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Bullshit sur Graf’hit

8 avril 2025 à 02:08

Depuis 2023 et la mise à disposition du grand public des IAG, l’exercice rédactionnel à l’université dysfonctionne. Stéphane Crozat en retranscrit un nouvel épisode dans cet article (les noms des étudiants ont été anonymisés).

« En effet, il y a un vrai risque de dénaturer le rôle principal de l’école : aider les élèves à développer leur esprit critique et leur autonomie. Imaginez un monde où les machines réalisent nos tâches à notre place. Selon une étude de John Doe en 2022, s’appuyer trop souvent sur des outils comme l’IA pourrait rendre les élèves moins capables de structurer leurs idées ou de résoudre des problèmes par eux-mêmes. »
(Alice, Bob, Claude & Daniel, 2024)

Lire et écrire sur le Web (introduction)

Je suis enseignant-chercheur à l’Université de Technologie de Compiègne (UTC) et cet article fait suite à deux publications précédentes liées au déploiement de l’IA générative (IAG) dans le contexte de l’enseignement supérieur :

À l’automne 2024 j’ai animé le cours WE01 à l’UTC avec deux collègues Quentin Duchemin et Stéphane Poinsart. C’est un cours du département Technologie, Sociétés, Humanités (TSH) que suivent des élèvent ingénieurs. Le cours était intitulé « Écrire, communiquer et collaborer sur le web » et il consistait en des apports théoriques autour du fonctionnement technique de l’Internet, de l’histoire du Web, du droit d’auteur et de la culture libre, du capitalisme de surveillance ou encore des enjeux sociaux-écologiques liés au numérique. Le cours comporte également des apports méthodologiques autour de la lecture et la production d’articles scientifiques ou la critique de ce que le Web produit.

Le travail demandé aux étudiants en WE01 était essentiellement tourné vers la réalisation de fiches de lecture et de productions écrites de type scientifique autour de ces thématiques, en groupe, publiées en ligne sous licence libre, finalisées par une présentation en direct sur la radio locale Graf’hit.

IA et école (le récit en bref)

Alice, Bob, Claude et Daniel ont rédigé ensemble 3 séries d’articles, dont la dernière a donné lieu à une lecture en direct sur la radio Graf’hit. Nous faisons ici une synthèse du processus de rédaction qui a été mobilisé. Le déroulé complet de leurs travaux, détaillé article par article, peut-être consulté en annexe de l’article original, que nous n’avons pas reproduit ici.

Un robot dit « Bonjour ! Comment puis-je vous aider à écrire de la merde, aujourd'hui ?»

Image générée par un être humain grâce au Générateur de Grise Bouille

Étape 1a, le plan détaillé de Bob (fait avec ChatGPT)

Bob injecte dans ChatGPT la bibliographie, et probablement le sujet, donnés par les enseignants au début de cours, afin d’obtenir un plan détaillé. On y trouve des rubriques comme « concepts vus en cours » qui ne correspondent pas à des concepts vus en cours ou des « arguments réfutables » qui répondent à une demande de produire des arguments réfutables, mais au sens de Karl Popper, alors qu’ici le sens et plutôt le sens trivial (ChatGPT n’a pas assisté au cours).

Exemple d’extrait de plan détaillé obtenu avec ChatGPT à partir du sujet fourni en entrée par les enseignants

Valeur éducative et éthique des exercices rédactionnels

  • Concepts vus en cours : l’éthique du travail intellectuel et la question de l’authenticité dans la production du savoir. Importance de la production d’écrits personnels dans l’éducation pour développer l’individualité.
  • Contre-argument réfutable : peut-on se contenter d’une écriture automatisée sans perdre en humanité et en sens critique ?

Image générée par un être humain grâce au générateur de mèmes de Framasoft – https://framamemes.org/

Étape 1b, les références de Bob (produites avec ChatGPT)

Bob demande également à ChatGPT des références bibliographiques pour étayer les propos, ce qui est aussi une consigne donnée dans le cours. Cela conduit à l’apparition de sept sources hallucinées, c’est à dire sept références bibliographiques crédibles mais totalement inventées (les revues scientifiques mentionnées existent pour la plupart).

On note le J. Doe du début, qui correspond en anglais à une personne non identifiée (typiquement en cas de découverte d’un cadavre sans papier dans une série américaine). L’enseignant relit le plan détaillé, mais ne vérifie pas les références. Il prend donc le temps de corriger ce travail de ChatGPT et le trouve globalement de bonne qualité. Bravo ChatGPT.

 

Image générée par un être humain grâce au Générateur de Grise Bouille

Exemple de références bibliographiques hallucinées obtenues avec ChatGPT

  • Doe, J. (2022). Privacy Concerns in AI-Powered Education Systems. Journal of Educational Technology, 45(3), 123-145.
  • Jones, L. (2019). Automated Grading Systems : Benefits and Challenges. Educational Review, 32(2), 250-265.
  • Miller, A. (2021). Bias in Educational AI Algorithms : A Critical Review. AI & Society, 36(1), 89-102.
  • Smith, P., Johnson, T., & Davis, R. (2021). Adaptive Learning Platforms and Their Impact on Student Success. Journal of Learning Analytics, 5(1), 45-67.
  • Tanaka, S. (2020). AI in Classroom Management : Pilot Projects in Japan. Japanese Journal of Educational Technology, 36(4), 210-225.
  • Taylor, M. (2022). Artificial Intelligence in Education : Friend or Foe ? Educational Futures, 12(2), 98-115.
  • Helsinki Study (2023). AI and Pedagogy : Experimental Schools in Finland. Educational Research Quarterly, 40(3), 78-95.
Un étudiant se réjouit : « Première fois que je rends un truc avec une bibliographie aussi fouillée. Il va être content, le prof ! » Un autre doute : « Hum... Je me demande qui est ce "John Doe". Jamais rien lu de lui. »

(image réalisée par le Générateur de Grise Bouille)

Étape 2, la rédaction de Claude (faite sans ChatGPT et sans esprit critique)

Claude ne participe pas du tout à la mise au point du plan détaillé, il laisse Bob travailler seul. Il repart ensuite de ce plan détaillé, et sans aucune interaction avec Bob, sans consulter les sources, il fait un travail de développement du plan sous forme de phrases. Il ajoute néanmoins quelques éléments provenant de sources authentiques.

Ici on note donc que Claude ne fait pas directement usage de l’IA, mais qu’il finalise un article complet sur la base d’un plan complètement produit par IA et de références inventées. C’est un très bon cas de prolétarisation, on a une division des tâches et des responsabilités : Bob produit le plan puis Claude l’article sans connexion avec le travail de Bob.

Exemple d’extrait de plan détaillé obtenu avec ChatGPT mobilisé en entrée pour mener une rédaction sans ChatGPT

L’IA pourrait-elle remplacer l’enseignant ?

Argumentation face à l’hypothèse que l’IA pourrait réduire les interactions humaines en classe (Taylor, 2022).

Proposition : L’IA doit être considérée comme un outil complémentaire et non comme un substitut de l’enseignant.

Exemple de rédaction réalisée par Claude sans ChatGPT sur la base du plan détaillé précédent

L’IA pourrait-elle remplacer l’enseignant ? Si l’IA permet d’automatiser des tâches et de personnaliser l’apprentissage, elle ne peut remplacer l’interaction humaine essentielle. C’est d’ailleurs ce que défend Taylor (2022) avec l’avertissement qu’il propose face à la baisse d’interactions humaines en classe. Or, l’enseignant apporte un soutien émotionnel et une compréhension de l’humain que l’IA ne peux bien entendu pas produire. (Cuisinier, 2007).

L’IA devrait donc compléter l’enseignant et non le remplacer. De plus nous agissons différemment quand on se sait observé (effet Hawthorne), ce qui rajoute une limite supplémentaire, qu’il convient de notifier.

Étape 3, la réponse de Daniel (faite avec ChatGPT)

Alice et Daniel produisent en réponse un autre texte qui défend une position plus en faveur des IA, afin de construire pour la radio un dialogue autour d’études scientifiques orientées pour et contre.

Daniel injecte dans ChatGPT le texte de Bob et Claude et demande à ChatGPT un nouveau plan pour y répondre. Celui-ci sera donc basé sur un plan déjà généré avec ChatGPT et des fausses références. Il demande aussi à ChatGPT de nuancer ses propos. Il mobilise également un article réel, celui de Crozat (qui existe bien, nous pouvons en témoigner). Notons que cet article traite d’un cas précédent d’usage frauduleux de ChatGPT dans le même cours WE01 un an auparavant. Daniel l’a-t-il lu ?

Le résultat obtenu n’est plus cohérent avec les propos prêtés aux auteurs inventés, personne ne se rend compte que cela n’a plus de sens, même au sein de la fiction créée par ChatGPT.

Alice et Daniel se retrouvent avec une seconde bibliographie hallucinée. Il y a une cohérence partielle avec la première, on retrouve presque les mêmes entrées… Mais les auteurs, articles et revues se mélangent, suivant la logique combinatoire de l’IAG. Doe est remobilisé autour des données personnelles, tandis que Miller est dans un cas mobilisé sur les algorithmes de recommandations, dans l’autre sur les inégalités de ressources dans les écoles.

 

Image générée par un être humain grâce au Générateur de Grise Bouille

Exemple de proposition de ChatGPT avec nuance et avec citation de faux articles

Enfin, l’affirmation selon laquelle l’IA « ne remplacera pas l’enseignant » mérite également d’être nuancée. Smith et Lee rappellent que l’IA peut modifier de manière intrinsèque le rôle de l’enseignant, le faisant passer d’un « transmetteur de savoirs » à un « facilitateur d’apprentissages ».

Seconde bibliographie hallucinée, variation combinatoire de la première

  • Doe, J. (2022). Educational Spaces and Data Privacy : Rethinking Schools in the Age of AI. Journal of Educational Ethics.
  • Miller, A. (2021). Equality in Education : Addressing Technological Disparities in the Classroom. International Review of Educational Technology.
  • Smith, L., & Lee, R. (2021). Adapting Learning with Artificial Intelligence : Challenges and Opportunities. Advances in Educational Technologies.
  • Tanaka, H. (2020). Administrative Efficiency through AI : An Educational Perspective. Asian Journal of School Management.
  • Taylor, C. (2022). The Role of Teacher-Student Interaction in Non-Digital Classrooms. Educational Research and Practice.
  • Helsinki Study. (2023). Human-Centered Education in the Digital Age : Case Studies from Finnish Schools. Nordic Journal of Pedagogical Innovation.

