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L’écriture et l’image, des âges farouches au texte électronique

Dans cette nouvelle excursion du Transimpressux, nous voyagerons chez les Mayas de l’époque pré-colombienne ainsi que dans la Rome antique. Nous ferons un rapide tour des monastères médiévaux, nous irons rendre une courte visite à Aloys Senefelder à Munich. Nous en profiterons pour aller voir Isaac Newton, Tintin et Astérix et on terminera notre voyage à Kreutzal, en Allemagne. On n’y parlera pas de Rahan, quoique. On aura compris qu’il sera question d’image, d’écriture et de texte.

Le bar du Transimpressux vous propose un vaste échantillon issu du pas si grand livre des recettes de LinuxFr.org. En espérant qu’à la lecture de cette dépêche vous aurez fait un beau voyage.

Train jaune

Sommaire

Préambule

Au départ, j’avais prévu de parler aussi de formats, mais, à l’arrivée, c’est déjà bien long. La question des formats fera donc l’objet d’une autre dépêche de la série.

J’utilise indifféremment les termes de fonte, police, police de caractère ou typographie. Et, comme il sera question de périodes très éloignées dans le temps, celles antérieures à notre ère seront indiquées sous la forme AEC (avant l’ère commune).

Quelques définitions avant de commencer

Il est possible que certaines notions ne vous soient pas claires, ces quelques définitions vous seront peut-être utiles.

L’écriture et l’image, des concepts différents vraiment ?

L’écriture n’est pas de l’image, l’image n’est pas de l’écriture. Oui et non.

L’exemple des hiéroglyphes mayas

Le système d’écriture maya n’est pas purement logographique. D’ailleurs est-ce qu’un système d’écriture uniquement logographique ou pictographique existe vraiment ? On a vu précédemment sur LinuxFr.org concernant les systèmes d'écriture que les hiéroglyphes égyptiens et les sinogrammes n’étaient pas composés que de pictogrammes, mais qu’ils allaient de pair avec d’autres signes, notamment phonographiques. Il en va de même avec l’écriture maya qui

est un système graphique normalisé qui, au moyen de quelques centaines de « signes-mots » (ou logogrammes) et environ 150 phonogrammes marquant des syllabes de type Consonne-Voyelle1.

L’écriture maya est apparue, à notre connaissance vers 400 AEC et a été utilisée jusqu’au XVIIe siècle où l’envahisseur espagnol a tout fait pour l’éradiquer, y compris en brûlant des codex. Entre les Espagnols et le climat chaud et humide de la sphère d’influence maya, on ne connaît plus que trois codex mayas précolombiens2 : le codex de Dresde, celui de Paris et celui de Madrid. Un quatrième codex, le codex Grolier, conservé à Mexico est sujet à controverses, sa datation et son authenticité ne sont pas certaines. Mais on retrouve aussi l’écriture maya sur des monuments et du mobilier. On trouve également des graffitis, signe, sans doute, d’un certain niveau d’alphabétisation de la population maya. L’écriture maya devait transcrire plusieurs langues amérindiennes, lesquelles langues ont toujours des locuteurs.

codex de Paris
Deux pages du codex de Paris

Pour autant qu’on sache, pour les Mayas, leur écriture tout au moins, l’image était importante. Selon Jean-Michel Hoppan :

Cette écriture est rigoureuse et, tout à la fois, très souple. Elle n’est pas normalisée, au contraire de l’idée qu’on se fait habituellement d’une écriture. Le scribe peut privilégier l’esthétisme au détriment de la compréhension immédiate (en tout cas pour nous). C’est encore plus évident sur les céramiques, où le texte est parfois complètement inintelligible. Le glyphe est là, toujours chargé du pouvoir de l’écrit, mais le contenu de la parole n’est plus. Il devient image. Il y a une grande partie de la céramique où l’on voit de l’écriture, mais qui, de fait, est constituée de pseudoglyphes.3

Les hiéroglyphes mayas n’ont pas de bloc Unicode, même si les chiffres y figurent depuis la version 11.0 (juin 2018). Un billet du blog du consortium (en) du 23 janvier 2020 annonçait l’existence d’une subvention « pour restituer numériquement des écritures historiques et modernes supplémentaires, y compris des hiéroglyphes mayas. ». L’idée étant aussi de faire progresser la recherche de la connaissance de l’écriture et de la culture maya sur les sites de la période 250 – 900, une étape importante pour déterminer les signes à intégrer à Unicode, et d’aboutir à la création de polices OpenType. La dernière version de la norme Unicode, 15.1.0, date du 12 septembre 2023, un peu juste pour incorporer les hiéroglyphes mayas quand on sait que la création d’une police peut prendre de quatorze à seize mois.

Le contre exemple romain

L’alphabet latin puise ses origines dans l’alphabet étrusque, qui, lui-même, provient du système d’écriture grecque et c’est, bien entendu, celui que nous utilisons sur LinuxFr.org (le latin, pas le grec, suivez un peu). C’est celui de l’ASCII. Il figure dans l’Unicode, évidemment, où il dispose de plusieurs blocs. Le bloc latin de base contient en fait tous les caractères et commandes de l’ASCII. Il n’a pas été modifié depuis la version 1.0.0 d’Unicode.

D’après les écrits qui nous sont arrivés, les Romains avaient une vision très « utilitariste » de l’écriture. Pour eux (les écrits qui nous sont parvenus sur le sujet proviennent essentiellement d’hommes) :

l’écriture est essentiellement destinée à (…) représenter [le langage]. De plus, dans sa version alphabétique, qui est à peu près la seule à laquelle pensent les Latins, l’écriture est une notation des sons, les lettres renvoient à des sons élémentaires et l’alphabet correspond terme à terme (en principe) à un inventaire fini de ces sons.4

Il s’agissait donc pour les anciens Romains non pas de

faire une science de la langue à travers sa représentation graphique, mais bien une science de l’écrit en tant qu’il renvoie à la langue. (Françoise Desbordes).

Un support du langage bien imparfait d’ailleurs puisqu’il ne rend pas les effets du discours oral. Et ce facteur explique aussi que la graphie ait mis du temps à se normaliser. L’écrit étant l’image de l’oral : la langue pouvait être prononcée par des locuteurs avec des accents différents et s’écrire ainsi en fonction de la prononciation.

Les écrits des Romains étaient variés, indépendamment des discours, naturellement et sous diverses formes : monumentales, tablettes de cire, papyrus, mais aussi graffitis que l’on pouvait retrouver sur les murs des édifices privés. Des graffitis qui étaient destinés à être lus et étaient très liés à l’oral :

les messages interpellant parfois nommément, au vocatif, une personne – homme ou femme. Ainsi s’explique aussi l’abondance des exclamations (feliciter ! salutem !), des salutations (salve vale !) et des vœux (votum aux Lares pour la salus du maître de maison). Leur caractère performatif ne fait pas de doute.5

graffiti
Graffiti de Pompéi vantant les exploits sexuels du miles Floronius (CIL, IV, 8767). Wolff 2012, 19, fig. 7.

La séparation du texte et de l’image

Des compétences, des métiers et des techniques différentes.

Les manuscrits médiévaux, une séparation parfois extrême

Le travail de copie des monastères médiévaux, notamment (la profession se sécularisera à partir du XIIIe siècle), différait en fonction des lieux et des époques. Au début, le, ou les copistes, suivant en cela, semble-t-il, les traditions grecques et romaines, étaient également chargés de l’ornementation. Les copistes, parce que la copie d’un manuscrit pouvait être distribuée en plusieurs cahiers à différents copistes pour accélérer le travail de copie. La ponctuation, quant à elle, était généralement du ressort des correcteurs, quand il y en avait, pas des copistes.

Il arrivait aussi qu’il y ait un copiste pour le texte et un pour les enluminures, surtout pour les manuscrits les plus riches. Dans ce cas, le ou la copiste écrivait la lettre à enluminer et laissait la place nécessaire, à charge pour l’enlumineur ou l’enlumineuse d’orner le parchemin. Les copies n’étant pas du ressort unique des monastères, les enlumineurs et les enlumineuses étaient souvent des peintres.

Et parce que le travail était ainsi le fait de corps de métier différents, il subsiste des manuscrits médiévaux pas finis, avec des « blancs » pour des enluminures qui ne verront jamais le jour.

L’imprimerie : des typographies ornementales

Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les techniques d’impression ont assez peu évolué. Il y avait des perfectionnements et des améliorations, certes, mais, les techniques restaient grosso modo celles de Gutenberg. Les illustrations étaient gravées à part, puis, après la découverte fortuite de la lithographie par Aloys Senefelder en 1796 dessinées sur la pierre, ce qui permettait aux artistes de travailler directement sur la pierre sans avoir à passer par l’intermédiaire d’un graveur. La lithographie permet en effet de dessiner le motif sur la pierre, à l’origine. Senefelder travaillera aussi sur plaque de zinc. La lithographie repose sur le principe de l’antagonisme de l’eau et de la graisse : les zones à imprimer sont traités à la graisse, les autres sont mouillées. L’encre grasse se dépose ainsi seulement sur les zones grasses.

Si l’impression en noir et blanc pouvait se faire d’une traite, celle en couleurs, selon les exigences et les techniques utilisées, pouvait requérir jusqu’à quatorze opérations différentes, et presque autant de passages couleurs. L’offset actuel, un procédé qui dérive de la lithographie, fonctionne en quadrichromie : cyan, magenta, jaune et noir (CMJN) et autant de passages couleur.

Les ornements plus susceptibles d’être réutilisés : lettrines, culs-de-lampe et autres fleurons, lignes et arabesques faisaient l’objet, quant à eux, de fontes ornementales spécifiques. Il y avait même des graveurs typographes spécialistes de typographie ornementale comme Joseph-Gaspard Gillé (pdf) (1766-1826). Aujourd’hui, ce genre de fonte peut se trouver, dans les blocs Unicode de systèmes d’écriture, notamment, latin. On y retrouve d’ailleurs bon nombre de ces polices ornementales purement figuratives même si leur dessin ne correspond pas à une lettre. Mais elles pourraient aussi bien figurer dans les flèches, les filets, les pavés, le bloc casseau ou encore les deux zones supplémentaires.

Les symboles du zodiaque
Les symboles du zodiaque de la collection de fontes de Gillé. Les symboles du zodiaque figurent dans les points de code Unicode U+2648 à 2653 (avec des dessins moins figuratifs).

Toutes les techniques d’imprimerie continuent à exister, de façon plus ou moins anedoctique. Les deux plus répandues étant l’offset, pour les gros volumes, et l’impression numérique (laser ou jet d’encre). Cette dernière étant la seule à imprimer les couleurs d’une seule traite.

La bande dessinée : des métiers différents

La bande dessinée ce n’est pas un métier mais quatre métiers différents qui peuvent ou non, être assurés par la même personne :

  • le scénario,
  • le dessin,
  • la couleur,
  • et le lettrage qui nous intéresse ici.

Le lettrage, dans la bande dessinée ce sont en fait plusieurs types d’écriture :

le paratexte (titres, signatures, numérotation), les interventions du narrateur (récitatifs, didascalies, commentaires), toute la notation des sons (dialogues, onomatopées, bruits) – le lettrage assume ainsi une part très importante du « régime sonore » de la bande dessinée, au point que l’on appelle « muettes » les bandes dessinées qui n’en comportent pas du tout (puisque le lettrage n’est pas indispensable à la réalisation d’une bande dessinée).6

Gotlib (les Dingodossiers, la Rubrique à brac, Super Dupont, Gai-Luron) est entré en bande dessinée par la voie du lettrage.

L’élève Chaprot roi
Un extrait des Dingodossiers de Gotlib, scénario de Goscinny. L’image comporte des didascalies à gauche et en haut à droite, une bulle de texte, en-dessous, du texte « sonore. »

D’autres auront leur lettreur attitré, comme Hergé. Arsène Lemey a assuré le lettrage de ses Tintin à partir de la version allemande du Secret de la licorne, le onzième album de la série. La police de caractère créée par Arsène Lemey pour Tintin est l’Arleson, elle sera intégrée à la photocomposeuse de Casterman dans les années 1970. Pour la série Astérix ce sont les lettrages de Michel Janvier, en charge de cette tâche pour un certain nombre d’album depuis 1989, qui ont été numérisés. Trois famille principale de typographies ont ainsi été créées par Le Typophage : Regularus pour les bulles, Boldus pour l’écriture très grasse et Graphix pour les onomatopées et les symboles graphiques.

Avoir sa propre police est actuellement assez facile en passant par des sites comme le Calligraphe qui permettent de générer une typographie à partir de son écriture manuscrite. C’est ce qu’a fait notamment heyheymomo (en) qui offre sa police en téléchargement (en).

Qu’est-ce que le texte ?

Au début de l’informatique, chez IBM l’unité de mesure était le mot (word). La capacité d’une machine s’évaluait donc en nombre de mots. Un mot étant, selon le manuel de l’IBM 605 constitué de « dix chiffres et d’un signe algébrique ». Ainsi l’IBM 605 avait une capacité de 1 000 à 2 000 mots. Le texte n’était pas bien loin.

Mais, qu’est-ce que le texte ? Selon les points de vue, la notion de texte peut être très vaste. En musique par exemple, il est question de sous-texte et ça n’a rien à voir avec les paroles de chanson ou de mélodies ou le livret des opéras. Dans le cadre de cette série qui, globalement, traite de l’informatique dans le contexte historique de l’écriture, j’opte pour une définition restrictive et axée sur l’écriture et la lecture.

Le texte est ainsi de l’écriture qui peut se lire avec les yeux, les oreilles ou les doigts et qui peut aussi être lue par des robots. C’est du texte fait pour être lu pas pour être exécuté dans le cadre d’un logiciel par exemple. Ce qui exclut le code informatique de la définition, même si c’est écrit avec des éditeurs de texte7. On doit pouvoir faire des recherches dans le texte, naviguer dedans, en extraire une partie pour la réutiliser ailleurs, etc.

Il s’ensuit qu’une image avec de l’écriture dessus, ce n’est pas du texte. Un fichier PDF, fac-similé d’un livre imprimé n’est pas du texte. Et les versions PDF des livres numérisés que propose la BnF Gallica par exemple ne sont pas du texte. Un formulaire en PDF qui est en fait une image que l’on aura modifiée avec un outil de dessin (ou imprimé et modifié à la main puis numérisé) n’est pas du texte.

En revanche, si, de mon point de vue, la structure d’une base de données n’est pas du texte, son contenu par contre, oui. Ainsi, au hasard, celle de LinuxFr.org, est du texte, la partie publique tout au moins. Et ce n’est pas Claude qui me contredira.

Manchot à tables
Un genre d’allégorie des tables de la base de données de LinuxFr.org.

Il est d’autant plus important d’insister là-dessus qu’il se trouve encore des personnes qui ne font pas la différence entre les deux. Et ce, tout simplement parce que c’est écrit et qu’elles, elles, peuvent lire ce qui est écrit.

Nouveau Drop Caps : une police de lettrines

Puisque qu’il a été question plus haut de typographies purement décoratives, c’est l’occasion de vous présenter une police qui ne peut servir qu’à des lettrines ou des titres.

La police Nouveau Drops Caps

Nouveau Drop Caps est une fonte générée par Dieter Steffmann (en) un typographe de formation qui a créé plus de trois-cent-cinquante polices. La plupart sont plutôt plus à des fins décoratives que des polices de texte. Dans l’ensemble, ses polices peuvent être utilisées pour la langue française, elles ont les caractères qu’il faut. La position de Dieter Steffmann sur son travail est la suivante :

je considère les polices de caractères comme un patrimoine culturel, je ne suis pas d’accord avec leur commercialisation. Les polices autrefois fabriquées à partir de caractères métalliques avaient évidemment un prix en fonction de la valeur du métal, et le coût de conception, de découpe et de moulage est convaincant, d’autant plus que l’acheteur devenait également propriétaire des polices achetées !

Le site sur lesquelles il les dépose, 1001 fonts a, d’ailleurs, une licence (en), avec une disposition assez originale. La police

peut être téléchargée et utilisée gratuitement pour un usage personnel et commercial, à condition que son utilisation ne soit pas raciste ou illégale. (…)

Les fontes peuvent être librement copiées et transmises à d'autres personnes pour un usage privé mais pas être vendues ou publiées sans l’autorisation écrite des auteurs et autrices.

