffondrement :
- Contributeurs au projet Wikimedia, 2023. Collapsologie. [en ligne]. 20 dĂ©cembre 2023. Disponible Ă lâadresse : https://fr.wikipedia.org/wiki/Collapsologie
à propos de la démocratie athénienne :
- MOSSĂ, C. (2013). Regards sur la dĂ©mocratie athĂ©nienne. Perrin.
Pour en apprendre plus sur les différentes méthodes de vote :
- GATE. (2023, April 28). VOTER AUTREMENT â Groupe dâAnalyse et de ThĂ©orie Economique GATE CNRS. https://www.gate.cnrs.fr/vote/
Pour comprendre dâoĂč vient lâidĂ©e que plus une proposition provoque des dĂ©bats, plus elle doit faire lâunanimitĂ© Ă la fin du dĂ©bat :
- ROUSSEAU, J. (1762). Du contrat social ou Principes du droit politique.
Pour comprendre nos hypothĂšses autour de lâuniversitĂ© populaire libre ouverte, autonome et dĂ©centralisĂ©e, la dĂ©finition de lâUPLOAD : https://upload.framasoft.org/fr/
- ILLICH, I.(1971). Une société sans école.
- JOUR Mcginn, Noel Welsh, Thomas (1999/01/01) Decentralization of education : why, when, what and how ? UNESCO-IIEP http://lst-iiep.iiep-unesco.org/cgi-bin/wwwi32.exe/[in=epidoc1.in]/?t2000=011103/(100)
Pour comprendre davantage ce dont nous parlions autour du « conformisme du savoir », lâutilitĂ© des connaissances :
- GRAEBER, D. (2018) Bullshit Jobs.
Pour comprendre la bascule rĂ©alisĂ©e par lâUPLOAD dans la sociĂ©tĂ© :
- FRIEDMANN, G.(1963). OĂč va le travail humain ?
- ILLICH, I. (2014). La convivialité.
- GORZ, A. (2008). Ăcologica. Editions GalilĂ©e.
- PARRIQUE, T. (2022). Ralentir ou pĂ©rir : LâĂ©conomie de la dĂ©croissance.