Lâinformatique sans Ă©cran
Lors dâun NoĂ«l de ma tendre jeunesse prĂ©-adolescente est arrivĂ© un « ordinateur » dans le foyer. Ce PC (Intel 386) a Ă©tĂ© installĂ© dans le bureau et a vite dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© en console de jeux. Puis les annĂ©es passant câest devenu une formidable source dâexpĂ©rimentation informatique pour un geek en devenir. Ă cette Ă©poque on sensibilisait la jeunesse Ă ne pas passer trop de temps devant la tĂ©lĂ©vision et la console de jeux, puis devant lâordinateur et les jeux vidĂ©o violents. Mais on ne parlait pas vraiment de lâĂ©cran.
Aujourdâhui les messages de sensibilisation se rĂ©sument aux Ă©crans :
- « pas dâĂ©cran avant trois ans »
- « nos jeunes passent leurs temps sur leurs Ă©crans » (comme si les « vieux » nây Ă©taient pas non plus)
- « attention les écrans fabriquent une génération de crétins »
- « les Ă©crans, les Ă©crans, les Ă©cransâŠÂ»
Il est vrai quâaujourdâhui lâinformatique ne se rĂ©sume presque plus quâĂ un Ă©cran. De lâordinateur avec clavier+souris+Ă©cran, voire crayon optique, on est passĂ© aux tablettes et ordiphones qui nâont plus que lâĂ©cran (tactile quand mĂȘme).
Pour prendre le contre-pied de cette obsession des Ă©crans, je me demandais donc sâil existait encore une informatique « sans Ă©cran ». La formidable multiplicitĂ© des activitĂ©s que lâon peut avoir sur un ordinateur pourrait-elle se faire sans Ă©cran ? Dans quelle mesure peut-on coder, surfer sur le web, lire/envoyer des mails sans Ă©cran ? Cette informatique fantasmĂ©e par notre ex-ministre de lâĂ©ducation est elle une rĂ©alitĂ© ?
Sommaire
- Lâinformatique, une histoire dâabord sans Ă©cran
- LâĂ©cran â la vue
- LâembarquĂ©e, une informatique massivement sans Ă©cran
- LâĂ©ducation numĂ©rique mais sans Ă©cran
- Mais peut-on se passer dâĂ©cran pour dĂ©velopper ?
- Pour conclure
Lâinformatique, une histoire dâabord sans Ă©cran
Si lâon date la naissance de lâĂšre de lâinformatique avec Ada Lovelace, et quâon estime lâarrivĂ©e des ordinateurs avec Ă©crans Ă la fin des annĂ©es 1970, alors on peut aisĂ©ment dire que lâinformatique a Ă©tĂ© plus longtemps sans Ă©cran quâavec.
MalgrĂ© son look cosplay de manga elle nâa pas subi trop dâĂ©crans dans son enfance, elle.
De mĂȘme, il est raisonnable de considĂ©rer lâordinateur comme lâoutil principal pour faire de lâinformatique. Il fut largement sans Ă©cran Ă ses dĂ©buts.
Pas dâĂ©cran pour ces deux geeks qui ont dĂ©veloppĂ© UNIX et le langage C (source)
Lâaltair8800, sorti en 1975 et sur lequel Microsoft a Ă©crit son BASIC, se programmait avec des rubans perforĂ©es, voire avec des commutateurs, et lâaffichage se faisait avec quelques diodes (DEL) en face avant.
Les cartes à trous étant plutÎt utilsées avec les gros ordinateurs (aka Big Iron).
Difficile de considĂ©rer ces deux lignes de diodes rouges comme lâĂ©cran de lâAltair8800
LâĂ©cran â la vue
Pour faire sans Ă©cran, on pense instinctivement Ă utiliser dâautres sens que la vue comme lâouĂŻe ou le toucher (pour le goĂ»t ou lâodorat difficile dâimaginer la chose). Mais lâhistoire de lâinformatique nous montre que les premiĂšres interfaces homme-machine ne fonctionnaient pas avec des Ă©crans, et pourtant utilisaient la vue (lumiĂšre, LED, imprimante, position mĂ©caniqueâŠ).
Mais quâappelle-t-on Ă©cran ?
DâaprĂšs la dĂ©finition de WikipĂ©dia, « un Ă©cran dâordinateur est un pĂ©riphĂ©rique de sortie vidĂ©o dâordinateur. Il affiche les images gĂ©nĂ©rĂ©es par la carte graphique de lâordinateur. GrĂące au taux de rafraĂźchissement dâĂ©cran Ă©levĂ©, il permet de donner lâimpression de mouvement.âŻÂ»
Donc si lâon sâen tient Ă wikipĂ©dia, un Ă©cran dâordinateur câest :
- des images gĂ©nĂ©rĂ©es par une carte graphique dâordinateur. Exit la tĂ©lĂ© cathodique avec un tuner analogique (qui devient rare aujourdâhui avec la TNT).