Les textes et documents qui ont servi à alimenter cette dépêche

Les références sont données à peu près dans leur ordre d’apparition dans le texte. La plupart sont accessibles en ligne, et, volontairement, il y a un minimum de références à Wikipédia. Il y a, également, le minimum possible de sources en anglais.

L’écriture maya

Jean-Michel Hoppan est l’un des seuls (le seul ?) spécialiste français d’un domaine de recherche (l’écriture maya) qui ne compte qu’une centaine de personnes dans le monde.

La vision romaine de l’écriture

  • Idées romaines sur l’écriture, Françoise Desbordes, 1990, EPUB : ISBN 9782402324168, PDF : ISBN 9782402657495, marquage filigrane. La maison d’édition FeniXX qui édite ce livre est spécialisée dans la réédition des livres indisponibles du XXe siècle.
  • L’écriture en liberté : les graffitis dans la culture romaine, Michelle Corbier, extrait de Langages et communication : écrits, images, sons, Corbier Mireille et Sauron Gilles (dir.), éd. électronique, Paris, Éd. du Comité des travaux historiques et scientifiques (Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques), 2017.

Les manuscrits médiévaux

On peut se procurer ces livres au format PDF (fac-similé), en texte brut (je travaille sur une version que je compte mettre en ligne pour chacun de ces livres), les emprunter en version EPUB à la BnF si l'on a un compte, ou acheter l’EPUB. À noter que, selon les librairies, le fichier EPUB a ou non une protection numérique : ainsi, Le Furet du Nord indique qu’ils n’en ont pas, Cultura annonce une DRM LCP, et la FNAC une DRM Adobe.

Bonus ! Si vous voulez vous rincer l’œil, l’IRTH (Institut de recherche et d’histoire des textes) a dressé une liste de sites pour accéder au manuscrit médiéval numérisé.

L’imprimerie

La bande dessinée

  • Lettrage, Laurent Gerbier, Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, septembre 2017.

Postambule

La question des formats sera abordée dans le prochain chapitre qui est déjà bien avancé. Et ce n’est pas plus mal, finalement.

Dans le cadre de cette série, il va me falloir traiter aussi de la question des codes (sur laquelle j’ai quelques lacunes, vos suggestions sont bienvenues). Unicode, bien que déjà pas mal abordé, mérite un chapitre à lui tout seul : histoire, composition du consortium, comment on ajoute un système d’écriture à Unicode, et quelques paragraphes sur le code lui-même (et là…). Je pense que je pourrais peut-être caser la norme ISO des écritures dans ce chapitre. Si j’ai parlé de conservation, il va falloir parler de l’archivage : protocoles, accès, ce qui me permettra d’évoquer aussi de la science ouverte, je pense.


  1. L’écriture maya](https://www.inalco.fr/lecriture-maya), Jean-Michel Hoppan, INALCO. 

  2. Les codex étaient écrits sur un papier, l’amate, fait à partir de l’écorce d’un figuier local. 

  3. Les glyphes mayas et leur déchiffrement, Jean-Michel Hoppan, 2009. 

  4. Idées romaines sur l’écriture, Françoise Desbordes & Centre national de la recherche scientifique & Anne Nicolas, 1990. 

  5. L’écriture en liberté : les graffitis dans la culture romaine, Mireille Corbier, 2014. 

  6. Lettrage, Laurent Gerbier, septembre 2017. 

  7. Je reconnais qu’il peut y avoir matière à pinaillage sur ce sujet. 

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Les nouvelles du samedi 20:42

Pour achever cette semaine, deux nouvelles de 2042 concoctées avec amour par les participant⋅es des ateliers #solarpunk #UPLOAD de l’Université Technologique de Compiègne (UTC).

En 2042, on rénove et on en profite pour faire autrement, que ce soit à la ville ou à la ferme !

Renaissance urbaine

Le soleil matinal traversait les grandes fenêtres du cours d’urbanisme de Monsieur Marcel, plongeant la salle dans une lumière dorée. L’Université Upload, pionnière dans l’éducation post-effondrement mondial, incarnait en 2042 un esprit de résilience et d’innovation. Ici, les étudiants apprenaient à reconstruire un monde déchiré, avec des principes de durabilité et d’indépendance.
Dans l’amphithéâtre, Apu, un jeune homme au regard pensif originaire de Mumbai, était scotché à son cahier. Les pages racontaient son voyage depuis les rues de sa ville natale, où il avait été témoin des impacts dévastateurs du changement climatique et de la surpopulation. Ces expériences l’avaient poussé vers la quête de solutions écologiques simples mais efficaces.
À l’autre bout de la salle, Stella, une étudiante venant de The Line en Arabie Saoudite, analysait les schémas urbains projetés sur l’écran. Issue d’une région marquée par des avancées technologiques, elle croyait en la puissance des solutions high-tech pour façonner l’avenir.

La voix de Monsieur Marcel brisa le silence.
« Bienvenue dans notre cours d’urbanisme durable ! Aujourd’hui, nous explorerons les défis de créer des espaces urbains indépendants et novateurs. »

Les regards d’Apu et Stella se croisèrent, marquant le début d’une collaboration improbable.
Le cours de Marcel, mélangeant théorie et pratique, encourageait les étudiants à penser au-delà des limites conventionnelles.
« Dans un monde où les ressources sont rares, nous devons être ingénieux » expliquait-il.
Son enseignement reflétait une philosophie qui valorisait l’équilibre entre la haute technologie et les approches low-tech.

Apu et Stella furent bientôt amenés à travailler ensemble sur un projet de rénovation écologique pour les dortoirs délabrés de l’université. Alors qu’ils s’asseyaient autour d’une table, Apu, animé par la conviction que des solutions simples pouvaient avoir un impact majeur, commença à partager son histoire.

« Stella, tu sais, à Mumbai, j’ai vu comment des matériaux locaux simples peuvent faire une différence dans la vie quotidienne. Les briques en terre crue, par exemple, sont abondantes et peuvent être produites localement, réduisant ainsi notre empreinte carbone. »
Stella, initialement sceptique, écouta attentivement les explications d’Apu tout en esquissant quelques notes sur son propre cahier.
« Les briques en terre crue peuvent être une alternative aux matériaux de construction conventionnels, » suggéra Apu, esquissant un plan sur son cahier. « Elles peuvent être produites localement, réduisant ainsi notre empreinte carbone. »
Stella répondit :
« C’est intéressant, Apu, mais il faut voir au-delà de la simplicité. Moi je verrais bien des panneaux solaire, des éoliennes qui se fondent dans l’architecture, et l’utilisation de l’énergie hydraulique par exemple avec un barrage. J’ai même pensé à utiliser le logiciel Heliodon pour simuler et visualiser le mouvement du soleil, et optimiser l’utilisation de la lumière solaire dans la conception des bâtiments. On pourrait même faire tourner le bâtiment avec le soleil, cela pourrait le rendre presque auto-suffisant. »

« Refurbished with passive house components, kindergarten in Estonia Valga » by Tõnu Mauring is licensed under CC BY 2.0.

 

Apu, intrigué par la vision audacieuse de Stella, sourit tout en continuant à dessiner sur son cahier.
« Je vois où tu veux en venir, Stella. Cependant, nous devons nous assurer que nos solutions sont réalistes et accessibles. Comment pouvons-nous intégrer ces technologies de manière à ce qu’elles soient durables et à la portée de tous ? »

Stella réfléchit un moment avant de répondre.
« Imaginons un bâtiment où l’architecture et la technologie solaire s’entremêlent. Des panneaux photovoltaïques ne sont plus simplement installés sur les toits, mais font partie intégrante des murs eux-mêmes. »

Apu, leva les yeux de son cahier : « Tu veux dire, transformer littéralement les murs en sources d’énergie ? »

« Exactement ! Les façades des bâtiments pourraient non seulement créer leur propre électricité mais aussi devenir des éléments esthétiques. Cela pourrait redéfinir notre approche de l’architecture durable. »

« Je comprends. Les murs pourraient absorber l’énergie solaire tout au long de la journée, réduisant la dépendance aux énergies traditionnelles. Ça pourrait vraiment changer la donne. »

Stella acquiesça. « Et il y a plus. Si on intègre intelligemment ces panneaux, on pourrait non seulement produire de l’énergie, mais aussi contrôler l’éclairage naturel et la température à l’intérieur des bâtiments. C’est comme donner vie aux murs ! »

À travers leur échange Abu et Stella découvraient le concept de bâtiment passif. Une construction économe en énergie minimisant ses consommations.

Au fil du temps, les tensions entre Apu et Stella s’étaient apaisées, laissant place à une amitié mutuelle et à une compréhension commune. Leur projet prenait forme, et devenait un exemple de coexistence entre technologie avancée et méthodes traditionnelles. Stella et Apu, après des heures de débat passionné dans la salle de classe, décidèrent qu’il était temps de partager leur vision avec le reste de l’Université Upload.

En entrant dans l’Agora, ils furent accueillis par une mosaïque de sons et de couleurs. Ce lieu, conçu comme un amphithéâtre, était un espace où se mêlaient tradition et innovation. Les pièces étaient bondées d’étudiants issus de plusieurs horizons, débattant entre eux et partageant leur sondages d’opinion, tandis que le centre était dominé par une scène circulaire.

Des groupes d’étudiants et de professeurs s’y rencontraient, discutant et partageant des idées. Au plafond, une structure de verre laissait filtrer la lumière naturelle, illuminant des jardins suspendus qui ajoutaient une touche de verdure à l’environnement technologique.

Stella et Apu, impressionnés mais déterminés, se frayèrent un chemin à travers la foule jusqu’à la scène. Ils montèrent sur la scène, sous les yeux curieux de leurs camarades. Apu prit la parole en premier, sa voix résonnant dans l’amphithéâtre :

« Chers amis, nous sommes ici pour partager une vision qui combine le meilleur de deux mondes… »

Alors qu’ils présentaient leur projet de rénovation des dortoirs, combinant les briques en terre crue et les panneaux photovoltaïques, un projecteur derrière eux affichait des simulations 3D de leurs concepts. Leurs mots étaient ponctués par des images de dortoirs transformés, de murs qui captaient l’énergie solaire et de jardins verts sur les toits.

Leurs idées furent accueillies avec un mélange d’étonnement et d’admiration. Les étudiants autour d’eux commencèrent à discuter, à poser des questions, à offrir des suggestions.

Ce jour-là, Stella et Apu ne furent pas seulement des étudiants présentant un projet. Ils étaient les porte-paroles d’une nouvelle ère, où la technologie et la tradition pouvaient coexister pour créer un avenir durable.

Monsieur Marcel, dans sa dernière leçon, regarda ses étudiants avec fierté.
« Vous avez démontré que, même dans un monde fragmenté, l’unité des idées et le respect mutuel peuvent créer des espaces qui non seulement survivent mais prospèrent. »
Apu et Stella, autrefois aux idées opposées, avaient appris la valeur de l’écoute et de l’adaptation. Leurs efforts avaient non seulement rénové les dortoirs, mais avaient aussi éclairé la voie vers un avenir urbain plus durable et inclusif.

Ce texte a été écrit par : Vilela Noah, Diker Amin et Kechid Lyam. et co-écrit par Numa Hell

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA 4.0

 

Bibliographie

Passoire thermique

DPE

 

Bâtiments passifs

Un bâtiment passif est une construction économe en énergie, conçue pour minimiser la consommation de chauffage, de climatisation et de ventilation. Il intègre une isolation thermique élevée, une étanchéité à l’air, une ventilation contrôlée, des sources d’énergie renouvelable, une orientation optimale, des fenêtres à haute performance et des matériaux à faible empreinte carbone. L’objectif est de réduire la dépendance aux systèmes énergétiques conventionnels, contribuant ainsi à la durabilité environnementale.

GUILLEMOT, Olivier. « Le bâtiment passif, sans chauffage ou presque ». XPair, 4 juillet 2019, https://conseils.xpair.com/actualite_experts/batiment-passif-sans-chauffage.htm

 

Conductivité thermique

Les caractéristiques physiques clés pour une bonne isolation thermique sont principalement une faible conductivité thermique et, dans certains cas, une bonne masse thermique.
Les matériaux traditionnels de façade comme la pierre et le béton ont une bonne inertie thermique mais ne sont pas les meilleurs isolants thermiques. Ainsi, des systèmes d’isolation additionnels sont souvent utilisés en conjonction avec ces matériaux ( Exemple : Façade Ventilée)

 

Logiciel Heliodon

C’est un logiciel qui permet d’étudier les trajets solaires en tout lieu de la surface terrestre et d’analyser l’incidence de la lumière solaire directe, ainsi que de la lumière diffuse du ciel, sur n’importe quelle construction ou zone urbaine, en tenant compte des obstructions produites par d’autres édifices ou obstacles naturels. Heliodon 2 – UTeam. https://uteam.fr/offres/heliodon-2. Consulté le 16 janvier 2024.

 

Albédo

C’est le pouvoir réfléchissant d’une surface, c’est-à-dire le rapport du flux d’énergie lumineuse réfléchie au flux d’énergie lumineuse incidente. C’est une grandeur sans dimension.

« Albédo ». Wikipédia, 18 novembre 2023, https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Albédo&oldid=209733578.

 

Lowtechisation

La low-tech désigne tout type de produits, de services, de procédés ou autres systèmes permettant, via une transformation technique, organisationnelle et culturelle, le développement de nouveaux modèles de société intégrant, dans leurs principes fondamentaux, les exigences de durabilité forte et de résilience collective

« Low-tech ». Wikipédia, 12 janvier 2024, https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Low-tech&oldid=211451282.

 

Technosolutionnisme

C’est la confiance dans la technologie pour résoudre un problème souvent créé par des technologies antérieures. « Technosolutionnisme ». Wikipédia, 3 décembre 2023, https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Technosolutionnisme&oldid=210223957.

Earth 2050 : A glimpse into the future | Kaspersky. https://2050.earth/users/artem-khorchev. Consulté le 19 janvier 2024.


La réno pour les rollots

Pierrette, femme énergique et engagée, jongle entre son rôle de mère, son poste à l’UPLOAD de Compiègne et son engagement pour un mode de vie durable. Résidant dans un écoquartier, elle apprécie chaque jour la nature environnante, se déplaçant en vélo cargo pour réduire son empreinte écologique. Chaque matin, à 8h20, elle dépose ses enfants, Léo et Léa, à la Maison d’Assistantes Maternelles (MAM) de l’écoquartier, avant de se rendre à son travail.

Son bureau à l’Université, un espace ouvert végétalisé, reflète ses convictions écologiques profondes. Responsable de projets depuis 14 ans, Pierrette est au cœur de l’innovation en matière de développement durable. Elle doit sélectionner des sujets d’étude qui permettent aux étudiants d’acquérir des connaissances tout en rendant service à la communauté locale. Ces projets génèrent également des fonds pour le fonctionnement de l’université.

Le 2 octobre 2042, après son arrivée au bureau, Pierrette consulte la plateforme Viv’Compi, une instance locale de Mastodon qui héberge les appels d’offres des habitants de Compiègne. Parmi eux, l’appel de Joël Dumasil, exploitant agricole spécialisé dans l’élevage de bovins, retient son attention. Il souhaite rénover un vieux corps de ferme pour créer un espace de stockage et de vente, promouvant ainsi le circuit court pour ses produits. Intriguée par cette initiative locale et écologique, Pierrette décide de le contacter.

— Allô, bonjour. Ici Pierrette Chénier, responsable projet à l’université UPLOAD. Je vous contacte suite au message que vous avez posté pour la rénovation de votre corps de ferme. Pouvez-vous m’en dire un peu plus ?

— Bonjour M’dame. Ouais je suis fermier. J’veux refaire mon vieux corps de ferme. Comme la nouvelle boutique de vente de produit laitier à Creil là.

— Oui… je vois… mais quel genre de produits laitiers envisagez-vous de vendre ?

— Euh ben, je suis dans l’élevage bovin et la production de lait. Mais ça devient dur et j’aimerais bien transformer une partie de mon vieux corps de ferme en un endroit sympa où les gens pourront acheter du fromage, du lait frais et du maroilles ou d’la tome au cidre.

En plus de tout cas, j’prévois aussi d’avoir un coin pour avoir du stock Tout ça, pour mettre en place du circuit court. Ça m’permettrait aussi de vendre les rollots que j’fais à plus juste prix.

