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QSPTAG #320 — 4 avril 2025

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La loi « Narcotrafic Â» Ă©tend le domaine du flicage numĂ©rique

Le 11 mars dernier, on publiait un article avec un zeste de rĂ©jouissance dans un grand seau de prudence : la commission des Lois de l’AssemblĂ©e nationale avait supprimĂ© la plupart des articles les plus liberticides de la loi « Narcotrafic Â». Cette rĂ©action des dĂ©puté·es ne venait pas de nulle part, vous avez agi en nombre pour les interpeller — bravo et merci ! Mais si des mesures dĂ©sastreuses avaient sautĂ© en commission, (on pense en particulier Ă  la menace qui pesait sur le chiffrement des messageries), d’autres mesures Ă©taient malheureusement restĂ©es, et on s’attendait Ă  ce que les pires reviennent par amendements du gouvernement au moment de la discussion dans l’HĂ©micycle. Badaboum, ça n’a pas ratĂ©.

Le gouvernement, reprĂ©sentĂ© par le ministre de l’IntĂ©rieur Retailleau et soutenu par quelques dĂ©putĂ©s de la droite et de l’extrĂȘme-droite, a de nouveau dĂ©fendu l’idĂ©e d’une « backdoor Â» pour la police et le renseignement dans les messagerie chiffrĂ©es, en camouflant cette rupture du chiffrement sous des appellations alambiquĂ©es (un « utilisateur fantĂŽme Â» qui s’inviterait dans les conversations, par exemple). Heureusement, les dĂ©puté·es ne se sont pas laissĂ© avoir, pour le plus grand dĂ©pit des dĂ©fenseurs de la mesure qui ont mĂȘme dĂ©noncĂ© un « concours des geeks Â». La compromission du chiffrement a Ă©tĂ© rejetĂ©e.

Mais il reste le reste. L’activation Ă  distance des appareils numĂ©riques (micros et camĂ©ras) pour les transformer en mouchards : adoptĂ©e. Extension du pĂ©rimĂštre des « boĂźtes noires Â» de renseignement qui analysent le rĂ©seau pour trouver les comportements « suspects Â» : adoptĂ©e. La crĂ©ation d’un « dossier coffre Â», c’est-Ă -dire que les procĂšs-verbaux d’instruction ne dĂ©criront plus les mĂ©thodes de surveillance utilisĂ©es : adoptĂ©e. Les personnes visĂ©es par la dĂ©finition large et mouvante de la « criminalitĂ© en bande organisĂ©e Â» pourront donc ĂȘtre surveillĂ©es par tous les moyens et ne pourront plus contester la lĂ©galitĂ© de ces moyens devant le tribunal (lieux de vie « sonorisĂ©s Â», etc.). La main sur le cƓur, en jurant de s’attaquer aux « narcotrafiquants Â», les parlementaires ont validĂ© des mesures qui pourront ĂȘtre utilisĂ©es contre des militants politiques, des activistes Ă©cologiques, des opposants Ă  l’industrie polluante et aux autoroutes inutiles, des syndicalistes qui prĂ©parent une manifestation ou une occupation d’usine. Et ce faisant, ils ont rĂ©duit les droits politiques de tout le monde.

Comme le texte votĂ© par l’AssemblĂ©e nationale n’est pas identique Ă  celui que le SĂ©nat avait adoptĂ©, il y aura une commission mixte paritaire (CMP) dans le courant du mois d’avril et un nouveau vote dans les deux chambres Ă  la fin du mois. On suit ça de prĂšs et on vous tient au courant !

La page de la campagne : Contre la loi surveillance et narcotraficotage
Article du 11 mars : Loi « Narcotraficotage Â» : la mobilisation paye alors ne lĂąchons rien
Article du 18 mars : Le gouvernement prĂȘt Ă  tout pour casser le droit au chiffrement

Loi «Transports Â» et prolongement de la VSA

Le 18 mars dernier, avant de commencer l’examen de la loi « Narcotrafic Â», l’AssemblĂ©e nationale a votĂ© la loi « Transports Â». Quel rapport ? Encore des mesures de surveillance numĂ©rique. Cette loi sur « la sĂ©curitĂ© dans les transports Â» a donc Ă©tĂ© le vĂ©hicule choisi par le gouvernement pour prolonger l’expĂ©rimentation de la vidĂ©osurveillance algorithmique (VSA) qui avait Ă©tĂ© mise en place Ă  l’occasion de la loi «Jeux Olympiques Â». AutorisĂ©e au dĂ©part jusqu’à mars 2025, cette expĂ©rimentation aux rĂ©sultats pourtant trĂšs dĂ©cevants est donc prolongĂ©e de deux ans, jusqu’en mars 2027, au mĂ©pris du processus d’évaluation pourtant dĂ©fini un an avant par la mĂȘme AssemblĂ©e. Ce passage en force n’est malheureusement qu’un signe supplĂ©mentaire du mĂ©pris de l’exĂ©cutif pour les institutions et tout ce qui le gĂȘne. Un article sombre et Ă©nervĂ© Ă  lire sur notre site.

Article du 17 mars : Prolongement de la VSA : la petite danse autoritaire du gouvernement

Data centers partout, réflexion nulle part

Quand on pense Ă  l’intelligence artificielle, on n’imagine pas d’abord les bĂ©tonniĂšres, les pylĂŽnes Ă©lectriques et les riviĂšres Ă  sec. C’est pourtant un aspect non nĂ©gligeable de la course mondiale aux serveurs et aux centres de donnĂ©es gĂ©ants. Lors du Sommet de Paris sur l’IA en fĂ©vrier dernier, Emmanuel Macron a mis en avant l’électricitĂ© nuclĂ©aire française, moins chĂšre et moins carbonĂ©e, et invitĂ© les opĂ©rateurs Ă©trangers Ă  venir en profiter, son « Plug, baby, plug Â» rĂ©pondant au « Drill, baby, drill Â» lancĂ© par Donal Trump en direction des compagnies pĂ©troliĂšres.

AprĂšs les annonces en grand pompe, il faut tenir ses promesses. La « loi pour la simplification Ă©conomique Â», en discussion Ă  l’AssemblĂ©e aprĂšs son adoption par le SĂ©nat, est justement lĂ  pour lever un certain nombre de contraintes rĂ©glementaires, administratives et fiscales et faciliter la vie des investisseurs et des industriels. L’article 15 concerne prĂ©cisĂ©ment la construction des centres de donnĂ©es gĂ©ants : l’État prendrait la main sur les pouvoirs locaux pour imposer ces grands chantiers, y compris au mĂ©pris des rĂšgles environnementales.

Dans le cadre de notre travail sur l’IA et de la coalition Hiatus pour rĂ©sister Ă  l’IA et son monde, nous appelons donc Ă  la mobilisation contre cette loi et son article, et nous demandons un moratoire de deux ans sur la construction de centre de donnĂ©es gĂ©ants, le temps de discuter de leur encadrement. Contre la fuite en avant techno-n’importe quoi, contre la course Ă©conomique des poulets sans tĂȘte, exigeons un dĂ©bat dĂ©mocratique sur les besoins et les moyens de notre dĂ©veloppement collectif.

Article du 21 mars : Loi « simplification Â» : un dĂ©ni de dĂ©mocratie pour mieux imposer les data centers
Page de campagne pour peser sur le vote des : Mobilisation pour un moratoire sur les gros data centers !

Le Conseil d’État donne une leçon de censure

Oui, le blocage de TikTok en Nouvelle-CalĂ©donie en mai 2024 Ă©tait illĂ©gal. On le disait dĂ©jĂ , et c’est le Conseil d’État qui le confirme dans sa dĂ©cision du 1er avril. Malheureusement, la dĂ©cision est aussi trĂšs inquiĂ©tante. Car si le blocage est jugĂ© disproportionnĂ©, le principe de couper un rĂ©seau est, en tant que tel, validĂ©. Dans sa dĂ©cision, le Conseil d’État explique ce que le gouvernement aurait dĂ» faire pour justifier le blocage de l’application et donne par lĂ  un mode d’emploi trĂšs simple Ă  tous les gouvernements, prĂ©sents ou Ă  venir, qui voudraient s’en prendre Ă  la libertĂ© d’expression. Qui pourra se plaindre quand un gouvernement RN fera ce qu’il voudra en brandissant la dĂ©cision du CE ?

Si vous avez l’intention de prendre le pouvoir, d’invoquer des circonstances exceptionnelles et de censurer des services numĂ©riques, ne vous lancez pas dans le vide : lisez d’abord notre article, on vous explique le raisonnement du Conseil (pour la censure) d’État.

Article du 2 avril : Blocage de Tiktok en Nouvelle-CalĂ©donie : le Conseil d’État se dĂ©robe en faveur de l’arbitraire

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Blocage de Tiktok en Nouvelle-CalĂ©donie : le Conseil d’État se dĂ©robe en faveur de l’arbitraire

On aurait prĂ©fĂ©rĂ© que ce soit un poisson d’avril : dans une dĂ©cision rendue ce 1er avril 2025, le Conseil d’État a validĂ© le principe de la censure arbitraire et opaque d’un rĂ©seau social. DerriĂšre l’apparente annulation de la dĂ©cision du Premier ministre de l’époque, Gabriel Attal, de bloquer Tiktok, la plus haute juridiction française offre en rĂ©alitĂ© le mode d’emploi de la « bonne censure Â». Cette dĂ©cision est inquiĂ©tante, tant cette affaire aura montrĂ© l’inefficacitĂ© du Conseil d’État Ă  ĂȘtre un rempart efficace contre le fascisme montant.

Le 15 mai 2024, alors que la Nouvelle-CalĂ©donie Ă©tait le thĂ©Ăątre d’une trĂšs forte contestation sociale dans un contexte de passage en force d’une rĂ©forme du collĂšge Ă©lectoral calĂ©donien, le Premier ministre Gabriel Attal annonçait, en mĂȘme temps que l’activation de l’état d’urgence, la censure de Tiktok sur tout le territoire de Nouvelle-CalĂ©donie.

Comme La Ligue des droits de l’homme, ainsi que des habitant·es calĂ©donien·nes, La Quadrature du Net avait attaquĂ© en rĂ©fĂ©rĂ© cette dĂ©cision. Ce premier recours avait Ă©tĂ© rejetĂ© dans les jours qui suivirent pour dĂ©faut d’urgence, mais nous n’avions pas voulu lĂącher l’affaire et avions continuĂ© notre combat contre cette mesure de blocage en l’attaquant Ă  nouveau, cette fois par la procĂ©dure classique -dite « au fond Â»- qui a conduit Ă  la dĂ©cision d’hier.

Formellement, le Conseil d’État a annulĂ© le blocage de Tiktok. Mais derriĂšre cette apparente victoire se cache une dĂ©cision qui ouvre la voie Ă  de futures censures de plateformes en ligne en dehors de tout contrĂŽle dĂ©mocratique.

La validation d’un arbitraire d’État

Cette affaire aura Ă©tĂ© l’occasion de tous les arbitraires. Pour justifier factuellement son blocage, le gouvernement a toujours louvoyĂ© (voir notre rĂ©capitulatif de l’affaire), laissant croire que ce serait d’abord pour lutter contre le terrorisme, puis contre des ingĂ©rences Ă©trangĂšres, pour enfin expliquer que de simples contenus violents l’autorisaient Ă  procĂ©der Ă  un tel blocage (nous revenons sur ce point plus bas). Par la suite, il justifiait lĂ©galement ce blocage en sortant de son chapeau la « thĂ©orie des circonstances exceptionnelles Â». Cette thĂ©orie est une invention du juge administratif datant de plus d’un siĂšcle. Elle a Ă©tĂ© Ă©laborĂ©e Ă  l’occasion d’une guerre – c’est-Ă -dire dans un contexte de suspension du pouvoir civil – et n’avait jamais Ă©tĂ© utilisĂ©e jusqu’à prĂ©sent pour justifier de porter atteinte Ă  la libertĂ© d’expression.

Dans sa dĂ©cision, le Conseil d’État admet que cette « thĂ©orie des circonstances exceptionnelles Â» puisse ĂȘtre invoquĂ©e, pour justifier lĂ©galement le blocage d’une plateforme en ligne dans le cas d’une « pĂ©riode de troubles Ă  l’ordre public d’une gravitĂ© exceptionnelle Â». ArrĂȘtons-nous dĂ©jĂ  sur cette premiĂšre brĂšche Ă  l’État de droit : cela signifie que lorsque cette condition de « trouble Â» est remplie, un gouvernement peut donc porter des atteintes Ă  la libertĂ© d’expression, alors qu’aucune loi existante ne l’y autorise et donc qu’aucune condition prĂ©vue par le lĂ©gislateur n’est Ă  respecter. Cette « thĂ©orie des circonstances exceptionnelles Â» n’a jamais Ă©tĂ© reprise par le lĂ©gislateur : elle ne comporte aucune limite prĂ©cise et n’est prĂ©sente nulle part ailleurs que dans les quelques dĂ©cisions du Conseil d’État. Ce dernier autorise donc un empiĂ©tement pur et simple du pouvoir exĂ©cutif sur le pouvoir lĂ©gislatif.

Et quels sont ces « troubles Ă  l’ordre public d’une gravitĂ© exceptionnelle Â» qui permettent de nier le principe de sĂ©paration des pouvoirs ? On peut lĂ©gitimement se demander si les manifestations des gilets jaunes en 2018 et 2019, Ă©maillĂ©es de violences souvent entretenues par une politique de maintien de l’ordre dĂ©sastreuse, auraient pu ĂȘtre qualifiĂ©es de suffisamment graves. De mĂȘme, les rĂ©voltes suite Ă  la mort de Nahel Merzouk auraient-elles pu justifier le blocage des rĂ©seaux sociaux alors que la droite rĂ©actionnaire française voyait dans ces derniers le coupable idĂ©al et que Emmanuel Macron s’était, Ă  cette occasion, prononcĂ© en faveur de leur censure ?

Ne soyons pas naĂŻf·ves : tout est « exceptionnellement grave Â» pour l’exĂ©cutif et la police. GrĂące Ă  cette notion floue, la voie Ă  tous les abus est ouverte. N’importe quoi servira de prĂ©texte, demain, pour continuer dans la direction de la censure, de la rĂ©ponse rĂ©pressive facile au lieu d’une remise en cause profonde du systĂšme qui a conduit aux violences.

Et l’arbitraire d’État ne s’arrĂȘte pas lĂ  : le Conseil d’État a, d’une certaine maniĂšre, autorisĂ© le gouvernement Ă  ne pas respecter la loi lorsque celle-ci ne lui convient pas. En effet, au moment de la censure, la loi sur l’état d’urgence avait Ă©tĂ© dĂ©clenchĂ©e. Celle-ci autorisait bel et bien le blocage d’une plateforme, mais uniquement dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Or, dans le cas du blocage de Tiktok, il ne s’agissait justement pas de lutte contre le terrorisme. Alors qu’une telle possibilitĂ© de censure visant une plateforme en ligne, prĂ©vue par la loi sur l’état d’urgence, est dĂ©jĂ  trĂšs contestable en soi1Nous avions initialement demandĂ© Ă  ce qu’une question prioritaire de constitutionnalitĂ© (QPC) soit transmise au Conseil constitutionnel. Celle-ci a Ă©tĂ© rejetĂ©e par le Conseil d’État parce qu’il estimait que la loi sur l’état d’urgence n’était pas applicable au litige puisqu’il ne s’agissait pas de lutte contre le terrorisme., le Conseil d’État neutralise encore plus le lĂ©gislateur en permettant d’avoir recours Ă  une thĂ©orie jurisprudentielle qui permet de contourner ces limites.

Un contrĂŽle juridictionnel de pacotille

L’auditoire optimiste pourrait se dire que le juge administratif resterait prĂ©sent pour empĂȘcher les abus de ce recours Ă  la censure en cas de « troubles Ă  l’ordre public d’une gravitĂ© exceptionnelle . Et aprĂšs tout, en ce qui concerne Tiktok, on pourrait ĂȘtre tentĂ© de se rassurer par le fait que la dĂ©cision de censurer le rĂ©seau social a finalement Ă©tĂ© annulĂ©e par le Conseil d’État. Pourtant, dans cette affaire, aprĂšs avoir refusĂ© d’agir au moment oĂč sa dĂ©cision aurait Ă©tĂ© utile, c’est-Ă -dire lorsqu’il Ă©tait saisi en rĂ©fĂ©rĂ© l’annĂ©e derniĂšre, le Conseil d’État a repris Ă  son compte toutes les affirmations grossiĂšres du gouvernement pour justifier le besoin de bloquer la plateforme.

La question de l’existence de certains contenus qui seraient illĂ©gaux au point de couper tout le rĂ©seau social a Ă©tĂ© longuement dĂ©battue en mai 2024 Ă  l’occasion de notre rĂ©fĂ©rĂ©. AprĂšs avoir Ă©tĂ© mis en difficultĂ© lors de l’audience de rĂ©fĂ©rĂ©, le gouvernement s’était enfin dĂ©cidĂ© Ă  produire des exemples de contenus prĂ©tendument illicites
 qui Ă©taient en fait totalement lĂ©gaux. Nous publions ces contenus2Politico avait dĂ©jĂ  publiĂ© certains de ces contenus l’annĂ©e derniĂšre. pour que chacun·e puisse constater que leur illĂ©galitĂ© ne saute pas aux yeux : dĂ©noncer des violences policiĂšres, la constitution de milices privĂ©es avec le soutien des forces de l’ordre, les agressions racistes sur des policiers kanaks, ou encore prendre des photos ou vidĂ©os de lieux en flamme comme l’a fait la presse locale est donc, pour le gouvernement, susceptible de justifier une restriction Ă  la libertĂ© d’expression


Depuis ces quelques exemples produits l’annĂ©e derniĂšre, le gouvernement n’a pas complĂ©tĂ© ses dires. On devine un certain embarras Ă  travers ce silence sur ces fameux contenus censĂ©s ĂȘtre « violents Â» : cette dĂ©cision de bloquer Tiktok ne semble en rĂ©alitĂ© pas avoir Ă©tĂ© prise en raison d’un besoin impĂ©ratif pour restaurer l’ordre sur l’archipel, mais pour couvrir une dĂ©cision politique du Haut-Commissaire (l’équivalent du prĂ©fet en Nouvelle-CalĂ©donie). Fin mai 2024, La Lettre Ă©crivait ainsi que « TrĂšs vite, cependant, le premier ministre a Ă©tĂ© averti de la fragilitĂ© juridique de cette dĂ©cision, prise par le haut-commissaire Louis Le Franc, Ă  la demande du Gouvernement de la Nouvelle-CalĂ©donie, l’organe exĂ©cutif de la collectivitĂ© prĂ©sidĂ© par Louis Mapou. Â» Le mĂ©dia spĂ©cialisĂ© prĂ©cisait Ă©galement que « l’exĂ©cutif a Ă©cartĂ© l’hypothĂšse de dĂ©savouer publiquement le haut-commissaire et les Ă©lus locaux Â» et que le gouvernement n’avait « aucun grief contre TikTok Â». Ce qu’a admis en creux le reprĂ©sentant de Tiktok quelques jours aprĂšs devant le SĂ©nat : il a indiquĂ©, sous serment, que la plateforme n’a non seulement pas reçu de demande de retrait de contenus de la part de l’exĂ©cutif, mais n’a Ă©galement pas dĂ©tectĂ© lui-mĂȘme de contenus illicites une fois le blocage dĂ©cidĂ© par le gouvernement.

Tout cela n’a pourtant pas empĂȘchĂ© le Conseil d’État de valider l’obsession gouvernementale. Pour les juges, il s’agit bien de « contenus incitant au recours Ă  la violence Â»3Les juristes remarqueront probablement que le Conseil d’État ne parle plus de contenus « manifestement illicites Â», mais adopte une formulation beaucoup plus englobante.. Pour appuyer l’illĂ©galitĂ© des contenus diffusĂ©s Ă  l’époque sur Tiktok, le Conseil d’État explique que les « algorithmes Â» de ce rĂ©seau social favoriseraient leur diffusion trĂšs rapide. Il est vrai que des Ă©tudes, notamment d’Amnesty International, ont montrĂ© la grande toxicitĂ© des choix algorithmiques de Tiktok. Et nous ne nous cachons pas sur le fait que nous combattons en gĂ©nĂ©ral ce modĂšle Ă©conomique et technique de rĂ©seau social. Mais, pour ce qui est de la Nouvelle-CalĂ©donie, le gouvernement s’est contentĂ© d’affirmations non-sourcĂ©es, sans rien dĂ©montrer. Dans son mĂ©moire, le Premier ministre affirmait ainsi simplement que le choix de bloquer Tiktok Ă©tait justifiĂ© par « les caractĂ©ristiques des algorithmes utilisĂ©s par “Tiktok”, qui amplifient l’effet de valorisation mimĂ©tique Â» sans fournir d’étude ni mĂȘme de constatations par ses services. Autrement dit, le Conseil d’État se contente d’affirmations du gouvernement pour en faire une gĂ©nĂ©ralitĂ©, crĂ©ant ainsi une forme de prĂ©somption de nĂ©cessitĂ© de bloquer Tiktok. Et, Ă  supposer mĂȘme qu’il y ait eu quelques contenus manifestement illicites sur Tiktok, cela ne devrait pourtant pas permettre de prendre une mesure aussi grave que limiter ou bloquer toute un rĂ©seau social. Ce qu’autorise pourtant le Conseil d’État.

En fin de compte, dans cette affaire, le seul point qui a permis au Conseil d’État d’affirmer que le blocage Ă©tait illĂ©gal rĂ©side dans le fait que le gouvernement n’a pas cherchĂ© Ă  d’abord limiter certaines fonctionnalitĂ©s de la plateforme avant d’en ordonner le blocage complet. En d’autres mots, la dĂ©cision de bloquer est jugĂ©e disproportionnĂ©e uniquement sur le fait que le gouvernement aurait d’abord dĂ» prĂ©venir Tiktok et lui demander de limiter les contenus, avant de pouvoir ordonner le blocage du rĂ©seau social. Le principe mĂȘme de bloquer n’est pas remis en question.

Cet argument s’inscrit dans la continuitĂ© d’une idĂ©e exprimĂ©e par Emmanuel Macron, aprĂšs les rĂ©voltes faisant suite Ă  la mort de Nahel Merzouk, de limiter certaines fonctionnalitĂ©s des rĂ©seaux sociaux, voire les bloquer lors de prochaines Ă©meutes. Le Conseil d’État lĂ©gitime le chantage auquel s’était dĂ©jĂ  adonnĂ© le gouvernement en 2023 : fin juin 2023, les reprĂ©sentants de TikTok, Snapchat, Twitter et Meta Ă©taient convoquĂ©s par le ministre de l’intĂ©rieur, dans le but de mettre une « pression maximale Â» sur les plateformes pour qu’elles coopĂšrent et qui a conduit Ă  des demandes de retraits de contenus hors de tout cadre lĂ©gal (voir notre analyse de l’époque). DĂ©sormais, le gouvernement a une nouvelle arme, la menace de censure, fraĂźchement inventĂ©e par le Conseil d’État, pour forcer les plateformes Ă  collaborer, quitte Ă  retirer des contenus lĂ©gaux.

Mode d’emploi pour le fascisme montant

Il ne s’agit donc absolument pas d’une victoire. Le Conseil d’État valide quasiment toute la dĂ©marche du Premier ministre. DĂ©sormais, mĂȘme pour sauver la face d’un prĂ©fet qui prĂ©fĂšre censurer avant de rĂ©flĂ©chir, un gouvernement peut bloquer une plateforme en ligne, Ă  la condition de trouver sur cette plateforme quelques contenus vaguement violents et de justifier de « troubles Ă  l’ordre public d’une gravitĂ© exceptionnelle Â».

Pas besoin de justifier d’une habilitation par le lĂ©gislateur. Pas besoin de justifier de maniĂšre rigoureuse des contenus incriminĂ©s. Pas besoin de faire la moindre publicitĂ© autour de cette dĂ©cision. Les associations se dĂ©brouilleront pour comprendre l’ampleur et les raisons du blocage, et le gouvernement pourra mĂȘme changer de version si les premiĂšres justifications qu’il aura trouvĂ©es s’avĂšrent bancales.

Lors de l’audience publique, l’avocat de la Ligue des droits de l’Homme, elle aussi requĂ©rante dans cette affaire, avait prĂ©venu que les futurs rĂ©gimes illibĂ©raux s’empareront du mode d’emploi ainsi apportĂ© par le Conseil d’État. De notre cĂŽtĂ©, nous avions rappelĂ© que les rĂ©gimes qui se sont jusqu’alors aventurĂ©s dans la voie de la censure arbitraire d’Internet et qui se sont fait condamner par la Cour europĂ©enne des droits de l’Homme sont tous des rĂ©gimes autoritaires, Russie et Turquie en tĂȘte. Et peut-ĂȘtre, demain, la France.

Car cette dĂ©cision doit ĂȘtre replacĂ©e dans son contexte : celui d’un autoritarisme qui fait la courte-Ă©chelle depuis des annĂ©es Ă  un fascisme dĂ©sormais aux portes du pouvoirs ; celui de garde-fous qui s’avĂšrent inefficaces lorsque l’accompagnement de l’État dans ses dĂ©lires sĂ©curitaires prend la place de la protection des droits ; celui de proximitĂ©s entre dĂ©cideurs publics et lobbys sĂ©curitaires qui interrogent ; celui d’un pouvoir politique qui prĂ©fĂšre la rĂ©ponse facile ou la dĂ©sinformation plutĂŽt que de revoir de fond en comble le systĂšme de violence qu’il renforce ; celui de la remise en question quotidienne d’un du principe fondateur de nos dĂ©mocraties modernes qu’est l’État de droit, par un ministre de l’intĂ©rieur rĂ©cidiviste, ou par une alliance inquiĂ©tante entre une extrĂȘme droite prise la main dans le pot de confiture, un Premier ministre qui sait qu’il sera peut-ĂȘtre le prochain, et une gauche qui a manquĂ© une occasion de se taire.

Quand on voit avec quelle rapiditĂ© l’État de droit est en train de s’écrouler aux États-Unis, on ne peut que s’inquiĂ©ter. Car mĂȘme si Tiktok est une plateforme intrinsĂšquement problĂ©matique, utilisĂ©e comme caisse de rĂ©sonance pour la dĂ©sinformation et autres contenus extrĂȘmement toxiques, la fin ne peut pas tout justifier. L’État de droit se dĂ©compose et le fascisme est aux portes du pouvoir. Il est urgent de porter une voix hautement critique sur ces institutions incapables de protĂ©ger la dĂ©mocratie alors qu’elles devraient ĂȘtre Ă  l’avant-garde de la lutte contre l’extrĂȘme droite et l’autoritarisme. Alors si vous le pouvez, vous pouvez nous aider en nous faisant un don.

References[+]

References
↑1 Nous avions initialement demandĂ© Ă  ce qu’une question prioritaire de constitutionnalitĂ© (QPC) soit transmise au Conseil constitutionnel. Celle-ci a Ă©tĂ© rejetĂ©e par le Conseil d’État parce qu’il estimait que la loi sur l’état d’urgence n’était pas applicable au litige puisqu’il ne s’agissait pas de lutte contre le terrorisme.
↑2 Politico avait dĂ©jĂ  publiĂ© certains de ces contenus l’annĂ©e derniĂšre.
↑3 Les juristes remarqueront probablement que le Conseil d’État ne parle plus de contenus « manifestement illicites Â», mais adopte une formulation beaucoup plus englobante.

Mobilisation pour un moratoire sur les gros data centers !

Du 8 au 11 avril, les dĂ©puté·es examineront en sĂ©ance publique le projet de loi de « simplification de la vie Ă©conomique Â». Cette loi fourre-tout, conçue sur mesure pour rĂ©pondre aux demandes des industriels, contient un article 15 qui permettrait Ă  l’État d’imposer la construction d’immenses data centers aux collectivitĂ©s locales et Ă  la population. Face Ă  la fuite en avant sous l’égide de l’industrie de la tech, nous appelons les dĂ©puté·es Ă  rejeter l’article 15 du projet de loi « simplification Â» et Ă  soutenir un moratoire de deux ans sur la construction des plus gros data centers en France, le temps qu’un dĂ©bat public puisse se tenir sur la maniĂšre de les encadrer.