Étape 4, la réponse d’Alice (faite avec ChatGPT)

Alice rédige partiellement sans ChatGPT, exclusivement à partir de la seconde version de la bibliographie. On note dans cette intervention l’apparition des prénoms des faux auteurs. Peut-être ont-ils été demandés à ChatGPT pour correspondre au format demandé en cours.

On note aussi l’apparition de nouveaux arguments prêtés à certains auteurs inventés. Comme les articles n’existent pas, la seule façon d’étayer leur contenu avec de nouveaux arguments était d’interroger à nouveau ChatGPT.

Premier argument généré avec ChatGPT

L’éducation sans IA privilégie l’interaction directe entre enseignants et élèves, permettant un lien pédagogique plus fort, difficilement remplaçable par des technologies (Taylor, 2022)

Argument complémentaire demandé à ChatGPT

Charlotte Taylor en 2022 ajoute que cela peut même appauvrir le processus d’apprentissage en rendant les enseignements moins inspirants et moins personnalisés.

Travail à la chaîne

Là où les étudiants avaient comme consigne de travailler ensemble, en groupe, ils ont plutôt mis en place un travail séquentiel. Dans ce cadre, ils semblent avoir très peu communiqué entre eux et de pas s’être relus les uns et les autres.

S’ils n’avaient pas utilisé ChatGPT ils auraient probablement été obligés de collaborer, certains travaux trop peu qualitatifs les auraient fait réagir et auraient, sinon, fait intervenir l’enseignant.

J’ai failli oublier

Vous l’avez peut-être deviné, mais leur sujet c’était… IA et école.

Image générée par un être humain grâce au générateur de mèmes de Framasoft – https://framamemes.org/

On a pas envie de lire des textes écrits par des machines (consignes et autres éléments de contexte)

« L’usage d’IA génératives est simplement interdit dans le cadre de l’UV : ça ne vous apportera rien puisque le but est d’apprendre à écrire par vous-même. »
(extrait de la présentation du cours WE01 en 2024)

Contexte

L’usage des IAG était donc interdit dans le cadre du cours et le règlement des études de l’UTC a été aménagé en 2024 pour interdire a priori l’usage des IAG (elles ne sont autorisées que si les profs l’explicitent).

Nous avons découvert l’usage d’IAG uniquement à la fin, en direct, à la radio alors que des références inventées par ChatGPT étaient mobilisées et que l’auteur John Doe interpelle l’enseignant qui anime l’émission. Après ré-étude du contenu nous avons soulevé un usage pluriel de l’IAG dans le cadre de WE01 par ces 4 étudiants (voir le récit complet en Annexe).

Nous avons rencontré ces quatre personnes pour un entretien d’environ quinze minutes chacune et leur avons posé trois questions :

— Avez-vous utilisé une IAG dans le cadre de l’un de vos exercices rédactionnels ?

— Saviez-vous que l’IAG était interdite dans le cadre de ces exercices ?

— Auriez-vous été capables de réaliser les exercices sans utiliser l’IAG ?

Premières hypothèses

À l’issue de cet échange, voici ce que nous avons relevé :

  • Claude a un usage marginal de ChatGPT de son côté (mais néanmoins existant malgré l’interdiction). Il s’est appuyé sur des travaux générés avec ChatGPT par ses collègues dont il est surprenant qu’il n’ait pas questionné l’origine. Il savait que l’usage de ChatGPT était interdit.
  • Alice et Daniel ont un usage récurrent de ChatGPT, ils ne sont pas à l’origine des fausses références détectées, mais leur usage de ChatGPT a conduit à continuer le projet jusqu’au bout avec ces fausses références. Ils savaient que l’usage de ChatGPT était interdit.
  • Bob est à l’origine du plan détaillé avec fausses références ; il a un usage important de ChatGPT qu’il justifie par le fait qu’il ne savait pas que c’était interdit ; sa moins bonne maîtrise du français étant non francophone ; une situation personnelle qui l’a conduit à être moins disponible pour ses études et peut-être à une situation d’isolement. Il affirme qu’il ne savait pas que l’usage de ChatGPT était interdit.
  • Il est peu crédible que Bob ne savait pas que l’usage de ChatGPT était interdit, cela supposerait une absence de communication totale entre lui et les autres membres du groupe. Si Bob ne sait pas que c’est interdit, il n’a pas de raison de le cacher ; donc il le dit aux autres, qui lui disent que c’est interdit.
  • Il est peu crédible qu’un des membres du groupe ne savait pas que ChatGPT avait été assez largement utilisé par d’autres membres et donc que le rendu final dont il est signataire avait largement mobilisé ChatGPT.

Les quatre étudiants avaient correctement suivi l’UV tout au long de l’année et étaient considérés par leur encadrant comme des élèves sérieux. Ils ont semblé honnêtes et désolés dans les échanges que nous avons eus avec eux. Ils ont présenté des excuses et ont semblé prendre conscience du caractère fâcheux de la situation.

J’ai l’impression que ces étudiants ont tellement intégré l’IA générative dans leurs usages qu’ils ne sont pas rendus compte de l’importance de ce qu’ils faisaient malgré leur connaissance de l’interdiction :

  1. jusqu’à énoncer des références inventées en direct à la radio dans le cadre d’un exercice qu’ils ont trouvé très intéressant et valorisant ;
  2. dans un contexte avec très peu de pression scolaire, leur régularité dans le cours leur en assurait la validation, même avec un rendu médiocre à la fin ;
  3. dans un cadre relationnel de confiance assez horizontal avec les enseignants.

D’abord ne pas lire (quelques perles)

Nous sélectionnons ici quelques citations provenant du travail fourni par les étudiants. La citation de début d’article leur est également créditée.

Nous nous passerons de commentaire, sidérés en quelque sorte, par la pertinence de tels propos critiques vis-à-vis de l’usage de l’IAG dans le contexte pédagogique, écrits sous la dictée de l’IAG.

« Avec l’avènement de l’intelligence artificielle (IA), les pratiques éducatives, notamment les exercices de rédaction, sont mises à l’épreuve. Il devient tentant de laisser les machines écrire à notre place, mais la question se pose : est-ce réellement bénéfique pour les étudiants ? »

« Au cœur de la question se trouve l’importance cognitive et créative de l’écriture. Bien plus qu’un simple moyen de communication, l’écriture est un outil puissant pour structurer notre pensée. »

« Si l’on délègue ces tâches à une IA, on risque de perdre cette précieuse occasion d’entraîner nos capacités cognitives. »

« C’est une démarche éthique : l’apprenant ne se contente pas de répéter des informations, il les reformule et se les approprie. En remplaçant cette démarche par l’automatisation, ne risquons-nous pas de perdre cette dimension humaine, essentielle à la construction de notre individualité ? »

« Pourtant, n’y a-t-il pas un risque que cette facilité entraîne une paresse intellectuelle, voire une dépendance à l’IA pour formuler nos pensées ? »

« Son utilisation massive par les étudiants est pourtant indiscutable ; nos professeurs qui se plaignent régulièrement de corriger des copies réalisées par IA ce qu’il considère, à juste titre, comme une perte de temps. »

Si les étudiants étaient passés à côté de leur sujet il y aurait eu une certaine cohérence, mais ici les problématiques sont très bien transcrites par leurs travaux. Qui tire quel bénéfice de l’IAG ? Quelles conséquences ? Déstructuration de la pensée ? Perte cognitive ? Question éthique ? Construction de l’individualité ? Paresse ? Dépendance ? Perte de temps…

Si l’on fait l’hypothèse que les étudiants ont tout de même lu ce qu’ils ont rendu, on observe donc une décorrélation entre la prise de recul proposée par leurs propos et l’absence totale de distance manifestée dans leur pratique.

Des étudiants modèles (c’est surprenant, malgré tout)

Un cas exemplaire

On pourra penser que ce cas est isolé est qu’il ne fait pas bon raisonner à partir d’un cas particulier.

Mais le cas n’est pas isolé. Je relève des cas similaires depuis 2023 et l’arrivée de ChatGPT. Suite à l’émission de radio, nous avons pris un temps de relecture d’autres travaux, révélant l’usage, moins évident, sans rôle principal pour John Doe, mais néanmoins régulier, d’IAG. Les échanges avec les collègues et les étudiants confirment également cette généralisation.

Par ailleurs, les étudiants forment un modèle raisonnable pour notre analyse. Ils sont assez représentatifs de la population UTCéenne, un étudiant étranger en reprise d’étude, deux étudiants tout juste sortis du lycée et un dernier en second semestre d’étude. Ces étudiants sont tout ce même tous les quatre présents à l’UTC depuis moins d’un an, on pourra faire l’hypothèse que des personnes plus expérimentées auraient moins utilisées l’IAG… ou se seraient moins fait détectées.

Rappelons que l’entrée à l’UTC est fortement sélective, les étudiants qui entrent à l’UTC étaient tous des « premiers de la classe » au lycée. Je ne sais pas exactement quoi faire de cette information, on pourra penser que des bons élèves sont moins enclins à tricher, au contraire que ce qui a fait leur réussite est leur habitude à optimiser, ou encore que confrontés pour la première fois à des difficultés scolaires à l’UTC ils n’ont pas su bien réagir. Les échanges avec des élèves de terminale font penser que tous utilisent les IAG, élèves à l’aise avec leur scolarité ou non.

Il y avait néanmoins des raisons objectives de penser que dans le cadre du cours WE01 les étudiants auraient pu être moins enclins à l’usage d’un ChatGPT.

Un cas surprenant sur le fond

Sur le fond, le sujet même du cours porte sur une dimension critique vis-à-vis du numérique, des enjeux socio-techniques associées, avec, notamment une réflexion sur le capitalisme du surveillance et la captation des données par les GAFAM. Surtout, le cours comporte une partie consacrée à l’écriture scientifique, qui expose le concept de réfutabilité de Karl Popper ou encore… l’importance de vérifier et citer ses sources !

« Lorsqu’une ressource est pré-sélectionnée, vérifier et qualifier la source permet de pré-évaluer la fiabilité de la ressource. »
Cours de WE01

Un cas surprenant sur la forme

Sur la forme, WE01 est un cours plutôt « cool », avec du travail horizontal et des méthodes assez proches de l’éducation populaire. Certains étudiants tutoient les profs ce qui assez inhabituel en début de cursus. On pourrait penser que l’idée de tricher dans ce contexte aurait posé des freins moraux. Enfin le cours n’intégrait pas d’examen et la validation était assurée sur la base d’une « obligation de moyen » : être présent, faire le job honnêtement. Tricher dans ce contexte était surprenant.