- avec un taux de rafraßchissement élevé. Exit les liseuses et autres appareils utilisant un affichage type « papier électronique ».
- pas dâindication de rĂ©solutions.
On peut sans doute rajouter les écrans (comme les télés) qui ne sont pas raccordés à une carte graphique dans la catégorie écran.
Cela serait donc la rĂ©solution (dĂ©finition et tailleâŠ) et le rafraĂźchissement (frĂ©quence de balayage) du pĂ©riphĂ©rique de sortie vidĂ©o qui font un Ă©cran.
La matrice 5 Ă 5 dâun micro:bit ne correspond pas Ă un critĂšre de rĂ©solution suffisant, pas plus que les deux poussoirs ne pourraient prĂ©tendre Ă ĂȘtre un clavier.
Pourtant il affiche bien une «âŻimageâŻÂ» de cĆur <3 !
Les afficheurs 7 segments ne peuvent pas ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des Ă©crans. Ils nâaffichent que des chiffres et quelques symboles. Difficile de crĂ©er une impression de mouvement avec seulement des segments.
En faisant un effort, on arrive Ă reconstituer quelques lettres.
En doublant le nombre de segments, on arrive Ă afficher lâensemble des lettres de lâalphabet latin
Sans diacritiques, faut pas pousser
Un « panel » LCD 20Ă4 et ses caractĂšres de 8 pixels sur 5 forme un Ă©cran de 100 pixels sur 32, la rĂ©solution est dĂ©jĂ meilleure, mĂȘme sâil est toujours prĂ©vu pour nâafficher que du texte. NĂ©anmoins on se rapproche de lâidĂ©e que lâon se fait dâun « Ă©cran ».
Du papier Ă©lectronique ne peut pas ĂȘtre un Ă©cran. La rĂ©solution peut ĂȘtre excellente mais le rafraĂźchissement reste insuffisant.
Finalement la dĂ©finition de WikipĂ©dia nâest guĂšre rigoureuse ni efficace, entre lâunique LED du panneau de contrĂŽle et lâĂ©cran haute rĂ©solution, il y a un continuum de pĂ©riphĂ©riques de sortie utilisant des signaux lumineux pour former des images. Il faut peut-ĂȘtre alors chercher les systĂšmes informatiques qui, dans leur usage normal, utilisent dâautres pĂ©riphĂ©riques de sortie ou pas de pĂ©riphĂ©riques de sortie du tout.
LâembarquĂ©e, une informatique massivement sans Ă©cran
Bien sĂ»r il faut dĂ©finir le mot « informatique ». Si lâon se rĂ©fĂšre Ă la dĂ©finition de WikipĂ©dia :
Lâinformatique est un domaine dâactivitĂ© scientifique, technique, et industriel concernant le traitement automatique de lâinformation numĂ©rique par lâexĂ©cution de programmes informatiques hĂ©bergĂ©s par des dispositifs Ă©lectriques-Ă©lectroniques : des systĂšmes embarquĂ©s, des ordinateurs, des robots, des automates, etc.
Avec cette dĂ©finition, le moindre dispositif Ă©lectronique embarquĂ© est de lâinformatique. Lancer une machine Ă laver, programmer son four ou prĂ©parer une cafetiĂšre pour le lendemain est donc une forme de manipulation informatique⊠quâon peut envisager sans Ă©cran.
Cependant dĂšs que vient le besoin de dĂ©velopper un systĂšme embarquĂ© ou mĂȘme de le rĂ©parer/dĂ©verminer, lâĂ©cran revient au galop. On a rapidement besoin dâun Ă©cran pour y connecter son environnement de dĂ©veloppement et sa sonde de debug. Et mĂȘme lâoscilloscope ou lâanalyseur logique que lâon branche pour « voir » les signaux dispose dâun Ă©cran.
En usage normal donc, certains dispositifs informatiques sont conçus pour ne pas nĂ©cessiter dâĂ©cran parce quâils disposent dâun autre pĂ©riphĂ©rique de sortie. Certains centres commerciaux, certaines gares proposent des distributeurs dâhistoires courtes : trois boutons comme pĂ©riphĂ©rique dâentrĂ©e et une imprimante thermique comme pĂ©riphĂ©rique de sortie. Appuyez et vous aurez de la lecture pour une, trois ou cinq minutes.
Soyons optimistes : il nây aura pas plus de cinq minute dâattente !
Plus courant, une box Internet domestique est aussi un dispositif informatique sans Ă©cran.
- Il est oĂč lâĂ©cran ? - Dans ton⊠navigateur
Il faut reconnaĂźtre que si lâusage courant, la connexion Ă lâInternet, ne nĂ©cessite pas dâĂ©cran sur la box, son paramĂ©trage en utilise bien un : celui de lâordinateur sur lequel tourne votre navigateur prĂ©fĂ©rĂ©.