Contexte

Alors que la construction des data centers est en plein boom pour accompagner la prolifĂ©ration de l’IA dans tout les pans de la sociĂ©tĂ©, les multinationales de la tech s’allient Ă  l’État pour imposer ces infrastructures Ă  la population et Ă©viter toute contestation citoyenne face Ă  l’accaparement des ressources qu’elles supposent.

À son article 15, le projet de loi « simplification Â» – en fait une loi de dĂ©rĂ©gulation – autorise le gouvernement Ă  octroyer aux projets de construction de trĂšs gros data centers un statut issu de la loi de 2023 sur l’industrie verte : le label « projet d’intĂ©rĂȘt national majeur Â» (PINM). C’est une promesse d’Emmanuel Macron aux investisseurs internationaux. D’aprĂšs le gouvernement, ce statut a vocation Ă  ĂȘtre rĂ©servĂ© aux data centers d’une surface d’au moins 40 hectares, soit plus de 50 terrains de foot ! Avec ce statut de « projet d’intĂ©rĂȘt national majeur Â», les industriels de la tech verraient le gouvernement travailler main dans la main avec eux pour imposer les data centers aux communes : l’État prendrait alors la main sur les compĂ©tences des collectivitĂ©s locales relatives Ă  l’urbanisme et Ă  l’amĂ©nagement du territoire, en menant lui-mĂȘme la rĂ©Ă©criture des plans locaux d’urbanisme afin de les adapter Ă  ces projets de data centers. Les procĂ©dures de consultation du public seront encore allĂ©gĂ©es. Et l’État pourra par la mĂȘme occasion dĂ©cider que ces infrastructures peuvent dĂ©roger aux rĂ©glementations environnementales, notamment celles relatives aux espĂšces protĂ©gĂ©es.

Pour ne pas laisser les multinationales de la tech s’allier au gouvernement français pour alimenter cette fuite en avant dĂ©lĂ©tĂšre et Ă©cocide, La Quadrature du Net et le collectif Le Nuage Ă©tait sous nos pieds, en lien avec les membres de la coalition Hiatus, appellent Ă  l’adoption d’un moratoire sur la construction des grands entrepĂŽts Ă  serveurs1. Nous appelons toutes les personnes et organisations inquiĂštes de cette dĂ©rĂ©gulation au bĂ©nĂ©fice de la tech Ă  dĂ©noncer ce passage en force et Ă  contacter les dĂ©puté·es pour obtenir la suppression de cet article 15 et l’adoption d’un moratoire sur la construction des gros data centers ! Vous trouverez sur cette page toutes les ressources pour contacter les dĂ©puté·es et les convaincre de voter en ce sens.

Appelez vos dĂ©puté·es !

Argumentaire pour un moratoire sur les gros data centers

Voici quelques donnĂ©es Ă  avoir en tĂȘte pour convaincre les dĂ©puté·es de rejeter l’article 15 et d’adopter un moratoire sur les gros data centers !

1. Les data centers engendrent une intense prédation des ressources en eau et en électricité

  • Les data centers sont particuliĂšrement Ă©lectro-intensifs : selon RTE, il y a 300 data centers en France (en 2022). Leur consommation est estimĂ©e Ă  environ 10 TWh, soit autour de 2% de la consommation française totale annuelle. Les projets se multiplient et il n’est pas rare selon RTE de recevoir des demandes de raccordement Ă  hauteur de 100 Ă  200 MWh, soit une fourchette Ă©quivalente aux consommations Ă©lectriques des villes de Rouen et Bordeaux.
  • On assiste aujourd’hui Ă  un boom spĂ©culatif autour de l’IA et des data centers : en France, le bilan prĂ©visionnel de RTE prĂ©voit un triplement de la consommation d’électricitĂ© des data centers d’ici Ă  2035, elle pourrait atteindre 4% de la consommation nationale. Plus de 4,5 GW de demandes de raccordement de data centers ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© signĂ©es et le mĂȘme volume est en cours d’instruction. Plusieurs data centers d’une puissance maximale de 1 GW, soit l’équivalent d’un rĂ©acteur nuclĂ©aire, ont Ă©tĂ© annoncĂ©s en fĂ©vrier 2025 lors du sommet sur l’IA.
  • Les data centers nĂ©cessitent la crĂ©ation (et donc le financement public) de nouvelles sources de production Ă©nergĂ©tique, comme en attestent les rĂ©ouvertures de centrales nuclĂ©aires ou fossiles dĂ©diĂ©es un peu partout dans le monde et de nouveaux rĂ©seaux saturĂ©s par leurs consommations.
  • En ce qui concerne l’eau utilisĂ©e en masse pour refroidir les serveurs, Google a par exemple rĂ©vĂ©lĂ© avoir prĂ©levĂ© dans le monde 28 milliards de litres d’eau en 2023, dont les deux tiers d’eau potable, pour refroidir ses data centers. La mĂȘme annĂ©e, Microsoft rapporte une augmentation de 34% de sa consommation d’eau annuelle pour ce mĂȘme usage. À Marseille, Digital Realty s’accapare de l‘eau « qualitĂ© potable Â» pour refroidir ses installations, avec le soutien financier de l’ADEME.

→ Des instances de maĂźtrise dĂ©mocratique de l’impact Ă©cologique et foncier de l’industrie de la tech doivent d’urgence ĂȘtre Ă©tablies pour lutter contre ces prĂ©dations croisĂ©es sur l’eau et l’électricitĂ©, et assurer une trajectoire de sobriĂ©tĂ©.

2. Accompagnant la prolifĂ©ration de l’IA, les data centers sont l’objet d’un dĂ©ploiement territorial incontrĂŽlable

  • Depuis une dizaine d’annĂ©es, les centres de donnĂ©es (aujourd’hui au nombre de 300 environ Ă  l’échelle française) se multiplient en France. La proportion des grands data centers (+ de 2 000m2) se concentre notamment en Ile-de-France (95 sites) et Ă  Marseille (12 sites) (source).
  • Les industriels profitent de manquements et d’imprĂ©cisions juridiques sur leurs statuts, et les data centers peuvent ainsi ĂȘtre qualifiĂ©s d’entrepĂŽts ou de local industriel. Le Code GĂ©nĂ©ral des impĂŽts n’en propose aucune dĂ©finition lĂ©gale, leur fiscalitĂ© reste floue, et les industriels du data center comme Orange jouent avec l’optimisation fiscale. De ce fait, de nombreuses techniques de contournements du peu de lĂ©gislations existantes sont ainsi documentĂ©es, notamment autour des techniques dites de phasage ou de saucissonnage, c’est-Ă -dire la construction de plusieurs data centers interconnectĂ©s sur un mĂȘme site ou l’augmentation progressive de capacitĂ©. Ces tactiques permettent aux data centers de rester sous les seuils de contrĂŽle notamment ICPE, comme on l’observe Ă  Aubervilliers (Digital Realty), La Courneuve (Digital Realty) ou Ă  Wissous (Cyrus One et Amazon).
  • Les industriels des data centers profitent Ă©galement d’une absence de planification territoriale et urbaine : il n’existe pas de schĂ©ma directeur d’implantation, ou d’outil de rĂ©gulation sur l’expansion territoriale des data centers (source). Ils s’accaparent ainsi d’immenses espaces fonciers : l’entreprise Ă©tasunienne de data centers Digital Realty possĂšde 17 data centers en France, occupe plus de 111 000 m2 de terrains, sans compter les dizaines de nouvelles implantations en cours, pour seulement 230 employé·es en CDI.
  • Les data centers ne gĂ©nĂšrent presque aucun emploi. Le ratio est Ă©valuĂ© Ă  un Emploi Temps Plein (ETP) pour 10 000 m2 occupĂ©s en moyenne. La prolifĂ©ration des data centers sur le territoire se fait donc au dĂ©triment d’autres projets plus alignĂ©s avec les besoins des territoires et crĂ©ateurs d’emplois locaux.
  • Le modĂšle de dĂ©ploiement des data centers aggrave les inĂ©galitĂ©s territoriales, avec une concentration et prĂ©dation territoriale due Ă  l’effet « magnet Â» (« aimant Â») : les data centers fonctionnent en « hub Â» et ne sont jamais isolĂ©s.

→ Il est nĂ©cessaire de mettre ce dĂ©ploiement en pause, de construire une stratĂ©gie concertĂ©e sur des infrastructures du numĂ©riques qui rĂ©pondent aux besoins de la sociĂ©tĂ© et non aux intĂ©rĂȘts Ă©conomiques de la tech et des fonds d’investissements qui la soutiennent.

3. Les data centers se multiplient dans une opacité systémique, sans prise en compte des alternatives

  • Les data center sont des infrastructures complexes, en constante Ă©volution. Il en rĂ©sulte une grande mĂ©connaissance des pouvoirs publics et de la population, et donc une rĂ©elle difficultĂ© Ă  rĂ©pondre aux argumentaires volontairement techniques et au greenwashing avancĂ©s par les industriels pour dĂ©fendre le bien-fondĂ© de leurs projets.
  • Nous sommes confrontĂ©s Ă  une absence totale de transparence, de donnĂ©es et de mesures partagĂ©es par les industriels sur leurs consommations (en eau ou Ă©lectricitĂ© notamment), sur les impacts et coĂ»ts rĂ©els des data centers. Souvent, le dĂ©bat est tronquĂ© par des mensonges par omissions et autres manipulations. Ainsi, selon le Guardian, les Ă©missions de gaz Ă  effet de serre des centres de donnĂ©es de Google, Microsoft, Meta et Apple sont environ 662% plus Ă©levĂ©es que les dĂ©clarations officielles.
  • La Directive europĂ©enne sur l’EfficacitĂ© ÉnergĂ©tique (DEE) de 2022 rend obligatoire pour tous les data centers de plus de 500 kWh la publication d’un ensemble de donnĂ©es sur leurs consommations. Or, actuellement, en mars 2025, ces donnĂ©es ne sont toujours pas disponibles.
  • Les alternatives au modĂšle dominant dans la construction des data centers sont aujourd’hui trĂšs mal connues et documentĂ©es, laissant supposer que des data centers de plus en plus gros sont absolument nĂ©cessaires au bon fonctionnement d’Internet et des services numĂ©riques. Or, de nombreux collectifs, associations, organisations, proposent des alternatives locales, low tech et dĂ©centralisĂ©es, qui ne reposent pas sur des besoins de stockages de donnĂ©es Ă  grande Ă©chelle.

→ Face Ă  l’opacitĂ© systĂ©mique, il nous faut produire une connaissance prĂ©cise qui prenne en compte les enjeux sociaux, Ă©cologiques et gĂ©opolitiques des infrastructures du numĂ©riques aussi bien que les alternatives aux technologies dominantes.

4. Les data centers sont des infrastructures sensibles à la dangerosité mal évaluée

  • Les data center sont des bĂątiments dangereux et prĂ©sentant de nombreux risques pour les habitant·es et les territoires. Cuves de fioul ou de gaz perfluorĂ©s susceptibles de fuiter, stockage important de batteries au lithium qui peuvent gĂ©nĂ©rer d’immenses incendies (comme celui de Strasbourg), grande vulnĂ©rabilitĂ© Ă  la chaleur. Bien loin de l’image du simple entrepĂŽt inerte, un data center est bien une usine de production industrielle dĂ©diĂ©e au stockage de donnĂ©es et aux calculs informatiques.
  • Ils gĂ©nĂšrent de nombreuses pollutions (accidentelles ou fonctionnelles), notamment atmosphĂ©riques, ainsi que des nombreuses nuisances ainsi qu’une quantitĂ© importante de ainsi que des nombreuses nuisances ainsi qu’une quantitĂ© importante de dĂ©chets non recyclables et une production de chaleur trĂšs importante qui augmente les risques de canicule ou de rĂ©chauffement non mesurĂ©s des milieux adjacents
  • Selon l’ADEME, le numĂ©rique est Ă  l’origine de 4,4 % de l’empreinte carbone en France en 2024, en nette augmentation (2,5% en 2020). Entre 2016 et 2024, l’empreinte carbone des data centers dans l’impact global du numĂ©rique est passĂ©e de 16% Ă  46%.

→ Les data centers sont des infrastructures dangereuses, et il est nĂ©cessaire de protĂ©ger les habitant.e.s et les Ă©cosystĂšmes des pollutions et des nuisances qu’ils engendrent.

5. Les data centers s’accompagnent d’impacts sociĂ©taux nombreux et insoutenables

  • Les data centers encouragent l’extractivisme minier, les nombreux conflits qui y sont liĂ©s et les crimes contre l’humanitĂ© documentĂ©s dans de nombreux contextes miniers, comme en RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo.
  • Ils prĂ©sentent en outre des risques structurels pour l’économie française, tel le dĂ©ploiement massif des IA et des processus d’automatisation dans tous les pans de la sociĂ©tĂ©.
  • Le gouvernement prĂ©tend assurer la souverainetĂ© nationale mais accroĂźt en fait notre dĂ©pendance technologique aux GAFAM, comme l’illustre le rĂŽle majeur d’entreprises Ă©tasuniennes telles Amazon, Microsoft ou Digital Realty ainsi que des fonds d’investissements extra-europĂ©ens dans le boom actuel de ces infrastructures. Compte tenu de la structure actuelle de l’économie numĂ©rique, la « territorialitĂ© de la donnĂ©e Â» est une illusion.
  • Parce que la France se targue d’une Ă©nergie nuclĂ©aire qui permet de faire baisser les « bilans carbone Â» des multinationales de la tech, et parce qu’elle est idĂ©alement placĂ©e sur la carte internationale des cĂąbles sous-marins, elle est vue comme un territoire de choix, faisant de nos territoires une ressource vendue plus offrants dans un marchĂ© en surchauffe.

→ Il faut reprendre la main sur les infrastructures du numĂ©riques et le monde qu’elles gĂ©nĂšrent. Il ne s’agit jamais d’enjeux simplement techniques : derriĂšre les data centers, de nombreux enjeux politiques doivent ĂȘtre soulevĂ©s et dĂ©battus.


  1. Voir la proposition d’amendement de suppression de l’article 15, et celle portant sur un moratoire sur la construction de gros data centers. ↩

Loi « simplification Â» : un dĂ©ni de dĂ©mocratie pour mieux imposer les data centers

L’AssemblĂ©e nationale a dĂ©butĂ© l’examen du projet de loi relatif Ă  la simplification de la vie Ă©conomique. À son article 15, ce projet de loi « simplification Â» (ou PLS) prĂ©voit d’accĂ©lĂ©rer la construction d’immenses data centers sur le territoire français, en permettant Ă  l’État de les imposer aux territoires concernĂ©s et en multipliant les dĂ©rogations au droit de l’urbanisme, de l’environnement ou au principe de participation du public. Contre cette fuite en avant, La Quadrature du Net et le collectif Â« Le Nuage Ă©tait sous nos pieds Â», en lien avec les autres membres de la coalition Hiatus, demandent la suppression de l’article 15 et un moratoire de deux ans sur la construction de gros data centers, le temps de poser les conditions d’une maĂźtrise dĂ©mocratique de ces infrastructures du numĂ©rique.

DĂ©but fĂ©vrier, lors du sommet de Paris sur l’IA, Emmanuel Macron endossait de nouveau son costume de grand chef de la Startup Nation. À la clĂ©, des annonces de financements tous azimuts : alors que le Parlement venait d’adopter le budget le plus austĂ©ritaire du XXIe siĂšcle, les milliards pleuvaient, en particulier pour financer un boom des « centres de donnĂ©es Â» en France. Les data centers sont des usines de production industrielle, d’immenses entrepĂŽts oĂč sont entassĂ©s des milliers de serveurs appartenant en grande majoritĂ© aux multinationales de la tech, notamment Ă©tasuniennes. À l’ùre de l’IA, on assiste Ă  un vĂ©ritable boom dans la construction de ces infrastructures de calcul et de stockage de donnĂ©es, amplifiant du mĂȘme coup les mĂ©faits de l’informatique, non seulement du point de vue Ă©cologique, mais aussi en terme de surveillance, d’exploitation du travail, de casse des services publics, comme le dĂ©nonce la coalition Hiatus dans son manifeste fondateur.

Parce que la France dispose d’une Ă©nergie nuclĂ©aire qui permet de faire baisser les « bilans carbone Â» des multinationales de la tech, et parce qu’elle est idĂ©alement placĂ©e sur la carte internationale des cĂąbles sous-marins, Macron le VRP la prĂ©sente comme une terre promise aux investisseurs. Pour les attirer, le prĂ©sident français leur a d’ailleurs fait une promesse : simplifier et dĂ©rĂ©guler pour Ă©viter les contestations et assurer une construction la plus rapide possible de ces infrastructures trĂšs consommatrices en ressourcesLa loi relative Ă  la simplification de la vie Ă©conomique, dĂ©jĂ  votĂ©e au SĂ©nat et actuellement examinĂ©e par l’AssemblĂ©e nationale, vise Ă  traduire cette promesse en actes.

Ce que dit le projet de loi de simplification (PLS)

À son article 15, le projet de loi « simplification Â» – en fait une loi de dĂ©rĂ©gulation – autorise le gouvernement Ă  octroyer aux projets de construction de trĂšs gros data centers un label issu de la loi de 2023 sur l’industrie verte : le label « projet d’intĂ©rĂȘt national majeur Â» (PINM). D’aprĂšs le gouvernement, ce label a vocation Ă  ĂȘtre rĂ©servĂ© aux data centers d’une surface d’au moins 40 hectares, soit plus de 50 terrains de foot !

Avec ce statut de « projet d’intĂ©rĂȘt national majeur Â», les industriels de la tech verraient le gouvernement travailler avec eux Ă  imposer les data centers aux communes : l’État prendrait alors la main sur les compĂ©tences des collectivitĂ©s locales relatives Ă  l’urbanisme et Ă  l’amĂ©nagement du territoire, en menant lui-mĂȘme la rĂ©Ă©criture des plans locaux d’urbanisme afin de les adapter Ă  ces projets de data centers1. Les procĂ©dures de consultation du public seront encore allĂ©gĂ©es. Et l’État pourra par la mĂȘme occasion dĂ©cider que ces infrastructures peuvent dĂ©roger aux rĂ©glementations environnementales, notamment celles relatives aux espĂšces protĂ©gĂ©es ou Ă  la non-artificialisation des sols2. Enfin, Ă  son article 15 bis, le projet de loi simplification grave dans le marbre de la loi la rĂ©duction de 50% dont bĂ©nĂ©ficient les centres de donnĂ©es au-delĂ  de 1 gigawatt consommĂ©s dans l’annĂ©e – un dispositif aujourd’hui prĂ©vu par un arrĂȘtĂ© conjoint du ministre chargĂ© de l’énergie et du ministre chargĂ© de l’industrie.

Ainsi, en encourageant l’explosion de data centers toujours plus gigantesques et voraces en ressources, la loi « simplification Â» accĂ©lĂšre l’impact Ă©cocidaire de l’industrie informatique, le tout pour permettre Ă  la France et Ă  l’Europe de rester dans une illusoire « course Ă  l’IA Â».

Pourquoi cette dérégulation des data centers est inacceptable

Cette tentative d’« accĂ©lĂ©rer Â» est d’autant plus malvenue que la multiplication des data centers sur le territoire français fait d’ores et dĂ©jĂ  l’objet de contestations citoyennes Ă  travers le pays en raison des conflits d’usage qu’ils gĂ©nĂšrent.

Comme le documente le collectif Le Nuage Ă©tait sous nos pieds, auquel participe La Quadrature, leur implantation dans la zone du port de Marseille a par exemple conduit Ă  l’accaparement du foncier en front de mer. Elle a conduit Ă  remettre Ă  plus tard l’électrification des quais oĂč accostent les bateaux de croisiĂšres, comme en attestent les documents de RTE. Ces derniers continuent ainsi de recracher leurs fumĂ©es toxiques dans les quartiers Nord, occasionnant diverses maladies chez les habitant·es. Enfin, pour refroidir les serveurs qui tournent Ă  plein rĂ©gime, les data centers nĂ©cessitent Ă©galement d’immenses quantitĂ© d’eau, accaparant une ressource essentielle aux Ă©cosystĂšmes et au maintien de l’agriculture. À cela s’ajoute le rejet rĂ©gulier de gaz fluorĂ©s Ă  fort effet de serre, et une pollution sonore quasiment constante.

Compte tenu de ces problĂšmes, le flou juridique et dĂ©mocratique actuel autour des data centers est particuliĂšrement choquant. Élu·es locaux et collectifs citoyens s’accordent sur la nĂ©cessitĂ© de repenser le cadre rĂ©glementaire autour des data centers. Quant Ă  la Commission nationale du dĂ©bat public (CNDP), elle demande Ă  ĂȘtre saisie lors de la construction de ces infrastructures mais se heurte Ă  la volontĂ© de l’État d’exclure l’instance d’un nombre croissant de projets industriels, Ă  travers un rĂ©cent projet de dĂ©cret.

À l’heure actuelle, la situation est donc Ă©minemment problĂ©matique. Mais avec la loi « simplification Â», le gouvernement propose de dĂ©rĂ©guler encore davantage, en aggravant le dĂ©ni de dĂ©mocratie. Il s’agit de dĂ©rouler le tapis rouge aux industriels et autre spĂ©culateurs de la tech, pour leur permettre de faire de la France une sorte de « colonie numĂ©rique Â» estampillĂ©e « bas carbone Â».

Pour un moratoire sur la construction des nouveaux data centers

Nous refusons que nos villes, nos villages, nos quartiers soient ainsi accaparĂ©s par les gĂ©ants de la tech. Nous refusons de voir nos territoires et nos ressources naturelles vendues aux plus offrants, en sapant les quelques mĂ©canismes de rĂ©gulation et de maĂźtrise collective qui existent aujourd’hui. Nous ne voulons pas « accĂ©lĂ©rer Â» la fuite en avant Ă©cocidaire de la tech comme y invite Emmanuel Macron, nous voulons y mettre un terme !

C’est pourquoi nous appelons les dĂ©puté·es Ă  rejeter l’article 15 du projet de loi « simplification Â» et Ă  soutenir un moratoire de deux ans sur la construction des gros data centers en France, le temps qu’un dĂ©bat public puisse se tenir sur la maniĂšre de les encadrer. Le moratoire de deux ans porterait sur les data centers de plus de 2 000 m2 ou de 2 mĂ©gawatts de puissance installĂ©e. Selon la typologie mise en place par CĂ©cile Diguet et Fanny Lopez, dans leur rapport de recherche pour l’ADEME, un moratoire sur les installations de plus de 2 000m2 prĂ©serve la possibilitĂ© de data centers de taille moyenne, et n’entrave pas d’éventuels projets que l’État ou les collectivitĂ©s voudraient conduire pour des usages publics.

Le dĂ©bat public auquel nous appelons pourrait prendre la forme d’une convention citoyenne. Il devra porter Ă  la fois sur la maĂźtrise dĂ©mocratique des infrastructures numĂ©riques que sont les data centers et sur les systĂšmes d’intelligence artificielle aujourd’hui dĂ©ployĂ©s dans tous les pans de la sociĂ©tĂ©. Il devra poser la question des usages des services numĂ©riques en tĂąchant de dĂ©faire les dĂ©pendances aux modĂšles toxiques des grandes multinationales du secteur. Contre la dĂ©rĂ©gulation industrielle consentie Ă  la tech, contre la concentration des pouvoirs et l’amplification de l’injustice sociale que renforce l’intelligence artificielle, il est urgent de remettre le numĂ©rique Ă  sa place et de penser un modĂšle de dĂ©veloppement de ses infrastructures compatible avec les limites Ă©cologiques et les droits humains et sociaux.

Prochaines Ă©tapes

Les membres de la commission spĂ©ciale chargĂ©e de l’examen du texte ont dĂ©jĂ  dĂ©posĂ© des amendements jeudi 20 mars. Plusieurs d’entre eux visent Ă  supprimer l’article 15. Un amendement visant Ă  demander un moratoire a Ă©galement Ă©tĂ© dĂ©posĂ© par les dĂ©puté·es Ă©cologistes Hendrik Davi et Lisa Belluco. Ces amendements seront examinĂ©s par la commission spĂ©ciale du lundi 24 au jeudi 27 mars. L’examen en sĂ©ance publique se tiendra ensuite du 8 au 11 avril 2024.

Nous diffuserons bientĂŽt une page de campagne visant Ă  faciliter la participation de toutes et de tous ! En attendant, faites tourner l’info et prĂ©parez-vous pour la bataille contre cette Ă©niĂšme loi de merde ! <3


  1. L’article 15 du PLS vise Ă  qualifier de projets d’intĂ©rĂȘt national majeur pour la transition numĂ©rique, la transition Ă©cologique ou la souverainetĂ© nationale les centres de donnĂ©es de dimension industrielle, dans la continuitĂ© du dispositif applicable aux projets industriels d’envergure tel qu’introduit par l’article 19 de la loi du 23 octobre 2023 relative Ă  l’industrie verte. Ce statut, dĂ©fini Ă  l’article L. 300-6-2 du code de l’urbanisme et accordĂ© par dĂ©cret, permet, aprĂšs accord du maire ou du prĂ©sident d’un regroupement de collectivitĂ©s locales accueillant le projet industriel, la mise en compatibilitĂ© par l’État des documents de planification et d’urbanisme. Le statut PINM donne compĂ©tence Ă  l’Etat – et non pas aux maires – pour dĂ©livrer les autorisations d’urbanisme pour les projets d’intĂ©rĂȘt national majeur. L’article 15 prĂ©cise en outre que les articles 27 et 28 de la loi du 10 mars 2023 relative Ă  l’accĂ©lĂ©ration des Ă©nergies renouvelables, qui permettent de faciliter les raccordements aux rĂ©seaux de transport d’électricitĂ©, s’appliquent aux centres de donnĂ©es qualifiĂ©s de PINM. Il en dĂ©coule une priorisation du raccordement du projet au rĂ©seau d’électricitĂ© (par extension de dispositions issues de la loi APER) et la simplification des consultations du public sur les projets de raccordement. ↩
  2. La loi industrie verte permettait dĂ©jĂ  qu’un projet PINM puisse ĂȘtre reconnu « raison impĂ©rative d’intĂ©rĂȘt public majeur Â» (RIIPM), qui permet aux porteurs de projets industriels de bĂ©nĂ©ficier d’une dĂ©rogation Ă  l’obligation de protection stricte des espĂšces protĂ©gĂ©es. La RIIPM est prĂ©sumĂ©e acquise (via une prĂ©somption simple, la loi ne pouvant reconnaĂźtre d’office ce critĂšre) dĂšs lors que s’applique le statut PINM, et non plus au moment ultĂ©rieur de l’examen de la dĂ©rogation espĂšces protĂ©gĂ©es. L’article 15 de la PLS prĂ©voit par ailleurs qu’un dĂ©cret en Conseil d’État prĂ©cise les conditions dans lesquelles la raison impĂ©rative d’intĂ©rĂȘt public majeur (RIIPM) peut ĂȘtre reconnue pour les centres de donnĂ©es par l’autoritĂ© administrative compĂ©tente. Quant Ă  l’artificialisation des sols, l’alinĂ©a 36 de l’article 15 amende la disposition « ZAN Â» de la loi Climat & rĂ©silience pour prĂ©voir qu’un espace naturel occupĂ© par un projet d’intĂ©rĂȘt national majeur n’est pas comptabilisĂ© dans les quotas ZAN locaux. ↩

Le gouvernement prĂȘt Ă  tout pour casser le droit au chiffrement

Les discussions viennent de recommencer Ă  l’AssemblĂ©e nationale concernant la loi « Narcotrafic Â». Les mesures les plus dangereuses pourraient ĂȘtre rĂ©introduites par voie d’amendement : obligation pour les services de communication chiffrĂ©e de donner accĂšs au contenu des Ă©changes (article 8 ter), logiciels-espions pour accĂ©der Ă  distance aux fonctionnalitĂ©s d’un appareil numĂ©rique (articles 15 ter et 15 quater) et « dossier coffre Â» (article 16). Elles sont toutes soutenues par le gouvernement et en particulier Bruno Retailleau. Concernant le chiffrement, celui-ci n’hĂ©site pas Ă  aligner les mensonges pour justifier la disposition. Petite (re)mise au point.