Une hypothèse néanmoins est que nous avons insisté sur le caractère « pour de vrai » des exercices proposés : articles publiés sur le web et communiqués via les médias sociaux, passage en direct à la radio. Peut-être avons nous réussi, en quelque sorte, sur ce point, et que leur interprétation du « pour de vrai » a impliqué pour eux, in fine, une obligation de résultat, quelques soient les moyens.

IA embarquée

Une hypothèse complémentaire est que ces étudiants ont tellement intégré l’IA générative dans leurs usages qu’ils ne sont plus aptes à en évaluer les conséquences pour eux. Il se retrouvent à tricher et prendre des risques importants pour leur scolarité dans un contexte avec très peu de pression scolaire et dans un cadre relationnel de confiance. C’est donc à la fois une très mauvaise évaluation bénéfices/risques et une mauvaise attitude vis-à-vis de leur propre sens éthique.

Je pense que cet usage est fortement généralisé à l’UTC, ce qui les dédouane un peu et nous interroge fortement en retour ; leur erreur est un usage tellement médiocre qu’ils ont laissé passer une ou deux fausses références grossières, mais nous aurions pu ne pas nous en apercevoir, et nous pensons que ça a été le cas pour d’autres groupes.

Je fais l’hypothèse que ces habitudes ont été ancrées au lycée et même qu’ils ont perdu des compétences de rédaction et de travail en groupe que nous attendons de leur part (et cela peut nous interroger, peut-être encore plus que nous le faisons déjà, sur les conséquences à l’UTC). Cela va plus vite de faire faire par ChatGPT, que de s’installer et prendre un temps pour partager un espace de travail à plusieurs. Donc : ça vaut le coup. Ils ne se sont pas « fait prendre » ou n’ont pas subi de conséquences importantes jusque-là. Donc : ça marche.

Effets de constitutivité technique (quelques réflexions)

Thèse TAC

La thèse TAC, pour Technologie Anthropologiquement Constitutive, formalisée à l’Université de Technologie de Compiègne, trouve son origine dans les travaux des anthropologues et philosophes André Leroi-Gourhan, Gilbert Simondon ou Bernard Stiegler. Une hypothèse fondatrice de cette théorie est que les humains et les objets techniques forment un couplage indissociable, dès l’origine. On abandonne l’idée que l’humain précède et surplombe la technique, que celle-ci n’est que le simple produit du travail ou de l’intelligence humaine, postérieure à une humanité qui en serait indépendante (Steiner, 2010).

La technique n’est pas un élément extérieur à l’humanité, mais la façon même dont celle-ci conçoit le monde. Les trains modifient la proximité entre les villes selon les connexions existantes ou non, la lumière artificielle modifie les cycles du jour et de la nuit, ou celui des saisons, les voyages spatiaux permettent d’imaginer exploiter des ressources situées dans l’espace ou se réfugier une autre planète si la terre n’est plus habitable.

Technique non neutre

Les objets techniques portent en leurs propriétés physiques des possibles et des probables. Le couteau, dur, pointu, solide, avec une lame d’une certaine taille embarque le geste de planter. Une propriété fondamentale du téléphone portable est qu’il est… portable. Sa taille, son autonomie, son mode de préhension rendent sa présence permanente au côté de l’humain aisée, naturelle en quelque sorte.

La technique n’est donc jamais neutre puisqu’elle configure notre rapport au monde. Nos usages, nos intentions, nos projets, ce que l’on veut faire, sont déjà, au moins en partie, pré-configurés par l’accès au monde rendu possible via la technique. La technique n’est pas neutre non plus car ceux qui la développent ne sont pas neutres. Les concepteurs d’une technique ont des représentations du monde qui sous-tendent ce pourquoi il veulent la faire advenir, ils visent un objectif qui est souhaitable, bon, selon eux. (Steiner, 2024)

Raison computationnelle

Écrire avec un ordinateur, c’est écrire avec une machine à calculer. Donc, à un moment ou un autre, on a envie de la faire calculer. J’ai fait de l’ingénierie documentaire pendant 20 ans, l’objectif de mes travaux via la conception de chaîne éditoriales était d’automatiser, de calculer donc, des tâches de manipulation documentaires (Crozat, 2007). Parce que l’on considère que la mise en forme n’est pas une étape créative, qu’elle n’a pas de réelle valeur ajoutée, que l’on peut la déléguer à la machine. Je me souviens, tout de même, avoir croisé des éditeurs, des artisans de la mise en forme, qui n’étaient pas d’accord. Je devais penser qu’ils étaient rétrogrades, qu’ils s’accrochaient à un savoir-faire en voie de disparition. On dirait, à présent que c’est moi qui m’accroche…

En tous cas, en fin de compte, puisque la technique n’est pas neutre, ce qui compte c’est de se demander ce que le numérique en général, et l’utilisation de l’IA en particulier fait à notre pensée. Dans le lignée de Jack Goody, Bruno Bachimont (2000) parle de raison computationnelle pour désigner ces transformations induites par l’usage du numérique.

Pharmakon

La technique pose toujours problème, c’est par essence un pharmakon, un remède en même temps qu’un poison, au sens qu’a réactivé Bernard Stiegler depuis Platon). Par exemple, l’écriture est un remède aux limites de la mémoire humaine, en même temps, ce qui amoindrit cette mémoire. L’informatique permet d’objectiver des impacts socio-écologiques tout en engendrant de nouveaux impacts socio-écologiques.

« [Platon] décrit alors l’écriture alors comme un pharmakon, mot grec signifiant à la fois le remède et le poison : à la fois remède pour la mémoire, car elle permet de stocker et de conserver les connaissances accumulées, mais aussi poison pour la pensée, car en fixant les connaissances et en épargnant aux individus de se les remémorer, l’écriture empêche leur mémoire de s’exercer. Bref, l’écriture, qui semblait innocente et bénéfique, a aussi de quoi inquiéter. »
(Alombert, 2023)

Prolétarisation

Un problème soulevé par l’usage des IAG qui doit être considéré en contexte pédagogique est celui de la prolétarisation intellectuelle, phénomène déjà largement observé et étudié sur le plan des activités manuelles dans le cadre de l’industrialisation. La prolétarisation est « ce qui consiste à priver un sujet (producteur, consommateur, concepteur) de ses savoirs (savoir-faire, savoir-vivre, savoir concevoir et théoriser) » (Petit, 2013).

« Passer une commande à une machine, aussi performante soit-elle, ne revient pas à exercer techniquement sa pensée ; au contraire, le savoir-écrire a ici été extériorisé dans la machine numérique sous forme d’automatismes algorithmiques, de même que les savoir-faire avaient été extériorisés dans les machines-outils sous forme d’automatismes mécaniques. De même que l’artisan privé de ses savoir-faire s’était vu prolétarisé. En perdant nos savoir-écrire, nous risquons de devenir des prolétaires de la pensée. »
(Alombert, 2023)

Anne Alombert (2025) précise que « nous risquons de perdre notre capacité à nous exprimer en la déléguant aux algorithmes et en nous contentant de lire bêtement les textes produits » et avec elle notre capacité non seulement de mémorisation, mais, peut-être surtout d’imagination.

Substitution

En tous cas, l’idée que la machine est un instrument de délégation des travaux humains pénibles est ancré depuis la période industrielle au moins, probablement depuis la révolution agraire. L’ordinateur est dédié aux tâches cognitives, certains trouveront les tâches d’écriture fastidieuses, il est logique que l’ordinateur soit alors mobilisé comme assistance. Puis, de l’assistance au remplacement il n’y a qu’un pas. L’histoire de l’industrie nous le montre également.

À ce stade, la question que l’on doit se poser, c’est quel sens cela a-t-il de former la lecture et à l’écriture dans un monde où les IAG savent faire ce travail infiniment plus rapidement ?

Apprendre à bien rédiger ses « prompts » ? (apprendre à bien visser des boulons…)

Une idée défendue par certains comme une évidence, puisqu’il faut bien vivre avec son temps, serait de faire évoluer les formations pour, non plus enseigner comment, par exemple, bien lire et écrire, mais plutôt comment bien utiliser les IAG pour faire ce travail à notre place. C’est aussi applicable à l’expression graphique ou à l’écriture de code informatique. S’il est raisonnable de penser, sur le modèle de l’artisanat, que certaines tâches intellectuelles continueront d’échapper à la machine, il est tout aussi raisonnable de penser, sur le modèle de la mécanisation des tâches manuelles déjà opérée, que le bon usage d’une machine avancée ne nécessitera pas de compétences avancées.

Ces 14 prompts ChatGPT vont te transformer en machine à productivité (LinkedIn, 2024)

 

Selon Jacques Ellul, c’est la recherche systématisée de l’efficacité qui est problématique, car elle vide de leur sens les tâches qui sont menées, transformant le pourquoi on fait en comment on fait le plus efficacement possible (Rognon, 2020). Ainsi, l’idée de faire évoluer nos cours vers des formations à l’usage des IAG pourrait bien impliquer une évolution de l’ingénierie, de la conception de machines donc, à un objectif amoindri, d’utilisation de machines, voire d’utilisation par les machines.

ChatGPT 1 – Nous 0

WE01 v2

Nous observons donc que les étudiants ne savent plus, en entrant à l’université, jouer le jeu de la lecture et de l’écriture, et qu’il le font faire, au moins en partie, par une IAG. D’autre part, nous nous questionnons sur l’intérêt même de défendre ce type de compétence quand on observe en aval que les ingénieurs mobilisent également massivement ces outils pour faire de la veille, produire des rapports ou des présentations. Eux non plus ne veulent plus ni lire ni n’écrire.

En attendant de mieux comprendre ce qui se passe et comment faire évoluer nos formations, nous avons procédé à quelques modifications. WE01 était intitulé « Écrire, communiquer et collaborer sur le web », nous le renommons « Questionner le Web » et le faisons évoluer en conséquence. Nous avons assoupli les exercices rédactionnels, décidés à être moins exigeants et à demander un travail plus modeste en volume. En contre-partie nous avons restitué un examen de contrôle des connaissances. L’objectif du cours devient alors moins de savoir écrire que de disposer d’éléments pour aider à se poser des questions et à remettre en cause les évidences du numérique, dans une logique technocritique.

Nous déconseillons l’usage des IAG tout en les autorisant. Nous imposons en revanche une prise de recul, inspirés par ce que notre collègue Hugues Choplin à développé à l’UTC dans le cadre de son cours IS04.