— Très bien, c’est un projet qui conviendra bien à nos étudiants en dernière année, ils pourront voir ça avec vous dès le…

Joël coupe la parole brutalement à Pierrette.

— Je t’arrête tout de suite m’dame, j’pense pas que ce genre de projet puisse être confié à des gamins étudiants. Faut des têtes bien pleines, des gens qui savent faire des calculs de structure, thermique et autres. J’ai pas envie que mon bâtiment tombe sur la tête des clients ou que mes fromages tournent.

— Je comprends que vous soyez réticent, mais je vous assure que nos étudiants sont encadrés par des enseignants compétents et professionnels. Nous avons ici à l’université des experts en conception de bâtiments, au fait des dernières normes de sécurité alimentaire. Le mieux c’est que vous les rencontriez pour leur expliquer ce que vous souhaitez exactement, d’accord ?

— J’suis pas totalement convaincu, mais ça coûte rien de se rencontrer. Quand est—ce qu’on pourrait avoir un rendez-vous ?

— Je vous propose de se rencontrer demain à 9h sur le site de l’université.

— Très bien. À d’main.

Rollot de Marchélepot (Somme) Par Bycro — Travail personnel, CC BY-SA 4.0

 

Pierrette convoque ensuite Maxime dans son bureau pour préparer cette entrevue. C’est un élève de cinquième année, chef des projets de sa promo. Très apprécié par ses professeurs et ses camarades, il s’investit beaucoup dans la vie de son école. Adepte de la course à pied, il organise dès qu’il le peut des courses caritatives pour venir en aide aux plus démunis.

— Bonjour Maxime, Dis-moi, nous avons un éleveur qui veut transformer un vieux corps de ferme en espace de stockage et de vente en circuit court. Ce monsieur… euh Joël Dumasil… a de belles ambitions, mais ça nécessiterait une rénovation complète. C’est typiquement la taille de projet que tu peux encadrer, et ce serait une bonne initiative pour la certification de ton groupe.

— Merci ! Mais tout d’abord, je vérifierai la présence d’amiante. Dans les constructions des années 80, c’est fréquent. Je suggère de poser des questions spécifiques à Joël sur ce point pour éviter des complications coûteuses.

— Bonne idée. Tu vois d’autres points importants à étudier ?

— L’accessibilité est souvent négligée, mais cela peut changer un projet. je vais voir ça avec des étudiants de 4e année qui ont bossé là-dessus. On pourrait aussi déléguer certaines tâches aux étudiants de première année pour les impliquer davantage, et les heures supplémentaires compteront comme des TVO1 pour eux, ça devrait les motiver.

—  Parfait, s’exclame Pierrette. Alors réunion ici demain avec notre éleveur.

 

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Le lendemain, Pierrette a demandé a déposé Léo et Léa à la MAM avant de se rendre dans la salle de réunion. Au RER2 elle récupère du café et quelques parts de moelleux aux pommes cuisiné sur place pour le petit déjeuner des étudiants et de l’administration. Eh oui, à l’UPLOAD, il y a des élèves qui savent pâtisser en plus de cuisiner de succulentes ratatouilles avec les bons légumes frais qu’ils cultivent.

Maxime arrive, il a eu un réveil un peu difficile et il apprécie le petit déjeuner.

— Eh bien hier soir à l’internat, j’ai discuté tard dans la nuit avec Kevin et on a parlé de l’accessibilité du point de vente pour les personnes à mobilité réduite (PMR). Sa petite sœur s’est retrouvée en fauteuil roulant pendant une courte période. Il m’a expliqué qu’avant il n’en avait pas conscience, mais que beaucoup d’endroits ne sont pas encore accessibles aux PMR. Je savais que les bâtiments accueillant du public doivent se mettre « aux normes », mais je n’avais pas vraiment conscience de toutes les difficultés que ça entraînait. Alors j’ai fait quelques recherches avec Solar’IA. C’est chouette cette intelligence artificielle une fois qu’on l’a en main ! J’ai gagné pas mal de temps pour pointer les trucs essentiels.

— J’ai par exemple découvert que cette histoire d’accessibilité aux PMR était régi par une norme précise, l’AFNOR NF P98-351. J’ai réussi à y accéder depuis le portail de l’UPLOAD et j’ai pu la survoler pour me faire une petite idée de l’ampleur des exigences à respecter. Heureusement pour moi qu’internet fonctionne entre 22h et 6h !

Bon, je vais aborder ce point en priorité avec lui, car ça peut changer toute la mobilité au sein des espaces. Par exemple, il faut, selon la norme, a minima des portes d’une largeur de 1,20m et ainsi qu’une rampe d’accès inclinée à 5 % de cette même largeur.

À cet instant, Joël, apprêté pour l’occasion, franchit l’entrée de l’UPLOAD et Pierrette l’accueille.
— Vous êtes monsieur Dumasil ? C’est moi que vous avez eu au téléphone,
— Enchanté M’dame, vous pouvez m’appeler Joël et me tutoyer.
— Très bien, j’essayerai d’y veiller. Je te présente Maxime, un élève de cinquième année, il encadrera le projet.
Maxime lui tend une main qu’il espère ferme et assurée :
— Bonjour monsieur, ravi de vous rencontrer !
Joël, lui rend une poignée de main vigoureuse :
— Enchanté !
Pierrette les conduit dans un bureau et la discussion s’engage assez vite. Méfiant, Joël ne peut se retenir de lancer à Maxime :
— T’as pensé à l’amiante qu’il y a dans mon corps de ferme ?
Avec un sourire, Maxime le rassure :
— Dès la réception de votre appel d’offre, nous avons pensé à sa potentielle présence d’amiante dans votre bâtiment, des étudiant⋅es de l’UPLOAD ont déjà désamianté de vieux bâtiments. Pouvez-vous me rappeler de quelle année date le vôtre ?

Maxime a son idée derrière la tête, car il a déjà fait un projet de rénovation de bâtiment. Il sait très bien que la poussière d’amiante est très fine et donc dangereuse pour les êtres vivants. Il explique donc le détail à Joël : un protocole très strict sera imposé. Les ouvriers installeront une zone de sécurité autour du bâtiment et bâcheront toutes les ouvertures afin de retenir la poussière. Après quoi l’équipe possédant les habilitations amiante SS3 et SS4 installera une cabine à l’entrée du bâtiment dans laquelle les ouvriers s’équiperont d’une combinaison intégrale et de masques FFP3. Au final, les parties amiantées retirées seront mises en sacs étanches pour finir en centre d’enfouissement.

— Il a été construit dans les années 80 par mon arrière-grand-père. Il est en briques rouges, sur une dalle en béton. J’peux te dire que ce bâtiment a bien vécu, mon ami, tu l’verras à l’état des murs qui s’affaissent sous l’poids de la toiture. Elle a pris la flotte, elle est percée de partout…

Il s’interrompt, saisit un carnet dans sa poche et se met à chercher…

— J’note tout pour rien oublier. Alors… Bon j’suis pas embêtant sur la manière de réaliser les travaux, mais j’veux réutiliser un maximum de matériaux pour que ça coûte moins cher…

— On est d’accord pour le recyclage et le réemploi des matériaux, enchaîne Maxime.

— Oui par exemple, j’ai une poutre porteuse dans l’hangar, je pense qu’avec les prix du bois de plus en plus chers, j’peux la réutiliser pour la structure. En plus à vot’Radio Padakor ils ont dit, faut faire gaffe à ça, peut y a voir des accidents…

— Alors monsieur Dujardin c’est sans problème pour certains éléments de votre bâtiment, mais pour votre poutre ce n’est pas possible. Je suis désolé, mais les assurances ne valident pas ça, par risque que les résistances soient modifiées. Mais ne vous en faites pas, on va essayer de réutiliser au maximum vos matériaux. Par exemple, votre poutre, on pourrait en faire un comptoir pour le point de vente. Il suffirait de la scier correctement, de la poncer puis de la vernir.

— Ah mais, c’est que tu t’y connais bien finalement ! Si tu veux, j’ai quelques copains du temps où j’étais à l’école du bois, avant de reprendre la ferme de mon père… J’peux te les présenter. C’est des experts en charpente, des as ces gars-là. On pourrait les faire venir pour jeter un coup d’œil à la poutre et discuter des possibilités de rénovation.

Joël s’animait en parlant de ses souvenirs, évoquant les compétences spécifiques de chacun et les projets réalisés dans leur centre de formation. Ses yeux brillaient à l’évocation de ce qui avait été visiblement un formidable moment de sa vie.

— C’est des gars géniaux, passionnés par leur travail. Ce que j’adore chez eux c’est qu’ils travaillent localement, ils utilisent seulement le bois qui pousse dans l’Oise, il y a rien de tel que des résineux, sapins ou épicéas. Et ils respectent les cycles : ils coupent uniquement des arbres matures et veillent à en laisser suffisamment pour la régénération naturelle du domaine forestier… Sergueï, lui c’est mon meilleur pote. Il vient de Russie et il nous a montré des superbes techniques pour sculpter l’bois. J’me souviens il avait fait une colombe ou on voyait chaque plume, pour l’élu de son cœur, André, et aujourd’hui ils ont adopté 2 enfants ! Que ça passe vite… M’enfin, il pourrait sûrement faire quelque chose d’original qu’on remarquerait directement en passant la porte de la boutique…

Y’a aussi son associé Stefano, charpentier de génération en génération. Si on a un doute, on pourra faire appel à son père, Fabio, il est incollable. J’ai tout le matos dont on aura besoin à la maison pour s’occuper de ça : un établi, une scie circulaire robuste, une ponceuse et même du vernis écologique, ça sera déjà ça d’moins à prévoir dans le devis.

Photo pxhere.com licence CC0

 

Maxime, captivé par ces aspects du projet, ajoute :

— On a aussi pensé à une idée pour attirer plus de monde. En installant des portes larges et un rampe d’accès depuis un parking adapté, les personnes en fauteuil roulant pourraient profiter de vos produits. On ne va pas trop rentrer plus dans le détail aujourd’hui, mais vous voyez l’idée. Je vais demander à mes camarades compétents dans le domaine et on viendra directement évaluer tous les travaux sur place. Vous êtes d’accord pour nous recevoir ?

— Alors là Maxime, ça me touche que tu penses tout de suite au handicap. J’suis si heureux de voir comme les mentalités ont changé, c’était pas si évident à mon époque…

Sinon, j’suis tous les jours à ma ferme, et si j’y suis pas, j’suis dans mon tracteur. Venez quand vous voulez, y’aura quelqu’un pour vous accueillir les bras grand ouverts.

Mais n’oublie pas que j’ai une limite de prix. C’est pas possible pour moi que les frais dépassent mon budget. J’ai eu une généreuse prime de l’agora de Crépy-en-Valois pour rénover mon vieux bâtiment mais j’pourrais pas ajouter des mille et des cents.

— Joël, intervient Pierrette, ne vous en faites pas trop pour le prix, nous respecterons votre budget. Je voudrais également préciser que nos étudiants interviendront uniquement dans la déconstruction-reconstruction du bâti et non pas dans l’aménagement proprement dit, il ne s’occuperont donc pas de la mise en place de votre matériel.

— Oui, ben évidemment, j’m’occupe moi-même du matos pour la fabrication du fromage.

— Voilà ! Super, conclut Maxime, nous sommes d’accord… Je vais m’occuper du recrutement puis nous conviendrons d’un créneau pour venir sur votre exploitation. Merci de votre venue.

Joël se lève de sa chaise :
— Avec plaisir ! Maxime, par contre les prochaines fois, tutoie-moi, pas de gêne entre nous gamin, on va travailler ensemble. Et merci Pierrette d’avoir pris le temps d’étudier mon projet.

Texte sous licence CC-BY-SA.
Autrices et auteurs : Gros Arthur, Pinabiaux Luka, Poirier Aglaé, Rivière Auguste.

 

BIBLIOGRAPHIE

Réglementation autour du désamiantage

Une feuille de route pour le traitement des déchets amiantés, CGEDD CGE de l’économie et du développement durable N° 013959-01, https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/cge/dechets-amiante.pdf
Amiot-Than-Trong Yvette. L’amiante. In : Droit et Ville, tome 46, 1998. pp. 213-222. DOI : https://doi.org/10.3406/drevi.1998.1479 https://persee.fr/doc/drevi_0396-4841_1998_num_46_1_1479

Contamination des sols par l’exploitation agricole

  • Cours / UTC / UB09 / Procédés de traitement des polluantes dans les sols A23 (Edvina Lamy)
  • Vincent Chatellier. L’élevage bovin et l’environnement en France : le diagnostic justifie-t-il des alternatives techniques ?. Productions Animales, 2003, 16 (4), pp.231-249. ffhal-02678699ff (augmentation des teneurs en nitrates et en phosphore des eaux, émission de gaz à effet de serre)

 

  • Norme AFNOR NF U 44 551, version Mai 2002. Supports de culture : Dénominations, spécifications, marquage.
  • Déconstruction : Cours / UTC / AP / Éco circulation P23 (Fabien Lamarque et Nathalie Molines)

Accès PMR

Norme AFNOR NF P98-351, version Août 2021. Cheminements — Insertion des personnes handicapées — Éveil de vigilance — Caractéristiques, essais et règles d’implantation des dispositifs podotactiles au sol d’éveil de vigilance à l’usage des personnes aveugles ou malvoyantes

La nouvelle du vendredi 20:42

Chaque jour de cette semaine, à 20:42, une nouvelle de 2042 concoctée avec amour par les participant⋅es des ateliers #solarpunk #UPLOAD de l’Université Technologique de Compiègne (UTC).
Aujourd’hui à l’UPLOAD c’est la rentrée… mais la sortie d’un bâtiment « sécurisé » est problématique quand le réseau est intermittent…

Un groupe reste confiné, parmi lequel un harceleur et sa victime…

Un réseau d’émotions

Alors que les vacances se terminent, Candice angoisse à l’idée de commencer des nouveaux cours avec des personnes qu’elle ne connaît pas. Le lundi matin, elle arrive à l’UPLOAD pour découvrir son emploi du temps et assister à une réunion d’informations sur les cours qu’elle a choisis. En poussant la porte, la jeune fille tombe nez à nez avec un étudiant dont le visage lui semble familier. En bonne introvertie qu’elle est, elle ne cherche pas pour autant à commencer une conversation avec lui.

Après une heure de présentation qui lui a paru interminable, elle se voit assigner trois camarades de TP pour le reste du semestre. Juste avant de quitter la salle le professeur les interpelle :
– Tous ceux qui ont des TP, n’oubliez pas d’aller chercher votre accréditation pour accéder au bâtiment sécurisé ! Et avant vendredi !

Candice ressort de sa rentrée plutôt satisfaite de la conférence malgré une certaine appréhension concernant ses camarades de TP et leur premier sujet. Elle sera vite fixée, son groupe a décidé de se retrouver le lundi suivant durant la pause du midi pour commencer leur travail. En attendant, elle continue d’y réfléchir pendant qu’elle se dirige vers l’administration. C’est dans ce bâtiment qu’elle pourra demander ses accès aux salles dans lesquelles se déroulent les TP sensibles…

Une fois arrivée, elle est emmenée devant un lecteur d’empreintes digitales. Candice comprend que les serrures du bâtiment de TP sont biométriques, mais elle est étonnée par ces mesures de sécurité qui lui paraissent démesurées pour un simple projet étudiant. Est-ce vraiment nécessaire ? Et pourquoi ce processus est-il si différent de tous les autres, qu’elle commence à bien connaître après trois ans à l’UPLOAD ?

De retour chez elle, Candice recommence à réfléchir au sujet de son premier TP. À première vue, celui-ci lui semble incongru, mais elle n’a aucune connaissance en la matière qui lui permettrait de se forger vraiment un avis. Après plusieurs heures sans trouver le sommeil, elle décide d’ouvrir l’ordinateur reconditionné que l’école lui a donné le jour même et de se lancer dans des recherches pour en avoir le cœur net. Malgré l’impératif pédagogique, elle se sent coupable de taper « LSD » sur DuckDuckGo.

Une semaine après la rentrée, le jour de la rencontre avec son groupe est enfin arrivé. Comme à son habitude, la jeune fille est en avance et attend devant le bâtiment. Peu de temps après, elle se fait interpeller par un grand garçon :
– Salut ! Tu dois être Candice. Moi, c’est Noah. Tu es en avance !
Timidement, Candice répond :
– Oui.