Le fantĂŽme derriĂšre la porte

Tel qu’introduit au SĂ©nat, l’article 8 ter visait Ă  crĂ©er une obligation pour les fournisseurs de services de messagerie chiffrĂ©e de donner Ă  la police et au renseignement un accĂšs au contenu des communications. Il s’agit d’une attaque frontale contre la technologie de chiffrement de bout-en-bout, aujourd’hui intĂ©grĂ©e dans de nombreux services de communications tels que Signal, Whatsapp, Matrix ou encore la messagerie Ă©tatique Tchap, et qui permet d’empĂȘcher quiconque autre que le destinataire d’accĂ©der aux Ă©changes. Avec d’autres organisations telles que la Global Encryption Coalition, nous avons fortement dĂ©noncĂ© l’absurditĂ© et le danger d’une telle mesure qui mettrait fin Ă  la confidentialitĂ© des correspondances en ligne. Cette disposition a Ă©tĂ© supprimĂ©e en commission dans une quasi-unanimitĂ© assez rare. Seuls le centre et la droite se sont abstenus.

Trois dĂ©putĂ©s demandent pourtant son rĂ©tablissement  : Paul Midy (EPR), Mathieu Lefevre (EPR) et Olivier Marleix (LR). Ces amendements sont soutenus par le gouvernement. Cela n’est guĂšre Ă©tonnant puisqu’on a vu le ministre de l’intĂ©rieur dĂ©fendre tant bien que mal cette mesure lors de son audition Ă  l’AssemblĂ©e. Il a insistĂ© de nouveau ce week-end dans une interview au journal Le Parisien, tout comme CĂ©line Berthon, la directrice de la DGSI, dans l’hebdomadaire d’extrĂȘme droite Le JDD. Que ce soit en audition ou dans les journaux, ceux-ci expliquent que l’article 8 ter n’affaiblirait pas le chiffrement ni ne crĂ©erait de « porte dĂ©robĂ©e Â» ou de « backdoor Â» (les termes sont d’ailleurs savamment Ă©vitĂ©s dans ces interviews) car il s’agirait uniquement d’introduire un participant fantĂŽme dans la conversation.

Par cela, ils tentent surtout de semer la confusion chez les dĂ©puté·es censé·es voter la loi. En effet, contourner le chiffrement de bout-en-bout en autorisant une personne tierce Ă  connaĂźtre le contenu des messages constitue, par dĂ©finition, une « porte dĂ©robĂ©e Â». Dans un article datant d’il y a quelques annĂ©es dĂ©jĂ , l’Internet Society expliquait trĂšs bien le fonctionnement et l’impasse de ce type de mĂ©canisme vis-Ă -vis des promesses de confidentialitĂ© des messageries chiffrĂ©es.

Il faut comprendre que le chiffrement repose sur un Ă©change de clĂ©s qui garantit que seuls les destinataires de messages possĂ©dant les clĂ©s pourront dĂ©chiffrer les Ă©changes. À l’inverse, le mĂ©canisme du « fantĂŽme Â» distribue en secret des clĂ©s Ă  d’autres personnes non-autorisĂ©es, pour qu’elles aient accĂšs au contenu des conversations. Ce dispositif oblige donc Ă  modifier le code derriĂšre les messageries ou les services d’hĂ©bergement chiffrĂ©s et la consĂ©quence est la mĂȘme que de modifier directement l’algorithme de chiffrement. N’en dĂ©plaise au gouvernement qui cherche Ă  embrouiller les esprits en jouant avec les mots, ceci est bien une mĂ©thode, parmi d’autres, de crĂ©ation d’une porte dĂ©robĂ©e. La « proposition du fantĂŽme Â», revient purement et simplement Ă  remettre en cause le principe mĂȘme du chiffrement de bout-en-bout qui repose sur la garantie que seuls les destinataires d’un message sont en mesure de lire son contenu.

L’Internet Society est d’ailleurs trĂšs claire : « Bien que la proposition du fantĂŽme ne modifierait pas les algorithmes utilisĂ©s par les applications de messagerie Ă  chiffrement de bout en bout pour chiffrer et dĂ©chiffrer les messages, elle introduirait une vulnĂ©rabilitĂ© de sĂ©curitĂ© systĂ©mique dans ces services, qui aurait des consĂ©quences nĂ©gatives pour tous les utilisateurs, y compris les utilisateurs commerciaux et gouvernementaux. Cette proposition nuit Ă  la gestion des clĂ©s et Ă  la fiabilitĂ© du systĂšme ; par consĂ©quent, les communications supposĂ©es ĂȘtre confidentielles entre l’émetteur et le destinataire peuvent ne plus l’ĂȘtre, et sont moins sĂ©curisĂ©es. Â»

Un piÚge démocratique

Casser un protocole de chiffrement et le contourner posent, dans les deux cas, exactement les mĂȘmes problĂšmes :

  • le service est contraint de modifier son code et son algorithme ;
  • cela crĂ©e une vulnĂ©rabilitĂ© qui peut ĂȘtre utilisĂ© par d’autres acteurs ;
  • cela peut ĂȘtre Ă©tendu Ă  d’autres finalitĂ©s ;
  • cela affaiblit la sĂ©curitĂ© gĂ©nĂ©rale des infrastructures de rĂ©seau ;
  • toutes les personnes utilisatrices sont touchĂ©es par cet affaiblissement.

Non seulement le gouvernement tente de minimiser ces consĂ©quences trĂšs graves, mais il ne s’arrĂȘte pas lĂ . Il prĂ©tend dĂ©sormais qu’une solution respectueuse de la vie privĂ©e pourrait exister pour mettre en Ɠuvre cette obligation auprĂšs des fournisseurs de messageries. Ainsi, dans les amendements soutenus par le gouvernement, il serait ajoutĂ© Ă  l’article 8 ter un paragraphe prĂ©cisant que « ces dispositifs techniques prĂ©servent le secret des correspondances et assurent la protection des donnĂ©es Ă  caractĂšre personnel au titre du respect de la vie privĂ©e Â», qu’ils doivent « exclure toute possibilitĂ© d’accĂšs par une personne autre que les agents autorisĂ©s Ă  mettre en Ɠuvre les techniques de recueil de renseignement Â» et enfin qu’ils ne « peuvent porter atteinte Ă  la prestation de cryptologie visant Ă  assurer une fonction de confidentialitĂ©. Â»

De nouveau, affirmer avec assurance qu’un tel compromis serait possible est faux. Au regard du principe du chiffrement de bout-en-bout, il ne peut exister de possibilitĂ© d’accĂšs au contenu des messages. Cette promesse constitue une escroquerie dĂ©mocratique en ce qu’elle tend Ă  faire adopter une mesure en pariant sur l’avenir, alors qu’une telle mise en Ɠuvre est impossible techniquement. Cette manƓuvre avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© utilisĂ©e par le Royaume-Uni pour faire adopter le « UK Safety Bill Â», ou par la Commission europĂ©enne lors des discussions sur le rĂšglement « Chat Control Â». Dans les deux cas, il s’agissait de convaincre de voter une mesure attentatoire Ă  la vie privĂ©e en affirmant qu’on trouverait bien demain comment faire. Faire croire cela est non seulement un mensonge, mais c’est aussi dangereux d’un point de vue dĂ©mocratique : le gouvernement est en train d’essayer de tromper la reprĂ©sentation nationale en lui expliquant mal une technologie, en plus de l’avoir introduite sans prĂ©venir au milieu des dĂ©bats au SĂ©nat.

Continuer le rapport de force

Cette bataille n’a rien de nouveau. Il existe depuis toujours une tension politique autour du chiffrement des communications Ă©lectroniques, et cela est bien logique puisque le chiffrement est politique par nature. Les outils de chiffrement ont Ă©tĂ© pensĂ© pour se protĂ©ger des surveillances illĂ©gitimes et sont nĂ©cessaires pour garantir le secret des correspondances. Elles ont Ă©tĂ© dĂ©ployĂ©es sur Internet pour protĂ©ger les communications de la surveillance d’acteurs dangereux et notamment des États qui voudraient surveiller leur population. C’est pourquoi ces mĂȘmes États ont toujours opposĂ© une rĂ©sistance au dĂ©veloppement et Ă  la gĂ©nĂ©ralisation du chiffrement. À l’occasion du procĂšs dit du « 8-DĂ©cembre Â», qui a remis ce sujet au cƓur de l’actualitĂ©, nous revenions sur l’histoire des « crypto-wars Â» dans les annĂ©es 1990 et des Ă©vĂšnements ayant freinĂ© la dĂ©mocratisation du chiffrement.

En 2025, le gouvernement ne fait donc qu’essayer de nouvelles manƓuvres pour mener Ă  bien un projet politique ancien, visant Ă  limiter le plus possible la confidentialitĂ© de nos vies numĂ©riques. Et il ne s’arrĂȘte pas lĂ  puisque deux autres mesures trĂšs problĂ©matiques font leur retour par des amendements, largement soutenus du Modem jusqu’au RN. Il s’agit de l’autorisation du piratage de nos appareils pour activer Ă  distance le micro et la camĂ©ra, et du retour du « dossier coffre Â», qui permet Ă  la police de s’affranchir des rĂšgles de procĂ©dure pĂ©nale en matiĂšre de surveillance intrusive et qui a suscitĂ© une forte fronde de la part des avocats.

Ces dispositions sont tout aussi dangereuses que l’attaque contre le chiffrement et il faut convaincre les dĂ©puté·es de rejeter les amendements visant Ă  les rĂ©introduire. Les dĂ©bats reprendront l’aprĂšs-midi du 18 mars. Si vous le pouvez, c’est maintenant qu’il faut contacter les parlementaires pour expliquer le danger de ces mesures et rĂ©futer les mensonges du gouvernement.

Retrouvez nos arguments et les coordonnĂ©es des parlementaires sur notre page de campagne : www.laquadrature.net/narcotraficotage.

Un grand merci Ă  vous pour votre aide dans cette lutte !

Prolongement de la VSA : la petite danse autoritaire du gouvernement

Pendant que le gouvernement fait adopter au pas de course les mesures de surveillance de la loi « Narcotrafic Â», un autre coup de force est en train de se jouer Ă  l’AssemblĂ©e nationale. La vidĂ©osurveillance algorithmique (VSA), cette technologie de surveillance de masse que nous dĂ©nonçons depuis des annĂ©es et qui a Ă©tĂ© rĂ©cemment dĂ©clarĂ©e illĂ©gale par le tribunal administratif de Grenoble, va ĂȘtre Ă©tendue au dĂ©tour d’un tour de passe-passe lĂ©gislatif.

Les droits humains mis de coté

Nous vous en parlions il y a quelques semaines : le cadre « expĂ©rimental Â» d’utilisation de la VSA prĂ©vu par la loi sur les Jeux Olympiques devait prendre fin au 31 mars 2025. Alors que le rapport d’évaluation constatait l’immaturitĂ© et l’absence d’utilitĂ© opĂ©rationnelle de cette technologie, le ministre des transports Philippe Tabarot dĂ©posait un amendement opportuniste au dernier moment sur une loi qui n’avait rien Ă  voir, relative aux transports, pour repousser ce dĂ©lai jusqu’à la fin de l’annĂ©e 2027. Ce texte comporte par ailleurs de nombreuses autres mesures de surveillance, comme l’expĂ©rimentation de micros dans les bus et les cars, la pĂ©rennisation des camĂ©ras piĂ©tons pour les agents de contrĂŽle ainsi que le renforcement des pouvoirs coercitifs de ces agents (palpations, taser
). Malheureusement, le rythme soutenu de l’activitĂ© lĂ©gislative ne nous a pas permis de lutter efficacement au Parlement contre cette extension de la rĂ©pression dans l’espace public et notre quotidien.

L’AssemblĂ©e nationale s’apprĂȘte Ă  voter solennellement cette loi relative Ă  la sĂ»retĂ© dans les transports demain, mardi 18 mars. Si la commission mixte paritaire a rĂ©duit de quelques mois le prolongement de l’expĂ©rimentation de VSA – ramenant son achĂšvement au mois de mars 2027 – cela ne change rien Ă  la situation.

Car ce qui est rĂ©vĂ©lĂ© par cette sĂ©quence dĂ©passe les enjeux de surveillance. Sur le fond, nous ne sommes pas surpris·es de cette volontĂ© d’étendre la surveillance algorithmique de l’espace public, tant cela a Ă©tĂ© affichĂ© par les promoteurs de la Technopolice annĂ©e aprĂšs annĂ©e, rapport aprĂšs rapport. En revanche, la maniĂšre dont l’opĂ©ration est menĂ©e est aussi brutale qu’inquiĂ©tante. Elle rĂ©vĂšle l’indiffĂ©rence et le mĂ©pris croissant de la classe politique dominante vis-Ă -vis de l’État de droit. Les mĂ©canismes juridiques de protection des droits humains sont ainsi perçus comme des « lourdeurs administratives Â», empĂȘchant « l’efficacitĂ© Â» de l’action qu’il faudrait mener pour la « sĂ©curitĂ© Â».

Au nom de cette logique, nulle peine de s’expliquer ni de prendre en compte les dĂ©cisions des tribunaux, les promesses que le gouvernement a lui-mĂȘme faites Ă  la reprĂ©sentation parlementaire ou encore les exigences posĂ©es par le Conseil constitutionnel. La fin — lĂ©galiser la VSA, structurer le marchĂ© et l’imposer dans les usages policiers — justifie les moyens — violer les promesses d’évaluation, mentir en assurant la reprĂ©sentation nationale que ces technologies ont donnĂ© entiĂšre satisfaction, prĂ©tendre que la VSA n’a rien Ă  avoir avec la reconnaissance faciale alors que le ministĂšre est Ă©videmment dans l’attente de pouvoir lĂ©galement suivre des personnes et les identifier au travers de ces technologies.

Le symptĂŽme d’une dĂ©rive gĂ©nĂ©rale

Ce nouveau dĂ©ni de dĂ©mocratie n’est pas un cas isolĂ©. Nous voyons ce phĂ©nomĂšne s’étendre de plus en plus, et dans toutes nos luttes. Nous voyons ainsi l’État vouloir Ă©carter le droit Ă  se dĂ©fendre et le principe du contradictoire dans la loi Narcotrafic, tout en supprimant les limites aux pouvoirs du renseignement, le tout pour toujours surveiller davantage. Nous suivons Ă©galement ses intentions de modifier la rĂ©glementation environnementale afin de construire des data centers sans s’embĂȘter avec la protection des territoires et des ressources, perçue comme une entrave. Nous documentons aussi la destruction organisĂ©e de la solidaritĂ© et de la protection sociale, Ă  travers un systĂšme de surveillance et de flicage automatisĂ© des administré·es de la CAF, de la CNAM ou de France Travail, sans que jamais ces institutions n’aient Ă  expliquer ou Ă  rendre des comptes sur le contrĂŽle social qu’elles mettent en place. Nous assistons, enfin, Ă  l’élargissement toujours plus important des pouvoirs des prĂ©fets, qui s’en servent pour limiter abusivement les libertĂ©s d’association, empĂȘcher des manifestations ou fermer des Ă©tablissements. S’ils se font parfois rattraper par les tribunaux, ils parient le plus souvent sur l’impossibilitĂ© d’agir des personnes rĂ©primĂ©es, faisant de nouveau primer le coercitif sur la lĂ©galitĂ©.

L’extension de la VSA qui sera votĂ©e demain doit donc s’analyser dans ce contexte plus gĂ©nĂ©ral de recul de l’État de droit. DĂšs lors que l’on se place dans le jeu lĂ©galiste et dĂ©mocratique, ces mĂ©thodes brutales du gouvernement sont rĂ©vĂ©latrices de la dynamique autoritaire en cours. Et le silence mĂ©diatique et politique entourant cet Ă©pisode, alors que la VSA a pourtant suscitĂ© beaucoup d’oppositions et de critiques depuis le dĂ©but de l’expĂ©rimentation, est particuliĂšrement inquiĂ©tant. Le Conseil constitutionnel sera probablement saisi par les groupes parlementaires de gauche et il reste la possibilitĂ© qu’il censure cette prolongation. Nous ne sommes pas rassuré·es pour autant.

Ce processus de mise Ă  l’écart des rĂšgles de droit ne fait que s’accĂ©lĂ©rer et nos alertes ne seront certainement pas suffisantes pour arrĂȘter le gouvernement. Le sursaut doit venir des parlementaires encore attaché·es au respect des droits et des libertĂ©s en dĂ©mocratie.

Pour nous aider dans nos combats, pensez si vous le pouvez Ă  nous faire un don.

Loi « Narcotraficotage Â» : la mobilisation paye alors ne lĂąchons rien

Il y a quelques semaines, nous avons alertĂ© sur les dangers de la loi dite « Narcotrafic Â» qui arrivait Ă  toute allure Ă  l’AssemblĂ©e nationale. Vous avez Ă©tĂ© nombreuses et nombreux Ă  rĂ©agir Ă  ces annonces, Ă  partager les informations et Ă  contacter les dĂ©puté·es. Un grand merci Ă  vous ! La mobilisation a en partie payĂ© : les membres de la commission des lois ont supprimĂ© plusieurs mesures problĂ©matiques. Mais nous ne pouvons malheureusement pas totalement nous rĂ©jouir : la loi reste trĂšs dĂ©sĂ©quilibrĂ©e et certains articles peuvent revenir lors de l’examen, en sĂ©ance, qui dĂ©butera le lundi 17 mars.
Voici un rĂ©capitulatif des articles les plus dangereux en matiĂšre de surveillance. Et si vous voulez aller plus loin, vous pouvez lire l’analyse juridique que nous avions envoyĂ©e aux dĂ©puté·es juste avant les travaux en commission des lois ou revoir l’émission d’Au Poste sur le sujet.

Banco pour le renseignement

Les grands gagnants de cette loi sont pour l’instant les services de renseignement qui ont rĂ©ussi Ă  obtenir gain de cause sur toutes leurs demandes. Car, oui, cette loi « Narcotrafic Â» est aussi une petite « loi renseignement Â» dĂ©guisĂ©e. En effet, la Coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) assumait de chercher des « briques lĂ©gislatives Â» pour faire passer ses revendications – Ă©tant donnĂ© que l’instabilitĂ© politique empĂȘche de garantir qu’un projet de loi portĂ© par le gouvernement soit adoptĂ©. Dans cette proposition de loi, trois mesures accroissent les pouvoirs des services.

L’article 1er facilite l’échange d’informations entre les services de renseignement. Normalement, les services doivent demander l’autorisation du Premier ministre, aprĂšs un avis de la Commission nationale de contrĂŽle des techniques de renseignement (CNCTR), s’ils veulent partager certains renseignements pour une autre raison que celle qui a en justifiĂ© la collecte. Une autorisation est par exemple aujourd’hui nĂ©cessaire pour la DGSE qui aurait surveillĂ© des personnes pour « prĂ©vention du terrorisme Â» et voudrait transfĂ©rer les informations ainsi obtenues Ă  la DGSI pour la finalitĂ©, diffĂ©rente, de « prĂ©vention des violences collectives de nature Ă  porter atteinte Ă  la paix publique Â». Ce filtre permet de vĂ©rifier que les services ne contournent pas les rĂšgles du code de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure et que l’échange est bien nĂ©cessaire, tout en les obligeant Ă  une certaine transparence sur leurs pratiques. Mais cette nĂ©cessitĂ© d’autorisation prĂ©alable a Ă©tĂ© supprimĂ©e pour toutes les situations – et pas uniquement en cas de criminalitĂ© organisĂ©e – au nom d’une « lourdeur Â» procĂ©durale, laissant ainsi le champ libre aux services pour s’échanger les informations qu’ils veulent, sans contrĂŽle.

L’article 6 permet Ă  la justice de transmettre aux services de renseignement des informations relatives Ă  des dossiers de dĂ©linquance et criminalitĂ© organisĂ©e. En principe, ces Ă©changes sont interdits au nom de la sĂ©paration des pouvoirs : les renseignements font de la « prĂ©vention Â» administrative et la justice est la seule autoritĂ© pouvant rechercher et rĂ©primer les auteurs d’infractions. Si elle a des Ă©lĂ©ments, elle doit les conserver en attendant de rassembler davantage de preuves et non les donner Ă  un service de renseignement, qui est une administration et qui n’a pas de pouvoir de rĂ©pression alors que son activitĂ© est par nature secrĂšte. Cette disposition affaiblit donc les garanties procĂ©durales qui entourent l’action judiciaire et renforcent les capacitĂ©s de surveillance du renseignement et donc du gouvernement.

Enfin, l’article 8 est un des plus dangereux de la proposition de loi puisqu’il Ă©tend la technique de renseignement dite des « boites noires Â». Cette mesure consiste Ă  analyser le rĂ©seau internet via des algorithmes pour trouver de prĂ©tendus comportements « suspects Â». Tout le rĂ©seau est scannĂ©, sans distinction : il s’agit donc de surveillance de masse. AutorisĂ©e pour la premiĂšre fois en 2015 pour la prĂ©vention du terrorisme, cette technique de renseignement a Ă©tĂ© Ă©tendue en 2024 Ă  la prĂ©vention des ingĂ©rences Ă©trangĂšres. Avec cet article 8, cette surveillance serait Ă  nouveau Ă©tendue et s’appliquerait alors Ă  la « prĂ©vention de la criminalitĂ© organisĂ©e Â». On ne sait pas grand-chose de ces boites noires, ni de leur utilisation, puisque les quelques rapports sur le sujet ont Ă©tĂ© classĂ©s secret dĂ©fense. En revanche, pendant les dĂ©bats en commission, le dĂ©putĂ© Sacha HouliĂ© (qui a Ă©tĂ© le promoteur de leur extension l’annĂ©e derniĂšre) a donnĂ© des indications de leurs fonctionnement. Il explique ainsi que les comportements recherchĂ©s seraient ceux faisant de « l’hygiĂšne numĂ©rique Â», soit, d’aprĂšs lui, des personnes qui par exemple utiliseraient plusieurs services Ă  la fois (WhatsApp, Signal, Snapchat). L’ensemble de ce passage est Ă©difiant. Le dĂ©putĂ© macroniste, ancien membre de la dĂ©lĂ©gation parlementaire au renseignement, semble peu maĂźtriser le sujet mais laisse comprendre en creux que l’algorithme pourrait ĂȘtre configurĂ© pour rechercher toute personne ayant des pratiques numĂ©riques de protection de sa vie privĂ©e. Les mĂ©tadonnĂ©es rĂ©vĂ©lant le recours Ă  un nƓud Tor ou l’utilisation d’un VPN pourrait semblent de fait ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme suspectes. Ce mouvement consistant Ă  considĂ©rer comme suspectes les les bonnes pratiques numĂ©riques n’est malheureusement pas nouveau et a notamment Ă©tĂ© trĂšs prĂ©sent lors de l’affaire du « 8-DĂ©cembre Â».

Ces trois dispositions sont passées sans encombre et demeurent donc dans la proposition de loi.

Le droit au chiffrement en sursis

L’article 8 ter du texte prĂ©voyait une obligation pour les fournisseurs de services de messagerie chiffrĂ©e de donner Ă  la police et au renseignement un accĂšs au contenu des communications. Cette mesure consiste en pratique Ă  installer une « porte dĂ©robĂ©e Â», ou « backdoor Â», pour compromettre le fonctionnement de ces services. Elle a fait l’unanimitĂ© contre elle. Qu’il s’agisse des associations fĂ©dĂ©rĂ©es au sein de la Global Encryption Coalition, des entreprises (rĂ©unies au sein de l’Afnum ou de Numeum) ou encore de certaines personnalitĂ©s politiques et institutionnelles dans une tribune du journal Le Monde, tout le monde rappelait le caractĂšre insensĂ© et dangereux de cette mesure, pourtant adoptĂ©e avec la loi Ă  l’unanimitĂ© du SĂ©nat.

À l’AssemblĂ©e nationale aussi, le front contre cette disposition Ă©tait large puisque des amendements de suppression sont venus de tous les bords politiques. Lors de son audition, le ministre Retailleau a tant bien que mal essayĂ© de dĂ©fendre cette mesure, en rĂ©pĂ©tant les bobards fournis par le renseignement, sans sembler pleinement les comprendre. Et le ministre d’expliquer par exemple que cette mesure ne « casserait Â» pas le chiffrement mais viserait uniquement Ă  transfĂ©rer le contenu des conversations Ă  un utilisateur fantĂŽme
 Or, contourner le chiffrement en autorisant une personne tierce Ă  connaĂźtre le contenu des messages constitue bien une « porte dĂ©robĂ©e Â», puisque celle-ci disposera de nouvelles clĂ©s de dĂ©chiffrement, que le service de messagerie aura Ă©tĂ© obligĂ© de fournir aux autoritĂ©s (voir notamment les explications de l’ISOC). De plus, contrairement Ă  ce qu’affirmait le ministre de l’intĂ©rieur, une telle modification impacterait nĂ©cessairement le service dans son intĂ©gralitĂ© et concernerait de fait tous·tes ses utilisateur·ices.

Cette mesure controversĂ©e a Ă©tĂ© supprimĂ©e
 pour l’instant. Nous restons en effet prudent·es car les attaques contre le chiffrement sont rĂ©currentes. Si les menaces se cantonnaient en gĂ©nĂ©ral Ă  des postures mĂ©diatiques de personnalitĂ©s politiques, le rapport de force est constant et les stratĂ©gies autoritaires pour faire adopter de tels dispositifs sont rĂ©guliĂšrement remises Ă  l’ordre du jour. Que ce soit pour prĂ©parer leurs acceptabilitĂ© sociale ou pour faire diversion sur d’autres mesures, il n’empĂȘche que ces attaques contre le chiffrement sont de plus en plus frĂ©quentes et rĂ©vĂšlent une volontĂ© assumĂ©e des services de renseignement de voir, un jour, cette technologie mise au pas. C’est aussi et surtout au niveau europĂ©en qu’il faut ĂȘtre vigilant·es pour l’avenir. De nombreux pays (comme la SuĂšde, le Danemark ou le Royaume-Uni) essayent Ă©galement de mettre la pression sur les services de messagerie ou d’hĂ©bergement chiffrĂ©s. De leur cĂŽtĂ©, les institutions de l’Union europĂ©enne poussent plusieurs projets visant Ă  affaiblir la confidentialitĂ© des communications, comme le rĂšglement « Chat Control Â» ou le projet du groupe de travail « Going Dark Â». C’est pour cela que montrer une forte rĂ©sistance est crucial. Plus nous rendons le rapport de force coĂ»teux pour les adversaires du chiffrement, plus nous montrons qu’il sera compliquĂ© de revenir la prochaine fois.

Des conquĂȘtes prudentes

D’autres mesures trĂšs dangereuses ont Ă©tĂ© supprimĂ©es par les membres de la commission des lois. Tel est ainsi le cas des articles 15 ter et 15 quater qui permettaient Ă  la police judiciaire de compromettre la sĂ©curitĂ© des objets connectĂ©s pour activer Ă  distance des micros et des camĂ©ras. Une disposition quasi-identique avait Ă©tĂ© invalidĂ©e par le Conseil constitutionnel en 2023, ce qui semble avoir refroidi une majoritĂ© de dĂ©puté·es.

De la mĂȘme maniĂšre, le « dossier coffre Â» prĂ©vu par l’article 16 a Ă©tĂ© supprimĂ©. Cette mesure crĂ©e une atteinte inĂ©dite aux droits de la dĂ©fense en empĂȘchant les personnes poursuivies d’avoir accĂšs aux procĂšs-verbaux dĂ©taillant les mesures de surveillance les concernant, donc de les contester. À travers ce mĂ©canisme de PV sĂ©parĂ©, la police pourrait donc utiliser en toute opacitĂ© des outils trĂšs intrusifs (comme les logiciel-espions par exemple) sans jamais avoir Ă  rendre de comptes auprĂšs des personnes poursuivies.