« Vous ajouterez une section IAG à votre projet pour spécifier si vous avez utilisé des IAG (ou des IA de correction, de traduction…) et si oui : Indiquez quelles IA ont été utilisées, pour quelles parties du travail et pour quelles raisons ; Reproduisez une copie des prompts et des résultats ; Indiquez si les résultats ont été retravaillés et comment. »
Extrait de la présentation du cours WE01 en 2025

Attendre, observer, agir, réagir

Nous réfléchissons à un cours WE02 « Questionner l’IA » qui serait un pendant de WE01, orienté vers l’IA donc. Nous avons pris la décision d’attendre deux ou trois ans pour cela, histoire de se donner de l’espace pour consacrer l’énergie nécessaire au suivi d’une actualité très dynamique. Histoire également de se donner un peu de temps pour mieux analyser les évolutions en amont au lycée, en aval dans le monde socio-économique, et à les initiatives prises dans l’enseignement supérieur. Histoire, peut-être, que le domaine se stabilise un peu… ou pas.

  • D’autres collègues du département TSH à l’UTC envisagent d’intégrer le questionnement de l’IA à leur enseignement. Un service d’IAG hébergée localement est expérimentée, afin, a minima de sortir de la dépendance aux géants étatsuniens (Poinsart, 2025).
  • L’association Picasoft de l’UTC et l’association Framasoft (dont je fais partie) ont signé le manifeste Hiatus, « une coalition composée d’une diversité d’organisations de la société civile française qui entendent résister au déploiement massif et généralisé de l’intelligence artificielle ».
  • L’association Framasoft a lancé le site Framamia, pour aider à suivre et comprendre, et pour faire des propositions alternatives dans le domaine de l’IAG, dans une perspective de littératie technique.

Ces diverses attitudes sont autant de pistes pour maintenir une attitude active et critique vis-à-vis d’un phénomène qui percute l’ensemble de la société et que nous ne pouvons ignorer dans l’enseignement supérieur. Même quand on ne s’y intéresse pas par plaisir, donc.

IA génératives : la fin des exercices rédactionnels à l’université ?

26 septembre 2023 à 01:42

Stéphane Crozat est membre de Framasoft, auteur de « Traces » et de « Les libres », et surtout, enseignant à l’Université de Technologie de Compiègne (UTC). Il nous livre ci-dessous une réflexion personnelle – initialement publiée sur son blog – au sujet de l’usage des LLM (ChatGPT ou autre) dans les travaux des étudiant⋅es.

IA génératives : la fin des exercices rédactionnels à l’université ?

visage de Stéphane CrozatEn décembre 2022 le magazine États-unien The Atlantic titre : « The College Essay Is Dead » ( Marche, 2022 [1] ). L’auteur de l’article, écrivain, attribue un B+ à une rédaction produite avec le LLM [2] GPT-3 dans le cadre du cours de Mike Sharples, enseignant en sciences humaines. J’ai moi même attribué la note de 14/15 à un exercice rédactionnel réalisé avec ChatpGPT en février 2023 à l’UTC ( Turcs mécaniques ou magie noire ? ). Une enseignante de philosophie lui a attribué une note de 11/20 au baccalauréat ( Lellouche, 2023 [3] ).

J’ai depuis observé plusieurs cas de « triche » avec des LLM à l’UTC en 2023.

Se pose donc la question de la réaction à court terme pour les enseignants concernant les exercices rédactionnels qui sont réalisés par les étudiants à distance.

Je parlerai de LLM

Je parlerai de LLM [2] dans cet article plutôt que de ChatGPT.

ChatGPT est un outil de l’entreprise OpenIA basé sur un LLM [2] à vocation de conversation généraliste (capable d’aborder n’importe quel sujet) et le premier à avoir introduit une rupture d’usage dans ce domaine. Le problème abordé ici concerne bien cette classe d’outils, mais pas seulement ceux d’OpenIA : des outils concurrents existent à présent (certains pourront devenir plus puissants), des outils plus spécialisés existent (pour la traduction par exemple), d’autres sont probablement amenés à voir le jour (orientés vers la production de textes universitaires, pourquoi pas ?).

On pourra lire, par exemple, Bortzmeyer, 2023 [4] ou Tiernan, 2020 [5] pour plus d’informations.

Je ne parlerai pas de…

Les LLM [2] ne génèrent pas que des textes à la demande, ils génèrent aussi de nombreuses opinions parmi les spécialistes et les usagers ; j’essaierai de me borner aux faits présents, à ce que l’on peut raisonnablement anticiper à court terme (sans faire de science-fiction) et à la seule question de l’évaluation en contexte pédagogique (mais je n’y arriverai pas totalement…).

Je ne parlerai donc pas :

  • des autres enjeux pédagogiques : quel est le rôle de l’université face au développement des LLM ? doit-on former à leurs usages ? les enseignants doivent-il utiliser des LLM eux-mêmes ? est-ce que ça a du sens d’apprendre à rédiger à l’ère des LLM ?
  • des enjeux technico-fonctionnels : qu’est-ce que les LLM ne savent pas faire aujourd’hui ? qu’est-ce qu’on pense qu’ils ne seront jamais capables de faire ?
  • des enjeux politiques et éthiques : est-ce un progrès ? est-ce qu’on peut arrêter le progrès ? que penser de la dépendance croissante aux entreprises de la tech États-uniennes ? du déploiement du capitalisme de surveillance ?
  • des enjeux socio-écologiques : à quoi ça sert ? quels humains ça remplace ? quel est l’impact environnemental des LLM ?
  • des enjeux philosophiques : les LLM sont-ils neutres ? est-ce que ça dépend comment on s’en sert ? ou bien l’automatisation introduite change-t-elle radicalement notre rapport au langage et à la raison ? compléter des textes en utilisant des fonctions statistiques, est-ce penser ? qu’est-ce que l’intelligence ?
  • des enjeux juridiques : est-ce que les LLM respectent le droit d’auteur ? un texte produit avec un LLM est-il une création originale ?

TL;DR

Cet article étant un peu long, cette page en propose un résumé (TL;DR signifiant : « Too Long ; Didn’t Read ») : Résumé du présent article.

Problématique et hypothèse

Problématique

Peut-on continuer à faire faire des exercices rédactionnels « à la maison » comme avant ?

Sans statuer sur la dimension de rupture des LLM — est-ce une nouvelle évolution liée au numérique qui percute le monde de la pédagogie, comme les moteurs de recherche ou Wikipédia avant elle, ou bien une révolution qui va changer radicalement les règles du jeu — il parait nécessaire de réinterroger nos pratiques : « sans sombrer dans le catastrophisme, il serait tout aussi idiot de ne pas envisager que nous sommes une nouvelle fois devant un changement absolument majeur de notre manière d’enseigner, de transmettre, et d’interagir dans un cadre éducatif, a fortiori lorsque celui-ci est asynchrone et/ou à distance. ( Ertzscheid, 2023 [6]) »

Hypothèse

L’automatisation permise par les LLM rend raisonnable une triche automatisée dont le rapport coût/bénéfice est beaucoup plus avantageux qu’une triche manuelle.

De nombreux modules universitaires comportent des exercices rédactionnels à réaliser chez soi. Ces travaux sont généralement évalués et cette évaluation compte pour la validation du module et donc in fine, pour l’attribution d’un diplôme.

  • Dans certains contextes, il n’y a pas d’évaluation en présentiel sans ordinateur et donc la totalité de la note peut bénéficier d’une « aide extérieure ».
  • Souvent à l’université la présence et/ou la participation effective des étudiants lors des cours et TD n’est pas elle-même évaluée, et parfois il n’y a pas d’examen classique, en conséquence un étudiant a la possibilité de valider un cours sans y assister en produisant des rendus écrits qualitatifs à domicile.

Cette situation pré-existe à l’arrivée des LLM, mais nous faisons l’hypothèse suivante :

  • sans LLM il reste un travail significatif pour se faire aider par un humain ou copier des contenus glanés sur le Web ;
  • sans LLM il reste un risque important d’une production de qualité insuffisante (l’humain qui a aidé ou fait à la place n’est pas assez compétent, les contenus Web copiés ont été mal sélectionnés, ou mal reformulés, etc.) ;
  • avec un LMM il est possible de produire un écrit standard sans aucun effort, pour exemple la copie de philo évaluée à 11 a été produite en 1,5 minute ( Lellouche, 2023 [3]).

Triche ?

J’utilise le terme de triche car si la consigne est de produire un texte original soi-même alors le faire produire par un tiers est de la triche. L’existence d’un moyen simple pour réaliser un exercice n’est pas en soi une autorisation à l’utiliser dans un contexte d’apprentissage. C’est similaire à ce qu’on peut trouver dans un contexte sportif par exemple, si vous faites une course à vélo, vous ne devez pas être aidé d’un moteur électrique.

LLM et moteurs de recherche : différence de degré ou de nature ?

J’écrivais en 2015 à propos de l’usage des moteurs de recherche ( Le syndrome de la Bibliothèque de Babel) : « La question intéressante qui se pose aux pédagogues n’est tant de savoir si l’élève va copier ou pas, s’il va « tricher ». La question est de savoir comment maintenir un travail d’élaboration d’une démarche et de production sensément originale et personnelle qui repose explicitement sur une recherche – donc une recherche sur le web – alors que la réponse à la question posée s’invite sur l’écran, formulée très exactement telle qu’attendue. C’est à peine une simplification en l’espèce de dire que la réponse a été jointe à la question, par celui même qui a posé cette question. »

Les LLM font sauter cette barrière : là où les moteurs de recherche permettaient une réponse facile à une question récurrente, les LLM permettent une réponse immédiate à une question originale.

L’évaluation de tout travail avec un ordinateur

Notons que le problème se pose pour tous les travaux rédactionnels avec ordinateur, même en présentiel ou en synchrone. En effet dès lors que l’on veut que nos exercices s’appuient sur un accès à un traitement de texte, des recherches Web ou d’autres outils numériques, alors ils ouvrent l’accès aux LLM.

Il existe des solutions humaines ou techniques de surveillance des examens pour ouvrir l’accès à certains outils seulement, mais d’une part elles posent des problèmes pratiques, éthiques et juridiques, et d’autre part les LLM s’introduisent progressivement au sein des autres outils, ainsi par exemple le moteur de recherche.

Les LLM et les étudiants

Les LLM sont utilisés par les étudiants

Lors de mes cours du semestre dernier (mars à juillet 2023), j’ai rencontré plusieurs cas d’usage de LLM.

  • Ces cas s’apparentent à de la triche.
  • Les étudiants n’ont pas facilement admis leur usage (allant dans certains cas jusqu’à nier des évidences).
  • Ce sont des cas d’usages stupides de la part des étudiants, car non nécessaires pour la validation du cours, sans intérêt du point de vue pédagogique, et facilement détectables.