Sans plus attendre, ils entrent dans le bâtiment. En prenant les escaliers, ils sont surpris par la couche de poussière accumulée sur les marches.
– On voit qu’on revient des vacances, j’ai jamais vu le bâtiment aussi désert !
– C’est surtout qu’il n’y a plus beaucoup de projets dans le bâtiment avec accréditation. Moi, c’est mon premier par exemple. Tous mes cours jusqu’ici étaient ouverts à tous. J’imagine que presque plus personne ne vient ici.

Une fois à leur étage, ils aperçoivent Adrien, qui a l’air agacé. De l’autre bout du couloir, il leur lance :
– Vous savez vraiment pas respecter les horaires ! Vous avez cinq minutes de retard, on est déjà à la bourre sur le projet !
Noah lève les yeux au ciel et ouvre la porte. En s’installant, il demande aux autres de ne pas fermer pour que le dernier retardataire puisse les rejoindre plus facilement.

Ne le voyant pas arriver, notre groupe décide de commencer à travailler. En premier lieu, ils lancent un petit tour de table. Les trois étudiants se présentent chacun brièvement :
– Moi, je m’appelle Adrien, et je veux sortir major de ma promo. J’aime la richesse de la langue, c’est d’ailleurs pour ça que je suis dans l’association Eloc’UP.
– Je suis Noah, j’espère que l’on va tous bien s’entendre pour le projet.
Candice se présente à son tour quand Dylan entre en trombe dans la salle et claque la porte, au grand mécontentement d’Adrien.
– OH ! Tu es déjà en retard, ne casse pas la porte au passage !
– T’en fais pas mec, elle en a vu d’autres.
Candice reconnaît l’étudiant qu’elle a croisé le premier jour et qui lui dit décidément quelque chose.

Après plus d’une heure de concentration à étudier les échantillons de LSD, Dylan n’en peut plus. Il tente de relâcher la pression avec une petite blague :
– Et si, après avoir fini avec nos échantillons, on les testait ?
– Non mais tu es fou, c’est super dangereux ! Et puis on est là pour travailler, pas pour se faire un trip.
– Le LSD n’est pas forcément dangereux, précise Candice. J’ai un peu regardé quand on nous a donné le sujet, il est aussi utilisé dans des soins médicaux, notamment pour réduire l’anxiété et diminuer la douleur chez certains malades. D’accord, il a été illégal pendant longtemps, mais maintenant il est autorisé dans un cadre thérapeutique, et c’est très prometteur. C’est bien pour ça qu’on nous fait l’étudier à l’UPLOAD.
– En plus, la molécule est synthétisée à partir de céréales donc ce n’est pas si dangereux. Vous mangez bien des céréales tous les matins non ?
– Fais ce que tu veux, mais tu feras moins le malin quand tu seras pris de crises délirantes et qu’il y aura pas d’ambulance à hydrogène disponible pour venir te chercher.

l'index d'une main est posé sur un boîtier qui scanne les empreintes digitales

« Integrated Corrections Operations Network (ICON II) » by BC Gov Photos is licensed under CC BY-NC-SA 2.0.

 

Quelques heures passent encore, sans plus aucune interruption. Une fois leur première série d’expériences terminée, tous se dirigent vers la porte. Dylan pose son index sur le lecteur d’empreintes mais celui-ci s’allume en rouge. La sortie lui est refusée.
– Et merde, on est bloqués, la porte ne s’ouvre pas !
– Arrête de faire une blague c’est pas drôle, répond Adrien.
Les autres essaient à leur tour, en vain.
C’est Noah qui comprend tout à coup :
– Ah oui ! Ça doit être parce qu’il est plus de 14h.
– Comment ça ? chuchote Candice d’une voix blanche.
– Vous ne vous souvenez pas de l’annonce des opérateurs de télécom ? Ils avaient décrété que les réseaux de l’Oise allaient devenir intermittents. Internet n’est actif qu’entre 11 h et 14 h puis entre 22 h et 6 h. Ça ne vous dit vraiment rien ?
– Si, mais je vois pas le rapport. Tu nous expliques ? demande Adrien, méfiant.
– Eh bien, si les serrures par empreintes digitales sont connectées à Internet, elles ne marchent plus. L’administration n’a pas dû penser à adapter le système d’accès, comme il n’est presque plus utilisé.
– Donc on est réellement bloqués ? s’enthousiasme Dylan. Trop bien ! On va pouvoir échapper aux TVO pour une fois.
– Mais moi, s’inquiète Candice, je ne veux pas rester jusqu’à 22 h, j’ai des choses à faire.

Adrien, dans ses pensées, écoute d’une oreille ses camarades. Comment sortir d’ici ? Il prend son élan vers la porte et BOUM ! Un gros choc retentit. Tout le monde se tourne alors vers Adrien, qui crie de douleur. Son épaule vient de se déboîter.

Fatigué du comportement autoritaire d’Adrien, Dylan chuchote : « Il l’a bien mérité ! »
En entendant la remarque de Dylan, les souvenirs de Candice lui reviennent d’un coup : les messes basses qu’un fameux Dylan faisait au collège à son égard. En le regardant plus attentivement, cela ne fait aucun doute, c’est bien le même Dylan. Sous le choc Candice lui dit :
– Tu n’as donc pas changé…
– Mais de quoi tu parles ?
Candice, les larmes aux yeux, se libère de ce qu’elle avait sur le cœur durant toutes ces années :
– C’est toi qui lançais des rumeurs sur mon dos au collège, c’est toi qui me critiquais à longueur de journée, c’est toi qui te moquais de moi, qui taguais mon casier, qui jetais mes affaires, c’est toi qui me harcelais !

Pendant ce temps, Noah reste auprès d’Adrien, toujours crispé de douleur. En attendant de trouver une solution pour son épaule, Noah essaye au moins de le distraire en lançant un débat sur l’intermittence d’Internet :
– Rendre le réseau intermittent, même en cette période d’inflation énergétique, c’était pas vraiment la meilleure solution… Nous voila bloqués ici sans alternative.
– C’est vraiment une solution ringarde et insensée ! Imagine que quelqu’un ait fait un malaise, nous n’aurions aucun moyen de nous en sortir. On serait censés faire quoi ? Attendre le retour du réseau en espérant que cette personne reste en vie assez longtemps ?
– Ouais, c’est assez dangereux comme décision.
– Seulement dangereux ? C’est inadmissible oui ! C’est à Internet d’être notre esclave pas le contraire. Notre sécurité devrait être….
CRAAAC ! AHHHHH !
Noah a replacé l’épaule d’Adrien d’un coup sec et sans prévenir. Le cri d’Adrien arrête la dispute entre Candice et Dylan. Noah essaie de faire revenir le calme :
– Bon, on va tous prendre une grande respiration. Il faut qu’on trouve une solution pour sortir, et pour ça il nous faut tous nos neurones !

Dylan, touché par les paroles accusatrices de Candice, lui présente des excuses :
– Candice, j’aimerais vraiment qu’après être sortis, on rediscute de tout ça. Je suis désolé, et je voudrais me faire pardonner. Pour le moment il faut trouver une solution, mais est-ce que tu serais d’accord pour qu’on prenne du temps ensemble ensuite ?
Candice hoche la tête lentement sans rien répondre.

Chacun part dans une direction de la salle pour chercher des pistes pendant qu’Adrien se remet de ses émotions.

Au bout d’un moment, Candice trouve un bouton d’alarme incendie sur lequel elle appuie, sans que rien ne se passe. Visiblement, impossible aussi de joindre les secours sans Internet. Au bout de deux heures de recherche, fatigué de n’avoir toujours rien trouvé, Dylan s’assoit et joue avec une balle trouvée dans un tiroir. Après plusieurs lancers sur le plafond, une dalle se décale. C’est la goutte de trop pour Adrien :
– Sérieux, tu joues au lieu de chercher, remets au moins la dalle en place !
Dylan pousse un gros soupir et monte sur une chaise. En voulant remettre la dalle, il aperçoit un objet qu’il tire vers lui pour le sortir.
– Eh, les gars j’ai trouvé une mallette !
– Bah ouvre-la.
Noah et Candice s’approchent pour voir la trouvaille. Le jeune homme reconnaît une radio.

– Ah mais la voilà notre solution ! On peut communiquer avec une radio.
– Hahaha, mais tu perds la tête Noah ! Ça n’existe plus la radio.
– Si si, il y a pas mal de radios amateurs qui se sont remontées ces dernières années. Je crois même qu’il y a une radio pirate sur le campus ! D’ailleurs c’est peut-être à eux, cette mallette. Ça m’étonnerait pas qu’ils se planquent parfois ici pour faire leurs émissions au calme, et puis qui irait penser à fouiller les faux plafonds pour confisquer du matos ?
– Bon, d’accord, mais sans réseau, ça nous fait une belle jambe tout ça.
– Justement, la radio fonctionne grâce à la diffusion d’ondes électromagnétiques à travers une liaison entre un émetteur et un récepteur. Tout cela fonctionne avec des antennes, et non sur le réseau Internet. C’est complètement indépendant des opérateurs de télécom. Normalement, on peut arriver à contacter des gens si on arrive à capter des fréquences sur lesquelles émettent des radios.
– D’accord, on a compris l’intello. Mais à quoi ça va nous servir ? T’en connais, toi, des fréquences sur lesquelles il y a des émissions ? Et une fois qu’on a commencé à capter, on fait quoi ? On écoute de la musique ?
– C’est pas juste pour écouter de la musique, voyons. Ce poste de radio utilise la technologie de l’émetteur-récepteur. On peut parler avec d’autres personnes sur une même fréquence, un peu comme avec des talkies-walkies si tu préfères.
– Ok, mais comment on trouve une fréquence ?
– D’abord il faut allumer la radio, ça se passe ici, regarde. Et ensuite, on tourne ce bouton jusqu’à entendre quelque chose d’intelligible.
– D’accord, je cherche la fréquence des pirates alors.
– Il reste plus qu’à espérer qu’il y ait une antenne pas très loin pour relayer nos messages !

kit de radio amateur en trois modules, avec un micro et des tas de boutoons :-)

« Kenwood TS-430 Amateur Radio Setup » by mrbill is licensed under CC BY 2.0.

 

Au bout de plusieurs minutes d’essais dans tous les sens, les camarades finissent par tomber sur la fréquence sur laquelle émet RadioPadakor. Noah se précipite sur le micro et essaie de faire passer un message.

La radio est alors en pleine émission d’une interview sur les tomates quand des grésillements se font entendre. Après quelques manipulations incertaines sur le poste, le groupe parvient à prendre l’antenne un court instant. Constatant qu’on les entend, les quatre membres, fous de joie, diffusent leur message :
– Allô ? Je ne sais pas si quelqu’un nous reçoit mais on est enfermés dans le bâtiment sécurisé de l’UPLOAD, on n’arrive pas à sortir. On a vraiment tout essayé mais les serrures ne fonctionnent pas sans Internet, et on aimerait sortir avant la nuit. Est ce que quelqu’un peut nous aider ?
L’équipe de AirPD confirme qu’elle les a bien entendus, et qu’elle va chercher du renfort.

Une demie heure plus tard, c’est avec soulagement que les quatre jeunes étudiants voient la porte s’ouvrir. C’est un opérateur des télécoms qui les a libérés. Avec l’appui de l’administration de l’UPLOAD, il a réussi a rétablir une liaison temporaire entre les serrures connectées et le serveur de gestion des accès.

Une fois dehors, Dylan rejoint Candice pour clarifier la situation entre eux.
– Hey Candice, je te présente encore des excuses pour tout ce que j’ai pu te faire au collège. J’ai été stupide et immature. On va passer un semestre ensemble, autant que cela se passe dans de bonnes conditions. Alors, si ça te convient, n’hésite pas à me dire ce que je pourrais faire pour essayer de réparer le tort que je t’ai causé.
– Pourquoi pas, on va essayer, répond évasivement Candice.

Une permanente de l’administration de l’UPLOAD, Géraldine, rejoint le groupe et s’excuse de ne pas avoir anticipé le problème. Les quatre étudiants, épuisés, ne peuvent réfréner leurs critiques :
– Je pense, commence Noah, qu’il faudrait revoir complètement la gestion des accès à l’UPLOAD. On a hérité d’un système biométrique, tout connecté à Internet. Les portes des bâtiments, les ordinateurs… C’était à la mode à un moment. Mais on ne sait même pas où sont les serveurs ! Et c’est à cause de ça qu’on s’est retrouvé bloqués. Maintenant qu’Internet ne fonctionne plus en continu, ça ne peut plus marcher.
Géraldine est sceptique mais intéressée :
– Ça, il faudra en parler au collectif de gestion des bâtiments et à la DSI. Mais je vais déjà noter vos idées. Que suggérez-vous ?
– On pourrait peut-être s’inspirer des méthodes des débuts de l’informatique, propose Adrien, avec un réseau local en filaire par exemple. Et les données seraient toutes gérées sur place. Au minimum, le serveur de gestion des accès devrait être là où sont les clients, directement dans le bâtiment sécurisé.
– D’accord, mais des problèmes sur les équipements d’un réseau filaire peuvent toujours se produire. Et puis, avec l’inflation de l’énergie, on devrait commencer à se préparer aussi à des coupures d’électricité, et pas seulement d’Internet, répond Géraldine. C’est l’occasion de repartir complètement à zéro.
– Dans ce cas, se lance Candice, on pourrait tout simplement revenir à une sécurité basée sur des clés. Et les boutons d’alerte à l’intérieur des salles devraient être reliés à une radio alimentée par une batterie, qui se recharge lorsqu’il y a de l’électricité. Parce qu’on peut aussi avoir besoin d’appeler les secours !
– Merci de vos propositions, je les transmettrai aux équipes concernées. Maintenant, vous pouvez rentrer chez vous, vous l’avez bien mérité.

Une fois Géraldine partie, les quatre membres se rassemblent pour se dire au revoir :
– À la semaine prochaine ! lance Noah, pressé de finir sa journée.
– En espérant qu’on ne se retrouve pas bloqués la prochaine fois, plaisante Candice, douce-amère.
Sur une ambiance ambivalente, tout le monde rentre chez soi.

Une semaine est passée et revoilà nos quatre étudiants pour leur second TP. En entrant dans le bâtiment, ils croisent d’autres élèves en train de remplacer les lecteurs d’empreintes digitales par des serrures à clé. Candice se rapproche de Noah et lui donne un léger coup de coude en lui demandant :
– Alors, tu as bien récupéré tes clés ?

Ce texte est sous licence CC BY-SA

Autrices : Chloé Ade, Margaux Aspe, Mathilde Barrois, Lina Bourennane, Générose Agbodjalou

Bibliographie

La nouvelle du jeudi 20:42

Chaque jour de cette semaine, à 20:42, une nouvelle de 2042 concoctée avec amour par les participant⋅es des ateliers #solarpunk #UPLOAD de l’Université Technologique de Compiègne (UTC).

Aujourd’hui, sous le regard étonné des enfants de 2042, une exposition sur Compiègne autrefois, visite commentée par la ville elle-même. Au menu : l’Université, le mode de gouvernement, un vote libre et populaire, et tout ce qui aura changé dans une nouvelle conception de la société

 

Compiègne avant les années sobres

Voici mon témoignage. En quelques paragraphes, je vais vous raconter cette journée importante pour Thomas et sa famille. Je n’ai pas choisi n’importe quelle journée, évidemment, mais vous vous en rendrez compte par vous-même au fil des lignes, et peut-être comprendrez vous pourquoi elle est également importante pour moi, Compiègne…

Cela faisait plusieurs années que les citoyen⋅ne⋅s avaient prévu l’exposition. Par crainte que celle-ci ne soit trop rapprochée des événements traumatisants, les habitant·e·s avaient déplacé son inauguration jusqu’à aujourd’hui. Il s’était déroulé un nombre incalculable d’assemblées au cours desquelles elle avait été au cœur des discussions, suscitant des avis tranchés par les membres, tant opposés que favorables. Enfin, après cinq années, des affiches firent leur apparition devant la mairie, sur les places publiques et dans l’UPLOAD. Cependant, le titre ne faisait pas l’unanimité, surtout pas à mes yeux. « Compiègne avant les années sobres », semblait atténuer la gravité de la période sombre que nous avions traversée, celle de l’effondrement… L’exposition ayant enfin ouvert ses portes, de nombreuses personnes étaient impatientes d’admirer les œuvres exposées, particulièrement désireuses d’entendre les témoignages des plus âgées qui avaient tout vécu. Thomas faisait partie des guides bénévoles, dévoués à consacrer de leur temps à expliquer aux visiteurs et visiteuses ce qu’il s’était passé et pourquoi. Il était venu spécialement afin de faire découvrir l’exposition à ses enfants, en leur présentant tous ses éléments par des images.