Mais ces deux mesures ont Ă©tĂ© supprimĂ©es Ă  seulement quelques voix prĂšs et sont dĂ©fendues bec et ongles par le gouvernement, ce qui nous fait dire qu’elles vont trĂšs probablement ĂȘtre remises sur la table lors de l’examen en sĂ©ance, ou ensuite en commission mixte paritaire.

De la mĂȘme maniĂšre, nous avons fortement critiquĂ© l’article 12 du texte qui prĂ©voit l’extension de la censure administrative d’internet par la police. En l’état, cette mesure permettait aux agents de Pharos d’exiger le retrait de contenus liĂ©s Ă  un champ trĂšs large d’infractions liĂ©es au trafic et Ă  l’usage de drogues, comme « la provocation Ă  l’usage de drogues Â». Cela pouvait donc inclure aussi bien des extraits de films que des articles publiĂ©s sur des sites de rĂ©duction des risques. Les membres de la commission des lois ont drastiquement rĂ©duit le pĂ©rimĂštre des infractions concernĂ©es par cette censure, qui est dĂ©sormais limitĂ© aux publications relatives Ă  la vente de drogues. Si cette avancĂ©e est bienvenue, il n’empĂȘche que le mĂ©canisme a Ă©tĂ© validĂ© et continue de renforcer la capacitĂ© de l’État Ă  censurer internet en dehors de tout contrĂŽle judiciaire.

Pour ces trois mesures, nous restons donc trĂšs prudent·es car elles peuvent ĂȘtre rĂ©tablies dans leur version d’origine en hĂ©micycle. La mobilisation auprĂšs des dĂ©puté·es reste donc trĂšs importante.

Une loi qui reste dangereuse

De nombreuses autres mesures ont Ă©tĂ© votĂ©es : la collecte, et la conservation pendant une durĂ©e disproportionnĂ©e de cinq annĂ©es, des informations d’identitĂ© de toute personne achetant notamment une carte SIM prĂ©payĂ©e (article 12 bis), la banalisation des enquĂȘtes administratives de sĂ©curitĂ© pour l’accĂšs Ă  de nombreux emplois (article 22) ou l’utilisation des drones par l’administration pĂ©nitentiaires (article 23). Au-delĂ  de ces mesures de surveillance, le texte renforce une vision trĂšs rĂ©pressive de la dĂ©tention, de la peine ou de la justice des mineurs et – comme le dĂ©nonce l’association Droit Au Logement – facilite les expulsions locatives.

L’élargissement du nombre des agents pouvant consulter le fichier TAJ (article 15) a en revanche Ă©tĂ© supprimĂ©e. Non pas pour le respect des libertĂ©s mais parce qu’en pratique ces accĂšs sont dĂ©jĂ  possibles.

Surtout, comme nous l’expliquons depuis le dĂ©but de la mobilisation, cette proposition de loi s’applique Ă  un champ bien plus large de situations que le seul trafic de drogues. En effet, elle modifie toutes les rĂšgles liĂ©es au rĂ©gime dĂ©rogatoire de la dĂ©linquance et la criminalitĂ© organisĂ©es, qui sont frĂ©quemment utilisĂ©es pour rĂ©primer les auteurs et autrices d’actions militantes. Par exemple, les procureurs n’hĂ©sitent pas Ă  mobiliser la qualification de « dĂ©gradation en bande organisĂ©e Â» pour pouvoir jouir de ces pouvoirs plus importants et plus attentatoires aux libertĂ©s publiques. Tel a Ă©tĂ© le cas pendant le mouvement des Gilets jaunes, lors de manifestations ou contre les militant·es ayant organisĂ© des mobilisations contre le cimentier Lafarge. Ce cadre juridique d’exception s’applique Ă©galement Ă  l’infraction « d’aide Ă  l’entrĂ©e et Ă  la circulation de personnes en situation irrĂ©guliĂšre en bande organisĂ©e Â», qualification qui a Ă©tĂ© utilisĂ©e contre des militant·es aidant des personnes exilĂ©es Ă  Briançon, mais a ensuite Ă©tĂ© abandonnĂ©e lors du procĂšs.

En l’état, la loi Narcotrafic reste donc fondamentalement la mĂȘme : un texte qui utilise la question du trafic du drogue pour lĂ©gitimer une extension de pouvoirs rĂ©pressifs, aussi bien au bĂ©nĂ©fice de la police judiciaire que de l’administration. Il faut donc continuer de lutter contre ce processus d’affaiblissement de l’État de droit et refuser cette narration jouant sur les peurs et le chantage Ă  la surveillance. Nous avons eu beaucoup de retours de personnes qui ont contactĂ© les dĂ©puté·es pour les pousser Ă  voter contre la loi. Un grand merci Ă  elles et eux ! Cela a trĂšs certainement dĂ» jouer dans le retrait des mesures les plus dangereuses.

Il ne faut cependant pas s’arrĂȘter lĂ . La proposition de loi va dĂ©sormais passer en hĂ©micycle, c’est-Ă -dire avec l’ensemble des dĂ©puté·es, Ă  partir du lundi 17 mars. Les propositions d’amendements seront publiĂ©es d’ici la fin de semaine et donneront une idĂ©e de la nature des dĂ©bats Ă  venir. En attendant, vous pouvez retrouver notre page de campagne mise Ă  jour et les moyens de contacter les parlementaires sur la page de campagne dĂ©diĂ©e. Vous pouvez aussi nous faire un don pour nous aider Ă  continuer la lutte.

QSPTAG #319 — 7 mars 2025

Loi « Narcotrafic Â» : une loi de surveillance oĂč le numĂ©rique joue un rĂŽle central

On en parlait fin janvier, la proposition de loi contre le « narcotrafic Â» est un grand fourre-tout sĂ©curitaire qui joue la surenchĂšre rĂ©pressive dans tous les domaines, et les mesures de surveillance numĂ©rique ne sont pas les moins dĂ©lirantes.

Imaginez. Il y aurait, dans un petit pays loin, loin d’ici, un gouvernement qui naviguerait Ă  vue au grĂ© des paniques mĂ©diatiques, qui godillerait de fait divers en fait divers, et qui entretiendrait avec complaisance une ambiance de panique morale collective, une sorte d’état d’urgence permanent : l’économie irait mal, la dette serait abyssale, les immigrĂ©s seraient trop nombreux et trop criminels, d’ailleurs le terrorisme frapperait de nouveau, et le trafic de drogue gangrĂšnerait nos quartiers, etc. Bien conscient que sa politique Ă©conomique, Ă©cologique et sociale serait peu populaire, ce gouvernement aurait besoin de la police pour rĂ©soudre la plupart de ses problĂšmes. Ce que la police demanderait, la police l’obtiendrait.

Dans ce contexte hostile Ă  la rĂ©flexion et au respect des droits – une chose archaĂŻque, visiblement, que des lois anciennes voulaient bizarrement protĂ©ger – c’est la foire aux mesures de surveillance intrusives. Activer Ă  distance les micros et les camĂ©ras des appareils mobiles, casser le chiffrement des messageries instantanĂ©es, etc. La panoplie est dĂ©taillĂ©e dans l’article que nous avons publiĂ© le 24 fĂ©vrier et dans la page de campagne.

« Mais pourquoi s’en inquiĂ©ter ? Ne s’agit-il pas de punir des criminels ? Vous ne voulez quand mĂȘme pas protĂ©ger des assassins ? Â» Le danger est justement que ces mesures ne concernent pas « seulement les trafiquants de drogue Â». Elles viennent Ă©toffer un objet juridique qui existe dĂ©jĂ  et qui s’appelle le rĂ©gime de la « criminalitĂ© organisĂ©e Â». Et ce rĂ©gime censĂ© cibler le grand banditisme a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© utilisĂ© de nombreuses fois contre des actions militantes, justement en raison des facilitĂ©s de procĂ©dure et de surveillance qu’il permet. On croit ĂȘtre dur pour les grossistes de cocaĂŻne et on devient dur contre les opposants Ă  une autoroute ou Ă  une usine polluante. Quand une mesure liberticide entre dans la loi, d’abord de façon encadrĂ©e, elle reste dans la panoplie des mesures Ă  appliquer quand on Ă©largit le champ d’application Ă  autre chose.

Nous avons donc appelĂ© Ă  une action collective pour interpeler les dĂ©puté·es de la commission des Lois qui devaient amender le texte cette semaine. Et vous avez rĂ©pondu en nombre ! Un grand merci Ă  vous !
L’action paye, et la commission a rejetĂ© les mesures les plus dangereuses. Mais le gouvernement tentera sans doute de les introduire de nouveau lors de la discussion dans l’hĂ©micycle, qui doit commencer le 17 mars. On en reparle trĂšs vite !

Lire l’article : La loi Narcotrafic est une loi de surveillance : mobilisons nous !
La page de la campagne : Contre la loi surveillance et narcotraficotage

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ExpĂ©rimentation VSA : le gouvernement sur le point d’obtenir trois ans de rab 

Mise-Ă -jour du 7 mars : La commission mixte paritaire a validĂ© l’extension du dispositif expĂ©rimental jusqu’en mars 2027.

Demain jeudi, au Parlement, se tiendra la commission mixte paritaire en vue de l’adoption de la proposition de loi relative Ă  la sĂ©curitĂ© dans les transports. C’est le vecteur choisi par le gouvernement Bayrou mi-fĂ©vrier pour proroger de deux annĂ©es supplĂ©mentaires l’expĂ©rimentation de la vidĂ©osurveillance algorithmique (VSA), lancĂ©e dans le cadre de la loi JO. S’il a beaucoup Ă©tĂ© question d’intelligence artificielle ces derniĂšres semaines, c’était plutĂŽt pour promettre des investissements massifs ou appeler Ă  la dĂ©rĂ©gulation. Moins pour mettre la lumiĂšre sur nouveau coup de force visant Ă  imposer la surveillance policiĂšre constante et automatisĂ©e de nos espaces publics. Retour sur les derniers rebondissements de la lutte contre la vidĂ©osurveillance algorithmique.

Des rapports d’évaluation dont on aimerait pouvoir se moquer

Tout d’abord et aprĂšs plusieurs semaines de rĂ©tention, le ministĂšre de l’intĂ©rieur a fini par publier le rapport d’évaluation de « l’expĂ©rimentation Â» de vidĂ©osurveillance algorithmique prĂ©vue par la loi de 2023 sur les Jeux olympiques. Pour rappel, pendant plusieurs mois, la VSA a Ă©tĂ© utilisĂ©e lĂ©galement pour dĂ©tecter 8 situations lors d’évĂ©nements « rĂ©crĂ©atifs, sportifs ou culturels Â». Et on comprend pourquoi ce rapport n’a pas Ă©tĂ© exhibĂ© fiĂšrement par le gouvernement : il ne fait qu’enchaĂźner les preuves de dysfonctionnements techniques souvent risibles (une branche qui bouge et dĂ©clenche une alerte, un problĂšme de perspective qui rend le systĂšme de dĂ©tection d’une personne inopĂ©rant, etc.), pointant l’absence de maturitĂ© de ces technologies ainsi que leur inutilitĂ© opĂ©rationnelle.

Par ailleurs, le rapport analyse au plus prĂšs l’expĂ©rimentation autorisĂ©e par la loi JO, mais ne se penche pas sur les centaines de dĂ©ploiement qui restent illĂ©gaux dans le pays, ni sur les vellĂ©itĂ©s du lobby techno-sĂ©curitaire, qui ne compte Ă©videmment pas s’arrĂȘter en si bon chemin et se tient prĂȘt Ă  multiplier les cas d’usage, notamment dans une logique d’identification des personnes. On pense par exemple aux propos tenus rĂ©cemment par le reprĂ©sentant de la sociĂ©tĂ© suisse Technis, qui a rachetĂ© Videtics et dont les algorithmes sont utilisĂ©s dans le cadre de l’expĂ©rimentation : « L’avantage de la vidĂ©o Â», explique-t-il tranquillement dans cet entretien, « c’est qu’elle est dĂ©sormais multifonction. Il y a le volet sĂ©curitaire (surveillance d’un lieu et alerte en cas d’intrusion), le volet statistique (analyse de la frĂ©quentation d’un espace) et le volet reconnaissance faciale ou d’identitĂ© (identification de personnes) Â». Dont acte.

Ces intentions d’aller plus loin sont d’ailleurs partagĂ©es par la RATP et la SNCF, qui ont Ă©tĂ© les principaux acteurs de l’utilisation de la VSA « lĂ©gale Â» de la loi JO. Et c’est lĂ  un des passages les plus intĂ©ressants du rapport d’évaluation : ces deux opĂ©rateurs de transports assument de vouloir aller plus loin que ce qui est aujourd’hui autorisĂ©, pour faire du suivi automatisĂ© de personnes ou encore de la dĂ©tection de « rixes Â». Est Ă©galement relayĂ©e la volontĂ© de pouvoir utiliser la VSA dans davantage de moments et de lieux, et donc de s’affranchir du seul cadre des grands Ă©vĂ©nements sportifs, rĂ©crĂ©atifs ou culturels prĂ©vu actuellement par la loi aujourd’hui. Des revendications du mĂȘme ordre ont Ă©tĂ© relayĂ©es par des sĂ©nateurs et sĂ©natrices, qui ont produit leur propre rapport d’évaluation.

Le gouvernement fonce tĂȘte baissĂ©e pour pĂ©renniser la VSA

Le satisfecit ridicule du prĂ©fet de police Laurent Nuñez au mois de septembre, affirmant que la VSA avait fait ses preuves lors des JO et devait donc ĂȘtre pĂ©rennisĂ©e, avait dĂ©jĂ  posĂ© le cadre : le gouvernement ne prendrait aucune pincette pour tirer son propre bilan de l’expĂ©rimentation et forcer son agenda politique.

Et pour cause ! Avant mĂȘme la publication du rapport officiel d’évaluation, profitant d’un Ă©niĂšme retour de la loi relative Ă  la sĂ»retĂ© dans les transports Ă  l’AssemblĂ©e, le gouvernement a dĂ©posĂ© un amendement sorti de nulle part et sans lien avec le texte, demandant l’extension du dispositif de VSA pour trois annĂ©es supplĂ©mentaires, au prĂ©texte que les services n’auraient pas eu assez de temps pour tester la technologie. Mais que la VSA « marche Â» ou pas est, au fond, accessoire. Pour le gouvernement Bayrou, il s’agit de l’imposer, coĂ»te que coĂ»te, et ce alors mĂȘme que des experts indĂ©pendants de l’ONU viennent de dĂ©noncer le caractĂšre disproportionnĂ© de ces dĂ©ploiements.

En prolongeant l’expĂ©rimentation pour trois annĂ©es supplĂ©mentaires, le gouvernement permet d’installer un peu plus cette technologie dans les pratiques, en se laissant la possibilitĂ© d’exploiter les largesses que la France a rĂ©ussi Ă  obtenir au niveau de de l’Union europĂ©enne Ă  travers l’« AI Act Â» et ainsi lĂ©galiser la reconnaissance faciale et d’autres cas d’usage de la VSA politiquement sensibles. Cela dit, comme nous l’avons dĂ©jĂ  expliquĂ©, sur le plan juridique, la rĂ©gularitĂ© de cet amendement visant Ă  prolonger l’expĂ©rimentation de la VSA est parfaitement douteuse, et il est possible qu’il soit dĂ©clarĂ© contraire Ă  la Constitution.

Un caillou juridique dans la chaussure de la Technopolice

Ces coups de butoir sont intervenus juste aprĂšs une dĂ©cision historique obtenue de haute lutte dans l’« affaire Moirans Â» – du nom de cette petite commune isĂšroise qui a acquis le logiciel de VSA de l’entreprise Briefcam. Au terme de notre recours et Ă  l’issue d’une passe d’arme avec la CNIL qui faisait valoir sa position trĂšs accommodante pour l’industrie de la VSA et le ministĂšre de l’intĂ©rieur, le tribunal administratif de Grenoble a jugĂ© que le recours Ă  la VSA aussi bien dans le cadre de la police administrative (hors enquĂȘtes pĂ©nales, pour faire simple) que lors d’enquĂȘtes judiciaires Ă©tait illĂ©gal et disproportionnĂ©.

Depuis l’interdiction de la reconnaissance faciale dans les Ă©tablissements scolaires en 2020, c’est l’une des principales victoires juridiques dans l’opposition populaire Ă  la vidĂ©osurveillance algorithmique. Depuis un an, nous encourageons les collectifs locaux Ă  interpeller les responsables municipaux pour les appeler Ă  s’engager contre la VSA dans le cadre de notre campagne Â« Pas de VSA dans ma ville Â». De nombreuses personnes ont dĂ©jĂ  rĂ©pondu Ă  cette initiative et demandĂ© Ă  leur maire de refuser cette surveillance. DĂ©sormais, avec cette jurisprudence qui pointe l’illĂ©galitĂ© des centaines de dĂ©ploiements locaux de la VSA, en dehors du cadre restreint de la loi JO, nous avons des arguments de poids pour poursuivre cette lutte.

Si le prolongement de la VSA « lĂ©gale Â» jusqu’en 2027 venait donc Ă  ĂȘtre confirmĂ© en commission mixte paritaire demain, puis de façon dĂ©finitive par le Parlement, il faudra utiliser tous les moyens Ă  notre disposition pour mettre fin Ă  cette fuite en avant, et contre-carrer l’alliance d’élus locaux, de fonctionnaires et d’industriels prĂȘts Ă  tout pour conforter leur pouvoir techno-sĂ©curitaire. Ce combat passe notamment par la dĂ©couverte et la documentation ces projets, car les sortir de l’opacitĂ© permet de mettre la pression aux instances dirigeantes des communes et des collectivitĂ©s et les mettre face Ă  leurs responsabilitĂ©s. Si vous mĂȘme prenez part Ă  un collectif local dans une commune ayant recourt Ă  un systĂšme de VSA du style du logiciel Briefcam, n’hĂ©sitez pas Ă  vous saisir de nos Ă©critures pour porter vous-mĂȘmes un recours ! Et si vous aviez besoin de conseil, nous sommes joignables Ă  l’adresse contact@technopolice.fr.

Contre la VSA, la bataille continue !

Et si vous voulez nous aider à continuer à l’animer, vous pouvez aussi nous soutenir en faisant un don.

La loi Narcotrafic est une loi de surveillance : mobilisons nous !

La semaine prochaine, l’AssemblĂ©e nationale discutera d’une proposition de loi relative au « narcotrafic Â». Contrairement Ă  ce que le nom du texte indique, les mesures qui pourraient ĂȘtre adoptĂ©es vont bien au-delĂ  du seul trafic de stupĂ©fiants. En rĂ©alitĂ©, son champ d’application est si large qu’il concernerait Ă©galement la rĂ©pression des mouvements militants. Cette loi prĂ©voit de lĂ©galiser de nombreuses mesures rĂ©pressives. Si elle Ă©tait adoptĂ©e, elle hisserait la France en tĂȘte des pays les plus avancĂ©s en matiĂšre de surveillance numĂ©rique.

C’est l’un des textes les plus dangereux pour les libertĂ©s publiques proposĂ©s ces derniĂšres annĂ©es. En rĂ©action, et face Ă  un calendrier lĂ©gislatif extrĂȘmement resserrĂ©, La Quadrature du Net lance aujourd’hui une campagne de mobilisation pour lutter contre la loi Narcotrafic. Le but est d’abord d’informer sur le contenu de ce texte, en faisant en sorte que les mesures techniques et rĂ©pressives qu’il cherche Ă  lĂ©galiser soient comprĂ©hensibles par le plus grand nombre. Nous souhaitons Ă©galement dĂ©noncer l’instrumentalisation de la problĂ©matique du trafic de stupĂ©fiants — une « guerre contre la drogue Â» qui, lĂ  encore, a une longue histoire bardĂ©e d’échecs — pour pousser des mesures sĂ©curitaires bien plus larges, Ă  grand renfort de discours sensationnalistes. Notre page de campagne rĂ©pertorie ainsi diffĂ©rents dĂ©cryptages, des ressources, mais aussi des outils pour contacter les dĂ©putĂ©â‹…es et les alerter sur les nombreux dangers de cette proposition de loi. Nous avons pour l’occasion dĂ©cidĂ© de renommer cette loi « Surveillance et narcotraficotage Â» tant elle est l’espace fourre-tout d’une large panoplie sĂ©curitaire.

Parmi les mesures proposĂ©es et largement retravaillĂ©es par le ministre de l’IntĂ©rieur Bruno Retailleau, on retrouve l’extension de la surveillance du rĂ©seau par algorithmes, la censure administrative d’Internet ou encore l’instauration d’une procĂ©dure de surveillance secrĂšte Ă©chappant aux dĂ©bats contradictoires et largement dĂ©noncĂ©e par la profession des avocat·es. Au grĂ© de son examen au SĂ©nat, la proposition de loi n’a fait qu’empirer, incluant de nouvelles techniques de surveillance extrĂȘmement intrusives, comme l’espionnage Ă  travers les camĂ©ras et micros des personnes via le piratage de leurs appareils et l’obligation pour les messageries chiffrĂ©es de donner accĂšs au contenu des communications. Cette derniĂšre mesure va Ă  contre-courant des recommandations de nombreuses institutions et pourrait conduire Ă  l’éviction de France de services comme Signal ou Whatsapp ou d’abaisser leur niveau de sĂ©curitĂ©, comme Apple vient d’ĂȘtre contraint de le faire pour ses produits au Royaume-Uni. Ces dispositions ne sont nullement limitĂ©es aux trafiquants de drogue : la police peut y avoir recours pour l’ensemble de la « criminalitĂ© organisĂ©e Â», un rĂ©gime juridique extrĂȘmement large qui est notamment utilisĂ© dans la rĂ©pression des actions militantes.

Face Ă  cela, les groupes politiques au SĂ©nat ont votĂ© Ă  l’unanimitĂ© pour ce texte — y compris Ă  gauche. La Quadrature du Net appelle les Ă©lu·es Ă  se rĂ©veiller et Ă  rĂ©aliser la gravitĂ© des enjeux posĂ©s par ce texte. La lutte contre le trafic de stupĂ©fiants ne peut pas servir Ă  justifier des atteintes aussi graves aux principes fondateurs de la procĂ©dure pĂ©nale, ni Ă  banaliser des pouvoirs de surveillance aussi intrusifs et qui pourraient encore ĂȘtre Ă©tendus Ă  l’avenir.

Pour prendre connaissance de nos arguments, de nos ressources ainsi que des coordonnĂ©es des dĂ©putĂ©â‹…es pour les contacter, rendez-vous sur notre page de campagne : laquadrature.net/narcotraficotage

Les contenus haineux et négatifs sont rentables pour les médias sociaux publicitaires

Ce 20 janvier, 5 personnalitĂ©s d’associations citoyennes expliquent dans cette tribune les liens, entre mĂ©dias sociaux publicitaires et les contenus haineux et nĂ©gatifs. Elles appellent Ă  aller sur des rĂ©seaux sociaux sans pub, Ă  bloquer la publicitĂ© sur internet, Ă  financer autrement les mĂ©dias et Ă  avoir des lois protĂ©geant les usager·éres d’internet de ces dĂ©rives.

Elon Musk sera nommé au gouvernement de Donald Trump ce 20 janvier.

Pour protester contre son investiture et ouvrir une rĂ©flexion sur l’impact politique des rĂ©seaux sociaux, un collectif a lancĂ© HelloQuitteX. Cette communautĂ© a pour but de donner des outils et inciter Ă  aller vers des rĂ©seaux sociaux « plus ouverts et sains Â»1.

Le rachat de Twitter par Elon Musk en 2022 avait dĂ©jĂ  allumĂ© des inquiĂ©tudes qui sont loin d’ĂȘtre calmĂ©es. Celui-ci se targue dĂ©sormais d’utiliser sa plateforme comme une arme au service des candidat·es qui lui plaisent : Donald Trump, ou rĂ©cemment le parti d’extrĂȘme droite allemand l’AfD.

HelloQuitteX et les dĂ©clarations provocatrices d’Elon Musk marquent une Ă©tape dans la reconnaissance de ce que l’on sait depuis longtemps : les plateformes et leur architecture ont un effet sur les contenus qui s’y Ă©changent, et donc les visions du monde de leurs utilisateur·ices.

Changer de rĂ©seau social ne sera pas suffisant : il faut changer leur modĂšle de financement. Car ces dĂ©rives ne sont pas uniquement liĂ©es aux personnalitĂ©s d’Elon Musk, Jeff Bezos ou Mark Zuckerberg, elles sont inscrites dans l’architecture d’Internet.

La publicitĂ© est la source principale de financement des sites Internet2. Les plateformes ont donc besoin de nous connaĂźtre, le plus intimement possible. Plus elles possĂšdent d’informations sur nous, plus elles pourront cibler les publicitĂ©s et mesurer leur efficacitĂ©, satisfaisant ainsi leurs vĂ©ritables clients : les annonceurs.

Les plateformes ont mis en place une architecture de surveillance qui n’a rien à envier à celles des pires dystopies, dans le but principal de vendre plus cher leurs espaces publicitaires3.

Les rĂ©seaux sociaux ont un intĂ©rĂȘt Ă©conomique Ă©norme Ă  nous garder devant nos Ă©crans, et rivalisent de techniques pour nous rendre « accros Â» Ă  leurs applications, malgrĂ© les effets nĂ©gatifs qu’ils entraĂźnent4.

Mais ce n’est pas tout. Pour amĂ©liorer encore l’efficacitĂ© des publicitĂ©s, ces rĂ©seaux sociaux se vantent de modifier nos Ă©motions. Les recherches internes de Facebook ont montrĂ© que l’entreprise pouvait, en modifiant le fil d’actualitĂ©s, influer sur l’humeur de ses utilisateur·ices5.

Meta propose donc aux annonceurs de cibler leurs annonces vers les moments oĂč l’internaute se sent « mal dans sa peau Â» ou « en manque de reconnaissance Â», car ses recherches ont montrĂ© que les actes d’achat venaient pallier aux souffrances du quotidien. Meta favorise donc les contenus nĂ©gatifs ou polarisants. RĂ©sultat ? Â« Plus les ados vont sur Instagram, plus leur bien-ĂȘtre gĂ©nĂ©ral, leur confiance en soi, leur satisfaction Ă  l’égard de la vie, leur humeur et l’image qu’ils ont de leur corps se dĂ©gradent Â»6. En 2016, une publication interne Ă  Facebook montrait que « 64% des entrĂ©es dans des groupes extrĂ©mistes sont dĂ»es Ă  nos outils de recommandation Â»7. Ce n’est pas du hasard, c’est parce que c’est rentable.

Ils poussent ainsi tous les acteurs du jeu politique Ă  aligner leur communication sur des contenus haineux et sans concessions. Les internautes sont enfermĂ©s dans des « bulles de filtres Â», entouré·es de contenus justifiant et radicalisant leurs opinions sans jamais les ouvrir Ă  la contradiction8.

Le dĂ©bat public et les discussions constructives entre internautes en deviennent de plus en plus difficiles, et cette sensation de diffĂ©rences irrĂ©conciliables se transfĂšre vers les discussions en chair et en os9. Le discours de haine n’est pas qu’une abstraction numĂ©rique, il peut attiser la violence, miner la cohĂ©sion sociale, et causer des blessures profondes qui vont bien au delĂ  des Ă©crans, comme de nombreux rapports d’associations et institutions l’attestent10.

Ces contenus viennent nourrir des « visions du monde Â»11 basĂ©es sur la peur et une sensation d’envahissement, venant ainsi conforter encore les tenants du « Grand Remplacement Â» et autres arguments portĂ©s par les mouvements d’extrĂȘme-droite.

Quitter X pour aller sur un autre réseau social publicitaire comme BlueSky ne réglera donc pas le problÚme. Petit à petit, les pressions financiÚres le porteront à modifier ses contenus vers plus de publicité12, et donc une emprise toujours plus grande de la manipulation13.

À ces effets structurels s’ajoute la guerre culturelle menĂ©e par certains grands milliardaires de la tech comme Elon Musk et rĂ©cemment Mark Zuckerberg, pour imposer des idĂ©es ultra-libĂ©rales et ouvertement d’extrĂȘme droite. La concentration du secteur autour de quelques entreprises monopolistiques14 permet Ă  ces hommes d’imposer leur vision du monde en utilisant les plateformes comme des porte-voix. Ils modĂšlent les rĂšgles de partage des contenus en faisant passer leur propagande pour de la libertĂ© d’expression15.