On peut retenir les arguments principaux revendiqués par les étudiants :

  • Le gain de temps (même si je sais faire, « flemme » ou « retard »).
  • La nécessité de ne pas échouer et la peur d’être pénalisé sur le niveau d’expression écrite.
  • Le fait de ne pas être « sûr » de tricher (ce n’est pas explicitement interdit).

Des étudiants qui n’utilisent pas encore les LLM pour les exercices rédactionnels les utilisent plus facilement pour la traduction automatique.

UTC : Un premier étudiant utilise ChatGPT (IS03)

Au sein du cours de l’UTC IS03 («  Low-technicisation et numérique »), les étudiants doivent réaliser des notes de lecture sur la base d’articles scientifiques. Un étudiant étranger non-francophone utilise grossièrement un LLM (probablement ChatGPT) pour produire en une semaine le résumé de plusieurs dizaines de pages de lectures d’articles scientifiques difficiles et de rapports longs. J’avais donné une liste de plusieurs lectures possibles, mais n’attendais évidemment des notes que concernant un ou deux documents.

Il faut plusieurs minutes de discussion pour qu’il reconnaisse ne pas être l’auteur des notes. Mon premier argument étant sur le niveau de langue obtenue (aucune faute, très bonne expression…) l’étudiant commencera par reconnaître qu’il utilise des LLM pour corriger son français (on verra que cette « excuse » sera souvent mobilisée). Sur le volume de travail fournit, il reconnaît alors utiliser des LLM pour « résumer ».

In fine, il se justifiera en affirmant qu’il n’a pas utilisé ChatGPT mais d’autres outils (ce qui est très probablement faux, mais en l’espèce n’a pas beaucoup d’importance).

C’était un cas tout à fait « stupide », l’étudiant avait produit des notes sur près d’une dizaine de rapports et articles, sous-tendant plusieurs heures de lectures scientifiques et autant de résumés, et avait produit des énoncés sans aucune faute, tout cela en maîtrisant mal le français.

UTC : 6 cas identifiés lors de l’Api Libre Culture

Une Activité Pédagogique d’Intersemestre (Api) est un cours que les étudiants choisissent au lieu de partir en vacances, en général par intérêt, dont les conditions d’obtention sont faciles : les étudiants sont en mode stage pendant une semaine (ils ne suivent que l’Api) et leur présence régulière suffit en général pour valider le cours et obtenir les 2 crédits ECTS associés. Un devoir individuel était à réaliser sur machine pour clôturer l’Api Libre Culture de juillet 2023. Il consistait essentiellement en un retour personnel sur la semaine de formation.

Lors de ce devoir de fin d’Api, 6 étudiantes et étudiants (parmi 20 participants en tout) ont mobilisé de façon facilement visible un LLM (ChatGPT ou un autre). Pour 4 d’entre eux c’était un usage partiel (groupe 1), pour 2 d’entre eux un usage massif pour répondre à certaines questions (groupe 2). J’ai communiqué avec ces 6 personnes par mail.

3 des étudiants du groupe 1 ont avoué spontanément, en s’excusant, conscients donc d’avoir certainement transgressé les règles de l’examen. La 4e personne a reconnu les faits après que j’ai insisté (envoi d’un second mail en réponse à un premier mail de déni).

Pour les 2 étudiants du groupe 2 :

  • le premier n’a reconnu les faits qu’après plusieurs mails et que je lui aie montré l’historique d’un pad (traitement de texte en ligne) qui comportait un copie/coller évident de ChatGPT.
  • le second, étudiant étranger parlant très bien français, n’a jamais vraiment reconnu les faits, s’en tenant à un usage partiel « pour s’aider en français » (loin de ce que j’ai constaté).

À noter qu’aucun étudiant ne niait avoir utilisé un LLM, leur défense était un usage non déterminant pour s’aider à formuler des choses qu’ils avaient produites eux-mêmes.

Pour les deux étudiants du groupe 2, j’ai décidé de ne pas valider l’Api, ils n’ont donc pas eu les crédits qu’ils auraient eu facilement en me rendant un travail de leur fait, même de faible niveau. Ils n’ont pas contesté ma décision, l’un des deux précisera même : « d’autant plus que j’ai déjà les compétences du fait du cours suivi dans un semestre précédent ».

Un étudiant en Nouvelle-Zélande reconnaît utiliser ChatGPT

« In May, a student in New Zealand confessed to using AI to write their papers, justifying it as a tool like Grammarly or spell-check : “I have the knowledge, I have the lived experience, I’m a good student, I go to all the tutorials and I go to all the lectures and I read everything we have to read but I kind of felt I was being penalised because I don’t write eloquently and I didn’t feel that was right,” they told a student paper in Christchurch. They don’t feel like they’re cheating, because the student guidelines at their university state only that you’re not allowed to get somebody else to do your work for you. GPT-3 isn’t “somebody else”—it’s a program. » ( Marche, 2022 [1] )

On note les deux arguments principaux produits :

  • je l’utilise car je ne suis pas très fort à l’écrit et je ne trouve pas normal que cela ma pénalise ;
  • ce n’est pas clairement interdit à l’université.

J’ai interviewé des collégiens et lycéens

  • ChatGPT est déjà utilisé au collège et au lycée : surtout par les « mauvais » élèves (selon les bons élèves)…
  • …et par les bons élèves occasionnellement, mais pour une « bonne raison » : manque de temps, difficultés rencontrées, etc.
  • Des outils d’IA dédiés à la traduction sont plus largement utilisés, y compris par les bons élèves.
  • À l’école « l’échec c’est mal » donc le plus important est de rendre un bon devoir (voire un devoir parfait).

Interviews de 6 collégiens et lycéens à propos des LLM

Les LLM sont capables d’avoir de bonnes notes

A à un exercice rédactionnel à l’UTC

Cet article fait suite à «  Turcs mécaniques ou magie noire ? » un autre article écrit en janvier sur la base d’un test de ChatGPT à qui j’avais fait passer un de mes examens. Pour mémoire ChatGPT obtenait selon ma correction 14/15 à cet examen second, égalité donc avec les meilleurs étudiants du cours.

B+ à un exercice rédactionnel en Grande-Bretagne

En mai 2022, Mike Sharples utilise le LLM [2] GPT-3 pour produire une rédaction dans le cadre de son cours de pédagogie ( Sharples, 2022 [7] ). Il estime qu’un étudiant qui aurait produit ce résultat aurait validé son cours. Il en conclut que les LLM sont capables de produire des travaux rédactionnels du niveau attendu des étudiants et qu’il faut revoir nos façons d’évaluer (et même, selon lui, nos façons d’enseigner).

Le journaliste et écrivain qui rapport l’expérience dans The Antlantic attribue un B+ à la rédaction mise à disposition par Mike Sharples ( Marche, 2022 [1] ).

11 au bac de philo

ChatGPT s’est vu attribué la note de 11/20 par une correctrice (qui savait qu’elle corrigeait le produit d’une IA) au bac de philosophie 2023. Le protocole n’est pas rigoureux, mais le plus important, comme le note l’article de Numerama ( Lellouche, 2023 [3] ) c’est que le texte produit est loin d’être nul, alors même que le LLM n’est pas spécifiquement programmé pour cet exercice. Un « GPTphilo » aurait indubitablement obtenu une meilleure note, et la version 2024 aura progressé. Probablement pas assez pour être capable de réaliser de vraie productions de philosophe, mais certainement assez pour être capable de rendre caduque un tel exercice d’évaluation (s’il était réalisé à distance avec un ordinateur).

66 % de réussite dans le cadre d’une étude comparative

Farazouli et al. ( 2023 [8] ) ont mené un travail plus rigoureux pour évaluer dans quelle mesure ChatGPT est capable de réussir dans le cadre de travaux réalisés à la maison, et quelles conséquences cela a sur les pratiques d’évaluation. 22 enseignants ont eu à corriger 6 copies dont 3 étaient des copies ChatGPT et 3 des copies d’étudiants ayant préalablement obtenu les notes A, C et E (pour 4 de ces enseignants, ils n’avaient que 5 copies dont 2 écrites avec ChatGPT).

« ChatGPT achieved a high passing grade rate of more than 66 % in home examination questions in the fields of humanities, social sciences and law. »

Dont :

  • 1 travail noté A sans suspicion que c’était une copie ChatGPT ;
  • 4 rendus notés B, dont 1 seul était suspecté d’avoir été réalisé avec ChatGPT.

On observe des disparités assez importantes en fonction des domaines :

Les notes obtenues par ChatGPT ont été meilleures en philosophie et en sociologie et moins bonnes en droits et en éducation
F E D C B A
Philosophie 3 2 7 6 3 0
Droit 9 4 0 2 0 0
Sociologie 6 6 1 1 3 1
Éducation 5 2 0 1 0 0

Remarque

On observe une grande disparité dans les évaluations d’un même travail (humain ou ChatGPT) par des évaluateurs différents (de F à A), ce qui interroge sur le protocole suivi et/ou sur la nature même de l’évaluation.

Corriger c’était déjà chiant…

La plupart des enseignants s’accordent sur le fait que le plus ennuyeux dans leur métier est la correction des travaux étudiants. Savoir que l’on corrige potentiellement des travaux qui n’ont même pas été produits par les étudiants est tout à fait démobilisant…

« La question c’est celle d’une dilution exponentielle des heuristiques de preuve. Celle d’une loi de Brandolini dans laquelle toute production sémiotique, par ses conditions de production même (ces dernières étant par ailleurs souvent dissimulées ou indiscernables), poserait la question de l’énergie nécessaire à sa réfutation ou à l’établissement de ses propres heuristiques de preuve. » ( Ertzscheid, 2023 [6] ).

Il est coûteux pour un évaluateur de détecter du ChatGPT

Prenons un exemple, Devereaux ( 2023 [9] ) nous dit qu’il devrait être facile pour un évaluateur de savoir si une source existe ou non. Il prend cet exemple car ChatGPT produit des références bibliographiques imaginaires.

  1. C’est en effet possible, mais ce n’est pas « facile », au sens où si vous avez beaucoup de rédactions avec beaucoup de références à lire, cela demande un travail important et a priori inutile ; lors de la correction de l’exercice de ChatGPT ( Turcs mécaniques ou magie noire ?), je me suis moi-même « fait avoir » y compris avec un auteur que je connaissais très bien : je ne connaissais pas les ouvrages mentionnés, mais les titres et co-auteurs était crédibles (et l’auteur prolifique !).
  2. C’est aussi un bon exemple de limite conjoncturelle de l’outil, il paraît informatiquement assez facile de coupler un LLM avec des bases de données bibliographiques pour produire des références à des sources qui soient existantes. La détection ne supposera pas seulement de vérifier que la référence existe mais qu’on soit capable de dire à quel point elle est utilisée à propos. Le correcteur se retrouve alors plus proche d’une posture de révision d’article scientifique, ce qui suppose un travail beaucoup plus important, de plusieurs heures contre plusieurs minutes pour la correction d’un travail d’étudiant.