Les assistants vocaux sont des ordinateurs sans Ă©cran. Les principaux pĂ©riphĂ©riques dâentrĂ©e comme de sortie sont audio : commande vocale, rĂ©ponse Ă©galement. Radio France fait dâailleurs la publicitĂ© pour son offre pour enfants, une histoire et⊠Oli, sur cette absence dâĂ©cran, jouant, sans trop le dire, sur cette peur parentale des Ă©crans.
Pourrait-on pousser lâutilisation de ces ordinateurs pour faire du dĂ©veloppement et «coder en vocal» ? Possible, il est tout Ă fait possible de programmer lâouverture de ses volets, la lecture dâune musique ou le thermostat de sa chaudiĂšre avec. Mais ça nâest pas du dĂ©veloppement.
LâĂ©ducation numĂ©rique mais sans Ă©cran
Il est largement possible dâapprendre lâinformatique sans Ă©cran, et mĂȘme sans ordinateur.
La robotique pĂ©dagogique se dĂ©veloppe depuis lâapparition de la tortue Logo. Actuellement, pour les plus jeunes dĂšs lâĂ©cole maternelle, câest une abeille qui est proposĂ©e comme initiation Ă la programmation.
Si, si, je suis bien un ordinateur
La Bee-Bot se programme Ă lâaide de sept touches et les pĂ©riphĂ©riques de sortie sont les moteurs de dĂ©placement, un petit haut-parleur et en option un porte-crayon. Avec une interface HommeEnfant-Machine aussi simple, il sâagit plutĂŽt dâune mĂ©morisation de sĂ©quences de mouvements que de programmation Ă proprement parler et pour en utiliser toutes les capacitĂ©s, un interfaçage avec une application ou un ordinateur plus conventionnel est possible, mais on y retrouve un Ă©cran ! De nombreux autres robots pĂ©dagogiques, un peu plus complexes et performants, existent mais ceux-ci utilisent un Ă©cran classique pour accĂ©der Ă lâinterface de programmation.
Quitte Ă supprimer les Ă©crans autant aller au bout de la dĂ©marche et supprimer lâordinateur dans son ensemble. Des pĂ©dagogues ont ainsi inventĂ© lâinformatique dĂ©connectĂ©e. Un papier, un crayon, ni Ă©cran ni matĂ©riel comme le jeu du robot idiot. Les esprits chagrins pourraient y voir une solution au manque de matĂ©riel des Ă©tablissements scolaires.
Plus que dâinformatique il sâagit en fait dâinitiation Ă lâalgorithmie.
Mais peut-on se passer dâĂ©cran pour dĂ©velopper ?
Les plages braille
Il existe une catĂ©gorie de population qui est contrainte de se passer dâĂ©cran pour se servir dâun ordinateur : les aveugles.
Les personnes aveugles peuvent pourtant se servir dâordinateur, notamment grĂące Ă un clavier spĂ©cifiquement dĂ©veloppĂ© pour eux nommĂ© « plage braille ». GrĂące Ă ces plages brailles, les aveugles peuvent lire les caractĂšres en braille en touchant une ligne munie de petites pointes pilotĂ©s.
Le prix de ces appareils est assez prohibitif pour quelquâun qui voudrait jouer avec sans en avoir rĂ©ellement besoin (un geek quoi). Câest pourtant une bonne maniĂšre de faire de lâinformatique sans Ă©cran. Pour le codage informatique, on utilise un braille Ă huit points au lieu des six habituels ce qui permet dâavoir 256 combinaisons, soit autant que la table ASCII. La table braille informatique actuelle a Ă©tĂ© approuvĂ©e Ă lâunanimitĂ© en 2007 par la Commission Ăvolution du Braille Français, elle porte le numĂ©ro TBFR2007.
Que vaudrait un jeu vidĂ©o dĂ©veloppĂ© pour une plage braille ? Et pourrait-on lâappeler jeu vidĂ©o ?
Avec du papier et un stylo/machine à écrire/carte perforé puis scanner
On peut Ă©galement faire beaucoup de choses un papier un crayon/stylo/pinceau puis le scanner pour quâil soit utilisĂ© dans lâordinateur. Ăa reste gĂ©nĂ©ralement quâune Ă©tape du dĂ©veloppement les programmes ne sont pas plus rĂ©alisĂ©s intĂ©gralement sur papier avant dâĂȘtre intĂ©grĂ© Ă lâordinateur.
Pour conclure
Avec des Ă©crits comme « la fabrique du crĂ©tin digital » et des propos comme ceux de notre ex-ministre de lâĂ©ducation, les Ă©crans sont devenus la bĂȘte noire de tous les pĂ©dagogos.
Mais lâimportant nâest-il pas de savoir ce que lâon fait avec un Ă©cran ? Faut-il vraiment sâacharner Ă sâen passer ?
Sans doute pas.
Il serait cependant intĂ©ressant dâapprendre Ă se servir dâoutils rĂ©servĂ©s aux aveugles par exemple. Si nous nâavons plus besoin de la vue pour coder, nous pourrions ĂȘtre un peu plus multi-tĂąches et coder tout en⊠regardant la tĂ©lĂ© !
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