Thomas entra dans la première salle consacrée à la présentation et l’évolution de l’UPLOAD. Placer celle-ci en premier ne me paraissait pas absurde. Après tout, c’est elle qui avait rendu tout cela possible. L’UPLOAD, l’Université populaire, libre, ouverte, autonome et décentralisée, constituait le point de départ de toutes les évolutions positives des années sobres.

Au début, l’UPLOAD était un projet étudiant dont le but était de modifier drastiquement le système éducatif de l’époque. L’éducation présentait des lacunes, les étudiant·e·s adoptaient un état d’esprit incompatible avec le risque d’effondrement que présentait la planète entière, et sortaient de leurs études avec une conception conformiste de ce qu’était le savoir. Chaque étudiant·e quittait l’institution en pensant que les mathématiques, la physique ou la chimie reflétaient l’intégralité des connaissances.

Initialement, l’UPLOAD occupait les locaux de l’université technologique de Compiègne et servait de lieu central où les étudiant·e·s se rencontraient. Progressivement, elle avait regroupé non seulement des étudiant·e·s mais aussi des habitant·e·s pour rassembler leur savoir et le transmettre aux autres. Tout cela s’était montré particulièrement utile dans les premières années de l’effondrement. Par la suite, elle était devenue un lieu communautaire, constitué de nombreux bâtiments, aux frontières moins définies.

Thomas et ses enfants arrivèrent devant la photo de l’ancienne mairie. On pouvait y voir un maire serrer la main du président de la république. L’un de ses enfants demanda alors ce qu’étaient un « maire » et un « président »… L’idée d’avoir une seule personne pour gouverner le pays lui était absolument impensable, comment un seul individu pourrait-il diriger tout un peuple ? Comment pourrait-elle prendre des décisions pour tous sans même connaître chacun et chacune ? Et pourquoi élire des maires ? À quoi servaient-ils, s’ils n’avaient aucun pouvoir ou presque ? Thomas se retrouvait bien surpris par toutes ces questions qu’il ne s’était jamais posées et qui pourtant lui paraissaient complètement légitimes. Afin d’y répondre, il décida de raconter d’où venait notre forme de politique actuelle.

« Avant l’effondrement, toutes les décisions ou presque était prises à Paris, c’est ce qu’on appelait un gouvernement centralisé. Le président et son gouvernement prenaient toute les décisions, et celles-ci étaient relayées par les préfets, puis par les maires. Ceux-ci n’avaient donc qu’un pouvoir très limité.

– Mais ils n’y a jamais eu d’autre forme de gouvernement avant ?

– Si bien sûr, il y a eu différentes formes de gouvernement, les plus notables sont la monarchie, où un roi gouvernait tout un peuple ; la théocratie, où le gouvernement agissait au nom d’un dieu ; l’oligarchie où un petit groupe de personnes gardait le pouvoir entre leurs mains et prenait toutes les décisions ; et il y avait bien d’autre formes encore. Celle que nous utilisons actuellement se rapproche beaucoup de la démocratie athénienne, où une partie du peuple votait les décisions ensemble. La différence est que notre forme de politique inclut tout le monde, alors que la leur excluait les femmes et les esclaves de la vie politique.

– Et pourquoi avons-nous changé de politique ?

– Lors de l’effondrement, l’ancienne organisation n’a plus fonctionné. Chaque région a connu des problèmes différents, notamment des pénuries d’eau, de nourriture, des inondations, des incendies… Mais comme ce fonctionnement obligeait le président à prendre des décisions pour tout le monde en même temps, il n’a pas pu répondre à tous les problèmes. Et c’est dans la panique qu’une nouvelle loi est passée, cédant la majorité des prises de décisions à une échelle plus locale, ville par ville », expliqua Thomas.

Cette décision avait été prise à peine 20 ans auparavant et pourtant elle avait tout changé. Cette politique décentralisée avait permis la mise en place d’un vote libre (et) populaire. Désormais, chaque loi était proposée par les citoyen·ne·s, puis votée dans un forum. Et l’ensemble des instances des villes sont assurées par des élu⋅e⋅s au service des citoyen⋅ne⋅s, renouvelé⋅e⋅s régulièrement. Thomas s’était mis en tête d’expliquer à Louka et Lucy comment votent les citoyen⋅ne⋅s, et il comprit que c’était bien compliqué pour des enfants de leur âge. Plutôt que tenter de vous l’expliquer je pense que la fiche explicative donnée lors de chaque vote sera bien plus claire :

 Le vote par note À la suite des débats sur les nouvelles lois à voter et les représentants à élire, chaque citoyen sera amené à donner son avis par un vote. Afin de rendre le vote plus représentatif de l’avis réel des citoyens, une nouvelle forme de vote a été établie. Vous serez donc amené à donner pour chaque vote, une note allant de 1 à 5 à chacune des propositions et/ou des représentants. Une fois tous les bulletins rassemblés, la moyenne des notes nous donnera l’avis du peuple. La note minimale à obtenir pour que la loi soit adoptée ou la personne élue dépendra de plusieurs situations: - Un candidat ne peut être élu dés que sa note descend sous 3/5. La personne avec la moyenne la plus haute est désignée victorieuse. - Une loi, ou partie de loi, est adoptée si sa note dépasse une certaine valeur définie. Cette valeur sera choisie selon la règle suivante : sans débat, la loi doit avoir une note supérieur à 3/5 cette note augmente de 0,3 point pour chaque demi-journée de débat La note limite ne peux excéder 4,5/5. exemple : Un projet de loi débattu tout une journée avant d'être voté, devra avoir une note supérieur à 3,6/5 pour être adopté. Nous invitons chaque citoyen à lire Du contrat social de Rousseau ainsi que les différents livres relatifs aux formes de vote se trouvant à la bibliothèque de l’UPLOAD pour comprendre pourquoi cette forme de vote est optimale.

Cette forme de vote a vraiment permis de rendre les choix et les décisions plus représentatives de la volonté des citoyen⋅ne⋅s.

« Bon laissez tomber, vous comprendrez sûrement quand vous serez plus grands… En attendant passons à la suite de l’exposition ! »

Le petit groupe s’avança alors devant une photographie d’un homme, apparemment désemparé, contemplant un graphique couvert de chandelles rouges et vertes. Il y était écrit : « NASDAQ, bourse de New York ».
« Papa, papa ! Qu’est ce qu’il fait celui-là ? demanda Lucy, la fille cadette de Thomas. Il se tourna vers elle, mit un genou à terre et pointa du doigt le cliché pendu au mur :
– Tu vois ça c’est ce qu’on appelait « la Bourse de New York », enfin ce qu’elle était quand j’étais jeune. À l’époque on pensait le monde en termes de croissance économique, de richesse pour les actionnaires et d’échange financiers. Le PIB, saint Graal des analystes économiques, était l’indicateur phare. »

Thomas voyait bien que son discours ne passionnait pas les foules, il surprit même ses enfants à bâiller devant ses dires. Pourtant il le savait, le changement de paradigme post-effondrement avaient rebattu toutes les cartes. Consciente qu’une croissance infinie n’était pas un modèle viable, la société avait cherché de nouveaux moyens de mesurer l’évolution de l’humanité. Une idée émergea alors, pourquoi ne pas intégrer la biodiversité dans tout les futurs projets de construction ? Une nouvelle loi avait alors été votée afin d’intégrer des indices de biodiversité, obligeant ensuite les autorités publiques à ne faire que des projets développant la biodiversité. Cette vision politique s’est cristallisée autour du RIP, Le Rapport d’Impact Projet. On pouvait savoir si un projet était bénéfique pour l’environnement en regardant le RIP. S’il était supérieur à 1, on pouvait alors lancer le projet, sinon il était mis de côté. Afin d’être au plus proche de la réalité, il avait fallu développer une vision multifactorielle, en se fondant par exemple sur l’abondance et la biodiversité ou sa diversité. Voici la formule employée dans le cadre de nouveaux projets.

RIP= impact du projet sur l'environnement/indice actuel de biodiversité

L’impact du projet sur l’environnement et l’indice actuel de biodiversité se définissent par des indicateurs d’abondance et de richesse spécifiques.

Cet indice a permis de choisir des projets plus durables et respectueux de l’environnement et de mieux comprendre les services rendus par certains bâtiments. Thomas s’était par exemple battu pour une grange menacée de destruction par une nouvelle route alors qu’elle servait de refuge pour les oiseaux nocturnes. Grâce au RIP, les élu⋅e⋅s s’étaient rendu compte que le tracé de la nouvelle nationale posait en fait beaucoup de problèmes et ils avaient pris la décision de le modifier.

Perdu dans ses pensées, Thomas ne s’était pas rendu compte que ses enfants s’étaient dispersés dans l’exposition.

Maintenant seul, Thomas parcourait l’exposition à leur recherche. Un peu inquiet, il s’arrêta à côté d’une personne âgée qui observait une photo d’un porte-conteneur chinois. Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, Francis portait un béret bleu marine et une salopette vert bouteille. Ses manches retroussés laissaient voir des tatouages. Thomas lui fit signe et Francis lui esquissa un sourire.

« Bonjour monsieur, savez-vous que j’ai déjà travaillé sur un de ces bateaux ? Dans ma jeunesse si le monde tournait, c’est parce que ces gros engins mécaniques flottaient, expliqua Francis en se tournant vers Thomas.
– Oui bonjour, c’est vrai qu’aujourd’hui ces types de bateaux ont complètement disparu, répliqua Thomas.
– Vous savez, vous avez sûrement dû observer ce changement aussi, mais la principale raison de leur disparition c’est la mise en place du nouvel indice qui a supplanté le PIB. À cette époque la quantité d’échange de nature économique réalisée par un pays produisait sa valeur, ainsi on observait une intensification des échanges, une délocalisation de la production, bref on faisait des échanges pour faire des échanges.

Cette dynamique s’est totalement inversée, on a décidé de non plus mettre en valeur le nombre croissant d’échanges économiques, mais le faible nombre de celui-ci. Les pays se sont ainsi mis en concurrence dans des objectifs d’autonomie de leurs citoyen⋅ne⋅s. Moins un pays se repose sur une centralisation des productions, c’est à dire plus ses citoyen⋅ne⋅s sont autonomes dans la réalisation de leur quotidien, plus ce pays est mis en valeur.
– C’est vrai, j’étais encore assez jeune lors de ce renversement, mais j’avoue que je vois pas trop le lien direct avec la raison pour laquelle les porte-conteneurs ont disparu, s’interrogea Thomas.
– Bien, ça c’est grâce à un autre indice, il est encore présent aujourd’hui mais il est si bien incorporé par tout le monde qu’on a tendance à l’oublier, j’en ai même oublié le nom.
– L’indice de maniabilité ? proposa Thomas.
– Oui, c’est ça… l’indice de maniabilité. En fait, il permettait d’observer la dépendance d’une société à une technologie elle-même dépendante de ressource, d’énergie non-humaine. Le propos, c’est de dire que l’univers technique que produit l’Homme doit se baser sur les capacités physiques de l’Homme et non sur un asservissement de la nature comme ressource. De cette vision, il en découle une décroissance forte dans les usages des technologies à bouton, vous savez celle où on appuie sur un bouton et ça marche tout seul sans qu’on sache vraiment comment, mais ce que l’on sait, c’est que ça consomme un équivalent en énergie non-humaine, expliqua Francis.
– Et de cette manière tous les procédés d’automatisation, les moteurs énergivores et tous ces autres éléments techniques superflus, ont disparu progressivement.C’est tout de même fou qu’on ait pu penser de cette façon, un Homme hors de la nature quelle idée ! » reprit Thomas.
Francis sourit à Thomas, puis poursuivit sa visite. Thomas reprit sa quête.

Après avoir suivi cette conversation, des souvenirs de mon usage destructeur me frappèrent. Je suis et je serais toujours à l’image des Hommes qui me façonnent, mais tout de même l’évocation d’un ancien moi en opposition avec la nature, me donne des frissons.

Son père retrouva Louka près d’une ancienne carte de la région, regardant surpris de longs chemins de couleur grisâtre qui serpentaient dans la ville et au-delà.
« C’est quoi Papa ? c’est tout gris, dit l’enfant en pointant du doigt ces longs tracés.
– Ça tu vois, c’est une autoroute. Et là ce sont des routes nationales, ici les routes départementales et là les rues de la ville, expliquait Thomas.
Thomas poursuivit, décrivant à ces enfants ces voies de transports qu’ils n’avaient pas connues.
– À cette époque, nous utilisions des voitures pour nous déplacer dans la ville. La voiture c’est 4 sièges plus ou moins qu’on met dans une boite. Puis on met cette boite sur quatre roues, on lui rajoute un moteur avec de l’essence, et ça roule !
Thomas continua en disant que chaque voiture avait un « propriétaire » et de ce fait, on en faisait un usage individuel la plupart du temps.
– Mais, elle sont énormes ces voitures ! Pourquoi elles sont si grosses si on est seul dedans ? ça sert à rien ! s’étonna Louka. »
Face à la surprise de son fils, Thomas soupira. Il lui revint en mémoire ces heures de bouchon pour aller travailler au bureau, dans une compagnie d’assurances à 25 km de chez lui.

Son évocation des voitures me rappela le temps où les immeubles s’assombrissaient à cause de la pollution et où ces voies bruyantes, polluantes, et dangereuses me traversaient de toute part. Aujourd’hui, le vélo a remplacé la voiture mais les traces de ces anciennes routes n’ont pas pu être complètement effacées en si peu de temps. Elles sont maintenant recouvertes de terre, mais la nature peine à reprendre ses droits face au bitume, encore trop proche de la surface de la terre. Seul les routes en dehors de la ville subsistent encore, mais ceux qui possèdent une voiture doivent la garer à l’ancienne zone commerciale avant de prendre un autre moyen de transport pour rejoindre le centre.

Louka s’intéressa ensuite à de curieux bâtiments. De grandes structures de couleur blanche sont accompagnées d’immenses surfaces planes vides. Thomas décrivit ce lieu atypique comme un centre industriel destiné au soin.
« Mais ils sont tout le temps malades ? s’interrogea l’enfant.
Thomas, amusé de cette réaction inattendue, répondit :
– Non, à cette époque les gens ne savaient pas se soigner, du moins une majorité. Une certaine élite de la société trimait pour apprendre un nombre considérable de connaissances afin de soigner les gens. Ces personnes aux différentes spécialités se regroupaient dans des hôpitaux, cliniques ou tous les autres lieux dédiés au soin. » poursuivit Thomas.
Aujourd’hui, suite à une surcharge des hôpitaux durant l’effondrement, la centralisation des pratiques médicales, c’est terminé. Un processus de décentralisation des savoirs s’est enclenché. Des lieux de soins alternatifs sont apparus, ils regroupent un petit nombres de spécialistes. Ces lieux sont présents presque à chaque coin de rue, ils permettent de former les citoyen⋅ne⋅s aux pratiques médicales et de mettre à disposition un matériel médical spécialisé. Ainsi, tout le monde peut se soigner en consultant ces spécialistes gratuitement, et même se former afin de succéder à ces médecins. Désormais, les citoyen⋅ne⋅s se soignent en grande partie en autonomie ou en se soignant mutuellement.