À quoi sert la rédaction à l’école ?

À quoi sert la rédaction à l’école ?

L’exercice rédactionnel est un moyen pour faire travailler un contenu, mais c’est surtout un moyen pour les étudiants d’apprendre à travailler leur raisonnement.

On peut penser que la généralisation de l’usage de LLM conduise à la perte de compétences à l’écrit, mais surtout à la perte de capacités de raisonnement, pour lesquelles l’écrit est un mode d’entraînement

Pourquoi faire écrire ?

Bret Devereaux ( 2023 [9] ) s’est posé la même question — à quoi sert un exercice rédactionnel ( « teaching essay ») — dans le même contexte de l’arrivée de ChatGPT ? Il propose trois fonctions pour cet exercice.

  1. L’exercice est un moyen pour travailler (chercher, lire, explorer, étudier…) un contenu tiers (histoire, idée…) : l’usage de ChatGPT rend l’exercice totalement inutile, mais on peut assez facilement imaginer d’autres façon de faire travailler le contenu.
  2. L’exercice est un moyen d’apprendre à faire des rédactions : l’usage de ChatGPT rend aussi l’exercice inutile, mais une part importante des étudiants n’aura plus à produire de rédaction en dehors de l’école.
  3. L’exercice est un moyen d’apprendre à mettre en forme des idées par écrit. Ici encore l’usage de ChatGPT rend l’exercice inutile, puisque bien entendu, le résultat final obtenu n’a aucune importance (le contenu sera détruit après usage), et que seul compte le processus suivi (analyse des idées, organisation…). On peut considérer que l’usage d’un LLM est ici plus dommageable en ce sens qu’apprendre à penser via l’exercice rédactionnel est un processus d’apprentissage assez fondamental.

Exemple

Un étudiant qui a utilisé ChatGPT pour un exercice rédactionnel à l’UTC m’a transmis un de ses exemples d’usage, pour me montrer qu’il n’avait pas « triché » puisque le contenu venait de lui.

Il a ainsi donné en entrée à ChatGPT le texte suivant : « Le droit d’auteur, est une licence qui protège les œuvres artistiques et intellectuelles, genre les bouquins, les musiques, les films ou les tableaux. Ça donne aux créateurs le pouvoir de décider comment on peut utiliser, copier ou diffuser leur travail, et ça leur assure d’être reconnus comme ceux qui l’ont créé. »

Si l’on demande une reformulation à ChatGPT on obtient : « Le droit d’auteur est une forme de protection légale qui s’applique aux œuvres artistiques et intellectuelles, telles que les livres, la musique, les films et les œuvres d’art. Il accorde aux créateurs le pouvoir de contrôler l’utilisation, la reproduction et la diffusion de leur travail, tout en garantissant qu’ils soient reconnus en tant que créateurs de ces œuvres. »

On observe une correction de style, mais aussi une correction de fond. Le droit d’auteur n’est pas une « licence » (cette phrase n’a pas de sens) comme l’écrit l’étudiant, mais bien « une forme de protection légale » . En outre le même texte écrit avec beaucoup de fautes ressortira parfaitement écrit en français (l’étudiant qui m’écrivait avait certainement déjà corrigé préalablement son texte car le mail qui l’accompagnait comportait beaucoup de fautes d’orthographe et de formulation).

Si ChatGPT peut l’écrire, ça ne sert à rien ?

Un argument que produit Bret Devereaux et pas mal d’autres commentateurs devant les résultats obtenus par ChatGPT est le suivant : si une machine y arrive c’est que l’exercice est sans intérêt. « If your essay prompt can be successfully answered using nothing but vague ChatGPT generated platitudes, it is a bad prompt » ( Devereaux, 2023 [9] ).

C’est discutable :

  • Cette assertion suppose que l’exercice n’avait pas de sens en soi, même s’il était pratiqué avec intérêt avant, et la preuve qui est donnée est qu’une machine peut le faire. On peut faire l’analogie avec le fait de s’entraîner à faire de la course à pied à l’ère de la voiture (des arts martiaux à l’ère du fusil, du jardinage à l’ère de l’agriculture industrielle, etc.), ce n’est pas parce qu’une machine peut réaliser une tâche qu’il est inutile pour un humain de s’entraîner à la réaliser.
  • Farazouli et al. ( 2023 [8]) relèvent que les qualités mise en avant par les évaluateurs après correction de copies produites par ChatGPT étaient notamment : la qualité du langage, la cohérence, et la créativité. Dans certains contextes les productions de ChatGPT ne sont donc pas évaluées comme médiocres.

Ce que ChatGPT ne fait pas bien

À l’inverse Farazouli et al. ( 2023 [8] ) ont identifié des lacunes dans l’argumentation, le manque de références au cours et au contraire la présence de contenus extérieurs au cours.

La faiblesse argumentative est peut-être un défaut intrinsèque au sens où la mécanique statistique des LLM ne serait pas capable de simuler certains raisonnements. En revanche on note que le manque de références au cours et la présence de références extérieures est discutable (ça peut rester un moyen de détecter, mais c’est un assez mauvais objectif en soi).

  • En premier cycle universitaire on ne souhaite pas en général cette relation étroite au cours (il existe plusieurs approches, et un étudiant qui ferait le travail par lui-même serait tout à fait dans son rôle).
  • En second cycle, cela peut être le cas lorsque le cours porte sur un domaine en lien avec la recherche de l’enseignant typiquement. Mais la recherche est en général publiée et le LLM peut tout à fait être entraîné sur ces données et donc « connaître » ce domaine.

À quoi servent les évaluations à l’école ?

L’évaluation joue un double rôle : l’évaluation formative sert à guider l’apprenant (elle a vocation à lui rendre service), tandis que l’évaluation sommative joue un rôle de certification (elle a vocation à rendre service à un tiers).

Or on est souvent en situation de confusion de ces deux fonctions et cela conduit l’apprenant à se comporter comme s’il était en situation d’évaluation sommative et à chercher à maximiser ses résultats.

On note en particulier :

  • la fonction de classement entre les élèves des notes ;
  • la confusion entre l’exercice rédactionnel comme moyen (c’est le processus qui compte) ou comme fin (c’est le résultat qui compte).

Certifier ou réguler ? (confusion des temps)

L’évaluation peut poursuivre trois fonctions ( Hadji, 1989 [10]) :

  • Certifier (évaluation sommative) afin de statuer sur les acquis, valider un module de cours, délivrer un diplôme ; cette évaluation se situe après la formation.
  • Réguler (évaluation formative) afin de guider l’apprenant dans son processus d’apprentissage ; cette évaluation se situe pendant la formation.
  • Orienter (évaluation diagnostique) afin d’aider à choisir les modalités d’étude les plus appropriées en fonction des intérêts, des aptitudes et de l’acquisition des pré-requis ; cette évaluation se situe avant la formation (et en cela l’évaluation diagnostique se distingue bien de l’évaluation sommative en ce qu’elle se place avant la formation du point de vue de l’évaluateur).

« L’évaluation survient souvent à un moment trop précoce par rapport au processus d’apprentissage en cours ( Astofi, 1992 [11]) ».

C’est un défaut du contrôle continu, arrivant tôt, dès le début du cours même, il nous place d’emblée en posture sommative. Celui qui ne sait pas encore faire est donc potentiellement stressé par l’évaluation dont il refuse ou minore la dimension formative.

Entraîner ou arbitrer ? (confusion des rôles)

« Les fonctions d’entraîneur et d’arbitre sont trop souvent confondues. C’est toujours celle d’entraîneur dont le poids est minoré. ( Astofi, 1992 [11]) »

« Il reste à articuler les deux logiques de l’évaluation, dont l’une exige la confiance alors que l’autre oppose évaluateur et évalué ( Perrenoud, 1997 [12]) ».

Cette confusion des temps entraîne une confusion des rôles : l’enseignant est toujours de fait un certificateur, celui qui permet la validation du cours, la poursuite des études, l’orientation…

Se faire confiance

La question de la confiance au sein de la relation apprenant-enseignant était également relevée par Farazouli et al. ( 2023 [8] ) qui insistait sur la dégradation potentielle introduite par les LLM :

« The presence of AI chatbots may prompt teachers to ask “who has written the text ?” and thereby question students’ authorship, potentially reinforcing mistrust at the core of teacher–student relationship »

Évaluation des compétences

Philippe Perrenoud ( 1997 [12]) défend une approche par compétences qui s’écarte d’une « comparaison entre les élèves » pour se diriger vers une comparaison entre « ce que l’élève a fait, et qu’il ferait s’il était plus compétent ». L’auteur souligne que ce système est moins simple et moins économique : « l’évaluation par les compétences ne peut qu’être complexe, personnalisée, imbriquée au travail de formation proprement dit ». Il faut, nous dit-il, renoncer à organiser un « examen de compétence en plaçant tous les concurrents sur la même ligne ».
Cet éloignement à la fonction de classement est intéressante à interroger. La fonction de classement des évaluations n’est pas, en général, revendiquée comme telle, mais elle persiste à travers les notes (A, B, C, D, E), la courbe de Gauss attendue de la répartition de ces notes, le taux de réussite, d’échec, de A. Ces notes ont également une fonction de classement pour l’accès à des semestres d’étude à l’étranger par exemple, ou pour des stages.

Il ne s’agit donc pas seulement de la fonction formative et de l’apprenant face à sa note.

La tâche n’est qu’un prétexte

« La tâche n’est qu’un prétexte », nous rappelle Philippe Meirieu ( Meirieu, 2004 [13]), pour s’exercer en situation d’apprentissage ou pour vérifier qu’on a acquis certaines habiletés.

Il est déterminant de différencier les deux situations :

  • dans le premier cas on peut travailler à apprendre avec l’apprenant sans se focaliser sur ce qu’on produit ;
  • dans le second, en revanche, cas l’énergie de l’apprenant est concentrée sur le résultat, il cherche à se conformer aux attentes de l’évaluation.