La publicité en tant que source principale de financement des réseaux sociaux est responsable de toutes ces dérives. Pour espérer les réguler, il faut prendre en compte ce mécanisme fondamental.

C’est pourquoi nous relayons l’appel Ă  quitter X, tout en questionnant nos pratiques des rĂ©seaux sociaux et services numĂ©riques basĂ©s sur la publicitĂ©.

Il existe de nombreuses alternatives libres efficaces comme les réseaux sociaux du Fediverse (Mastodon, Pixelfed,
), les suites de Framasoft pour les bureautiques partagés, ou PeerTube pour les vidéos.

Il est aussi particuliĂšrement important d’installer un bloqueur de publicitĂ©, pour plus de confort de navigation et cesser de nourrir la machine Ă  rĂ©colter les donnĂ©es. Le site bloquelapub.net prĂ©sente des tutoriels simples.

Enfin, toutes ces mesures individuelles doivent nĂ©cessairement ĂȘtre complĂ©tĂ©es par des mesures contraignantes au niveau lĂ©gislatif. Une premiĂšre Ă©tape pourrait ĂȘtre de rendre les rĂ©seaux sociaux responsables des contenus qui s’y Ă©changent. Le site de La Quadrature du Net dĂ©taille les diffĂ©rentes lois nationales et europĂ©ennes tout en donnant des pistes pour pallier aux manques16.

Il est aussi urgent de rĂ©flĂ©chir Ă  des modĂšles de financement alternatifs Ă  la fausse gratuitĂ© publicitaire. Pour cela, nous appelons les mĂ©dias et sites intĂ©ressĂ©s Ă  prendre contact avec nous pour rĂ©flĂ©chir ensemble Ă  d’autres modĂšles possibles.

Thomas Citharel, codirecteur de Framasoft

Raquel Radaut, militante et porte-parole Ă  La Quadrature du Net

Marie Youakim, co-présidente de Ritimo

Marie Cousin, co-prĂ©sidente de RĂ©sistance Ă  l’Agression Publicitaire

Tanguy Delaire, militant de RĂ©sistance Ă  l’Agression Publicitaire

1Voir le manifeste de HelloQuittX https://www.helloquitx.com/MANIFESTO-HelloQuitteX.html

2Voir Shoshanna ZUBOFF, L’Âge du capitalisme de surveillance, Zulma, 2022

3Ethan ZUCKERMAN, « The Internet’s Original Sin Â», The Atlantic, 14 aoĂ»t 2014, https://www.theatlantic.com/technology/archive/2014/08/advertising-is-the-internets-original-sin/376041/

4Voir Ă  ce sujet la mini sĂ©rie Dopamine, diffusĂ©e sur Arte : https://www.arte.tv/fr/videos/RC-017841/dopamine/

5Selon Frances Haugen, ancienne employĂ©e de Facebook, lanceuse d’alerte, citĂ©e par David CHAVALARIAS, Toxic Data, Comment les rĂ©seaux manipulent nos opinions, Flammarion, 2022, p. 100

6Christia SPEARS BROWN, « Comment plusieurs Ă©tudes montrent qu’Instagram peut nuire au bien-ĂȘtre des jeunes Â», The Conversation, 26 septembre 2021 https://theconversation.com/comment-plusieurs-etudes-montrent-quinstagram-peut-nuire-au-bien-etre-des-jeunes-168514

7Mathilde SALIOU, TechnofĂ©minisme, Comment le numĂ©rique aggrave les inĂ©galitĂ©s, Éditions Grasset & Fasquelle, 2023, p. 59

8Voir l’analyse de David Chavalarias : David CHAVALARIAS, Toxic Data, op. cit.

9Tanguy DELAIRE, « PublicitĂ© sur Internet : un terrain favorable Ă  l’extrĂȘme droite Â», Le Club de Mediapart, 13 novembre 2024

10 Voir par exemple  le constat d’Amnesty International ‘ https://www.amnesty.fr/actualites/sinformer-se-former-eduquer-et-agir-face-a-la-montee-des-discours-de-haine-et-anti-droits ou celui de la commission europĂ©enne https://www.coe.int/fr/web/combating-hate-speech/what-is-hate-speech-and-why-is-it-a-problem- ) ou encore ce que rapportait en juin 2024 le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’ONU « L’impact nĂ©gatif des discours de haine sur la paix, le dĂ©veloppement durable, les droits de l’homme et la prĂ©vention des gĂ©nocides et des crimes connexes continue d’ĂȘtre observĂ© dans le monde entier Â» ( https://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/juin-2024/la-jeunesse-au-service-de-la-lutte-contre-les-discours-dincitation-%C3%A0-la-haine ). Â»

11Voir FĂ©licien FAURY, Des Ă©lecteurs ordinaires, EnquĂȘte sur la normalisation de l’extrĂȘme droite, Ă‰ditions du Seuil, 2024

12On lit sur le site de HelloQuitteX « Ă€ noter que Bluesky a rĂ©cemment fait entrer un investisseur privĂ©, Blockchain Capital, une entreprise du monde de la blockchain et des cryptomonnaies, ce qui influencera peut-ĂȘtre Ă  l’avenir son modĂšle Ă©conomique. Â» https://helloquittex.com/Quitter-Twitter-X-Etape-2-Je-cree-un-compte-Mastodon-et-ou-Bluesky.html consultĂ© le 9 janvier 2025

13Blog de RĂ©sistance Ă  l’Agression Publicitaire, « PublicitĂ© : l’industrialisation de la manipulation Â», Le Club de Mediapart, 23 novembre 2021 https://blogs.mediapart.fr/resistance-agression-pub/blog/231121/publicite-lindustrialisation-de-la-manipulation

14Nikos SMYRNAIOS, « Les GAFAM, entre emprise structurelle et crise d’hĂ©gĂ©monie Â», Pouvoirs, N° 185(2), 19-30, https://droit.cairn.info/revue-pouvoirs-2023-2-page-19?lang=fr

15AFP, Le Nouvel Obs, « Meta met fin Ă  son programme de fact-checking aux Etats-Unis, Musk trouve ça « cool Â», Trump dit qu’il a « probablement Â» influencĂ© la dĂ©cision Â», Le Nouvel Observateur, 7 janvier 2025 https://www.nouvelobs.com/monde/20250107.OBS98735/meta-met-fin-a-son-programme-de-fact-checking-aux-etats-unis-musk-trouve-ca-cool-trump-dit-qu-il-a-probablement-influence-la-decision.html

16Voir par exemple l‘analyse du « RĂšglement IA Â» adoptĂ© par la commission europĂ©enne en mai 2024 : https://www.laquadrature.net/2024/05/22/le-reglement-ia-adopte-la-fuite-en-avant-techno-solutionniste-peut-se-poursuivre/ ou « ou les propositions en terme d’interopĂ©rabilitĂ© des rĂ©seaux sociaux : https://www.laquadrature.net/?s=interop%C3%A9rabilit%C3%A9« 

Nous quittons Twitter

Nous avons pris la dĂ©cision de quitter X, anciennement Twitter, ce lundi 20 janvier 2025. Cette dĂ©cision est mĂ»rement rĂ©flĂ©chie ; Twitter encourage depuis longtemps les discours de haine et le harcĂšlement mais, ces derniers mois, il est devenu l’espace d’expression privilĂ©giĂ© de l’extrĂȘme droite.

Nous nous joignons donc, comme des milliers de personnes, Ă  l’initiative HelloQuitX afin de rĂ©amorcer la dĂ©sertion des rĂ©seaux sociaux commerciaux centralisĂ©s vers de meilleurs espaces. Elle facilite notamment le dĂ©part en Twitter en proposant un outil de migration.

En effet, le retour de Donald Trump au pouvoir marque un tournant dans l’histoire de X. Le soutien d’Elon Musk, patron de X, Ă  la candidature de D. Trump a conduit Ă  des changements significatifs dans la modĂ©ration et l’algorithme de la plateforme. Les contenus fascistes ont Ă©tĂ© fortement mis en avant, tandis que les contenus issus des luttes pour l’émancipation ont vu leur portĂ©e rĂ©duite. Nous l’avons personnellement constatĂ©, notre compte ayant une portĂ©e bien moindre qu’auparavant, ce qui nous a aussi amenĂ© Ă  rĂ©flĂ©chir Ă  la pertinence de notre prĂ©sence sur cette plateforme.

Depuis notre crĂ©ation, nous luttons contre la centralisation des plateformes numĂ©riques et ses consĂ©quences. Nous avons notamment rĂ©guliĂšrement soulignĂ© les risques d’une concentration excessive du pouvoir dans les mains d’entreprises privĂ©es. Nous reconnaissions malgrĂ© tout l’importance de l’effet de rĂ©seau dont bĂ©nĂ©ficiait Twitter et c’est pour ça que jusqu’à prĂ©sent nous y Ă©tions restĂ©.es. Il s’agissait de garder le contact avec nos sympathisant.es et les organisations qui partagent nos valeurs.

Cependant, maintenant qu’un dĂ©part collectif se met en place grĂące Ă  HelloQuitX, nous considĂ©rons qu’il est temps de prendre une dĂ©cision courageuse et de participer Ă  montrer l’exemple, en attendant que des initiatives similaires puissent bientĂŽt s’organiser contre d’autres rĂ©seaux sociaux centralisĂ©s et toxiques, Ă  commencer par ceux de Mark Zuckerberg, patron de Meta.

Des alternatives existent, et nous gĂ©rons depuis longtemps un serveur faisant partie du rĂ©seau Mastodon : mamot.fr. Mastodon est un rĂ©seau qui permet une modĂ©ration propre Ă  chaque serveur, qui soit Ă  l’image de sa communautĂ©. Avec dĂ©jĂ  plusieurs millions d’utilisateurices, nous sommes convaincu.es que Mastodon est la meilleure alternative Ă  Twitter pour nous.

BlueSky existe Ă©galement, mais nous craignons que ce rĂ©seau rĂ©pĂšte les erreurs de Twitter. La dĂ©centralisation de cette plateforme est pour l’heure limitĂ©e et nous sommes inquiet.es quant au contrĂŽle qu’une entreprise unique pourrait exercer sur elle.

Afin de vous permettre de quitter X tranquillement, nous avons aussi pris la dĂ©cision d’ouvrir temporairement les inscriptions sur Mamot.fr, notre instance Mastodon oĂč sont dĂ©jĂ  inscrites 43 000 personnes. Vous pouvez vous y faire un compte dĂšs maintenant, gratuitement. Vous pouvez aussi trouver d’autres serveurs sur joinmastodon.org . Et grĂące Ă  l’interopĂ©rabilitĂ©, vous pouvez suivre les millions d’autres personnes inscrites sur d’autres serveurs Mastodon depuis Mamot.fr, ainsi que suivre des comptes sur Peertube, Pixelfed et d’autres.

Notre compte Mastodon est sur https://mamot.fr/@LaQuadrature. Nous serons heureux de discuter avec vous sur ce rĂ©seau social fĂ©dĂ©rĂ© !

Nous vous invitons Ă  rejoindre le mouvement qui se met en place grĂące Ă  HelloQuitX. Rejoignez-nous sur Mastodon et parlez-en avec vos amis et autour de vous ! Ensemble, nous pouvons crĂ©er un avenir meilleur et des rĂ©seaux sociaux libres.

Les trous noirs dans le contrĂŽle des services de renseignement

Ce texte restitue la prise de parole d’un membre de La Quadrature du Net Ă  l’occasion d’un colloque organisĂ© conjointement par la revue Études Françaises de Renseignement et de Cyber et par la CNCTR, la Commission nationale de contrĂŽle des techniques de renseignement, Ă  Paris le 14 octobre 2024.

Ces derniĂšres annĂ©es, les services de renseignement français ont connu une croissance continue de leurs pouvoirs, qu’il s’agisse des ressources budgĂ©taires et humaines dont ils disposent que des prĂ©rogatives juridiques dont ils bĂ©nĂ©ficient. Or, l’enjeu du contrĂŽle dĂ©mocratique du renseignement – historiquement faible dans ces matiĂšres relevant de la raison d’État, et ce particuliĂšrement en France â€“ est largement restĂ© secondaire. Il n’est donc pas surprenant de constater la permanence de vĂ©ritables « trous noirs Â» dans le dispositif institutionnel français.

Opacité

Avant d’en venir Ă  ces trous noirs, le premier point qu’il nous faut aborder Ă  trait l’opacitĂ© des politiques publiques du renseignement, et la façon dont ce manque de transparence empĂȘche une organisation comme La Quadrature du Net de cultiver une expertise sur le renseignement, et donc de porter une critique correctement informĂ©e, et donc perçue comme lĂ©gitime. Si c’est Ă  l’honneur des deux prĂ©sidents de la CNCTR que d’avoir acceptĂ©, Ă  l’occasion, de nous rencontrer, que dire des silences assourdissants que des parlementaires de la DĂ©lĂ©gation parlementaire au renseignement, des services eux-mĂȘmes, ont opposĂ© Ă  nos demandes rĂ©pĂ©tĂ©es de rendez-vous et d’échange ?

Ce colloque – le premier du genre â€“ est certes bienvenu. Mais il ne permet pas de remĂ©dier Ă  l’opacitĂ© systĂ©mique du champ du renseignement, la maniĂšre dont il maintient sciemment tout critique externe Ă  distance, qu’il s’agisse de celle nourrie par des journalistes d’investigation ou de groupes militants attachĂ©s Ă  la dĂ©fense des droits humains. Alors que dans l’histoire du renseignement, en France et dans d’autres pays, c’est presque toujours cette critique externe qui semble avoir permise de remĂ©dier aux abus les plus graves, de documenter les illĂ©galitĂ©s en matiĂšre de surveillance, et ce bien sĂ»r en lien avec leurs sources et autres lanceurs d’alerte issus le plus souvent des services.

Cette critique externe ne joue pas seulement un rĂŽle crucial dans le cadre des controverses qui, rĂ©guliĂšrement, se nouent autour des servies de renseignement. Elle est aussi nĂ©cessaire au travail des organes de contrĂŽle institutionnalisĂ©s, ne serait-ce que pour leur permettre d’entendre un autre son de cloche, d’autoriser une forme de pluralisme dans ces matiĂšres, et faire en sorte que ces organes puissent ĂȘtre exposĂ©s Ă  un autre d’autres points de vue. Cela est de nature Ă  Ă©viter que ces organes ne deviennent infĂ©odĂ©s aux services qu’ils sont censĂ©s contrĂŽler.

De fait, en dehors des quelques informations ayant filtrĂ© via des journalistes, et outre les rares allusions faites par les responsables du renseignement lors d’auditions parlementaires ou par la CNCTR, aucune information officielle n’est fournie en France quant Ă  la nature et le coĂ»t des technologies de surveillance dĂ©ployĂ©es par les services pour collecter, stocker et analyser les communications et autres donnĂ©es numĂ©riques. L’enjeu de leur imbrication dans les processus de production du renseignement, la nature des marchĂ©s publics et l’identitĂ© des sous-traitants privĂ©s, et mĂȘme les interprĂ©tations juridiques ayant cours au sein des services quant Ă  l’utilisation de ces systĂšme, restent Ă©galement marquĂ©s par une grande opacitĂ©.

Pour finir, rappelons que cette opacitĂ© est d’autant plus illĂ©gitime, d’autant plus dangereuse, que depuis la derniĂšre publication de la stratĂ©gie nationale du renseignement en 2019, et grĂące aux rapports de la CNCTR depuis lors, on sait que l’activitĂ© des services dans les matiĂšres les plus sensibles sur le plan dĂ©mocratique – qu’on pense Ă  la surveillance des mouvements sociaux â€”, sont en forte recrudescence. C’est notamment le cas s’agissant de groupes militants non seulement lĂ©gitimes en dĂ©mocratie mais nĂ©cessaires pour sortir nos sociĂ©tĂ©s de leur immobilisme face Ă  la crise sociale et Ă©cologique.

Techniques

Outre cette opacitĂ© systĂ©mique, le droit du renseignement français reste marquĂ© par de vĂ©ritables trous noirs dans le contrĂŽle de certaines modalitĂ©s de collecte ou d’analyse des donnĂ©es. Passons donc en revue certaines des plus graves lacune du cadre juridique français.

Le plus significatif rĂ©side sans aucun doute dans l’absence de contrĂŽle des Ă©changes de donnĂ©es avec des services de renseignement Ă©trangers. Depuis plusieurs annĂ©es, la CNCTR demande de pouvoir contrĂŽler le partage de donnĂ©es entre services français et services Ă©trangers. En France, la question est d’autant plus pressante que les flux de donnĂ©es Ă©changĂ©s entre la DGSE et la NSA ont connu une augmentation rapide suite Ă  la conclusion des accords SPINS, signĂ©s fin 2015.
Or, la loi française exclut explicitement tout contrĂŽle de la CNCTR sur ces collaborations internationales nourries par des services jouissant d’une forte autonomie.

Dans son rapport annuel publiĂ© en 2019, la CNCTR admettait que ce trou noir dans le contrĂŽle du renseignement prĂ©sentait un risque majeur, puisqu’il pourrait permettre aux services français de recevoir de leurs homologues des donnĂ©es qu’ils n’auraient pas pu se procurer lĂ©galement au travers des procĂ©dures dĂ©finies dans la loi française. Dans le langage feutrĂ© qui la caractĂ©rise, la commission estimait qu’« une rĂ©flexion devait ĂȘtre menĂ©e sur l’encadrement lĂ©gal des Ă©changes de donnĂ©es entre les services de renseignement français et leurs partenaires Ă©trangers Â». La CEDH a en effet rappelĂ© dans son arrĂȘt Big Brother Watch du 25 mai 2021 que ces Ă©changes devaient ĂȘtre encadrĂ©s par le droit national et soumis au contrĂŽle d’une autoritĂ© indĂ©pendante (§ 362). Pourtant, Ă  ce jour, la France est le dernier État membre de l’Union europĂ©enne Ă  ne disposer d’aucun cadre juridique pour encadrer ces Ă©changes internationaux.

Un autre de ces trous noirs est bien sĂ»r l’immunitĂ© pĂ©nale liĂ©e Ă  l’article 323-8 du code pĂ©nal et l’absence de tout encadrement lĂ©gislatif des activitĂ©s de piratage informatique menĂ©es par les services français sur des Ă©quipements situĂ©s hors des frontiĂšres nationales. Cette absence d’encadrement conduit Ă  ce que ces activitĂ©s soient de facto illĂ©gales. L’immunitĂ© pĂ©nale ainsi accordĂ©e apparaĂźt Ă©galement contraire Ă  l’article 32(b) de la convention de Budapest sur la cybercriminalitĂ©.

Autre forme de surveillance non couverte par la loi et donc tout aussi illĂ©gale : la surveillance dite « en source ouverte Â» (OSINT), notamment sur les rĂ©seaux sociaux comme Facebook ou X – une activitĂ© sur laquelle peu de choses ont fuitĂ© dans la presse mais dont on sait qu’elle a pris une importance croissante ces dix derniĂšres annĂ©es. L’achat de donnĂ©es aux data brokers n’est pas non plus rĂ©gulĂ© en droit français. Or rien ne permet de penser que cette activitĂ©, qui a fait la controverse aux États-Unis, ne soit pas aussi coutumiĂšre pour les services français.

Droits et garanties

Le droit français prĂ©sente aussi d’énormes lacunes du point de vue des droits apportĂ©s aux personnes surveillĂ©es.

Le droit Ă  l’information tout d’abord. Il s’agit-lĂ  d’un principe essentiel dĂ©gagĂ© par la jurisprudence europĂ©enne : les personnes ayant fait l’objet d’une mesure de surveillance secrĂšte doivent pouvoir en ĂȘtre informĂ©es, dĂšs lors qu’une telle information n’est plus susceptible d’entraver l’enquĂȘte menĂ©e Ă  leur encontre par les services. DĂšs son rapport publiĂ© en janvier 2018, la CNCTR passait en revue la jurisprudence affĂ©rente et mentionnait plusieurs exemples de lĂ©gislations Ă©trangĂšres – la loi allemande notamment – garantissant une procĂ©dure de notification des personnes surveillĂ©es, prĂ©voyant un certain nombre d’exceptions Ă©troitement limitĂ©es.

Il y a enfin l’absence de pouvoirs octroyĂ©s Ă  la CNCTR pour tenir en Ă©chec des formes de surveillance illĂ©gale, et notamment l’absence d’avis conforme. Le Conseil d’État rappelait pourtant dans son arrĂȘt du 21 avril 2021 relatif Ă  la conservation gĂ©nĂ©ralisĂ©e des donnĂ©es de connexion que ce dernier Ă©tait une exigence du point de vue du droit de l’Union europĂ©enne. Dans cette dĂ©cision qui donnait largement gain de cause au gouvernement, le Conseil d’État se fondait sur l’arrĂȘt La Quadrature du Net de la CJUE, en date d’octobre 2020, pour exiger que les avis rendus par la CNCTR sur les mesures de surveillance soient « conformes Â» (c’est-Ă -dire impĂ©ratifs pour le gouvernement) et non plus simplement consultatifs.

Ces quelques aspects, loin de donner un aperçu exhaustif de tous les problĂšmes posĂ©s par le droit français en matiĂšre de surveillance numĂ©rique conduite par les services de renseignement, suffit Ă  illustrer le fait que, en dĂ©pit des compliments reçus par la France de la part d’un certain rapporteur de l’ONU Ă  la vie privĂ©e qui restera de triste mĂ©moire, la France a encore beaucoup Ă  faire pour se hisser au niveau des standards internationaux, lesquels devraient pourtant ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un socle minimal dans tout État de droit qui se respecte.

2025 marquera les 10 ans de la loi renseignement. Pour continuer notre travail sur la surveillance d’État l’annĂ©e prochaine, nous avons besoin de votre soutien. Alors si vous le pouvez, faites un don Ă  La Quadrature du Net.

QSPTAG #316 — 20 dĂ©cembre 2024

Campagne de soutien 2025 : C’est pas de l’IA, c’est de l’exploitation dernier cri

Pour animer notre campagne de dons de fin d’annĂ©e, nous avons choisi de traiter le thĂšme de l’IA, qui sera un de nos grands axes de travail en 2025 : au lieu de tomber dans le panneau des fantasmes inutiles — ceux d’une intelligence surhumaine qui dĂ©truira l’humanitĂ© ou qui la sauvera de ses propres errements — et si on s’intĂ©ressait plutĂŽt Ă  ses usages concrets et Ă  ses effets rĂ©els ? AprĂšs un article d’introduction accompagnĂ© d’une vidĂ©o, on s’est penchĂ© plus spĂ©cialement sur les algorithmes de « scoring Â» utilisĂ©s par les administrations sociales, en lien avec notre campagne France ContrĂŽle. La semaine suivante, on est allĂ© Ă  Marseille pour suivre le travail du collectif Le Nuage Ă©tait sous nos pieds, dont font partie des membres de La Quadrature, qui Ă©tudie l’impact des infrastructures du numĂ©rique, dĂ©multipliĂ©es par l’IA, sur les villes, les ressources et les personnes. Et cette semaine, on revient sur la place de l’IA dans les discours sĂ©curitaires et dans les dispositifs de surveillance qui se dĂ©ploient aujourd’hui, au prĂ©sent, dans nos rues. Une vidĂ©o qui rejoint Ă©videmment nos campagnes Technopolice et Pas de VSA dans ma ville. C’est pas de l’IA, c’est de la surveillance, du contrĂŽle social et beaucoup, beaucoup de discours creux qui cachent la rĂ©alitĂ© d’un numĂ©rique au service de la contrainte et de l’exploitation des ressources et des personnes. Soutenez La Quadrature en 2025, faites-nous un don si vous pouvez !

Rendez-vous sur la page de la campagne de dons : https://www.laquadrature.net/donner/
Introduction : https://www.laquadrature.net/2024/11/29/cest-pas-de-lia-cest-de-lexploitation-dernier-cri/
VidĂ©o gĂ©nĂ©rale : https://video.lqdn.fr/w/kzeD86nXj12pKnEqwZKQEF
VidĂ©o IA et contrĂŽle social : https://video.lqdn.fr/w/6Gi2v2ZhqDYWfvk3HP2MrR
VidĂ©o IA et Ă©cologie : https://video.lqdn.fr/w/48uz581ZbdNvWyXC9KV37n
VidĂ©o IA et Technopolice : https://video.lqdn.fr/w/6aMhTgir5dGpn8ByQjR87i

Attrap est public : un outil pour repĂ©rer les arrĂȘtĂ©s prĂ©fectoraux trop discrets

Depuis que l’utilisation des drones policiers a Ă©tĂ© lĂ©galisĂ©e par la loi SĂ©curitĂ© intĂ©rieure de 2022, et l’utilisation « expĂ©rimentale Â» de la vidĂ©osurveillance algorithmique (VSA) par la loi Jeux Olympiques de 2023, nous passons du temps Ă  chercher des arrĂȘtĂ©s prĂ©fectoraux en ligne. Pas pour le plaisir (encore que), mais parce que chaque sortie des drones policiers et chaque dĂ©clenchement de la VSA doit ĂȘtre autorisĂ© et prĂ©cĂ©dĂ© par un arrĂȘtĂ© du prĂ©fet, qui doit ĂȘtre rendu public. Et c’est lĂ  que ça se complique : documents publiĂ©s Ă  la derniĂšre minute (ou mĂȘme aprĂšs), documents planquĂ©s dans les arriĂšre-fonds des sites web des prĂ©fectures, documents scannĂ©s au format image donc inaccessibles aux outils de recherche de texte, processus diffĂ©rents d’une prĂ©fecture Ă  l’autre, architecture des sites prĂ©fectoraux pas du tout standardisĂ©e, etc. On pourrait presque croire que tout est fait pour que l’information soit aussi difficile Ă  trouver que possible. Le pouvoir a une habitude de secret et de discrĂ©tion, il ne faudrait quand mĂȘme pas que la population, les journalistes, les chercheur·euses ou les militant·es exercent leur droit trop facilement.

Mais comme La Quadrature est un mĂ©lange de juristes et de geeks, et parfois de juristes-geeks, on a dĂ©veloppĂ© un outil pour abattre le boulot et explorer pour nous les sites prĂ©fectoraux et rapporter les arrĂȘtĂ©s en fonction des mots clĂ©s qu’on lui donne. « On Â» s’appelle d’abord Bastien, vite rejoint par Nono et par une bande de bĂ©nĂ©voles, merci Ă  elleux, pour dĂ©chiffrer et dĂ©fricher les labyrinthes prĂ©fectoraux et perfectionner l’outil. Aucune IA n’a Ă©tĂ© maltraitĂ©e durant ce processus, seulement des militant·es motivé·es. Le logiciel s’appelle Automate de Traque de Termes et de Recherche dans les ArrĂȘtĂ©s PrĂ©fectoraux, ou Attrap pour faire plus court – et c’est Ă©galement plus facile Ă  prononcer, ça tombe quand mĂȘme drĂŽlement bien.

On utilise Attrap depuis quelques mois, avec des recherches sur les mots-clĂ©s liĂ©s aux drones et Ă  la VSA, pour alimenter un compte Mastodon nommĂ© Attrap’Surveillance et documenter la mise en Ɠuvre quasi quotidienne de ces dispositifs de surveillance qui nous paraissaient encore si effrayants et exotiques lors du confinement de mars 2020.
On avait en tĂȘte depuis le dĂ©but de rendre un jour l’outil public pour que tout le monde puisse s’en servir. C’est chose faite. Le site Attrap est en ligne depuis quelques jours, avec un article qui explique sa genĂšse et son utilitĂ©, et il fonctionne comme un moteur de recherche. On a aussi lancĂ© des exemples de suivi de certaines dĂ©cisions repĂ©rĂ©es par Attrap avec des thĂšmes prĂ©cis, ici ou lĂ  par exemple, en espĂ©rant que cela donnera envie Ă  d’autres collectifs de s’approprier l’outil. DorĂ©navant Attrap est Ă  vous : apprenez Ă  connaĂźtre votre prĂ©fecture, ce n’est pas sale !