Thomas regardait Lucy et Louka jouer avec d’autres enfants. C’était beau. Avant l’effondrement, il était enfermé dans une compagnie d’assurance pour gagner une misère. Tous les savoirs acquis pour se reconvertir dans l’ébénisterie, auparavant personne n’y faisait attention. Aujourd’hui, les sociologues cherchent à représenter ces interactions sociales aux travers de modèles, les modèles de Densités EA2D (Echange, Acteurs, Diversité de savoir, Diversité de culture). Ces modèles tendent à valoriser les espaces d’échanges culturels, de savoir ou juste d’interaction sociales. On voit apparaître différents niveaux de EA2D. Avant, les structures du savoir étaient descendantes [Schéma 1 ci-dessous], avec peu d’acteurs et d’actrices transmettant un savoir en particulier. Suite à l’effondrement, d’autres structures se sont démocratisées, avec plus de diversité de savoirs [Schéma 2 ci-dessous] (limitant l’enfermement dans les bulles de filtres) et plus d’acteurs⋅actrices de cultures diverses permettant une mixité sociale importante [Schéma 3 et Schéma 4]. Des infrastructures comme l’UPLOAD reposent sur ces travaux pour élaborer des schémas d’interactions entre les individus afin de coller aux dimensions PAPS.

Schéma 1 : Peu d’acteurs distribuant le savoir à peu de personnes, apprentissage descendant

 

 Schéma 2 : davantage de savoir partagé, toujours dans un modèle descendant

 

Schéma 3 : davantage de savoir partagé, mise en réseaux des savoirs

 

Schéma 4 : diversité des interlocuteurs, chaque personne peut proposer et apprendre

 

Vous vous demandez sûrement à quoi correspond les dimensions PAPS n’est ce pas ? En plus de tous ces schémas et calculs, les hommes ont aussi développé une nouvelle vision de la société, fondée autour de 4 grandes dimensions : une dimension Pluriculturelle, Artisane, Pédagogique et Subsistantielle. Thomas est occupé avec ses enfants, je vais donc vous détailler à sa place ce qu’elles représentent.

1. La dimension Pluriculturelle
Cette dimension promeut l’ouverture à l’autre et le refus de l’enfermement des individus dans des bulles de filtres. Elle ne pose pas de hiérarchie entre les matières, les savoirs ou des savoirs-faire.

2. La dimension Artisane
Cet éclairage vise à produire et réparer les objets de son quotidien. En générant un nouvel environnement technique, cette dimension transforme le rapport à l’outil et permet aux individus de se réapproprier les moyens de productions.

3. La dimension Pédagogique
La dimension Pédagogique prône les concept de transmission, de réception et de partage du savoir sans limite ni barrière. Elle vise a proposer le savoir pour tous et par tous à la manière de structures comme l’UPLOAD ou d’autres lieux d’échanges plus petits.

4. La dimension Subsistantielle
L’autosuffisance passe aussi par une autosuffisance alimentaire. Dans cette optique, la société a cherché à créer des réseaux de savoirs pour la subsistance du commun. Un individu seul ne pouvant pas toujours subvenir à tout ces besoins, l’entraide devint le maître-mot de cette dimension. Le nouvel humain est connecté avec la nature à la manière de l’Homme selon Hans Jonas. Ce nouvel humain tend à préserver, et non plus à asservir la nature.

L’histoire de Thomas s’inscrit dans une histoire plus globale avec l’effondrement, ce sont l’ensemble des fondements sur lesquels reposaient la société qui se sont effondrés. Une société servicielle et fonctionnaliste qui s’est ordonnée en classe sociale et métier, le tout soumis aux principes d’une hiérarchie verticale. Avec la raréfaction des ressources et l’augmentation de la fréquence des catastrophes naturelles, les métiers sont devenus inutiles, la chaîne servicielle s’est brisée. Afin de rependre de l’activité, les humains se sont réinventés, ils ont imaginé une société organique où chacun, chacune possédait une multitude de savoirs. Ces savoirs sont partagées dans les communs.

De cette manière l’UPLOAD permet la formation aux principes d’une vie autonome à un large publique. Le citoyen apprend de cette manière à s’approprier les moyens de production, de subsistance et les moyens pédagogiques. Ces concepts sont réemployés dans la ville, à travers des ateliers communaux de production, autrement nommés des tiers-lieux. Ces lieux alternatifs sont l’extension de l’UPLOAD, ils permettent le partage des connaissances artisanales, ainsi que la mise en commun des outils de production et de réparation.
L’arrivée de ces nouveaux espaces m’a fait grandement du bien, il a renforcé le lien entre mes habitant⋅e⋅s et a permis de mettre en avant des pratiques non-destructrices de mon milieu.

Dans la dernière salle, une stèle était placée au centre de la pièce. Un panneau placé à sa droite donnait les explications suivantes :

L’effondrement est né de l’accumulation de différents facteurs. Au début du XXIe siècle, l’amplification des problèmes sociaux et sociétaux, l’absence de remise en cause du système économique capitaliste et l’inaction face aux enjeux environnementaux ont été le terreau fertile entraînant le déclin de la société. Une période sombre durant laquelle la raréfaction des ressources et la destruction du système économique par une récession qu’on n’a pas su empêcher, ont mis à mal la souveraineté alimentaire et l’accès au soin de chaque individu, d’autant plus fragilisé par la haute fréquence et l’intensité des catastrophes naturelles. Les individus ont vu leur mode de vie se métamorphoser, se dégrader, ne pouvant plus se projeter dans l’avenir, devant lutter pour survivre pour répondre à leur besoins de première nécessité.

Dessiné au trait, un arbre dont on voit bien la base et tronc mais pas la houppe/ Un panneau écrit est posé contre le tronc sur une branche basse

Dessin de Martin ROUSSEL CC-BY-SA

Presque ému par tous ces mots, je vis Thomas et ses deux enfants quitter l’exposition, le cœur plein d’espoir pour cette future génération.

L’exposition en mon honneur était belle et poignante et montrait tout à fait à quel point il était important de ne pas tomber à nouveau dans nos anciennes habitudes. J’attends avec impatience et confiance l’exposition suivante, celle qui illustrera ce que je serai devenue demain..

Texte sous licence CC-BY-SA
Écrit par : AUBERT Paul, DETEVE Damien, DUFOUR Timothé, EGLES Lisa, ROUSSEL Martin
Co-éditrice : Numa HELL

 

 

Bibliographie

[1] COGNIE Florentin, PERON Madeleine. Mesurer la biodiversité [en ligne]. Conseil d’analyse économique, Septembre 2020 (généré le 18 janvier 2024). Disponible sur Internet : https://www.psychaanalyse.com/pdf/MESURER%20LA%20BIODIVERSITE%20FOCUS%202020%20(11%20Pages%20-%20569%20Ko).pdf

Comprendre un peu mieux les théories autour de l’effondrement :

À propos de la démocratie athénienne :

  • MOSSÉ, C. (2013). Regards sur la démocratie athénienne. Perrin.

Pour en apprendre plus sur les différentes méthodes de vote :

Pour comprendre d’où vient l’idée que plus une proposition provoque des débats, plus elle doit faire l’unanimité à la fin du débat :

  • ROUSSEAU, J. (1762). Du contrat social ou Principes du droit politique.

Pour comprendre nos hypothèses autour de l’université populaire libre ouverte, autonome et décentralisée, la définition de l’UPLOAD : https://upload.framasoft.org/fr/

Pour comprendre davantage ce dont nous parlions autour du « conformisme du savoir », l’utilité des connaissances :

  • GRAEBER, D. (2018) Bullshit Jobs.

Pour comprendre la bascule réalisée par l’UPLOAD dans la société :

  • FRIEDMANN, G.(1963). Où va le travail humain ?
  • ILLICH, I. (2014). La convivialité.
  • GORZ, A. (2008). Écologica. Editions Galilée.
  • PARRIQUE, T. (2022). Ralentir ou périr : L’économie de la décroissance.

La nouvelle du lundi 20:42

Chaque jour de cette semaine, à 20:42, une nouvelle de 2042 concoctée avec amour par les participant⋅es des ateliers #solarpunk #UPLOAD de l’Université Technologique de Compiègne (UTC).

Aujourd’hui, ça clashe sévère à la radio pirate…

Panique à bord de Padakor

Un texte du collectif Radio Padakor soumis à la licence CC-BY-SA 4.0

– Yo, les clodos !

Depuis qu’une députée avait utilisé ce terme pour désigner des réfu-clims, il avait essaimé dans les milieux militants, devenant un salut amical. Une façon de se rappeler pourquoi on luttait. Justement, Luciole avait besoin d’entretenir sa hargne. Elle serrait fort le micro.

– Le monde d’avant ne demande qu’à revenir. À nous de l’en empêcher. J’annonce la naissance de Radio Padakor, média d’information indépendant, local, éthique, vénère.

Elle balança London Calling.


Nouvelle journée, nouvelle émission. Un horaire, 18:30 et une fréquence, 98.6 FM : c’est tout ce dont l’équipe de Radio Padakor (AirPD) a besoin pour accomplir sa tâche informationnelle.

Aujourd’hui, autour de la petite table se trouvent deux invités : Jarvis le jardinier, un habitué des ondes qui n’est plus à présenter, et Victoire, une experte environnementale venue pour partager son point de vue sur la situation à Compiègne.

Après une brève introduction, l’émission peut enfin commencer. Le vieil homme qu’est Jarvis prend la parole le premier. Aujourd’hui, il est venu parler de tomates.

Agacé par les interférences qu’il entend dans son retour casque, il fait des signes au pauvre Mathias qui se débat avec sa console pour tenter de résoudre ces aléas techniques.

— Le bouleversement climatique nous a apporté son lot de catastrophes, mais il a fourni quelques compensations. On peut désormais envisager de cultiver des tomates en Picardie, à l’air libre, sur sol vivant. Il n’y a plus besoin de sélectionner des variétés hybrides et on peut facilement utiliser les graines issues des fruits de l’année précédente.

— Tout de même, ça doit être moins efficace » fait remarquer l’experte.

Jarvis, surpris d’avoir été interrompu, dévisage la jeune femme.

— C’est comme ça que fonctionne la nature ; c’est pour ça que les fruits produisent des graines.

— Ouais, ça va bien pour manger deux-trois salades de tomates par an, mais pas plus…

— Ça fait des décennies que je cultive des tomates, et croyez-moi, j’obtenais déjà de beaux rendements avant qu’il ne fasse aussi chaud en Picardie.

Il reprend.

— Il y a une contrainte à connaître, impérativement : c’est le principe de rotation. La tomate est gourmande en azote. Le sol qu’elle laisse derrière elle est appauvri. Il faut donc éviter de replanter des tomates au même endroit année après année, au risque de voir diminuer sa production. Idéalement, on attendra cinq ans avant de replanter des tomates dans une parcelle.

Il se tourne vers Victoire pour lui décocher cette flèche du Parthe : « C’est peut-être ça que vous ignoriez, madame. »

— Bah, de l’azote, on peut toujours en apporter, rétorque-t-elle sans s’émouvoir.

— Alors, en effet, il est indispensable d’amender sa terre. C’est bien pour ça qu’on fait du compost. Mais attention. La tomate est sensible au mildiou. Les pieds de tomates arrachés après la dernière récolte ne vont pas au compost. C’est dangereux, on risque de véhiculer la maladie. Je rappelle que le mildiou s’installe très rapidement. Il faut lutter contre lui dès les premiers signes, avec le meilleur des fongicides, le purin d’ortie. Je vous proposerai une émission sur l’ortie un de ces jours, c’est vraiment une plante fascinante, qui a de très grandes qualités.

— Une plante envahissante et urticante, merci bien ! ironise Victoire.

— Mais enfin, vous n’y connaissez rien ! L’ortie est une des clés de voûte de nos écosystèmes. Elle contient tous les acides aminés essentiels et représente un apport idéal en protéines végétales.

Pour en revenir aux tomates, vous pouvez désormais planter toutes les variétés pour lesquelles vous trouverez des graines. Toutes pousseront facilement sous nos latitudes, à condition de les protéger de l’humidité persistante qui apportera le mildiou. On arrose au pied, jamais les feuilles, et pas si souvent que ça ! Quand vous les cuisinez, conservez les graines que vous laverez et laisserez sécher afin de préparer l’année suivante.

Enfin, dernier conseil : ne laissez pas vos sols nus quand vous aurez arraché vos pieds de tomates désormais inutiles. Plantez des légumes d’automne peu exigeants, comme des légumineuses (par exemple des fèves) ou des légumes racines (carottes, navet, sans oublier notre betterave picarde) ou encore des engrais verts comme les épinards, la moutarde qui vont régénérer votre sol.

Mathias s’est laissé surprendre par cette fin abrupte. Il pensait que Jarvis, comme à son habitude, se laisserait emporter par la passion et parlerait plus longtemps.

— Merci, Jarvis, c’était très intéressant, comme toujours. Nous allons maintenant demander à Victoire de se présenter et de nous parler de son travail.

— Oui, dit Jarvis, taquin. Victoire, comment justifiez-vous votre existence ?

Ceux qui le connaissent bien doivent sourire derrière leur poste de radio ; il a coutume d’utiliser cette question d’Isaac Asimov.

La jeune femme explique qu’elle est écologue, arrivée dans la région depuis peu, sensible à la situation critique dans laquelle se trouvent les habitants de Compiègne. Radio Campus ayant refusé de lui donner la parole, dit-elle, la scientifique en quête de visibilité s’est tournée rapidement vers l’alternative plus libre qu’est AirPD.

En premier lieu, elle déclare vouloir parler de ce que l’entreprise qui l’emploie, Écorizon, apportera à la ville.

Mathias intervient.

— Oui, les habitants s’interrogent, ils craignent que l’installation de cette entreprise qui produit des semences modifiées génétiquement ne soit néfaste à Compiègne.

— De fait, la situation écologique est déjà critique, rappelle l’experte. En effet, la pollution de l’air est faible puisque l’utilisation des voitures individuelles a été divisée par dix depuis que les véhicules thermiques ont été interdits dans les Hauts-de-France, cependant la pollution des sols et des eaux reste forte.

Victoire ne manque pas d’évoquer, notamment, la situation écosystémique des eaux de l’Oise, et plus spécifiquement la prolifération des écrevisses de Louisiane, une espèce invasive qui brutalise la faune locale et détruit petit à petit les berges. Elle n’oublie pas de souligner que ces écrevisses, comme beaucoup d’autres d’espèces colonisatrices, sont apparues dans la région il y a plusieurs années, notamment à cause d’éleveurs peu scrupuleux. L’arrivée d’une nouvelle industrie en ville rappelle à tous et toutes les pénibles souvenirs du capitalisme décomplexé du siècle passé.

Cependant, l’experte soulève une question : « Peut-on réellement comparer la situation actuelle à la précédente ? ».

Mathias et Jarvis se regardent, quelque peu incrédules.

L’experte poursuit, afin d’expliciter ses propos. En effet, Écorizon serait, elle, bien plus soucieuse de l’environnement. La preuve en est : elle propose un projet de compensation écologique, de dépollution du canal.

Jarvis intervient rapidement et demande comment tout ceci est censé se dérouler, alors même que l’entreprise polluera l’eau et le sol par ses rejets organiques et chimiques.

La jeune femme ne se démonte pas ; elle a décidément réponse à tout. En réalité, les rejets seront minimes, explique-t-elle au micro.

— Pour ce qui est des déchets chimiques, ils restent rejetés en petites quantités et surtout toujours en dessous des seuils fixés par les réglementations sanitaires européennes. Dans le cas des résidus organiques, pas de souci non plus, il suffit de les laisser se décomposer et cela permettra même de revitaliser des sols. Tout a déjà été pensé, vous voyez.

Jarvis l’interrompt prestement :

— Comment des résidus organiques sont-ils censés se décomposer pour nourrir les sols, si les déchets en question sont issus de plants OGM spécifiquement conçus pour se conserver le plus longtemps possible après leur récolte ? »

Victoire ignore complètement cette intervention, probablement à cause de la difficulté de répondre face à un argument aussi pertinent, et déroule son discours comme si de rien n’était.

L’écologue monopolise l’antenne. Désormais, c’est sur les écrevisses qu’elle veut revenir. Ces crustacés sont, outre son dada manifeste – bien qu’on puisse, paradoxalement, observer une broche en forme de crabe sur la veste de la scientifique – une catastrophe pour l’écosystème local.

En effet, arrivées il y a quelques années, de toute évidence en ayant remonté l’Oise grâce aux porte-conteneurs naviguant sur le Canal Seine-Nord, ces dernières sont une des préoccupations écologiques de la ville, si ce n’est la plus grande. Les écrevisses de Louisiane étaient déjà un problème bien avant leur débarquement à Compiègne.

Elle enchaîne sur un véritable exposé.