On oublie que la tâche n’est qu’un prétexte, le « livrable » qu’on demande est un outil et non un objectif, dans l’immense majorité des cas la dissertation ne sera pas lue pour ce qu’elle raconte, mais uniquement pour produire une évaluation. La résolution du problème de mathématique ou le compte-rendu d’expérience de chimie ne revêt aucun intérêt en soi, puisque, par construction, le lecteur connaît déjà la réponse. C’est à la fois une évidence et quelque chose que le processus évaluatif fait oublier, et in fine, c’est bien au résultat qui est produit que l’étudiant, comme souvent l’enseignant, prête attention, plutôt qu’au processus d’apprentissage.

Évaluation des moyens mis en œuvre et non d’un niveau atteint

À travers l’étude des travaux de Joseph Jacotot, Jacques Rancière ( 1987 [14]) propose que ce qui compte n’est pas ce qu’on apprend mais le fait qu’on apprenne et qu’on sache que l’on peut apprendre, avec sa propre intelligence. Le « maître ignorant » n’est pas celui qui transmet le savoir, il est celui qui provoque l’engagement de l’apprenant, qui s’assure qu’il y a engagement. Selon ce dispositif, la notion même d’évaluation sommative n’est pas possible, puisque le maître est ignorant de ce que l’élève apprend (Jacotot enseigne ainsi les mathématiques ou la musique dont il n’a pas la connaissance).

Cette approche pourrait inspirer à l’évaluation un rôle de suivi de l’engagement (présence, travail…) décorrélé de toute évaluation de résultat : présence et participation en cours et en TD. Notons que le système ECTS [15] est déjà basé sur une charge de travail requise (25 à 30 heures pour 1 crédit).

Remise en question de l’évaluation sommative

L’évaluation via des examens et des notes est un processus peu fiable, en témoignent les variations que l’on observe entre différents évaluateurs, et les variations dans le temps observées auprès d’un même évaluateur ( Hadji, 1989 [10]). On peut donc minorer l’importance de la fonction certifiante de certaines notes. Or les notes coûtent cher à produire par le temps et l’attention qu’elles exigent des enseignants et des apprenants.

On peut donc se poser la question du supprimer, ou diminuer, l’évaluation sommative. Cela pour une partie des enseignements au moins, quitte à garder des espaces sommatifs pour répondre à des nécessités de classement ou certification.

Qu’est-ce qu’on peut faire maintenant ?

  • Interdire l’usage des LLM par défaut dans le règlement des études (en sachant que ça va devenir difficile d’identifier quand ils sont mobilisés) ?
  • Utiliser des moyens techniques de détection de fraude (et entrer dans une « course à l’armement ») ?
  • Améliorer nos exercices rédactionnel pour « échapper aux LLM » tout en restant en veille sur ce qu’ils savent adresser de nouveau ?
  • Renoncer aux travaux rédactionnels évalués à la maison ?
  • Évaluer uniquement en fin de module, voire en dehors des modules et/ou procéder à des évaluations de compétence individuelles ?
  • Organiser des évaluations certifiantes en dehors des cours (évaluation de compétences, examens transversaux…) ?
  • Diminuer la pression sur les étudiants et modifier le contrat pédagogique passé avec eux ?
  • Simplifier la notation, ne conserver que les résultats admis ou non admis, pour évacuer toute idée de classement ?
  • Passer d’une obligation de résultat à une obligation de moyen, c’est à dire valider les cours sur la base de la présence ?
  • Ne plus du tout évaluer certains cours (en réfléchissant contextuellement à la fonction de l’évaluation sommative) ?

Interdire ChatGPT ?

« And that’s the thing : in a free market, a competitor cannot simply exclude a disruptive new technology. But in a classroom, we can absolutely do this thing ( Devereaux, 2023 [9]) »

C’est vrai, et le règlement des études peut intégrer cette interdiction a priori. Mais les LLM vont s’immiscer au sein de tous les outils numériques, a commencer par les moteurs de recherche, et cela va être difficile de maintenir l’usage d’outils numériques sans LLM.

mème classique : Bernie Sanders, un vieil homme face caméra sous le titre "les profs" dit : "je vous demande une fois encore de ne pas utiliser chatGPT"

Utiliser des moyens techniques de détection de fraude ?

Des systèmes de contrôle dans le contexte de l’évaluation à distance ou des logiciels anti-plagiat existent, mais :

  • cela pose des problèmes de surveillance et d’intrusion dans les machines des apprenants ;
  • cela suppose une « course à l’armement » entre les systèmes de détection et les systèmes de triche.

Il faut des résultats fiables pour être en mesure d’accuser un étudiant de fraude.

Adapter nos exercices et rester en veille ?

« Likewise, poorly designed assignments will be easier for students to cheat on, but that simply calls on all of us to be more careful and intentional with our assignment design ( Devereaux, 2023 [9]). »

Certains exercices pourront être en effet aménagés pour rendre plus difficile l’usage de LLM. On peut avoir une exigence argumentative plus élevée et/ou poser des questions plus complexes (en réfléchissant à pourquoi on ne le faisait pas avant, ce qui doit être modifié pour atteindre ce nouvel objectif, etc.). On peut augmenter le niveau d’exigence demandé (en réfléchissant au fait que cela puisse exclure des étudiants, au fait qu’il faille relâcher d’autres exercices par ailleurs…).

Mais pour certains exercices ce ne sera pas possible (thème et version en langue par exemple). Et de plus cela implique une logique de veille active entre la conception de ces exercices et l’évolution rapide des capacités des outils qui intégreront des LLM.

Renoncer aux travaux à la maison (ou à leur évaluation)

On peut décider de ne plus évaluer les travaux réalisés à la maison.

On peut alors imaginer plusieurs formes de substitution : retour aux devoirs sur table et sans ordinateur, passage à l’oral…

Évaluer en dehors des cours ?

On peut imaginer :

  • des évaluations certifiantes totalement en dehors des cours (sur le modèle du TOEIC ou du baccalauréat, par exemple pour les langues donc, pour l’expression française, pour des connaissances dans certains domaines, des compétences rédactionnelles…) ;
  • des évaluations certifiantes calées uniquement en fin d’UV (examen final de sortie de cours, avec éventuellement rattrapage, sans plus aucune note intermédiaire) ;
  • des évaluations de compétences individuelles (intéressantes pédagogiquement, mais coûteuses à organiser et demandant des compétences avancées de la part des évaluateurs).

Diminuer la pression sur les étudiants ?

Le contrat ECTS est très exigeant. 30 crédits par semestre c’est 750 à 900 heures attendues de travail en 16 semaines, vacances comprises, soit 45h à 55h par semaine. Plus la pression sur le temps est importante plus la tentation de tricher est grande.

On peut imaginer de renouer un contrat pédagogique d’un autre ordre avec les étudiants, fondé sur la confiance réciproque et la recherche de leur intérêt.

Simplifier la notation (pass or fail) ?

L’UTC a connu un système à 3 notes : « admis », « non admis » et « mention » (équivalent à A). Dans ce système, on prête moins d’attention à la fonction sommative des évaluations. Si un apprenant obtient une note suffisante à un premier examen par exemple, il sait qu’il validera le module et il n’a pas d’intérêt particulier à optimiser ses autres évaluations sommatives.

Sauf à viser un A, mais on peut aussi se passer du A : c’est le cas des Activité Pédagogiques d’Inter-semestre à l’UTC qui sont évaluées juste avec « reçu » ou « non reçu ».

Mème classique avec personnage dégoûté par "corriger des copies d'étudiant⋅es rédigées par des IA", le même ravi par "Demander à des IA de corriger des copies d'étudiant⋅es rédigées par des IA"

Passer d’une obligation de résultat à une obligation de moyen ?

De fait certains cours sont mobilisés pour la validation du diplôme, voire la sélection et le classement des étudiants, et d’autres comptent très peu pour cet objectif en pratique.

Certains cours pourraient donc être exclus du processus d’évaluation sommative (comme en formation professionnelle). On économiserait le temps de travail d’évaluation sommative qui pourrait être réinvesti ailleurs. Quelques étudiants en profiteraient certainement pour « passer au travers » de certains contenus, il faudrait pouvoir évaluer dans quelle mesure cela serait pire qu’aujourd’hui.

Renoncer à noter ? (pourquoi note-t-on ?)

Certains cours, sinon tous, pourraient donc échapper totalement à la notation.

À quelle fin évalue-t-on les étudiants dans une école qui a sélectionné à l’entrée comme l’UTC ?

  • Pour valider que les étudiants ont été « bien » sélectionnés ?
  • Pour les « forcer » à travailler ?
  • Pour faire « sérieux » ?
  • Pour répondre aux demandes d’organismes de certification du diplôme ?

 

réunion de conseil d'administration d'université — nous avons un grave problème : comment allons-nous évaluer les étudiants s'ils fraudent avec un LLM ? — on interdit tout sauf le stylo ? — on les punit ? — on arrête de noter ? Le jeune homme décontracté qui faisait cette dernière suggestion déclenche la fureur de l'animateur de la réunion, qui le passe par la fenêtre de l'immeuble.

Notes et références

[1] – Marche Stephen. 2022. The College Essay Is Dead. in The Atlantic. https://www.theatlantic.com/technology/archive/2022/12/chatgpt-ai-writing-college-student-essays/672371/

[2] – LLM (Large Language Model) : Les grands modèles de langage (ou LLM, pour « Large Language Model ») sont des mécanismes d’Intelligence Artificielle. Une de leurs applications les plus connues est la génération de textes ou d’images. L’ouverture au public de ChatGPT, en novembre 2022, a popularisé cette application. Chaque grande entreprise de l’informatique sort désormais son propre modèle, son propre LLM.

https://framablog.org/2023/07/31/que-veut-dire-libre-ou-open-source-pour-un-grand-modele-de-langage/

[3] – Lellouche Nicolas. 2023. Oubliez Enthoven : ChatGPT a eu la moyenne au bac de philo et c’est ce qui compte, Oubliez Enthoven. in Numerama. https://www.numerama.com/tech/1415146-vous-navez-pas-besoin-de-neurone-pour-avoir-votre-bac-de-philo.html.

[4] – Bortzmeyer Stéphane. 2023. Que veut dire « libre » (ou « open source ») pour un grand modèle de langage ?. https://framablog.org/2023/07/31/que-veut-dire-libre-ou-open-source-pour-un-grand-modele-de-langage/.

[5] – Tiernan Ray. 2020. Qu’est-ce que GPT-3 ? Tout ce que votre entreprise doit savoir sur le programme de langage d’IA d’OpenAIQu’est-ce que GPT-3 ?. https://www.zdnet.fr/pratique/qu-est-ce-que-gpt-3-tout-ce-que-votre-entreprise-doit-savoir-sur-le-programme-de-langage-d-ia-d-openai-39908563.htm.