Et si vous allez en Allemagne au Chaos Computer Congress (CCC) cette annĂ©e, vous pouvez venir ajouter de nouvelles prĂ©fectures dans le moteur de recherche, lors du hackathon Attrap organisĂ© le 27 dĂ©cembre Ă  18h au Komona. Une rumeur dit que les participant·es pourront rĂ©cupĂ©rer des oreilles de chat qui brillent dans le noir en guise de petit remerciement


Pour lire la prĂ©sentation d’Attrap : https://www.laquadrature.net/2024/12/19/contre-lopacite-de-la-surveillance-locale-attrap-tes-arretes-prefectoraux/
Le compte Mastodon de Attrap’Surveillance : https://mamot.fr/@AttrapSurveillance
Pour utiliser Attrap tout de suite : attrap.fr

Agenda

  • 27-30 dĂ©cembre : Chaos Communication Congress (38C3) Ă  Hambourg (Allemagne). La Quadrature sera prĂ©sente avec une table et des ateliers !
  • 8 janvier : RĂ©union Technopolice Paris-Banlieue, Ă  partir de 19h au Bar Commun, 135 rue des Poissonniers, Paris 18e.
  • 9 janvier : RĂ©union mensuelle du groupe Technopolice Marseille, Ă  partir de 19h au Manifesten, 59 Rue Adolphe Thiers, Marseille.
  • Retrouvez tout l’agenda en ligne.

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Divers

Contre l’opacitĂ© de la surveillance locale : Attrap tes arrĂȘtĂ©s prĂ©fectoraux !

Un des obstacles les plus importants dans la lutte contre la Technopolice est l’opacitĂ© persistante de l’utilisation des technologies de surveillance. Pour contrer cette difficultĂ©, La Quadrature du Net lance aujourd’hui Attrap (pour « Automate de Traque de Termes et de Recherche dans les ArrĂȘtĂ©s PrĂ©fectoraux Â»), un moteur de recherche d’arrĂȘtĂ©s prĂ©fectoraux qui contribue ainsi Ă  une plus grande transparence de l’action de l’administration. Cet outil est destinĂ© aux journalistes, militant·es, avocat·es, habitant·es qui souhaitent faire des recherches facilement et rapidement dans la masse d’arrĂȘtĂ©s prĂ©fectoraux, et ainsi pouvoir connaĂźtre quels sont les outils de surveillance et de contrĂŽle utilisĂ©s par l’État sur elles et eux.

Ces derniĂšres annĂ©es, la multiplication des outils de surveillance Ă  disposition des autoritĂ©s publiques s’est accompagnĂ©e d’une augmentation du pouvoir des prĂ©fets, Ă©manations locales de l’État. Par exemple, depuis 1995, il revient aux prĂ©fets de dĂ©partement d’autoriser les communes ou commerces Ă  mettre en place de la vidĂ©osurveillance. On retrouve ce mĂȘme mĂ©canisme d’autorisation prĂ©fectorale pour les drones depuis 2023 ou, depuis la loi sur les Jeux Olympiques, pour la vidĂ©osurveillance algorithmique dont la premiĂšre autorisation a Ă©tĂ© dĂ©livrĂ©e en avril 2024.

Les prĂ©fets sont Ă©galement dotĂ©s de pouvoirs d’interdictions ou de restrictions. Ils peuvent ainsi interdire des manifestations, crĂ©er des locaux de rĂ©tention administrative (Ă©quivalent temporaire des centres de rĂ©tention administratifs, CRA, qui servent Ă  enfermer les personnes Ă©trangĂšres avant de les expulser) ou, depuis la loi SILT (qui introduisait en 2017 dans le droit commun les mesures de l’état d’urgence), mettre en place des « pĂ©rimĂštres de sĂ©curitĂ© Â».

En thĂ©orie, toutes ces dĂ©cisions des prĂ©fets doivent ĂȘtre publiĂ©es. Mais en pratique, il est trĂšs difficile d’accĂ©der Ă  cette information. Parfois, les prĂ©fectures communiquent sur les rĂ©seaux sociaux. Mais cela reste exceptionnel et cantonnĂ© Ă  quelques grands Ă©vĂ©nements. La plupart du temps, toutes ces dĂ©cisions sont enterrĂ©es au fond des recueils des actes administratifs des prĂ©fectures.

Les recueils des actes administratifs, triste exemple d’inaccessibilitĂ©

Les recueils des actes administratifs (RAA) sont les journaux officiels des prĂ©fectures : dans un objectif trĂšs thĂ©orique de transparence, beaucoup de dĂ©cisions prises par les prĂ©fectures doivent ĂȘtre publiĂ©e dans ces RAA. Cette publicitĂ© est cependant limitĂ©e en pratique : les RAA sont dĂ©libĂ©rĂ©ment organisĂ©s de maniĂšre Ă  ĂȘtre les moins accessibles possibles.

Prenons un cas pratique pour illustrer cette inaccessibilitĂ©. De passage Ă  Antibes le week-end du 25-26 aoĂ»t 2024, vous avez constatĂ© qu’un drone survolait le centre-ville. Vous souhaitez alors connaĂźtre la dĂ©cision (en l’occurrence ici, un arrĂȘtĂ©) qui a autorisĂ© cette surveillance et voir les justifications avancĂ©es par les pouvoirs publics pour son dĂ©ploiement, la durĂ©e d’autorisation ou encore les personnes responsables.

Une recherche sur le site de la prĂ©fecture des Alpes-Maritimes ne retourne aucun rĂ©sultat. Vous devez alors rechercher par vous-mĂȘme dans les RAA. Mais ceux de la prĂ©fecture des Alpes-Maritimes sont dispersĂ©s dans une multitude de fichiers PDF, eux-mĂȘme Ă©parpillĂ©s dans de nombreuses pages et sous-pages du site de l’administration. Vous devez donc scruter l’ensemble des recueils mensuels, spĂ©ciaux et spĂ©cifiques. Mais gare Ă  vous si vous ouvrez trop rapidement plusieurs fichiers PDF : vous vous retrouverez bloqué·e par la plateforme et devrez attendre plusieurs dizaines de minutes avant de pouvoir continuer ! De plus, en utilisant la fonction Recherche de votre navigateur dans les fichiers PDF des RAA publiĂ©s autour de la date recherchĂ©e, vous ne trouvez nulle part le terme « aĂ©ronef Â» (expression lĂ©galement consacrĂ©e pour dĂ©signer les drones).

Finalement, en recherchant « drone Â», vous trouvez une petite ligne dans le sommaire du RAA spĂ©cial du 14 aoĂ»t. En vous rendant Ă  la page indiquĂ©e dans le sommaire, vous constaterez qu’il s’agit bien de l’arrĂȘtĂ© prĂ©fectoral que vous cherchez. Mais il n’est pas possible de sĂ©lectionner le texte (donc de faire une recherche dans le corps des arrĂȘtĂ©s du RAA) parce que les services de la prĂ©fecture ont publiĂ©e sa version scannĂ©e


Il ne s’agit pas du pire exemple, mĂȘme si certaines prĂ©fectures rendent leurs recueils d’actes administratifs un peu plus accessibles que celle des Alpes-Maritimes. Et, dans notre cas pratique, il s’agissait de retrouver un arrĂȘtĂ© prĂ©cis. Autant dire qu’il n’est pas possible de faire une veille efficace, et donc d’exercer un contrĂŽle sur les actes pris par les prĂ©fectures, notamment en termes de surveillance de la population.

Une interface unique pour rendre accessible les recueil des actes administratifs

Pour contourner ces obstacles pratiques, nous avons crĂ©Ă© Attrap. Il s’agit d’un moteur de recherche qui analyse automatiquement les sites des prĂ©fectures, tĂ©lĂ©charge les diffĂ©rents fichiers PDF des RAA, reconnaĂźt les caractĂšres, extrait le texte et rend tout cela disponible dans une interface web unique. À partir de cette derniĂšre, vous pouvez alors rechercher des mots-clĂ©s dans les RAA de toutes les prĂ©fectures ou certaines seulement, trier les rĂ©sultats par pertinence ou chronologiquement, ou encore faire des recherches avancĂ©es avec les mots « AND Â» ou « OR Â». Ainsi, l’arrĂȘtĂ© d’autorisation de drones de notre exemple peut se trouver en quelques instants.

Mieux ! Si vous savez coder et voulez dĂ©velopper des fonctionnalitĂ©s que n’offre pas Attrap (par exemple un systĂšme de statistiques, de veille, ou d’analyse plus poussĂ©e des arrĂȘtĂ©s prĂ©fectoraux), vous pouvez utiliser librement l’API du service. C’est grĂące Ă  celle-ci que nous avons crĂ©Ă© les robots de veille Mastodon Attrap’Surveillance (qui dĂ©tecte la vidĂ©osurveillance, la VSA et les drones), Attrap’Silt (qui dĂ©tecte les pĂ©rimĂštres de sĂ©curitĂ© de la loi Silt) et Attrap’LRA (qui dĂ©tecte les crĂ©ations de locaux de rĂ©tention administrative). Et le code source de notre robot est lui aussi libre.

Redonner du pouvoir aux individus

Attrap est un nouvel outil pour, par exemple, les groupes locaux Technopolice qui documentent et veillent sur le dĂ©veloppement des technologies de surveillance, dans nos quartiers, villes et villages. Cet outil permet ainsi de rendre visible, en alertant les habitant·es, de ce que la police voudrait invisible : la surveillance de nos rues et donc de nos vies. Il permettra Ă©galement de documenter qui seront les futurs cobayes de la vidĂ©o surveillance algorithmique (VSA) dans le cadre de la loi JO qui se poursuit jusqu’en mars 2025.

Ainsi, c’est grĂące Ă  Attrap que nous avons pu par exemple visibiliser les usages de VSA cette annĂ©e, y compris saisir la CNIL d’une plainte lorsque la prĂ©fecture de police de Paris a utilisĂ© cette technologie illĂ©galement. C’est Ă©galement grĂące Ă  cet outil que le groupe Technopolice Marseille a pu documenter les usages massifs de drones dans la citĂ© phocĂ©enne, notamment lors des « opĂ©rations place nette Â», vaste sĂ©quence mĂ©diatique de GĂ©rald Darmanin au bilan trĂšs critiquĂ©, ou pour surveiller le centre de rĂ©tention administrative du Canet (arrĂȘtĂ© qui vient d’ĂȘtre suspendu par la justice suite Ă  un recours de l’Ordre des avocats au barreau de Marseille et de La Cimade, soutenus par le Syndicat des Avocats de France, le Syndicat de la magistrature et le Gisti).

Attrap comporte encore quelques limites. Pour l’instant, seule une trentaine de prĂ©fectures de dĂ©partement et deux prĂ©fectures de rĂ©gion sont supportĂ©es. L’ajout d’une nouvelle administration nĂ©cessite du temps puisqu’il faut s’adapter Ă  la maniĂšre qu’a chaque prĂ©fecture de rĂ©pertorier en ligne ses RAA. Également, pour la plupart des prĂ©fectures, seuls les RAA de l’annĂ©e 2024 sont indexĂ©s. Mais la couverture d’Attrap s’amĂ©liorera dans les prochains mois.

Pour amĂ©liorer Attrap, nous organisons un hackathon lors du 38Ăšme Chaos Communication Congress (38C3) Ă  Hambourg en Allemagne. Si vous aimez le Python, n’hĂ©sitez pas Ă  venir ! Mais si vous n’ĂȘtes pas au 38C3, vous pouvez Ă©galement vous rendre sur notre canal Matrix dĂ©diĂ© pour commencer Ă  contribuer ! đŸ€“

À l’avenir, d’autres fonctionnalitĂ©s seront Ă©galement ajoutĂ©es. Nous prĂ©voyons notamment d’ajouter un systĂšme de veille, qui vous permettra d’ĂȘtre notifié·e par email des derniers rĂ©sultats sans avoir Ă  crĂ©er vous-mĂȘme votre propre robot de veille.

Par cet outil, nous souhaitons donner plus de pouvoirs aux personnes concernĂ©es par les dĂ©cisions prĂ©fectorales. Vous pouvez dĂšs aujourd’hui avoir un aperçu des mesures les moins acceptables que les prĂ©fectures ont tendance Ă  enterrer au fond de leurs RAA : interdictions de manifestations, vidĂ©osurveillance, drones, vidĂ©osurveillance algorithmique, interdictions de festivals de musique clandestins, mesures de police justifiĂ©es par des appels au « zbeul Â» sur les rĂ©seaux sociaux, etc.

Nous espĂ©rons qu’Attrap permettra de mieux visibiliser l’action locale (et les abus) de l’État. L’opacitĂ© entretenue par les prĂ©fectures vient de perdre un peu de terrain. Pour nous aider Ă  continuer nos actions, vous pouvez nous faire un don. Et si vous voulez contribuer Ă  Attrap, rendez-vous sur le canal Matrix dĂ©diĂ©.

QSPTAG #315 — 6 dĂ©cembre 2024

C’est pas de l’IA, c’est du soutien !

Jeudi dernier, le 28 novembre, nous avons lancĂ© notre campagne de dons pour 2025. Comme Ă  chaque fin d’annĂ©e, les associations font leur appel Ă  soutien pour boucler le budget de l’annĂ©e qui va commencer. La Quadrature n’y Ă©chappe pas, d’autant moins qu’elle tient principalement par vos dons et qu’elle refuse de solliciter des subventions publiques, pour des raisons d’indĂ©pendance de plus en plus Ă©videntes. Si vous le pouvez, merci de nous soutenir financiĂšrement !

Pour animer ce mois de campagne, on a dĂ©cidĂ© de parler d’un sujet qui nous intĂ©resse depuis un moment dĂ©jĂ , mais qu’on veut prendre Ă  bras le corps tant les choses s’accĂ©lĂšrent : l’IA. DerriĂšre le buzzword du moment se cachent Ă©normĂ©ment de fantasmes et des rĂ©alitĂ©s trop mal connues. Tant de croyances entourent l’IA qu’elle joue le rĂŽle d’un mythe, endossant tantĂŽt le rĂŽle du sauveur ou celui du bourreau de l’humanitĂ©. Mais elle a des rĂ©alitĂ©s concrĂštes Ă  partir desquelles il faut l’apprĂ©hender. Par oĂč commencer ?

D’abord, supprimer l’effet de fascination causĂ© par l’expression elle mĂȘme. « L’intelligence artificielle Â» n’existe pas. Ou plutĂŽt, il faut regarder de plus prĂšs ce que recouvre le mot magique. Nous avons publiĂ© un premier article accompagnĂ© d’une premiĂšre vidĂ©o pour prĂ©senter les grandes lignes de notre lecture du phĂ©nomĂšne. L’IA n’est rendue possible que par une Ă©norme concentration de moyens qui la place d’entrĂ©e entre les mains du systĂšme industriel et financier dominant, avec tous les dĂ©gĂąts sociaux et environnementaux qui s’ensuivent. Elle sert logiquement les intĂ©rĂȘts de ces dominants. Comme instrument de police avec la VSA, comme instrument de contrĂŽle social avec les algorithmes administratifs, comme instrument de l’exploitation salariale avec l’entrĂ©e de l’IA gĂ©nĂ©rative dans les entreprises
 Autant d’aspects que nous essaierons d’explorer tout au long de cette campagne et dans les mois qui viennent. Soutenez La Quadrature en 2025 !

Rendez-vous sur la page de la campagne de dons : https://www.laquadrature.net/donner/
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France ContrĂŽle : un algo de contrĂŽle discriminatoire Ă  l’Assurance maladie

Exemple concret des espoirs et des ambitions confiĂ©es Ă  « l’intelligence artificielle Â» (naguĂšre, on appelait ça le « big data Â») : identifier les fraudes aux prestations sociales. Nous avons publiĂ© l’annĂ©e derniĂšre les rĂ©sultats de notre travail sur l’algorithme de notation utilisĂ© par la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) pour attribuer un « score de risque Â» Ă  ses bĂ©nĂ©ficiaires. Nous avions dĂ©couvert, et montrĂ© preuve Ă  l’appui, que l’algorithme en question Ă©tait Ă©crit pour cibler plus particuliĂšrement les personnes en situation de grande prĂ©caritĂ© (solitude, charge de famille, faibles revenus, etc.). Nous publions cette semaine la suite de cette enquĂȘte.

Cette fois, c’est l’algorithme de notation utilisĂ© par la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM) qui est dĂ©cortiquĂ©. Nos conclusions sont les mĂȘmes : sous prĂ©texte de lutter contre la fraude, la CNAM accentue la pression de contrĂŽle sur les personnes les plus fragiles. Adultes handicapĂ©es, mĂšres cĂ©libataires, voilĂ  les ennemis de la solidaritĂ© sociale et les « fraudeurs Â» dĂ©signĂ©s par les responsables des services sociaux qui mettent au point ces algorithmes de contrĂŽle. Un article Ă  lire sur notre site.

Lire l’article : https://www.laquadrature.net/2024/12/05/notation-algorithmique-lassurance-maladie-surveille-les-plus-pauvres-et-harcele-les-meres-precaires/

Surveillance algorithmique : la CNIL dĂ©missionne

Autre usage de l’IA. On vous a souvent parlĂ© de Briefcam, un logiciel de VSA dotĂ© de puissantes fonctions d’identification faciale et d’analyse biomĂ©trique, achetĂ© par de nombreuses villes en France et utilisĂ© aussi par la police nationale et la gendarmerie nationale, comme l’a rĂ©vĂ©lĂ© l’an dernier le mĂ©dia Disclose.

L’outil est si puissant et si profondĂ©ment installĂ© dans le marchĂ© de la vidĂ©osurveillance algorithmique Ă  la française (VSA), qu’à la suite de l’article de Disclose, la CNIL a menĂ© une enquĂȘte sur l’usage du logiciel par la police et la gendarmerie, dont elle a publiĂ© les conclusions cette semaine (juste aprĂšs notre article qui actait sa dĂ©mission, et le moins qu’on puisse dire, c’est que les conclusions de son enquĂȘte ne sont pas de nature Ă  nous contredire).

Le logiciel Briefcam (comme ses semblables) est capable d’identifier une personne dans la foule Ă  l’aide de traits individuels caractĂ©ristiques : taille, dĂ©marche, vĂȘtements, couleur de la peau ou des cheveux, etc. Cette identification individuelle permet au logiciel de retrouver la mĂȘme personne sur toutes les images des camĂ©ras publiques de la ville, et de la suivre partout – un vĂ©ritable fantasme policier. Mais dans l’état du droit actuel, tout traitement de donnĂ©es qui permet d’identifier une personne de façon certaine, et isole l’individu au sein d’un groupe, relĂšve du traitement de donnĂ©es biomĂ©triques, dites « sensibles Â», c’est-Ă -dire encore plus protĂ©gĂ©es et encadrĂ©es par la loi. On ne fait pas ce qu’on veut avec des donnĂ©es personnelles, encore moins avec des donnĂ©es biomĂ©triques, et c’est le rĂŽle de la CNIL d’y veiller depuis sa crĂ©ation en janvier 1978.

Or, devant les parlementaires qui la consultaient sur la Loi Transports (laquelle cherchait Ă  lĂ©galiser l’usage de la VSA pour certaines enquĂȘtes pĂ©nales) comme dans les conclusions de son enquĂȘte sur Briefcam, la CNIL se dĂ©fausse. Elle se contente de rappeler l’interdiction de la reconnaissance faciale mais pour le reste des fonctions d’analyse biomĂ©triques – tout aussi dangereuses, et tout aussi illĂ©gales –, elle refuse de faire appliquer le droit et se contente des explications fournies par les institutions policiĂšres. En donnant ainsi son aval Ă  une pratique illĂ©gale de surveillance passible de sanctions pĂ©nales, la CNIL trahit sa mission de protection des droits et des libertĂ©s. Notre analyse complĂšte dans l’article.

Lire l’article : https://www.laquadrature.net/2024/12/04/vsa-et-biometrie-la-cnil-demissionnaire/

Data centers : le coĂ»t Ă©cologique du tout numĂ©rique

C’est un des pires aspects de l’IA : basĂ©e sur d’énormes puissances de calcul, elle contribue Ă  l’explosion des besoins en infrastructures, et particuliĂšrement en data centers, gourmands en Ă©nergie et en eau de refroidissement. La ville de Marseille, grand nƓud portuaire et « porte Â» du sud de la France vers la MĂ©diterranĂ©e et le reste du monde, est particuliĂšrement concernĂ©e par le sujet : placĂ©e au point d’arrivĂ©e sur le continent de nombreux cĂąbles sous-marins, elle est envahie par les data centers qui stockent et traitent les donnĂ©es en transit.

Le collectif marseillais « Le nuage Ă©tait sous nos pieds Â», dont fait partie La Quadrature, veut re-matĂ©rialiser le cloud pour montrer la rĂ©alitĂ© de nos usages numĂ©riques. Il a organisĂ© un festival informatif et militant en novembre Ă  Marseille, et publiĂ© un premier article sur le sujet en septembre dernier. Voici le deuxiĂšme article, qui analyse en dĂ©tails la situation Ă  Marseille.

Lire l’article : https://www.laquadrature.net/2024/11/20/accaparement-du-territoire-par-les-infrastructures-du-numerique/

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Data centers Ă  Marseille

Technopolice, le livre

Vidéosurveillance algorithmique

France ContrĂŽle

Notation algorithmique: l’Assurance Maladie surveille les plus pauvres et harcĂšle les mĂšres prĂ©caires

Depuis 2021, nous documentons via notre campagne France ContrĂŽle les algorithmes de contrĂŽle social utilisĂ©s au sein de nos administrations sociales. Dans ce cadre, nous avons en particulier analysĂ© le recours aux algorithmes de notation. AprĂšs avoir rĂ©vĂ©lĂ© que l’algorithme utilisĂ© par la CAF visait tout particuliĂšrement les plus prĂ©caires, nous dĂ©montrons, via la publication de son code1Plus prĂ©cisĂ©ment, nous avons eu accĂšs Ă  l’ensemble des odds ratio associĂ©s aux variables, ce qui nous a permis de rĂ©tro-ingĂ©niĂ©rer le code de l’algorithme., que l’Assurance Maladie utilise un algorithme similaire ciblant directement les femmes en situation de prĂ©caritĂ©.

Depuis 2018, un algorithme dĂ©veloppĂ© par l’Assurance Maladie (CNAM) attribue une note, ou score de suspicion, Ă  chaque foyer bĂ©nĂ©ficiant de la ComplĂ©mentaire SantĂ© Solidaire gratuite (C2SG), soit 6 millions de personnes parmi les plus pauvres de France2La C2S gratuite (C2SG) est une complĂ©mentaire santĂ© gratuite accordĂ©e sous conditions de revenus et de composition familiale. RĂ©servĂ©e aux foyers les plus prĂ©caires, elle bĂ©nĂ©ficiait, en 2023, Ă  5,9 millions de personnes (voir ici). Le plafond annuel de ressources de la C2SG a Ă©tĂ© fixĂ© Ă  9 719 € pour une personne seule, en mĂ©tropole, au 1er avril 2023, modulable en fonction de la composition du foyer du demandeur (voir ici). AttribuĂ©e au niveau du foyer et non au niveau individuel, elle sert Ă  couvrir tout ou partie des frais restant Ă  la charge de l’assuré·e. La C2S peut aussi ĂȘtre soumise Ă  participation financiĂšre en cas de revenus lĂ©gĂšrement supĂ©rieurs (1,5 million de personnes).. Cette note sert Ă  sĂ©lectionner les foyers devant faire l’objet d’un contrĂŽle. Plus elle est Ă©levĂ©e, plus la probabilitĂ© qu’un foyer soit contrĂŽlĂ© est grande. Suite Ă  une erreur de la CNAM, nous avons pu avoir accĂšs au code source de cet algorithme que nous rendons public avec cet article. Le constat est accablant.

L’algorithme cible dĂ©libĂ©rĂ©ment les mĂšres prĂ©caires. Ces derniĂšres, ouvertement prĂ©sentĂ©es dans des documents officiels par les responsables de la CNAM comme Ă©tant « les plus Ă  risques d’anomalies et de fraude Â»3Voir ce document de prĂ©sentation du modĂšle de datamining en « ComitĂ© de Direction Fraude Â» le 11 janvier 2020. C’est ce document qui a Ă©tĂ© mal occultĂ© par les Ă©quipes de la CNAM., reçoivent un score de suspicion plus Ă©levĂ© que le reste des assuré·es. En retour, elles subissent un plus grand nombre de contrĂŽles. Notons que les – trop rares – tĂ©moignages dont nous disposons montrent que ces contrĂŽles peuvent notamment aboutir Ă  des suspensions abusives de couverture santĂ© entraĂźnant des ruptures d’accĂšs aux soins aux consĂ©quences particuliĂšrement graves, et ce, pour l’ensemble des ayants droit du foyer dont les enfants4Si la violence des contrĂŽles organisĂ©s par la CAF sont particuliĂšrement bien documentĂ©s – voir notamment les travaux des collectifs Changer de Cap et Stop ContrĂŽles –, il n’existe pas, Ă  notre connaissance, de travail Ă©quivalent sur les contrĂŽles CNAM. Nous avons cependant pu Ă©changer avec des associations de dĂ©fense des droits des assuré·es qui ont confirmĂ© l’existence de suspensions abusives de couverture santĂ©..

Stigmatiser les femmes précaires

« PremiĂšre demande dont le demandeur est une femme de plus de 25 ans avec plus d’un majeur et au moins un mineur dans le foyer Â»5Voir ce document de prĂ©sentation du modĂšle de datamining en « ComitĂ© de Direction Fraude Â» le 11 janvier 2020. C’est ce document qui a Ă©tĂ© mal occultĂ© par les Ă©quipes de la CNAM.. Voici, mot pour mot, comment est dĂ©crit, au dĂ©tour d’une slide PowerPoint, ce que les responsables de la CNAM appellent le « profil-type du fraudeur Â»6L’expression « profil-type du fraudeur Â» est tirĂ©e du rapport 2020 de lutte contre la fraude de l’Assurance Maladie disponible ici.. C’est ce « profil-type Â» que l’algorithme est chargĂ© d’aller dĂ©tecter parmi les assuré·es. Plus une personne se rapproche de ce profil, plus son score de suspicion est Ă©levĂ© et sa probabilitĂ© d’ĂȘtre contrĂŽlĂ©e est grande.

L’analyse du code de l’algorithme vient confirmer cette description. Parmi les variables utilisĂ©es par l’algorithme et augmentant le score de suspicion, on trouve notamment le fait d’ĂȘtre une femme, d’avoir des enfants mineurs ou d’ĂȘtre Ăągé·e de plus de 25 ans7Un premier modĂšle a Ă©tĂ© utilisĂ© par l’Assurance Maladie entre 2018 et 2021. Visant Ă  prĂ©dire le risque d’indus, il est basĂ© sur une rĂ©gression logistique simple comprenant 5 variables en entrĂ©e, dont le sexe, l’ñge ou la composition du foyer. En 2021, ce modĂšle a Ă©tĂ© modifiĂ© Ă  la marge. L’entraĂźnement semble ĂȘtre rĂ©alisĂ© dans les « rĂšgles de l’art Â», Ă  partir de la sĂ©lection alĂ©atoire de plusieurs milliers de dossiers, envoyĂ©s aux Ă©quipes de contrĂŽle puis utilisĂ©s comme base d’apprentissage. Pour plus de dĂ©tails, voir l’analyse sur notre Gitlab..

Si cet algorithme ne fait pas directement apparaĂźtre de critĂšres liĂ©s Ă  la prĂ©caritĂ© Ă©conomique, c’est tout simplement que ce critĂšre est dĂ©jĂ  prĂ©sent de base dans la dĂ©finition de la population analysĂ©e. BĂ©nĂ©ficiaire de la C2SG, cette « femme de plus de 25 ans Â» fait partie des 6 millions de personnes les plus pauvres de France, dont la majoritĂ© est allocataire du RSA et/ou privĂ©e d’emploi8Pour une prĂ©sentation du public concernĂ© par la C2SG, voir notamment le rapport annuel 2023 portant sur la ComplĂ©mentaire SantĂ© Solidaire de la Direction de la SĂ©curitĂ© Sociale disponible ici..