— Il y a vingt ans, les écrevisses de Louisiane avaient colonisé près de 80 % du sol français. L’Oise restait pourtant épargnée de leur présence. Dès 2035, une fois le canal achevé, des doutes furent émis sur la possibilité qu’elles puissent, via les péniches, arriver jusqu’ici. Aujourd’hui, elles sont installées depuis près de cinq ans, et tout le monde en connaît les conséquences n’est ce pas ?

« Tout un chacun sait ce que font ces animaux invasifs, à savoir propager des maladies décimant la faune locale, en plus d’occuper des niches écologiques autochtones. Leur nidification pose un autre problème sérieux : l’érosion des berges. On parle ici en effet de galeries creusées à même la terre ou l’argile, fragilisant petit à petit les berges de l’Oise, ce qui provoque, au fil du temps, la destruction des zones de pêche et des zones portuaires locales.

« À ce problème de taille, Écorizon apporte pourtant une solution plus qu’inespérée : l’éradication des écrevisses de Louisiane serait comprise au sein du programme de compensation écologique proposé par la firme. Pour ce faire, nous proposons de relâcher, de manière ciblée, sur une zone limitée et temporairement, une toxine issue des de l’usine de traitement des eaux de l’Oise. Cette dernière ne viserait que les écrevisses, évidemment.

Jarvis est stupéfait : cela n’a aucun sens, il doit encore intervenir. Le vieil homme ne manque donc pas de couper la parole de l’écologue, une nouvelle fois, par un violent « *Shut up  !* » tout droit sorti de son cœur d’Écossais.

Il confronte la soi-disant écologue à ses propos, il la questionne : comment une toxine, prétendument aussi efficace, pourrait-elle ne cibler que les écrevisses ?

Victoire, de nouveau, ne se démonte pas : la toxine, prétend-elle, passe uniquement par les branchies des crustacés. Jarvis s’énerve : les poissons aussi ont des branchies, cette toxine leur serait également inoculée.

— Faire mourir les quelques espèces locales encore présentes pour éradiquer une espèce envahissante, ce serait de la folie. Ce serait signer l’arrêt de mort de tout un écosystème qui, s’il est aujourd’hui fragilisé, serait demain complètement vide de vie. En plus, faire passer un de vos déchets comme un remède miracle, c’est vraiment du *bullshit !* »

Jarvis se tourne alors vers Mathias qui anime l’émission :

— Comment avez-vous pu inviter une pareille fantaisiste, qui ne sait pas de quoi elle parle et qui balance des contre-vérités depuis tout à l’heure ? »

La gêne de Mathias est palpable. Il essaie de répondre, mais sa voix se perd dans un bafouillis incompréhensible. Plutôt problématique pour un animateur radio ! D’autant que c’est le moment que choisissent les interférences pour revenir brouiller l’émission du signal. Il est encore plus désemparé quand son téléphone affiche un SMS de Luciole : « MAIS QU’EST-CE QUE TU FOUS ? STOPPE TOUT DE SUITE LA DIFFUSION ! ! ! ».

en gros plan un micro de studio

Photo pxhere.com licence CC0

Jarvis enfonce le clou.

— Je pensais que l’équipe de Radio Padakor était plus rigoureuse que celle de Radio Campus, avec un véritable esprit journalistique. Je me rends compte que ce n’est pas le cas. Franchement, je regrette d’être venu et je ne reviendrai pas. »

Il pose violemment son casque sur la table, se lève et quitte le studio d’enregistrement.

La jubilation de Victoire se lit sur son visage : elle va pouvoir dérouler ses arguments sans être interrompue.

Mathias se secoue et récupère la main en coupant le micro de son invitée avant qu’elle ait eu le temps de reprendre la parole.

« Le temps qui nous était imparti arrive à son terme. Je remercie chaleureusement nos deux invité⋅es, je vous prie d’excuser les petits problèmes techniques que nous avons rencontrés. Vous retrouverez Luciole demain à la même heure. »

Dans sa précipitation, il lance What a Wonderful World, le morceau originellement proposé par Victoire pour clôturer l’émission, mais qui désormais résonne tout à fait différemment.

 

 

Bibliographie

 

 

Ateliers Solarpunk – UPLOAD : bientôt des nouvelles de 2042

… et des extraits aujourd’hui pour l’apéritif !

Les ateliers de l’UTC  de l’opération #Solarpunk #UPLOAD ont été plus que fructueux ! Si vous avez raté le début, parcourez cet article récent et cet autre…

Sept groupes de participant⋅es ont collectivement imaginé puis scénarisé et finalement… rédigé des nouvelles dont voici quelques échantillons et dont nous publierons l’intégralité ici même au cours de la semaine prochaine.

En attendant, vous pourrez dès ce vendredi 19 janvier les écouter présenter leur travail et interpréter quelques passages sur la radio https://grafhit.net/ (et sur le 94.9 FM si vous êtes dans le Compiègnois). Soyez à l’écoute à partir de 12h !

 

Une radio punk, des dirigeables, un musée d’avant l’effondrement, des étudiant⋅es les mains dans la terre, d’autres bloqués sans réseau, une ferme et des dortoirs à rénover… C’est parti pour vous mettre l’eau à la bouche !

Soleil bicolore rouge/noir sur fond vert/jaune pour symboliser le solarpunk."Ancom or Ansyndie Solarpunk flag" by @Starwall@radical.town is licensed under CC BY-SA 4.0.

 

1.Un début de vive altercation sur Radio_Padakor, ça risque de tourner au vinaigre entre le jardinier et l’écologue experte de la startup…

… à ce problème de taille, continue Victoire, Écorizon apporte pourtant une solution plus qu’inespérée : l’éradication des écrevisses de Louisiane sera comprise au sein du programme de compensation écologique proposé par la firme. Pour ce faire, nous proposons de relâcher, de manière ciblée, sur une zone limitée et temporairement, une toxine issue des traitements de l’usine dans les eaux de l’Oise. Cette toxine ne viserait que les écrevisses, évidemment.
Jarvis est stupéfait : cela n’a aucun sens, il doit encore intervenir. Le vieil homme ne manque donc pas de couper la parole de l’écologue, une nouvelle fois, par un violent « Shut up ! » tout droit sorti de son cœur d’Écossais.
Il confronte la soi-disant écologue à ses propos, en la questionnant : comment une toxine, prétendument aussi efficace, pourrait-elle ne cibler que les écrevisses ?
Victoire, encore, ne se démonte pas : la toxine, prétend-elle, passe uniquement par les branchies des crustacés. Jarvis s’énerve : les poissons aussi ont des branchies, cette toxine leur serait également inoculée !

extrait de Panique à bord de Padakor, récit complet sous licence CC-BY-SA Radio_Padakor, à paraître lundi prochain sur le Framablog

 

2. à l’UPLOAD, ça discute après l’effort dans le jardin collectif partagé…

« Pas mal, lâcha Émile, pour une première, vous vous en sortez plutôt bien !
— Merci, c’est pas si dur en fait le jardinage ! Il y a des petites techniques à apprendre et puis notre potager se retrouve rempli de bons fruits et légumes, répondit Maura enthousiaste.
— C’est vrai, mais il y a aussi toute la partie entretien du potager ! objecta le jardinier. Il y a dans toutes disciplines des parties moins agréables mais essentielles qui nous rendent encore plus fiers du travail accompli. »
Puis il se tut, il semblait méditer.
Théo saisit cette opportunité pour s’introduire dans la conversation.
« Moi quand je travaille sur les dirigeables, je suis toujours fier du travail accompli !
— Oh non, pas encore tes dirigeables ! s’exaspéra Maura.
— Vous saviez que les nouveaux dirigeables à panneaux solaires émettaient seulement l’équivalent d’1 % des émissions CO2 d’un avion pour du fret-
— Théo, reste concentré sur le potager ! lui intima Maura.
— Vous ferez moins les malins quand j’aurai un poste d’ingénieur dans une des usines d’assemblage !
— Les usines fluviales ? demanda le jardinier intrigué. »

extrait de Mission dirigeable ! récit complet sous licence CC-BY-SA à paraître mardi prochain sur le Framablog

 

3. Des enfants de 2042 visitent l’exposition « Compiègne avant la sobriété »…

Louka s’était rapproché d’une ancienne carte de la région, il était surpris car il voyait de longs chemins de couleur sombre qui serpentaient de ville en ville.
« C’est quoi Papa ? c’est tout gris, dit l’enfant en pointant du doigt ces longs tracés.
– Ça tu vois, c’est une autoroute. Et là ce sont des routes nationales, ici les routes départementales et là les rues de la ville, expliquait Thomas.
Thomas poursuivit, décrivant à ces enfants ces voies de transports qu’ils n’avaient pas connues.
– À cette époque, nous utilisions des voitures pour nous déplacer. Une voiture c’était 4 sièges plus ou moins mis dans une boite. Puis on mettait cette boite sur quatre roues, on lui ajoutait un moteur avec de l’essence, et ça roulait…
Thomas continua en précisant que chaque voiture avait un « propriétaire » et de ce fait, on en faisait un usage individuel la plupart du temps. Il montra une photo où figurait une file de véhicules anciens.
– Mais, elle étaient énormes ces voitures ! Pourquoi elles étaient si grosses si on était seul dedans ? … ça sert à rien ! s’étonna Louka.
Face à la surprise de son fils, Thomas soupira. Il lui revint en mémoire les heures de bouchon pour aller travailler dans un bureau d’une compagnie d’assurance située à 25 km de chez lui.

extrait de Compiègne avant les années sobres, récit complet sous licence CC-BY-SA à paraître mercredi prochain sur le Framablog

 

4. Quand on veut profiter de la cantine communautaire de l’UPLOAD, on participe d’abord…

C’était le Corridor, le lieu de livraison de la nourriture. Didier sortit de son gros sac à dos des courgettes, des pommes et des poires. Une étudiante les lui prit, le remercia, et alla les donner en cuisine. Daniel fut surpris qu’elle ne donne pas de l’argent à son ami en échange.
« Allons manger maintenant ! s’exclama Didier.
– Attends… mais on est pas étudiants, on a pas le droit. Et pourquoi elle ne t’a pas payé ?
– Le principe du ReR, la cantine « Rires et Ratatouille », repose sur la collaboration de chacun à son bon fonctionnement. Pour y avoir accès, les élèves suivent des cours et des activités en rapport avec l’agriculture, et les personnes extérieures peuvent y manger si elles apportent de la nourriture ou aident en cuisine. On a apporté des fruits et des légumes, on peut maintenant manger sans payer. Allez, à table ! »

extrait de Jardins de demain, jardins malins, récit complet sous licence CC-BY-SA à paraître jeudi prochain sur le Framablog

bouton d'accès avec une empreinte digitale "Fingerprint Biometric Lock" by Flick is licensed under CC BY-NC-SA 2.0.

5. Dans le bâtiment d’accès sécurisé où ils viennent de travailler toute l’après-midi, un groupe d’étudiant⋅es cherche à quitter les lieux…

Quelques heures passent encore, sans plus aucune interruption. Une fois leur première série d’expériences terminée, tous se dirigent vers la porte. Dylan pose son index sur le lecteur d’empreintes mais celui-ci s’allume en rouge. La sortie lui est refusée.
– Et merde, on est bloqués, la porte ne s’ouvre pas !
– Arrête de faire une blague c’est pas drôle, répond Adrien.
Les autres essaient à leur tour, en vain.
C’est Noah qui comprend tout à coup :
– Ah oui ! Ça doit être parce qu’il est plus de 14h.
– Comment ça ? chuchote Candice d’une voix blanche.
– Vous ne vous souvenez pas de l’annonce des opérateurs de télécom ? Ils avaient décrété que les réseaux de l’Oise allaient devenir intermittents. Internet n’est actif qu’entre 11h et 14h puis entre 22h et 6h. Ça ne vous dit vraiment rien ?

extrait de Un réseau d’émotions, récit complet sous licence CC-BY-SA à paraître vendredi prochain sur le Framablog

 

fromage à croûte orange en forme de cœur

Rollot par Bycro- Travail personnel, CC BY-SA 4.0

6. Est-ce que cet éleveur qui veut rénover son exploitation va pouvoir trouver des compétences à l’UPLOAD ?

— je suis dans l’élevage bovin et la production de lait. Mais ça devient dur et j’aimerais bien transformer une partie de mon vieux corps de ferme en un endroit sympa où les gens pourront acheter du fromage, du lait frais, du maroilles ou d’la tome au cidre. En plus de tout cas, j’prévois aussi d’avoir un coin pour avoir du stock… Tout ça, pour mettre en place du circuit court. Ça m’permettrait aussi de vendre les rollots que j’fais à plus juste prix.
— Ça me semble de très bonnes idées ! Je suis la responsable projet de l’UPLOAD, et nous recherchons des propositions des collaborations entre nos élèves en dernière année et les habitants de l’agglomération. Avez-vous…
Joël, d’une voix franche quelque peu irritée, coupe la parole à son interlocutrice.
— Je te coupe tout de suite m’dame, j’pense pas que ce genre de projet puisse être confié à des gamins étudiants. Faut des têtes bien pleines, des gens qui savent faire des calculs de structure, thermique et autres. J’ai pas envie que mon bâtiment tombe sur la tête des clients ou que mes fromages tournent.

extrait de Réno pour les rollots, récit complet sous licence CC-BY-SA à paraître vendredi prochain sur le Framablog

 

7. Pour rénover les dortoirs délabrés de l’UPLOAD, on choisit lowtech ou hightech ?

Apu, animé par la conviction que des solutions simples pouvaient avoir un impact majeur, commença à partager son histoire.

« Stella, tu sais, à Mumbai, j’ai vu comment des matériaux locaux simples peuvent faire une différence dans la vie quotidienne. Les briques en terre crue, par exemple, sont abondantes et peuvent être produites localement, réduisant ainsi notre empreinte carbone. »
Stella, initialement sceptique, écouta attentivement les explications d’Apu tout en esquissant quelques notes sur son propre cahier.
« Les briques en terre crue peuvent être une alternative aux matériaux de construction conventionnels, » suggéra Apu, esquissant un plan sur son cahier. « Elles peuvent être produites localement, réduisant ainsi notre empreinte carbone. »
Stella répondit :
« C’est intéressant, Apu, mais il faut voir au-delà de la simplicité. Moi je verrais bien des panneaux solaire, des éoliennes qui se fondent dans l’architecture, et l’utilisation de l’énergie hydraulique par exemple avec un barrage.

extrait de Renaissance urbaine, récit complet sous licence CC-BY-SA à paraître samedi prochain sur le Framablog

Soleil vert/jaune sur fond bleu/vert, "Solarpunk flag, blue diagonal" by @Starwall@radical.town is licensed under CC BY-SA 4.0.

Des ateliers solarpunk pour imaginer un avenir low-tech

Cette semaine, à l’Université de Technologie de Compiègne, des ateliers originaux vont mobiliser une quarantaine de participant⋅es (dont plusieurs membres de Framasoft) pour imaginer un monde low-tech en 2042 !

Dans cette université qui forme des ingénieurs existe une unité de valeur « lowtechisation et numérique » animée par Stéphane Crozat, qui par ailleurs est membre de Framasoft et l’initiateur de l’atelier pédagogique UPLOAD/solarpunk. De quoi s’agit-il exactement ?

 

Solarpunk ?

personnage qui se demande ce que peut bien vouloir dire solarpunk, engrenages en action au-dessus de sa tête. À sa droite, comme si c'était l aréponse, un punk à crête colorée comme un demi-soleil

Dérèglement climatique, pollution, inégalités sociales, extinction des énergies fossiles… dans un monde menacé, à quoi peut ressembler une civilisation durable et comment y parvenir ? Le solarpunk est un genre de la science-fiction qui envisage des réponses à cette question dans une perspective utopique ou simplement optimiste, sans jamais être dystopique.

Voici les trois premiers articles du manifeste solarpunk :

  1. Nous sommes solarpunk parce que l’optimisme nous a été volé et que nous cherchons à le récupérer.
  2. Nous sommes solarpunk parce que les seules autres options sont le déni et le désespoir.
  3. L’essence du Solarpunk est une vision de l’avenir qui incarne le meilleur de ce que l’humanité peut accomplir : un monde post-pénurie, post-hiérarchie, post-capitalisme où l’humanité se considère comme une partie de la nature et où les énergies propres remplacent les combustibles fossiles.

Si vous souhaitez en savoir plus, le manifeste est à votre disposition.