[6] – Ertzscheid Olivier. 2023. GPT-3 : c’est toi le Chat.GPT-3. https://affordance.framasoft.org/2023/01/gpt-3-cest-toi-le-chat/.

[7] – Sharples Mike. 2022. New AI tools that can write student essays require educators to rethink teaching and assessment. https://blogs.lse.ac.uk/impactofsocialsciences/2022/05/17/new-ai-tools-that-can-write-student-essays-require-educators-to-rethink-teaching-and-assessment/.

[8] – Farazouli Alexandra, Cerratto-Pargman Teresa, Bolander-Laksov Klara, McGrath Cormac. 2023. Hello GPT ! Goodbye home examination ? An exploratory study of AI chatbots impact on university teachers’ assessment practicesHello GPT ! Goodbye home examination ?. in Assessment & Evaluation in Higher Education. vol.0 n°0 pp1-13.https://doi.org/10.1080/02602938.2023.2241676.

[9] – Devereaux Bret. 2023. Collections : On ChatGPTCollections. in A Collection of Unmitigated Pedantry. https://acoup.blog/2023/02/17/collections-on-chatgpt/.

[10] – Hadji C.. 1989. L’évaluation, règles du jeu : des intentions aux outils. ESF.

[11] – Astolfi Jean-Pierre. 1992. L’école pour apprendre : l’élève face aux savoirsL’école pour apprendre. ESF.

[12] – Perrenoud Philippe. 1997. Construire des compétences dès l’école. ESF.

[13] – Meirieu Philippe. 2004. Faire l’école, faire la classe : démocratie et pédagogieFaire l’école, faire la classe. ESF.

[14] – Rancière Jacques. 1987. Le maître ignorant : cinq leçons sur l’émancipation intellectuelleLe maître ignorant. Fayard.

[15] – ECTS (European Credit Transfer and accumulation System). Le système européen de transfert et d’accumulation de crédits a pour objectif de faciliter la comparaison des programmes d’études au sein des différents pays européens. Le système ECTS s’applique principalement à la formation universitaire. Il a remplacé le système des unités de valeur (UV) jusque-là utilisé en France. wikipedia.org

Bifurquer avec le Collège européen de Cluny

7 septembre 2023 à 09:23

Changer de voie professionnelle pour être plus en phase avec ses valeurs, ça se prépare : le Master of Advanced Studies « Innovation territoriale », organisé conjointement par le Collège européen de Cluny et la prestigieuse Université de Bologne, recrute sa promo 2023-2024 jusqu’au 29 septembre.

Framasoft y anime le module « Se connecter sans exclure » ­dans le cadre de l’UPLOAD1

On y parle culture libre et re-décentralisation d’Internet, bien sûr, mais aussi impact social et environnemental du numérique.

Nous profitons de cette rentrée pour donner un coup de projecteur sur ce post-master riche en promesses qui s’inscrit dans la perspective de bifurcation sociale et environnementale que Framasoft s’efforce d’accompagner.
Il vous reste 3 semaines pour embarquer dans ce chouette train.

logo de établissement : un C jaune comme Cluny au centre de la représentation stylisée de l'abbaye. Texte : Collège européen de Cluny, démocraties locales & innovation

Bonjour Jean-Luc, pourrais-tu d’abord te présenter et nous dire par quelle trajectoire tu en es venu à proposer une formation aussi originale.

photo de Jean-Luc Puech, bras croisés, souriantProfessionnellement, ma formation d’ingénieur m’a conduit vers les domaines de l’énergie et de l’environnement, puis de l’enseignement supérieur. En parallèle, je me suis engagé en citoyen dans l’action publique locale, avec un mandat de maire et trois mandats de président de communauté de communes en milieu rural à Cluny, dans le sud de la Bourgogne.
De cette double expérience, j’ai acquis la conviction que les modes de vie ne changeront que si l’action publique locale invente de nouvelles solidarités, de nouveaux services aux habitants. Et pour cela, la formation des acteurs est indispensable et urgente. Il faut sortir de l’hyper-spécialisation et du prêt-à-penser.

Ah oui en somme, tu as toi-même parcouru plusieurs voies… et c’est ainsi que le Collège européen de Cluny a ouvert sous ta direction un post-master que tu définis comme une formation « pour les bifurqueuses et bifurqueurs ».

Oui, cette formation qui est portée par un établissement à statut associatif, ce qui lui donne une large liberté d’inventer, est ouverte à toutes les personnes titulaires d’un diplôme de niveau master (ou disposant d’une expérience professionnelle équivalente), qui veulent donner un autre sens à leur parcours professionnel : sortir du carcan du monde d’avant, regarder en face les défis du changement climatique, de l’effondrement de la biodiversité, du creusement des inégalités territoriales et sociales, pour contribuer à tracer des chemins d’avenir par l’intelligence collective.

Voilà des perspectives et de nobles objectifs mais qui pourraient sembler un peu idéalistes… Pour donner des exemples concrets, peux-tu parler de personnes qui ont bénéficié de la formation l’année dernière, et dire dans quoi elles se sont engagées ensuite ?

Dans la première promotion, nous avons eu à la fois des profils de personnes qui venaient d’obtenir leur master et souhaitaient ouvrir leurs horizons, et d’autres qui après quelques années d’activité professionnelle décevante, souhaitaient se réorienter vers l’action publique à l’échelle des territoires.
Ainsi par exemple, Arnaud n’en pouvait plus de servir une société de services informatiques, le Master of advanced studies lui a permis de devenir développeur de projets d’énergie renouvelable en collectivité locale, Mathilde, juriste de l’environnement se consacre désormais à un pôle territorial d’économie circulaire. Clément, kiné, préfère travailler à l’issue de sa nouvelle formation sur la mobilité douce en milieu rural plutôt que de réparer les dégâts de modes de vie déséquilibrés.

Ça pourrait bien donner des idées aux lectrices et lecteurs du Framablog… Mais pour le contenu de la formation, quels sont les cours et ateliers qui sont proposés ?
La formation est structurée en deux types de modules, organisés chacun sur deux jours et demi par semaine :

  • Des modules qui portent sur des enjeux sectoriels :
    • se nourrir local,
    • se déplacer bas-carbone,
    • gérer l’énergie et le climat,
    • habiter l’existant, vivre avec le vivant,
    • se connecter sans exclure, etc.
  • Des modules méthodologiques :
    • mobiliser l’intelligence collective,
    • mobiliser le design pour l’innovation publique,
    • agir en citoyen local, régional, national, européen et global face à l’anthropocène, etc.

Dans ces modules, on alterne analyse théorique, expérimentation sur le terrain et rencontre avec des acteurs locaux.

groupe d'étudiants et étudiantes autour d'une table blanche ovale, photo prise au Collège européen de Cluny

Ah donc les participants et participantes font aussi l’expérience du terrain avec des projets ou stages ?

Oui, la formation comporte une période de conduite de projet territorial innovant, en collectivité, en association ou en entreprise, comme travailler avec les ados d’un territoire à l’évolution de leurs pratiques de mobilité, animer un collectif d’artisans et d’artistes dans la revitalisation d’une friche hospitalière pour en faire un lieu de partage de compétences, accompagner une intercommunalité dans la valorisation de ses ressources en bois local, etc.

Par ailleurs, la formation est en partenariat avec l’Université de Bologne, qu’est-ce que ça signifie au juste ?

Eh bien, le diplôme obtenu est un diplôme de l’université de Bologne et du Collège européen de Cluny. Le premier mois de formation (en novembre) a lieu à l’université de Bologne, sur son campus situé à Ravenne‎. Les cours y sont donnés en anglais par des professeurs de l’Université de Bologne. La suite de la formation, de décembre à mars a lieu à Cluny, sur le campus Arts et Métiers, au sein de l’ancienne abbaye, par des enseignants-chercheurs et des acteurs des territoires français. Le projet d’innovation en immersion professionnelle se déroule de mars à juillet.
logo de l'université de Bologne. dans un cachet rond : alma mater studiorum, A.D. 1088 avec au centre une gravure médiévale. reprise du texte latéralement + "Università di Bologna"

Les frais de scolarité sont assez importants, mais vous vous démenez pour proposer des solutions à celles et ceux qui ont peu de moyens, dans une démarche d’ouverture et d’inclusion.

Les droits de scolarité sont de 5000 € pour le diplôme conjoint avec l’Université de Bologne. Mais d’une part nous avons organisé une souscription populaire : des dons de citoyens permettent de donner un coup de pouce aux personnes qui auraient du mal à boucler le budget, d’autre part l’organisation du cursus à raison de 2,5 jours par semaine sur 6 mois est compatible avec une activité à temps partiel. Et le Collège européen est en contact avec les employeurs locaux, qui recherchent des équipiers : secteur sanitaire et social, artisanat, hospitalité, mobilité. Ces activités peuvent être elles-mêmes une riche expérience contribuant à la réflexion sur la nécessité de changer les modes de vie et les services.

Pour finir, quelle formule magique tu proposerais pour convaincre quelqu’un de s’inscrire dès cette promo ? « Il y a urgence » ? « Engagez-vous » ?

mmmh, disons :

N’attends pas le monde d’après, donne-toi les moyens de participer à son invention !

 

personnage à droite un peu prétentieux : "j'ai bifurqué, j'étais chez Total, mais l'énergie c'est mort. Je me suis inscrit en master "IA et finance internationale", c'est pas évident hein, mais faut bien sauver sa gueule." deuxième personnage, une femme souriante : " ah moi aussi j'ai bifurqué, je suis le post-master de Cluny, on se forme à innover autrement : intégrer les enjeux sociaux et environnementaux à l'échelle du territoire… faut bien essayer de sauver le monde !

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  • En savoir plus ? Tous les détails nécessaires figurent dans la plaquette de l’établissement
  • … et Framasoft dans tout ça ?
Se connecter sans exclure, un module animé par Framasoft.
Le développement rapide du numérique (médias sociaux, services en ligne, intelligence artificielle…) ouvre des opportunités, mais il génère également des situations douloureuses (exclusion, dépendance, prolétarisation…). Il pose également des questions environnementales complexes, loin de la promesse originelle de la dématérialisation.
Le cours permet de questionner les principales conséquences économiques, sociales et environnementales de l’usage du numérique, à partir de constats actuels et de projections à court et moyen terme. On se penche sur des questions éthiques (accès à l’administration, illettrisme numérique, vie privée, croissance exponentielle…) en partageant des exemples (politiques publiques, initiatives citoyennes, recherches et formations…) pour anticiper et surmonter les risques qui accompagnent la révolution numérique.–> Le détail du module
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