Vers un ciblage des personnes malades ou en situation de handicap ?

En complĂ©ment du code de l’algorithme utilisĂ© depuis 2018, nous avons obtenu celui d’un modĂšle expĂ©rimental dĂ©veloppĂ© en vue d’évolutions futures. En plus de cibler les mĂšres prĂ©caires, ce modĂšle ajoute aux critĂšres venant augmenter le score de suspicion d’un·e assuré·e le fait d’ĂȘtre en situation de handicap (« bĂ©nĂ©ficier d’une pension d’invaliditĂ© Â»), d’ĂȘtre malade (ĂȘtre « consommateur de soin Â» ou avoir « perçu des indemnitĂ©s journaliĂšres Â», c’est-Ă -dire avoir Ă©tĂ© en arrĂȘt maladie) ou encore
 d’ĂȘtre « en contact avec l’Assurance Maladie Â»9Voir ce document de prĂ©sentation du modĂšle de datamining en « ComitĂ© de Direction Fraude Â» le 11 janvier 2020. C’est ce document qui a Ă©tĂ© mal occultĂ© par les Ă©quipes de la CNAM. Ajoutons qu’il est possible que les Ă©quipes de la CNAM aient rĂ©alisĂ© des traitements illĂ©gaux pour arriver Ă  ces tristes conclusions. Si le modĂšle alternatif nĂ©cessite des croisements de donnĂ©es illĂ©gaux – rappelons par ailleurs qu’il est question de donnĂ©es de santĂ© – il est lĂ©gitime de s’interroger sur la base lĂ©gale Ă  partir de laquelle son « efficience Â» a pu ĂȘtre testĂ©e..

Une prĂ©cision s’impose. Le fait que ce modĂšle expĂ©rimental n’ait pas Ă©tĂ© gĂ©nĂ©ralisĂ© n’est en rien liĂ© Ă  un sursaut de dĂ©cence de la part de la CNAM. Son « efficience Â» fut au contraire vantĂ©e dans des documents distribuĂ©s lors de sa prĂ©sentation en « ComitĂ© de direction Fraude Â» dĂ©but 202010Voir ce document de prĂ©sentation du modĂšle de datamining en « ComitĂ© de Direction Fraude Â» le 11 janvier 2020. C’est ce document qui a Ă©tĂ© mal occultĂ© par les Ă©quipes de la CNAM.. Le seul problĂšme, y expliquent les Ă©quipes de statisticien·nes de la CNAM, est que son utilisation n’est pas lĂ©gale car ce nouveau modĂšle nĂ©cessiterait un « croisement de donnĂ©es non autorisĂ© Â». Pour pouvoir le mettre en place, les Ă©quipes cherchent Ă  appĂąter les dirigeantâž±es de la CNAM afin de gagner leur appui pour obtenir le changement rĂ©glementaire nĂ©cessaire Ă  la mise en place de ce croisement de donnĂ©es11Le croisement demandĂ© semble concerner notamment la base SIAM Erasme, soit une base de donnĂ©es nominatives particuliĂšrement intrusives puisque portant sur les dĂ©penses de santĂ©. Voir ce rapport de la Cour des Comptes. L’accĂšs aux donnĂ©es des comptes bancaires semble aussi ĂȘtre au centre des « limitations rĂ©glementaires Â» empĂȘchant la CNAM de gĂ©nĂ©raliser les modĂšles expĂ©rimentaux..

Opacité et indécence

S’il est une chose cruciale que montrent les documents que nous rendons publics, c’est que les dirigeantâž±es de la CNAM sont parfaitement au courant de la violence des outils qu’ils et elles ont validĂ©. Nul besoin d’ĂȘtre expert·e en statistique pour comprendre les descriptions retranscrites ci-dessus relatives du « profil-type du fraudeur Â»12L’expression « profil-type du fraudeur Â» est tirĂ©e du rapport 2020 de lutte contre la fraude de l’Assurance Maladie disponible ici. que l’algorithme est chargĂ© de cibler.

Mais plutĂŽt que de s’y opposer, les responsables de la CNAM ont prĂ©fĂ©rĂ© utiliser l’opacitĂ© entourant son fonctionnement pour en tirer profit. Technique « Ă  la pointe de la technologie Â», « intelligence artificielle Â» permettant une « dĂ©tection proactive Â» de la fraude, outil prĂ©dictif « Ă  la Minority Report Â» : voici comment, au grĂ© de rapports officiels ou d’interventions publiques, ce type d’outil est vantĂ©13Ces citations se rĂ©fĂšrent globalement Ă  l’ensemble des algorithmes de notation utilisĂ© par la CNAM Ă  des fins de contrĂŽle, ce qui inclut tant l’algorithme de notation des bĂ©nĂ©ficiaires de la C2SG que les algorithmes utilisĂ© pour le profilage et le contrĂŽle des professionnels de santĂ©. Voir le site de l’assurance maladie, le rapport annuel 2021 de lutte contre la fraude Ă  l’assurance maladie disponible ici et l’article publiĂ© en 2022 sur Challenges, « Pour dĂ©busquer les fraudeurs, la SĂ©cu met le paquet sur l’IA et les cyber-enquĂȘteurs Â» et le 30 septembre 2022 disponible ici.. L’absence de transparence vis Ă  vis du grand public quant aux critĂšres de ciblage de l’algorithme permet de masquer la rĂ©alitĂ© des politiques de contrĂŽles. Cette situation permet alors aux dirigeant.es de l’Assurance Maladie de faire briller leurs compĂ©tences gestionnaires et leur capacitĂ© d’innovation sur le dos des plus prĂ©caires.

Au caractĂšre indĂ©cent d’une telle prĂ©sentation, ajoutons ici qu’elle est en plus mensongĂšre. Car, contrairement Ă  la maniĂšre dont il est prĂ©sentĂ©, l’algorithme n’est pas construit pour dĂ©tecter les seules situations de fraudes. La documentation technique montre qu’il est entraĂźnĂ© pour prĂ©dire le fait qu’un dossier prĂ©sente ce que l’Assurance Maladie appelle une « anomalie Â», c’est Ă  dire le fait que les revenus d’un·e assuré·e dĂ©passe le plafond de revenus de la C2S14Pour qu’une anomalie soit dĂ©clarĂ©e comme fraude, il faut que le niveau de revenu constatĂ© aprĂšs contrĂŽle soit supĂ©rieur Ă  3 fois le plafond de la C2S. Voir notamment le rapport annuel 2021 de lutte contre la fraude disponible ici.. Or seule une partie de ces « anomalies Â» – lorsque l’écart entre les revenus et le plafond dĂ©passe un certain montant – est classifiĂ©e comme fraude par l’Assurance-Maladie. Tout laisse Ă  penser que la majoritĂ© des « anomalies Â» dĂ©tectĂ©es par l’algorithme rĂ©sulte avant tout d’erreurs involontaires, liĂ©es Ă  la complexitĂ© des critĂšres d’attribution de la C2SG qui inclut notamment l’ensemble des revenus dont le foyer dispose, et ce, jusqu’aux cadeaux et dons familiaux15Si nous n’avons pu trouver de chiffres prĂ©cis quant Ă  la proportion d’« anomalies Â» liĂ©es Ă  des erreurs involontaires dans le cas de la C2SG, nous nous basons sur les Ă©tudes existantes portant sur l’origine des trop-perçus liĂ©s au Revenu de SolidaritĂ© Active (RSA) dont les conditions d’attribution – nonobstant la frĂ©quence trimestrielle ou annuelle des dĂ©clarations – sont similaires Ă  celle de la C2SG. Or, les Ă©tudes portant sur les RSA dĂ©montrent sans exception que la trĂšs grande majoritĂ© des trop-perçus sont liĂ©s Ă  des erreurs dĂ©claratives liĂ©s Ă  la complexitĂ© dĂ©clarative de cette prestation. Plusieurs de ces Ă©tudes sont citĂ©es dans cet article..

Cette communication est finalement Ă  mettre en perspective face aux enjeux financiers. En 2022, le directeur de l’Assurance Maladie annonçait que la fraude Ă  l’ensemble de la C2S Ă©tait estimĂ©e Ă  1% de son coĂ»t, soit 25 millions sur plus de 2,5 milliards d’euros16En 2022, le directeur de l’Assurance Maladie a prĂ©sentĂ© les premiĂšres estimations devant le SĂ©nat. Son audition est disponible ici. Voir aussi le rapport annuel de lutte contre la fraude de l’Assurance Maladie 2021 disponible ici. Les chiffres des montants de la C2S (gratuite et avec participation financiĂšre) gĂ©rĂ©s par la CNAM sont disponibles dans le rapport annuel 2023 de la direction de la sĂ©curitĂ© sociale.. En revanche, le taux de non-recours Ă  cette prestation sociale Ă©tait lui estimĂ© Ă  plus de 30%, soit un « gain Â» d’environ
 un milliard d’euros pour la CNAM17Voir Mathilde Caro, Morgane Carpezat, LoĂŻcka Forzy, « Le recours et le non-recours Ă  la complĂ©mentaire santĂ© solidaire. Les dossiers de la Drees 2023 Â», disponible ici.. Ces chiffres soulignent l’hypocrisie politique de l’importance de lutter contre la fraude Ă  la C2SG – et la nĂ©cessitĂ© des outils dopĂ©s Ă  l’intelligence artificielle – tout en dĂ©montrant que le recours Ă  de tels outils est avant tout une question d’image et de communication au service des dirigeant·es de l’institution.

Technique et déshumanisation

Il est une derniĂšre chose que mettent en lumiĂšre les documents que nous rendons public. RĂ©digĂ©s par les Ă©quipes de statisticien·nes de la CNAM, ils offrent un Ă©clairage particuliĂšrement cru sur l’absence flagrante de considĂ©ration Ă©thique par les Ă©quipes techniques qui dĂ©veloppent les outils numĂ©riques de contrĂŽle social. Dans ces documents, nulle part n’apparaĂźt la moindre remarque quant aux consĂ©quences humaines de leurs algorithmes. Leur construction est abordĂ©e selon des seules considĂ©rations techniques et les modĂšles uniquement comparĂ©s Ă  l’aune du sacro-saint critĂšre d’efficience.

On perçoit alors le risque que pose la numĂ©risation des politiques de contrĂŽle dans le poids qu’elle donne Ă  des Ă©quipes de data-scientists coupĂ©es des rĂ©alitĂ©s de terrain – ils et elles ne seront jamais confrontĂ©es Ă  la rĂ©alitĂ© d’un contrĂŽle et Ă  leurs consĂ©quences en termes d’accĂšs aux soins – et nourries d’une vision purement mathĂ©matique du monde.

On apprĂ©hende aussi l’intĂ©rĂȘt d’une telle approche pour les responsables des administrations sociales. Ils et elles n’ont plus Ă  faire face aux Ă©ventuelles rĂ©ticences des Ă©quipes de contrĂŽleur·ses lors de la dĂ©finition des politiques de contrĂŽle18Sur la contestation lors de l’élaboration de politiques de contrĂŽle par les Ă©quipes internes Ă  la CNAF, voir le livre ContrĂŽler les assistĂ©s. GenĂšses et usage d’un mot d’ordre, de Vincent Dubois, page 250.. Ils et elles n’ont d’ailleurs mĂȘme plus Ă  expliquer la façon dont ces politiques ont Ă©tĂ© construites aux Ă©quipes de contrĂŽleur·ses, Ă  qui il est simplement demandĂ© de contrĂŽler les dossiers les moins bien notĂ©s par un algorithme-boĂźte-noire.

Le problùme n’est pas technique mais politique

Depuis maintenant deux ans, nous documentons la gĂ©nĂ©ralisation des algorithmes de notation Ă  des fins de contrĂŽle au sein de notre systĂšme social. À l’instar de la CNAM, nous avons montrĂ© qu’ils Ă©taient aujourd’hui utilisĂ©s Ă  la Caisse Nationale des Allocations Familiales (CNAF), l’Assurance-Vieillesse ou encore la MutualitĂ© Sociale Agricole et ont Ă©tĂ© expĂ©rimentĂ©s Ă  France Travail.

Depuis deux ans, nous alertons sur les risques associĂ©s Ă  l’essor de ces techniques, tant en termes de surveillance numĂ©rique que de discriminations et de violence institutionnelle. Surtout, nous n’avons eu de cesse de rĂ©pĂ©ter que, quelques soient les institutions sociales, ces algorithmes ne servent qu’un seul objectif : faciliter l’organisation de politiques de harcĂšlement et de rĂ©pression des plus prĂ©caires, et ce grĂące Ă  l’opacitĂ© et au vernis scientifique qu’ils offrent aux responsables des administrations sociales.

C’est dĂ©sormais chose prouvĂ©e pour deux administrations. Pour la CNAM avec cet article. Mais aussi pour la CNAF, dont nous avons publiĂ© il y a tout juste un an le code de l’algorithme de notation alimentĂ© par les donnĂ©es personnelles de plus de 30 millions de personnes, et que nous avons attaquĂ© devant le Conseil d’État en octobre dernier avec 14 autres organisations en raison du ciblage des personnes en situation de prĂ©caritĂ©, de handicap ou encore les mĂšres isolĂ©es.

Nous espĂ©rons que cet article, associĂ© Ă  ceux publiĂ©s sur la CNAF, finira de dĂ©montrer qu’il n’est pas nĂ©cessaire d’accĂ©der au code de l’ensemble de ces algorithmes pour connaĂźtre leurs consĂ©quences sociales. Car le problĂšme n’est pas technique mais politique.

Vendus au nom de la soi-disant « lutte contre la fraude sociale Â», ces algorithmes sont en rĂ©alitĂ© conçus pour dĂ©tecter des trop-perçus, ou indus, dont toutes les Ă©tudes montrent qu’ils se concentrent sur les personnes prĂ©caires en trĂšs grande difficultĂ©. En effet, ces indus sont largement le fait d’erreurs dĂ©claratives involontaires consĂ©cutives Ă  deux principaux facteurs: la complexitĂ© des rĂšgles d’attribution des minima sociaux (RSA, AAH, C2SG
) et des situations personnelles de grande instabilitĂ© (personnelle, professionnelle ou administrative). Un ancien responsable de la CNAF expliquait ainsi que « Les indus s’expliquent [
] par la complexitĂ© des prestations, le grand nombre d’informations mobilisĂ©es pour dĂ©terminer les droits et l’instabilitĂ© accrue de la situation professionnelle des allocataires Â», ce qui est avant tout le cas pour les « prestations liĂ©es Ă  la prĂ©caritĂ© [
] trĂšs tributaires de la situation familiale, financiĂšre et professionnelle des bĂ©nĂ©ficiaires Â»19Voir les articles d’un directeur du service « contrĂŽle et lutte contre la fraude Â». Le premier « Du contrĂŽle des pauvres Ă  la maĂźtrise des risques Â» a Ă©tĂ© publiĂ© en 2006 et est disponible ici. Le second est intitulĂ© « Le paiement Ă  bon droit des prestations sociales des CAF Â» publiĂ© en 2013 et disponible ici..

Autrement dit, ces algorithmes ne peuvent pas ĂȘtre amĂ©liorĂ©s car ils ne sont que la traduction technique d’une politique visant Ă  harceler et rĂ©primer les plus prĂ©caires d’entre nous.

Lutter

L’hypocrisie et la violence de ces pratiques et des politiques qui les sous-tendent doivent ĂȘtre dĂ©noncĂ©es et ces algorithmes abandonnĂ©s. Quant aux responsables qui les appellent de leurs vƓux, les valident et les promeuvent, ils et elles doivent rĂ©pondre de leur responsabilitĂ©.

Pour nous aider à continuer à documenter ces abus, vous pouvez nous faire un don. Nous appelons également celles et ceux qui, bénéficiaires de la C2SG ou non, souhaitent agir contre cet algorithme et plus largement les politiques de contrÎles de la CNAM. Assuré·es, collectifs, syndicats, employé·es de la CNAM, vous pouvez nous contacter sur algos@laquadrature.net pour réfléchir collectivement aux suites à donner à cette publication.

References[+]

References
↑1 Plus prĂ©cisĂ©ment, nous avons eu accĂšs Ă  l’ensemble des odds ratio associĂ©s aux variables, ce qui nous a permis de rĂ©tro-ingĂ©niĂ©rer le code de l’algorithme.
↑2 La C2S gratuite (C2SG) est une complĂ©mentaire santĂ© gratuite accordĂ©e sous conditions de revenus et de composition familiale. RĂ©servĂ©e aux foyers les plus prĂ©caires, elle bĂ©nĂ©ficiait, en 2023, Ă  5,9 millions de personnes (voir ici). Le plafond annuel de ressources de la C2SG a Ă©tĂ© fixĂ© Ă  9 719 € pour une personne seule, en mĂ©tropole, au 1er avril 2023, modulable en fonction de la composition du foyer du demandeur (voir ici). AttribuĂ©e au niveau du foyer et non au niveau individuel, elle sert Ă  couvrir tout ou partie des frais restant Ă  la charge de l’assuré·e. La C2S peut aussi ĂȘtre soumise Ă  participation financiĂšre en cas de revenus lĂ©gĂšrement supĂ©rieurs (1,5 million de personnes).
↑3, ↑5, ↑10 Voir ce document de prĂ©sentation du modĂšle de datamining en « ComitĂ© de Direction Fraude Â» le 11 janvier 2020. C’est ce document qui a Ă©tĂ© mal occultĂ© par les Ă©quipes de la CNAM.
↑4 Si la violence des contrĂŽles organisĂ©s par la CAF sont particuliĂšrement bien documentĂ©s – voir notamment les travaux des collectifs Changer de Cap et Stop ContrĂŽles –, il n’existe pas, Ă  notre connaissance, de travail Ă©quivalent sur les contrĂŽles CNAM. Nous avons cependant pu Ă©changer avec des associations de dĂ©fense des droits des assuré·es qui ont confirmĂ© l’existence de suspensions abusives de couverture santĂ©.
↑6, ↑12 L’expression « profil-type du fraudeur Â» est tirĂ©e du rapport 2020 de lutte contre la fraude de l’Assurance Maladie disponible ici.
↑7 Un premier modĂšle a Ă©tĂ© utilisĂ© par l’Assurance Maladie entre 2018 et 2021. Visant Ă  prĂ©dire le risque d’indus, il est basĂ© sur une rĂ©gression logistique simple comprenant 5 variables en entrĂ©e, dont le sexe, l’ñge ou la composition du foyer. En 2021, ce modĂšle a Ă©tĂ© modifiĂ© Ă  la marge. L’entraĂźnement semble ĂȘtre rĂ©alisĂ© dans les « rĂšgles de l’art Â», Ă  partir de la sĂ©lection alĂ©atoire de plusieurs milliers de dossiers, envoyĂ©s aux Ă©quipes de contrĂŽle puis utilisĂ©s comme base d’apprentissage. Pour plus de dĂ©tails, voir l’analyse sur notre Gitlab.
↑8 Pour une prĂ©sentation du public concernĂ© par la C2SG, voir notamment le rapport annuel 2023 portant sur la ComplĂ©mentaire SantĂ© Solidaire de la Direction de la SĂ©curitĂ© Sociale disponible ici.
↑9 Voir ce document de prĂ©sentation du modĂšle de datamining en « ComitĂ© de Direction Fraude Â» le 11 janvier 2020. C’est ce document qui a Ă©tĂ© mal occultĂ© par les Ă©quipes de la CNAM. Ajoutons qu’il est possible que les Ă©quipes de la CNAM aient rĂ©alisĂ© des traitements illĂ©gaux pour arriver Ă  ces tristes conclusions. Si le modĂšle alternatif nĂ©cessite des croisements de donnĂ©es illĂ©gaux – rappelons par ailleurs qu’il est question de donnĂ©es de santĂ© – il est lĂ©gitime de s’interroger sur la base lĂ©gale Ă  partir de laquelle son « efficience Â» a pu ĂȘtre testĂ©e.
↑11 Le croisement demandĂ© semble concerner notamment la base SIAM Erasme, soit une base de donnĂ©es nominatives particuliĂšrement intrusives puisque portant sur les dĂ©penses de santĂ©. Voir ce rapport de la Cour des Comptes. L’accĂšs aux donnĂ©es des comptes bancaires semble aussi ĂȘtre au centre des « limitations rĂ©glementaires Â» empĂȘchant la CNAM de gĂ©nĂ©raliser les modĂšles expĂ©rimentaux.
↑13 Ces citations se rĂ©fĂšrent globalement Ă  l’ensemble des algorithmes de notation utilisĂ© par la CNAM Ă  des fins de contrĂŽle, ce qui inclut tant l’algorithme de notation des bĂ©nĂ©ficiaires de la C2SG que les algorithmes utilisĂ© pour le profilage et le contrĂŽle des professionnels de santĂ©. Voir le site de l’assurance maladie, le rapport annuel 2021 de lutte contre la fraude Ă  l’assurance maladie disponible ici et l’article publiĂ© en 2022 sur Challenges, « Pour dĂ©busquer les fraudeurs, la SĂ©cu met le paquet sur l’IA et les cyber-enquĂȘteurs Â» et le 30 septembre 2022 disponible ici.
↑14 Pour qu’une anomalie soit dĂ©clarĂ©e comme fraude, il faut que le niveau de revenu constatĂ© aprĂšs contrĂŽle soit supĂ©rieur Ă  3 fois le plafond de la C2S. Voir notamment le rapport annuel 2021 de lutte contre la fraude disponible ici.
↑15 Si nous n’avons pu trouver de chiffres prĂ©cis quant Ă  la proportion d’« anomalies Â» liĂ©es Ă  des erreurs involontaires dans le cas de la C2SG, nous nous basons sur les Ă©tudes existantes portant sur l’origine des trop-perçus liĂ©s au Revenu de SolidaritĂ© Active (RSA) dont les conditions d’attribution – nonobstant la frĂ©quence trimestrielle ou annuelle des dĂ©clarations – sont similaires Ă  celle de la C2SG. Or, les Ă©tudes portant sur les RSA dĂ©montrent sans exception que la trĂšs grande majoritĂ© des trop-perçus sont liĂ©s Ă  des erreurs dĂ©claratives liĂ©s Ă  la complexitĂ© dĂ©clarative de cette prestation. Plusieurs de ces Ă©tudes sont citĂ©es dans cet article.
↑16 En 2022, le directeur de l’Assurance Maladie a prĂ©sentĂ© les premiĂšres estimations devant le SĂ©nat. Son audition est disponible ici. Voir aussi le rapport annuel de lutte contre la fraude de l’Assurance Maladie 2021 disponible ici. Les chiffres des montants de la C2S (gratuite et avec participation financiĂšre) gĂ©rĂ©s par la CNAM sont disponibles dans le rapport annuel 2023 de la direction de la sĂ©curitĂ© sociale.
↑17 Voir Mathilde Caro, Morgane Carpezat, LoĂŻcka Forzy, « Le recours et le non-recours Ă  la complĂ©mentaire santĂ© solidaire. Les dossiers de la Drees 2023 Â», disponible ici.
↑18 Sur la contestation lors de l’élaboration de politiques de contrĂŽle par les Ă©quipes internes Ă  la CNAF, voir le livre ContrĂŽler les assistĂ©s. GenĂšses et usage d’un mot d’ordre, de Vincent Dubois, page 250.
↑19 Voir les articles d’un directeur du service « contrĂŽle et lutte contre la fraude Â». Le premier « Du contrĂŽle des pauvres Ă  la maĂźtrise des risques Â» a Ă©tĂ© publiĂ© en 2006 et est disponible ici. Le second est intitulĂ© « Le paiement Ă  bon droit des prestations sociales des CAF Â» publiĂ© en 2013 et disponible ici.

VSA et biomĂ©trie : la CNIL dĂ©missionnaire

ParticuliĂšrement dĂ©faillante sur les sujets liĂ©s Ă  la surveillance d’État, la CNIL a encore manquĂ© une occasion de s’affirmer comme vĂ©ritable contre-pouvoir et, au passage, d’assurer la dĂ©fense des droits humains. À l’occasion de l’examen de la proposition de loi sur la sĂ©curitĂ© dans les transports, elle a ainsi plongĂ© tĂȘte la premiĂšre pour venir au secours des institutions policiĂšres et justifier leur utilisation d’un logiciel de vidĂ©osurveillance algorithmique dite « a posteriori Â», telle que celle commercialisĂ©e par la sociĂ©tĂ© Briefcam. Si nous avions de moins en moins d’attentes envers la CNIL, nous ne pouvons aujourd’hui qu’acter ce constat : l’autoritĂ© se pense chaque jour davantage comme une institution d’accompagnement de l’« innovation Â» au service des start-ups et du pouvoir plutĂŽt qu’une autoritĂ© de dĂ©fense des droits.

AprĂšs la loi sur les Jeux Olympiques de 2023 qui lĂ©gitimait la vidĂ©osurveillance algorithmique (VSA) en temps rĂ©el, la VSA dite « a posteriori Â» s’est rĂ©cemment retrouvĂ©e Ă  l’agenda lĂ©gislatif. Nous vous en avons dĂ©jĂ  parlĂ© : ce type de logiciel permet de faire des analyses et recherches dans les enregistrements vidĂ©o aprĂšs la survenue d’un Ă©vĂ©nement (et non en direct comme la VSA en temps rĂ©el ) sur la base d’attributs physiques et biomĂ©triques. Un texte dĂ©posĂ© par la droite sĂ©natoriale proposait ainsi une nouvelle expĂ©rimentation de ce type de VSA dans les transports, jusqu’en 2027, sur les vidĂ©os rĂ©quisitionnĂ©es par la police lors de ses enquĂȘtes auprĂšs de la SNCF et la RATP. PassĂ©e Ă  la trappe suite Ă  la dissolution de l’AssemblĂ©e, cette proposition de loi revenait mercredi dernier en commission des lois.

Explication de texte

ConcrĂštement, sans mĂȘme recourir aux empreintes faciales des individus (reconnaissance faciale), ces mĂ©thodes de VSA permettent de suivre une personne prĂ©cise Ă  mesure qu’elle Ă©volue dans l’espace urbain et passe dans le champ de vision de diffĂ©rentes camĂ©ras – grĂące Ă  la combinaison d’informations sur son apparence, par exemple, la couleur de ses vĂȘtements ou des signes distinctifs comme la taille, la couleur et la coupe de cheveux, ou d’autres caractĂ©ristiques dĂ©duites Ă  partir de l’identitĂ© de genre. En nous appuyant sur l’état du droit, il est trĂšs clair pour nous que, dĂšs lors que les algorithmes de VSA permettent de retrouver une personne parmi d’autres, Ă  partir des donnĂ©es physiques ou comportementales qui lui sont propres, il s’agit d’une identification biomĂ©trique. Or, en droit des donnĂ©es personnelles, les traitements biomĂ©triques sont strictement encadrĂ©s et en consĂ©quence, l’utilisation de ces logiciels en l’absence de tout cadre juridique spĂ©cifique doit ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme illĂ©gale.

Pourtant, la proposition de loi relative Ă  la sĂ©curitĂ© dans les transports prĂ©tendait Ă©chapper Ă  cette catĂ©gorie, Ă©voquant des « logiciels de traitement de donnĂ©es non biomĂ©triques pour extraire et exporter les images [
] rĂ©quisitionnĂ©es Â» par la police. Si les logiciels visĂ©s sont bien ceux de Briefcam et consorts, une telle affirmation est donc incohĂ©rente, voire mensongĂšre. Elle a uniquement pour but de minimiser l’impact de ces logiciels, tant d’un point vue technique que juridique. Nous avons donc envoyĂ© une note dĂ©taillĂ©e (disponible ici) aux membres de la commission des lois afin de leur expliquer le fonctionnement de cette technologie ainsi que les consĂ©quences juridiques qu’ils et elles devaient en tirer.

Puis, coup de thĂ©Ăątre lors de l’examen du texte : l’article est retirĂ©. Mais si le rapporteur du texte, Guillaume Gouffier Valente, a voulu supprimer cet article, ce n’est non pas au motif que la VSA serait effectivement trop dangereuse pour les droits et libertĂ©s, mais parce que la CNIL, lors de son audition sur cette proposition de loi, aurait expressĂ©ment affirmĂ© qu’une telle loi n’était pas nĂ©cessaire et que ces logiciels Ă©taient de toute façon d’ores et dĂ©jĂ  utilisĂ©s. ll s’agirait donc de la part de la CNIL d’un renoncement Ă  faire appliquer le droit qu’elle est pourtant censĂ©e connaĂźtre. Nous avons envoyĂ© aux services de la CNIL une demande de rendez-vous pour en savoir plus et comprendre prĂ©cisĂ©ment la position de l’autoritĂ© dans ce dossier. Mais celle-ci est restĂ©e Ă  ce jour sans rĂ©ponse.

Protéger les pratiques policiÚres

La position de la CNIL s’explique sans doute par sa volontĂ© de justifier sa propre dĂ©faillance dans le dossier de la VSA. En effet, la solution d’analyse vidĂ©o de Briefcam est dĂ©jĂ  utilisĂ©e dans plus de 200 villes en France d’aprĂšs un article du Monde Diplomatique et a Ă©tĂ© acquise par la police nationale en 2015 puis par la gendarmerie nationale en 2017. Autant d’usages illĂ©gaux qui auraient dĂ» faire l’objet de sanctions fermes de sa part. Il n’en a rien Ă©tĂ©.

AprĂšs la rĂ©vĂ©lation du mĂ©dia Disclose concernant le recours au logiciel Briefcam par la police et la gendarmerie nationale, le ministre de l’IntĂ©rieur avait commandĂ© Ă  l’Inspection gĂ©nĂ©rale de l’administration, l’Inspection gĂ©nĂ©rale de la gendarmerie nationale et l’Inspection gĂ©nĂ©rale de la police nationale un rapport d’évaluation, rĂ©cemment publiĂ©, faisant Ă©tat de l’utilisation de ce logiciel. Si on lit dans ce document diffĂ©rentes justifications et contorsions hasardeuses pour expliquer l’usage la fonction de reconnaissance faciale, ces institutions assument par contre totalement l’utilisation de Briefcam pour les autres fonctionnalitĂ©s de reconnaissance biomĂ©trique.

Un exemple est mĂȘme donnĂ© page 35, expliquant qu’un homme a pu ĂȘtre identifiĂ© grĂące Ă  la fonction de « similitude d’apparence Â» du logiciel, notamment parce qu’il portait un T-shirt trĂšs reconnaissable. Juridiquement, il s’agit donc d’un traitement de donnĂ©es biomĂ©triques. On apprend dans ce mĂȘme rapport d’inspection que, dĂ©sormais, pour sauver les meubles, la police et la gendarmerie qualifieraient cette solution de « logiciel de rapprochement judiciaire Â», une catĂ©gorie juridique spĂ©cifique qui n’est pas du tout adaptĂ©e Ă  ces logiciels, comme nous l’expliquions ici.

À quoi bon la CNIL ?

À l’occasion de ce dĂ©bat sur la proposition de loi sur les transports, la CNIL aurait donc pu se positionner fermement sur ce sujet, taper du poing sur la table et enfin mettre un coup d’arrĂȘt Ă  toutes ces justifications juridiques farfelues. Elle aurait pu poser une doctrine sur le sujet qui, aujourd’hui, manque cruellement, et ce, malgrĂ© nos appels du pied et les interprĂ©tations claires du monde universitaire sur la nature biomĂ©trique de ce type de technologies1 Voir par exemple le livre blanc « Surveiller les foules Â» de Caroline Lequesne, maĂźtresse de confĂ©rences en droit public Ă  l’UniversitĂ© CĂŽte d’Azur, ou encore les articles sur la « technopolice administrative Â» publiĂ©s dans la Revue des Droits de l’Homme par Robin MĂ©dard Inghilterra, maĂźtre de confĂ©rence Ă  l’UniversitĂ© Paris I, accessibles en ligne ici et ici.. À l’inverse, elle a prĂ©fĂ©rĂ© acter sa dĂ©mission totale devant les dĂ©putĂ©â‹…es.

Le laisser-faire coupable de la CNIL s’inscrit dans la continuitĂ© de ses prises de positions antĂ©rieures sur le sujet. En 2022 dĂ©jĂ , lorsque la CNIL avait adoptĂ© pour la premiĂšre fois une position sur la VSA, elle avait fini par expressĂ©ment exclure de son analyse – et sans explication – les usages « a posteriori Â» de la technologie, pourtant tout aussi dangereux que les usages en temps rĂ©el. Faute de « lignes directrices Â» sur le sujet, ces usages « a posteriori Â» ne sont donc couverts par aucune position de l’autoritĂ© administrative. Cela n’a pas empĂȘchĂ© la CNIL d’intervenir lors d’actions en justice pour dĂ©douaner la communautĂ© de communes de Coeur Cote Fleurie de son utilisation de Briefcam.

Nous continuons donc d’assister au lent dĂ©clin de la CNIL en tant que contre-pouvoir Ă©tatique. PrĂ©fĂ©rant se consacrer Ă  l’accompagnement des entreprises (mĂȘme techno-sĂ©curitaires) et Ă  la rĂ©gulation du secteur Ă©conomique, elle semble manquer de courage pour tenir tĂȘte aux ardeurs sĂ©curitaires des pouvoirs publics, ce qui a logiquement et inexorablement menĂ© Ă  une inflation de textes autorisant les administrations Ă  utiliser tout un tas de techniques de surveillance. Ce positionnement sur la VSA ressemble aujourd’hui Ă  une capitulation complĂšte. En refusant de rappeler le droit et en validant des interprĂ©tations hasardeuses et favorables aux intĂ©rĂȘts policiers et industriels, elle semble aujourd’hui se satisfaire d’ĂȘtre une simple caution visant Ă  valider des formes de surveillance illĂ©gales, relĂ©guant les libertĂ©s publiques derriĂšre les demandes du « terrain Â».

Un réveil nécessaire

Quel est alors censĂ© ĂȘtre le rĂŽle de cette institution dans un supposĂ© État de droit, si elle ne rappelle pas les exigences de proportionnalitĂ© Ă  des agents demandant toujours plus de pouvoirs de contrĂŽle sur la population ? À quoi sert l’expertise accumulĂ©e depuis plus de 45 ans si elle n’est pas mise au service des libertĂ©s des habitant·es, Ă  l’heure oĂč la France s’enfonce dans une course Ă  la surveillance avec des pays comme les États-Unis, IsraĂ«l ou la Chine ? Que faire lorsqu’on rĂ©alise que la CNIL est dĂ©sormais davantage Ă  l’écoute des administrations policiĂšres que des expert⋅es universitaires ou de la sociĂ©tĂ© civile ?

Face Ă  ces dĂ©rives qui participent de la dĂ©rive autoritaire de l’État, nous appelons les commissaires et agent·es de la CNIL au sursaut. Si rien n’est fait pour contrecarrer ces tendances, le laisser-faire qui tient lieu de politique de la CNIL dans la plupart des dossiers technopoliciers de ces derniĂšres annĂ©es conduira Ă  la disqualification dĂ©finitive de l’autoritĂ© de protection des droits, ne lui laissant pour seule fonction que la rĂ©gulation d’un marchĂ© de la surveillance dĂ©sormais dopĂ©e par la prolifĂ©ration des systĂšmes d’intelligence artificielle.

Du cĂŽtĂ© de La Quadrature du Net, nous ne nous rĂ©signons pas. En lien avec la mobilisation populaire, nous souhaitons tenter d’activer les contre-pouvoirs institutionnels qui peuvent encore l’ĂȘtre pour barrer la route Ă  la lĂ©galisation programmĂ©e de la VSA et Ă  la banalisation de ses usages policiers. Pour nous aider, rendez-vous sur notre page de campagne, et si vous le pouvez sur notre page de dons pour nous soutenir dans nos prochaines actions sur ce dossier.

References[+]

References
↑1 Voir par exemple le livre blanc « Surveiller les foules Â» de Caroline Lequesne, maĂźtresse de confĂ©rences en droit public Ă  l’UniversitĂ© CĂŽte d’Azur, ou encore les articles sur la « technopolice administrative Â» publiĂ©s dans la Revue des Droits de l’Homme par Robin MĂ©dard Inghilterra, maĂźtre de confĂ©rence Ă  l’UniversitĂ© Paris I, accessibles en ligne ici et ici.

C’est pas de l’IA, c’est de l’exploitation dernier cri

AprĂšs deux ans passĂ©s Ă  diversifier ses champs d’action, La Quadrature du Net s’attaque dĂ©sormais Ă  un nouveau front : la lutte contre le dĂ©ferlement de l’intelligence artificielle (IA) dans tous les pans de la sociĂ©tĂ©. Pour continuer Ă  faire vivre la critique d’une politique numĂ©rique autoritaire et Ă©cocide, La Quadrature a plus que jamais besoin de votre soutien en 2025.

Depuis plusieurs annĂ©es, en lien avec d’autres collectifs en France et en Europe, nous documentons les consĂ©quences sectorielles trĂšs concrĂštes de l’adoption croissante de l’intelligence artificielle : Ă  travers les campagnes Technopolice et France ContrĂŽle, ou encore plus rĂ©cemment avec des enquĂȘtes pour documenter l’impact environnemental des data centers qui accompagnent la croissance exponentielle des capacitĂ©s de stockage et de calcul.

Une triple accumulation capitaliste

Ces derniers mois, suite Ă  la hype soudaine de l’intelligence artificielle gĂ©nĂ©rative et des produits comme ChatGPT, nous assistons Ă  une nouvelle accĂ©lĂ©ration du processus d’informatisation, sous l’égide des grandes entreprises et des États complices. Or, cette accĂ©lĂ©ration est la consĂ©quence directe de tout ce qui pose dĂ©jĂ  problĂšme dans la trajectoire numĂ©rique dominante. D’abord, une formidable accumulation de donnĂ©es depuis de nombreuses annĂ©es par les grandes multinationales de la tech comme Google, Microsoft, Meta ou Amazon, qui nous surveillent pour mieux prĂ©dire nos comportements, et qui sont dĂ©sormais capables d’indexer de gigantesques corpus de textes, de sons et d’images en s’appropriant le bien commun qu’est le Web.

Pour collecter, stocker et traiter toutes ces donnĂ©es, il faut une prodigieuse accumulation de ressources. Celle-ci transparaĂźt via les capitaux, d’abord : l’essor de la tech, dopĂ©e au capitalisme de surveillance, a su s’attirer les faveurs des marchĂ©s financiers et profiter de politiques publiques accommodantes. GrĂące Ă  ces capitaux, ces entreprises peuvent financer une croissance quasi-exponentielle de la capacitĂ© de stockage et de calcul de donnĂ©es nĂ©cessaire pour entraĂźner et faire tourner leurs modĂšles d’IA, en investissant dans des puces graphiques (GPU), des cĂąbles sous-marins et des data centers. Ces composants et infrastructures nĂ©cessitant Ă  leur tour des quantitĂ©s immenses de terres et mĂ©taux rares, d’eau et d’électricitĂ©.

Lorsqu’on a en tĂȘte cette triple accumulation â€” de donnĂ©es, de capitaux, de ressources â€”, on comprend pourquoi l’IA est le produit de tout ce qui pose dĂ©jĂ  problĂšme dans l’économie du numĂ©rique, et en quoi elle aggrave la facture. Or, le mythe marketing (et mĂ©diatique) de l’intelligence artificielle occulte dĂ©libĂ©rĂ©ment les enjeux et les limites intrinsĂšques Ă  ces systĂšmes, y compris pour les plus performants d’entre eux (biais, hallucinations, gabegie des moyens nĂ©cessaires Ă  leur fonctionnement).

L’exploitation au carrĂ©

L’emballement politico-mĂ©diatique autour de l’IA fait l’impasse sur les effets concrets de ces systĂšmes. Car bien loin de rĂ©soudre les problĂšmes actuels de l’humanitĂ© grĂące Ă  une prĂ©tendue rationalitĂ© supĂ©rieure qui Ă©mergerait de ses calculs, « l’IA Â» dans ses usages concrets amplifie toutes les injustices existantes. Dans le champ Ă©conomique, elle se traduit par l’exploitation massive et brutale des centaines de milliers de « travailleur·euses de la donnĂ©e Â» chargĂ©es d’affiner les modĂšles et de valider leurs rĂ©sultats. En aval, dans les organisations au sein desquelles ces systĂšmes sont dĂ©ployĂ©s, elle induit une nouvelle prise de pouvoir des managers sur les travailleur·euses afin d’augmenter la rentabilitĂ© des entreprises.

Certes, il existe des travailleur·euses relativement privilĂ©gié·es du secteur tertiaire ou encore des « classes crĂ©atives Â» qui y voient aujourd’hui une opportunitĂ© inespĂ©rĂ©e de « gagner du temps Â», dans une sociĂ©tĂ© malade de la course Ă  la productivitĂ©. C’est une nouvelle « dictature de la commoditĂ© Â» : Ă  l’échelle individuelle, tout nous incite Ă  ĂȘtre les complices de ces logiques de dĂ©possession collective. PlutĂŽt que de libĂ©rer les salariĂ©â‹…es, il y a fort Ă  parier que l’automatisation du travail induite par le recours croissant Ă  l’IA contribuera, en rĂ©alitĂ©, Ă  accĂ©lĂ©rer davantage les cadences de travail. Comme ce fut le cas lors des prĂ©cĂ©dentes vagues d’informatisation, il est probable que l’IA s’accompagne Ă©galement d’une dĂ©possession des savoirs et d’une dĂ©qualification des mĂ©tiers qu’elle touche, tout en contribuant Ă  la rĂ©duction des salaires, Ă  la dĂ©gradation des conditions de travail et Ă  des destructions massives d’emploi qualifiĂ©s â€” aggravant du mĂȘme coup la prĂ©caritĂ© de pans entiers de la population.

Dans le secteur public aussi, l’IA accentue l’automatisation et l’austĂ©ritĂ© qui frappent dĂ©jĂ  les services publics, avec des consĂ©quences dĂ©lĂ©tĂšres sur le lien social et les inĂ©galitĂ©s. L’éducation nationale, oĂč sont testĂ©es depuis septembre 2024 et sans aucune Ă©valuation prĂ©alable, les IA « pĂ©dagogiques Â» d’une startup fondĂ©e par un ancien de Microsoft, apparaĂźt comme un terrain particuliĂšrement sensible oĂč ces Ă©volutions sont d’ores et dĂ©jĂ  Ă  l’Ɠuvre.

DĂ©faire le mythe

Pour soutenir le mythe de l’« intelligence artificielle Â» et minimiser ses dangers, un exemple emblĂ©matique est systĂ©matiquement mis en exergue : elle serait capable d’interprĂ©ter les images mĂ©dicales mieux qu’un Ɠil humain, et de dĂ©tecter les cancers plus vite et plus tĂŽt qu’un mĂ©decin. Elle pourrait mĂȘme lire des rĂ©sultats d’analyses pour prĂ©coniser le meilleur traitement, grĂące Ă  une mĂ©moire encyclopĂ©dique des cas existants et de leurs spĂ©cificitĂ©s. Pour l’heure, ces outils sont en dĂ©veloppement et ne viennent qu’en appoint du savoir des mĂ©decins, que ce soit dans la lecture des images ou l’aide au traitement.

Quelle que soit leur efficacitĂ© rĂ©elle, les cas d’usage « mĂ©dicaux Â» agissent dans la mythologie de l’IA comme un moment hĂ©roĂŻque et isolĂ© qui cache en rĂ©alitĂ© un tout autre programme de sociĂ©tĂ©. Une stratĂ©gie de la mystification que l’on retrouve aussi dans d’autres domaines. Ainsi, pour justifier la surveillance des communications, les gouvernements brandissent depuis plus de vingt ans la nĂ©cessitĂ© de lutter contre la pĂ©docriminalitĂ©, ou celle de lutter contre le terrorisme. Dans la mythologie de la vidĂ©osurveillance algorithmique policiĂšre (VSA), c’est l’exemple de la petite fille perdue dans la ville, et retrouvĂ©e en quelques minutes grĂące au camĂ©ras et Ă  la reconnaissance faciale, qui est systĂ©matiquement utilisĂ© pour convaincre du bien fondĂ© d’une vidĂ©osurveillance totale de nos rues.

Il faut Ă©carter le paravent de l’exemple vertueux pour montrer les usages inavouables qu’on a prĂ©fĂ©rĂ© cacher derriĂšre, au prix de la rĂ©duction pernicieuse des libertĂ©s et des droits. Il faut se rendre compte qu’en tant que paradigme industriel, l’IA dĂ©cuple les mĂ©faits et la violence du capitalisme contemporain et aggrave les exploitations qui nous asservissent. Qu’elle dĂ©multiplie la violence d’État, ainsi que l’illustre la place croissante accordĂ©e Ă  ces dispositifs au sein des appareils militaires, comme Ă  Gaza oĂč l’armĂ©e israĂ©lienne l’utilise pour accĂ©lĂ©rer la dĂ©signation des cibles de ses bombardements.

Tracer des alternatives

Au lieu de lutter contre l’IA et ses mĂ©faits, les politiques publiques menĂ©es aujourd’hui en France et en Europe semblent essentiellement conçues pour conforter l’hĂ©gĂ©monie de la tech. C’est notamment le cas du AI Act ou « rĂšglement IA Â», pourtant prĂ©sentĂ© Ă  l’envi comme un rempart face aux dangers de « dĂ©rives Â» alors qu’il cherche Ă  dĂ©rĂ©guler un marchĂ© en plein essor. C’est qu’à l’ùre de la Startup Nation et des louanges absurdes Ă  l’innovation, l’IA apparaĂźt aux yeux de la plupart des dirigeants comme une planche de salut, un Graal qui serait seul capable de sauver l’Europe d’un naufrage Ă©conomique.

Encore et toujours, c’est l’argument de la compĂ©tition gĂ©opolitique qui est mobilisĂ© pour faire taire les critiques : que ce soit dans le rapport du ComitĂ© gouvernemental dĂ©diĂ© Ă  l’IA gĂ©nĂ©rative ou dans celui de Mario Draghi, il s’agit d’inonder les multinationales et les start-ups de capitaux, pour permettre Ă  l’Europe de rester dans la course face aux États-Unis et Ă  la Chine. Ou comment soigner le mal par le mal, en reproduisant les erreurs dĂ©jĂ  commises depuis plus de quinze ans : toujours plus d’« argent magique Â» pour la tech, tandis que les services publics et autres communs sont astreints Ă  l’austĂ©ritĂ©. C’est le choix d’un recul des protections apportĂ©es aux droits et libertĂ©s pour mieux faire prolifĂ©rer l’IA partout dans la sociĂ©tĂ©.

Ces politiques sont absurdes, puisque tout laisse Ă  penser que le retard industriel de l’Europe en matiĂšre d’IA ne pourra pas ĂȘtre rattrapĂ©, et que cette course est donc perdue d’avance. Surtout, ces politiques sont dangereuses dans la mesure oĂč, loin de la technologie salvatrice souvent mise en exergue, l’IA accĂ©lĂšre au contraire le dĂ©sastre Ă©cologique, amplifie les discriminations et accroĂźt de nombreuses formes de dominations. Le paradigme actuel nous enferme non seulement dans une fuite en avant insoutenable, mais il nous empĂȘche aussi d’inventer une trajectoire politique Ă©mancipatrice en phase avec les limites planĂ©taires.

L’IA a beau ĂȘtre prĂ©sentĂ©e comme inĂ©luctable, nous ne voulons pas nous rĂ©signer. Face au consensus mou qui conforte un systĂšme capitaliste dĂ©vastateur, nous voulons contribuer Ă  organiser la rĂ©sistance et Ă  esquisser des alternatives. Mais pour continuer notre action en 2025, nous avons besoin de votre soutien. Alors si vous le pouvez, rendez-vous sur www.laquadrature.net/donner !

C’EST PAS DE L’IA

Quand on entend parler d’intelligence artificielle, c’est l’histoire d’un mythe moderne qui nous est racontĂ©e. Celui d’une IA miraculeuse qui doit sauver le monde, ou d’une l’IA douĂ©e de volontĂ© qui voudrait le dĂ©truire. Pourtant derriĂšre cette « IA Â» fantasmĂ©e se trouve une rĂ©alitĂ© matĂ©rielle avec de vraies consĂ©quences. Cette thĂ©matique sera centrale dans notre travail en 2025, voilĂ  pourquoi nous commençons par dĂ©construire ces fantasmes : non, ce n’est pas de l’IA, c’est l’exploitation de la nature, l’exploitation des humains, et c’est l’ordonnancement de nos vies Ă  des fins autoritaires ciblant toujours les personnes les plus vulnĂ©rables.

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C’est pas de l’IA, c’est de l’exploitation dernier cri

L’IA est le prolongement direct des logiques d’exploitation capitalistes. Si cette technologie a pu Ă©merger, c’est du fait de l’accaparement de nombreuses ressources par le secteur de la tech : d’abord nos donnĂ©es personnelles, puis d’immenses capitaux financiers et enfin les ressources naturelles, extraites en reposant sur le colonialisme ainsi que sur le travail humain nĂ©cessaires Ă  l’entraĂźnement des modĂšles d’IA. Une fois dĂ©ployĂ©e dans le monde professionnel et le secteur public, l’IA aggrave la prĂ©carisation et la dĂ©qualification des personnes au nom d’une course effrĂ©nĂ©e Ă  la productivitĂ©.

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C’est pas de l’IA, c’est une immense infrastructure Ă©cocide

L’essor de l’IA repose sur l’extraction de minerais rares afin de fabriquer les puces Ă©lectroniques indispensables Ă  ses calculs. Elle conduit aussi Ă  la multiplication des data centers par les multinationales de la tech, des Ă©quipements gigantesques et coĂ»teux en Ă©nergie qu’il faut en permanence refroidir. Partout sur la planĂšte, des communautĂ©s humaines se voient ainsi spoliĂ©es de leur eau, tandis qu’on rallume des centrales Ă  charbons pour produire l’électricitĂ© nĂ©cessaire Ă  leur fonctionnement. DerriĂšre les discours de greenwashing des entreprises, les infrastructures matĂ©rielles de l’IA gĂ©nĂšrent une augmentation effrayante de leurs Ă©missions de gaz Ă  effet de serre.

C’est pas de l’IA, c’est l’automatisation de l’État policier

Que ce soit au travers de la police prĂ©dictive ou de la vidĂ©osurveillance algorithmique, l’IA amplifie la brutalitĂ© policiĂšre et renforce les discriminations structurelles. DerriĂšre un vernis prĂ©tendument scientifique, ces technologies arment la rĂ©pression des classes populaires et des militant·es politiques. Elles rendent possible une surveillance systĂ©matique de l’espace public urbain et, ce faisant, participent Ă  l’avĂšnement d’un monde oĂč le moindre Ă©cart Ă  la norme peut ĂȘtre dĂ©tectĂ© puis puni par l’État.

C’est pas de l’IA, c’est la chasse aux pauvres informatisĂ©e

Sous couvert de « rationalisation Â», l’IA envahit les administrations sociales Ă  travers le dĂ©veloppement d’algorithmes auto-apprenants visant Ă  dĂ©tecter de potentiels fraudeurs. Allocations Familiales, Assurance Maladie, Assurance Vieillesse, MutualitĂ© Sociale Agricole : ces systĂšmes sont aujourd’hui dĂ©ployĂ©s dans les principales administrations de l’« Ă‰tat providence Â». Associant un « score de suspicion Â» Ă  chacune d’entre nous pour sĂ©lectionner les personnes Ă  contrĂŽler, nos recherches montrent qu’ils ciblent dĂ©libĂ©rĂ©ment les personnes les plus prĂ©caires .

C’est pas de l’IA, c’est la mise aux enchùres de notre temps de cerveau disponible

L’accaparement de nos donnĂ©es personnelles permet de nourrir les IA de profilage publicitaire, qui associent en temps rĂ©el des publicitĂ©s Ă  nos « profils Â» vendus aux plus offrants. Cette marchandisation de notre attention a aussi pour effet de façonner les rĂ©seaux sociaux centralisĂ©s, rĂ©gulĂ©s par des IA de recommandation de contenus qui les transforment en lieux de radicalisation binaire des camps politiques. Enfin, pour dĂ©velopper des produits comme ChatGPT, les entreprises du secteur doivent amasser d’immenses corpus de textes, de sons et d’images, s’appropriant pour ce faire le bien commun qu’est le Web.

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Pourquoi nous faire un don cette annĂ©e ?

Pour boucler le budget de l’annĂ©e qui vient, nous souhaitons rĂ©colter 260 000 € de dons, en comptant les dons mensuels dĂ©jĂ  existants, et tous les nouveaux dons mensuels ou ponctuels.

À quoi servent concrĂštement vos dons ?

L’association a une fantastique Ă©quipe de membres bĂ©nĂ©voles, mais elle a aussi besoin d’une Ă©quipe salariĂ©e.
Les dons recueillis servent principalement Ă  payer les salaires des permanentes de l’association (75 % des dĂ©penses). Les autres frais Ă  couvrir sont le loyer et l’entretien du local, les dĂ©placements en France et Ă  l’étranger (en train uniquement), les frais liĂ©s aux campagnes et aux Ă©vĂšnements ainsi que les divers frais matĂ©riels propres Ă  toute activitĂ© militante (affiches, stickers, papier, imprimante, t-shirts, etc.).

Pour vous donner une idĂ©e, quand on ventile nos dĂ©penses de 2024 (salaires inclus) sur nos campagnes, en fonction du temps passĂ© par chacun·e sur les sujets de nos luttes, ça ressemble Ă  ça :
Algos : 13 %, Technopolice : 10 %, VSA : 11 %, Chiffrement : 3,45 %, GAFAM : 3 %, IA : 5 %, Surveillance & fichage : 4 %, Surveillance des militants : 4 %, NumĂ©rique & Ă©cologie : 6 %, Plateformes : 4 %, CommunautĂ© : 20% (relations avec d’autres associations, rencontres publiques, week-ends de travail avec des bĂ©nĂ©voles, participation Ă  des festivals et au chos communication Camp (CCC)), Vie de l’association : 17,44 % (rĂ©unions internes, AG, temps de rĂ©flexion stratĂ©gique, coordination de l’association, campagne de dons, achat et envoi des contreparties)

Quelles sont nos sources de financement ?

L’association ne touche aucun argent public, mais reçoit des soutiens, Ă  hauteur de 40 % de son budget, de la part de diverses fondations philanthropiques : la Fondation pour le progrĂšs de l’Homme, la fondation Un monde par tous, Open Society Foundations, la Limelight Foundation et le Digital Freedom Fund.
Le reste de notre budget provient de vos dons. Alors si vous le pouvez, aidez-nous !
Attention, comme nous l’expliquons dans la FAQ de notre site, les dons qui sont faits Ă  La Quadrature ne sont pas dĂ©ductibles des impĂŽts, les services fiscaux nous ayant refusĂ© cette possibilitĂ© Ă  deux reprises.

Comment donner ?

Vous pouvez faire un don par CB, par chĂšque, ou par virement bancaire.
Et si vous pouvez faire un don mensuel — mĂȘme un tout petit ! — n’hĂ©sitez pas, ce sont nos prĂ©fĂ©rĂ©s : en nous assurant des rentrĂ©es d’argent tout au long de l’annĂ©e, ils nous permettent de travailler avec plus de confiance dans la pĂ©rennitĂ© de nos actions.
En plus, le cumul de vos dons vous donne droit Ă  des contreparties (sac, t-shirt, sweat). Attention, l’envoi n’est pas automatique, il faut vous connecter et faire la demande sur votre page personnelle de donateur/donatrice. Et si les contreparties tardent un peu Ă  arriver, ce qui n’est pas rare, c’est parce qu’on est dĂ©bordé·es, ou qu’on attend le rĂ©assort dans certaines tailles, et aussi parce qu’on fait tout ça nous-mĂȘmes avec nos petites mains. Mais elles finissent toujours par arriver !

Merci encore pour votre générosité, et merci beaucoup pour votre patience Faire un don

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