Low-tech ?

On comprend mieux pourquoi proposer d’imaginer des fictions low-tech à de futurs ingénieurs, qui seront plus enclins à agir en génération frugale (suivant ce scénario pour 2050 de l’ADEME) qu’en technosolutionnistes.

Le principe de lowtechisation est résumé en une formule dans le cours de Stéphane :

Lowtechisation = convivialité + soutenabilité + responsabilité

Vaste programme, bigrement idéaliste, direz-vous, mais pourquoi ne pas envisager collectivement et concrètement des scénarios possibles qui répondent à ces idéaux ? Voici la proposition-cadre qui est faite aux participant⋅es (et à vous si vous souhaitez y ajouter votre contribution) :

Nous sommes en 2042. La mauvaise nouvelle c’est que l’effondrement est vécu au quotidien (pénurie, épidémies, énergie et matières premières raréfiées, réchauffement climatique…). La bonne nouvelle c’est que notre société n’investit plus majoritairement sur le techno-solutionnisme et la croissance […] mais que peuvent émerger de nouveaux projets désirables : réappropriation de savoir-faire technologiques, réaffectation des ressources, création de communs, décentralisation, autonomisation, débats publics…

Parmi ces initiatives qui émergent, il y a la création de l’UPLOAD (Université Populaire Libre Ouverte Autonome Décentralisée, à Compiègne). On imaginera et publiera des récits courts qui mettront en scène une activité pédagogique (un cours sur la post-croissance ? des ateliers d’imagination de nouveaux métiers ?), un projet low-tech (un éco-bâtiment passif à réaliser soi-même ?) ou high-tech (une IA pour parler avec des animaux ?).

Une semaine de réflexions, échanges, créations

Du lundi au vendredi un programme diversifié et appétissant est proposé sur place… il sera question bien sûr de low-tech, de décroissance, de décentralisation d’internet, de lectures partagées, de divers scénarios pour demain, souhaitables ou non, et d’élaborer par étapes et ensemble des récits grands ou petits qui seront résumés sur Mastodon et publiés une fois élaborés… ici même sur le Framablog !

–> Voyez tout le détail du programme

À suivre : dès mardi, les groupes auront choisi un thème et le publieront sur Mastodon…

Il y a déjà des suggestions qu’on peut utiliser, dépasser ou ignorer…

 

une série de maisons en restauration ou construction sur fond jaune vif, des échafaudages montent comme une tour au-dessus du corps du bâtiment. Des silhouettes de personnages s'affairent au sol, sur les toits et échafaudages. Un panneau en haut du pignon dit : UPLOAD

Crédits de l’illustration : CC BY-NC-SA 4.0 · par Cix · Bâtir aussi, Ateliers de l’Antémonde · https://antemonde.org/ (adaptée par stph)

et vous, le clavier vous démange ?

Bien sûr, vous n’êtes pas à Compiègne, mais l’idée de proposer un avenir qui ne soit pas post-apocalyptique vous plaît… vous pouvez apporter une contribution à ce projet avec une fiction solarpunk en élaborant :

  • un format 500 caractères pour Mastodon avec les hashtag #solarPunk  et #UPLOAD
  • une nouvelle plus longue sur votre blog ou sur un pad comme celui-ci
  • un atelier collaboratif informel ou non au sein de votre université ou toute autre structure

Selon le volume des textes recueillis, ils seront publiés progressivement ici (sous licence libre CC-BY-SA bien sûr) et peut-être réunis en recueil…

À vos plumes d’oie, stylets, crayons et claviers low-tech ;-)

 

Point d’étape pour l’écriture à deux mains de « L’amour en Commun »

Prouver par l’exemple qu’il est possible de faire autrement, tel est souvent le moteur des projets de Framasoft. Il en va ainsi pour Des Livres en Communs, qui propose un autre modèle d’édition : une bourse aux autrices et auteurs en amont de l’écriture ainsi qu’une publication de l’ouvrage sous licence libre afin de le verser dans les Communs. Nous posons pour principe que le travail d’écriture nécessite un revenu si l’on considère que l’œuvre ainsi accompagnée bénéficie ensuite à tous (davantage sur ce projet et les valeurs qu’il porte).

C’est dans cet esprit que nous avons publié en janvier de l’année dernière notre premier Appel à projet auquel ont répondu 22 propositions « sérieuses » (qui correspondaient bien à la demande initiale). Notre petit comité de lecture a dû faire une première sélection puis trancher entre au moins trois projets de qualité que nous aurions aimé accompagner aussi… et puis c’est celui de Timothé et Margaux qui l’a emporté par son sérieux, son originalité et son caractère hybride… Voici un bref extrait de leur note d’intention :

« nous avons choisi d’interroger comment le commun de l’amour, en tant que moyen d’organisation et moteur d’engagement, permet de construire une alternative à la société capitaliste. Cela nécessite de penser l’amour hors des structures sociales préétablies (couple hétérosexuel et monogame) pour choisir nos contrats et nos croyances, d’explorer de nouvelles manières de vivre ensemble… »

C’est ainsi que s’est entamé en juin dernier le processus d’écriture pour eux et d’accompagnement éditorial pour nous : rencontre au framacamp et échanges par mail ou visio qui sont l’occasion de suggestions de lectures, références et interviews, mais aussi téléversement à mesure des travaux en cours sur notre Framacloud pour en faciliter les étapes de révision. Il est difficile aujourd’hui de préciser une date de publication mais d’après le planning établi ce devrait être vers la fin de l’année… Mais nous évitons de mettre trop de pression sur le duo, car nous savons bien qu’un temps long d’élaboration est nécessaire… c’est l’occasion de glisser ce clin d’œil d’un auteur célébré par beaucoup :

“I love deadlines. I love the whooshing noise they make as they go by.”

― Douglas Adams

(à peu près :« j’aime les dates limites, j’adore le bruissement de leur souffle quand elles s’évanouissent »)

C’est le moment de faire un point d’étape avec le duo et de remercier sincèrement les donateurs et donatrices de Framasoft qui ont permis le financement de cette expérimentation.

la lettre F de Framasoft fait se rejoindre le C et le O des Commons

Logo de DLeC

 

Bonjour Margaux et Timothé. L’équipe de DLeC a pu faire votre connaissance déjà, mais les lecteurs du Framablog ne vous connaissent pas encore, pouvez-vous vous présenter un peu ?
Photo de Margaux Lallemant, souriante, vêtement à motif floral— Je m’appelle Margaux Lallemant, je viens d’un petit village du sud de la France où la couleur du ciel alimente l’encre des stylos. J’ai baladé mes carnets de Lyon à Saint-Étienne, en passant par Paris et Kaohsiung. J’écris de la poésie, publiée dans des revues comme Point de Chute, Dissonances, par le Serveur vocal poétique ou le podcast Mange tes mots. J’anime des ateliers d’écriture pour des publics variés, et je bricole une émission de radio qui s’appelle Poésie SCHLAG*.
Et je suis une grande amoureuse. Je me soigne, je déconstruis, je lis et je discute, mais rien à faire, les martinets, les sous-bois, les bulles de bière dans un regard, les sourires francs, les chansons de Barbara et le mouvement d’un corps qui danse continuent de propager en moi des vagues d’endorphine déraisonnables.

— Je m’appelle Timothé, je suis un homme cis blanc hétéro, petit-fils de réfugiés. Mes parents font partie de la classe moyenne, ce qui leur a permis de me transmettre un capital social, culturel, de financer mes études… Je viens de la campagne corrézienne, sans m’être jamais senti rural.photo de Timothé qui met en avant un bouquet de fleurs
Pendant la majorité de ma vie, je n’ai rien fait qui ait le moindre intérêt pour ce livre. J’ai été un élève studieux dans une famille aimante, j’ai intégré les codes du patriarcat, j’ai développé une conscience politique de gauche bobo, je me suis pensé féministe. J’ai fait des études et un doctorat en physique, parce que je ne voulais pas être de nouveau au chômage. La thèse m’a mené à une crise d’adulescence, un profond mal-être et finalement à une psychothérapie. J’ai alors compris que le patriarcat avait fait de moi un « estropié émotionnel », comme le dit bell hooks. De lectures en podcasts, de l’écoute aux discussions, j’ai pris conscience du chemin qu’il me restait à parcourir pour déconstruire ces normes en moi. J’ai profité de cette expérience pour écrire un livre à destination des mecs : Masculinités, apprentissage pratique de la déconstruction, que j’auto-édite.
Quand on me demande où je me vois dans 5 ans j’ai juste envie de répondre « je ne sais pas, ça dépendra de la température », alors d’ici là autant essayer d’aimer.

Qu’est-ce qui vous a décidés à soumettre votre projet initial et comment l’avez-vous conçu ?

Margaux : Avec Timothé, on s’est souvent dit que la vie amoureuse de nos ami⋅es était trépidante et qu’il faudrait prendre le temps de les interviewer pour consigner toutes les modalités de faire relation qui existaient autour de nous. C’est à peu près au même moment qu’est sorti l’appel à candidature de Framasoft pour la bourse d’auteur⋅ice. On s’est croisés un soir, vaguement éméché⋅s dans la cuisine, et on s’est dit qu’on allait proposer un projet sur l’amour.

Ensuite, en construisant le projet, nous avons voulu questionner l’articulation possible entre le fait de parler d’amour à un niveau interpersonnel et des pistes sociales de sortie du capitalisme. Nous avions envie de parler du couple, de la famille et du patriarcat, mais aussi de ZAD, de squats, d’autres rapports au vivant que celui de l’exploitation.

Plusieurs questions nous animaient avec Timothé : en quoi l’amour constitue une base de l’engagement et de la mise en commun ? Comment redéfinir l’amour pour engendrer de nouvelles manières de faire, de nous relier, pour favoriser le commun ? En quoi l’amour est-il le premier commun ? Pourquoi est-il nécessaire de sortir l’amour des phénomènes d’enclosure autour de la famille et du couple ?

D’où le titre, l’Amour en commun !

autre logo de Des livres en communs, avec le pinchot de Framasoft sur fond de livre ouvert

Comment se sont passés vos premiers contacts avec l’équipe d’édition ?

Margaux : Ces contacts ont été très porteurs pour nous. Il y a souvent des moments de découragement dans le processus d’écriture. Personnellement, j’ai été inquiète de réussir à articuler concrètement tous les thèmes dont nous voulions parler, tout en gardant un fil directeur politique. Grâce aux conseils de lectures pour articuler nos idées et aux temps d’échange avec l’équipe de Frama, nous avons toujours eu la petite impulsion nécessaire pour continuer.

Timothé : J’avoue que quand j’ai aperçu le Framacamp lors de notre rencontre à Lyon, j’ai été surpris de l’ambiance très libre et fun qui semble y régner. Pour le reste l’équipe a été super rassurante et elle a vraiment pris le temps de nous expliquer les différentes licences libres, avec leurs implications pour le livre et pour nous et je les en remercie.

Vous avez choisi de réaliser un essai sous forme hybride, pouvez-vous donner un aperçu de ses différents aspects (analyse, réflexion sur l’expérience, collecte de témoignage, atelier, poésie, …)

Timothé : Pour l’instant l’hybridation est difficile à montrer, car dans un premier temps nous nous concentrons plus sur la partie plus « essai ». Nous avons déjà réalisé plusieurs entretiens, qui donneront des podcasts, mais cette partie de la création étant chronophage, il a été convenu de la réaliser plutôt en fin d’écriture. Un pote qui a travaillé à Radio France nous a fait une formation sur l’arrangement de podcast et les enregistrements, c’est amusant ce qu’il faut apprendre pour écrire !

Margaux : Pour donner une idée, j’ai envie d’écrire une troisième partie plus SF, qui donnerait vie aux thèmes qu’on aborde dans le livre. Raconter des histoires, c’est une autre voie pour gagner la guerre des imaginaires ! Pour l’instant, j’anime des ateliers d’écriture sur le « Monde Nouveau » avec toutes sortes de publics pour m’inspirer.

Votre ouvrage, suivant le principe de DLeC, sera versé aux Communs (culturels), qu’est-ce que ça représente pour vous ?

Timothé : Ne pas avoir besoin d’aller faire la danse du ventre chez les éditeurs ! (rire). Pour ma part, en tant qu’auteur quasi inconnu et qui ne compte pas sur l’écriture pour vivre, mon premier souhait est d’être lu. En cela, le fait que le contenu soit libre augmente largement les chances de diffusion du texte. Plus largement, ayant moi-même proposé une version libre de mon essai précédent, la diffusion en libre correspond à mes valeurs.

Margaux : Dans le processus d’écriture d’un essai, je me rends compte qu’il n’y a jamais d’idée nouvelle, sortie du chapeau. Nous devons tellement à tous les auteur⋅ices qui ont pensé avant nous, c’est comme une grande chaîne de redevabilité qui relierait tous les écrivain⋅es ! Sauf qu’on se rend rapidement compte que l’accès à cette chaîne est payante et loin d’être accessible. Verser ce livre dans les communs, c’est participer à la vulgarisation des savoirs auxquels nous avons eu accès. Exprimer notre gratitude en rendant accessible à tous ce que les idées des autres nous ont aidé à formuler !

Entrons un peu dans le vif de la réalisation dont le lectorat du framablog est sans doute curieux : où en êtes-vous à peu près ? L‘avancée est-elle à peu près celle que vous envisagiez ? Qu’est-ce qui la ralentit ou retarde éventuellement ?

Timothé : Pour ma part ce qui la ralentit, c’est en tout premier lieu, le travail salarié (dont je ne peux malheureusement pas me passer pour remplir mon assiette). Quand j’ai écrit mon essai précédent, j’attendais les corrections de ma thèse. C’était une situation incroyablement confortable, j’étais payé et j’avais des journées entières pour écrire, faire une pause, lire, échanger et écrire de nouveau. Maintenant ce n’est plus le cas, après une journée de 7h, c’est pour moi très difficile de m’installer devant mon ordinateur pour écrire. Trouver l’espace mental, rassembler mes idées, me concentrer de nouveau et produire. Pour écrire, j’ai besoin d’avoir un temps continu et l’esprit un peu libre. Alors j’essaie autant que faire se peut d’aménager des moments les samedis ou les dimanches après-midi, mais c’est loin d’être facile et surtout c’est lent… Je m’en excuse auprès de Framasoft. Quand avec Margaux nous avons répondu à l’appel à projet, j’étais au chômage, j’avais prévu de faire une reconversion mais je n’étais pas sûr qu’elle aboutisse et je pensais que j’aurais plus de temps avant que ma formation ne commence pour écrire.

Margaux : Personnellement, j’ai fini la partie sur les relations amoureuses, je suis en train de rédiger celle sur la fin des binarismes, de la Nature au genre. J’avance à peu près au rythme prévu. Ce qui me retarde, c’est le temps de repos que nécessite chacune des parties avant de les reprendre, puis dans un second temps d’en faire le deuil pour passer à une autre. J’écris relativement vite, mais j’ai besoin de beaucoup de temps pour m’assurer que c’est bien ça que j’ai envie d’écrire, puis pour me décider sur ce que j’ai envie de raconter après !

Qu’est-ce qui vous a semblé plus facile/difficile qu’initialement envisagé ?

tête de maître Capelovici (lunettes, cravate rouge)qui le doigt sur son dico dit : "c'est de bon aloi"

Maître Capelo, image empruntée à ce site

Margaux : Articuler les différents thèmes que nous voulions traiter en gardant une ligne politique, sans que cela devienne une espèce de liste de Prévert des luttes et pensées politiques qui nous parlaient. Se battre contre le sentiment d’illégitimité aussi, j’ai toujours l’impression qu’un vieil universitaire avec des lunettes va nous taper sur les doigts en disant : c’est n’importe quoi ce qu’ils disent !

D’où l’importance pour nous de rappeler que ce n’est pas un essai scientifique. Ce livre est militant, ce livre est poétique, ce livre est témoignage, ce livre est boîte à outils, ce livre est chemins de traverses, questionnements personnels et sociétaux, ce livre est bricolé. Et c’est ce qui nous plaît : s’inspirer de la vie réelle et de témoignages d’individus sur leurs pratiques, exposer nos idées communes en retraçant le fil de nos lectures et de nos rencontres, explorer poétiquement les possibles et donner une assise imaginaire à nos tentatives de réinvention.

Au cours de votre travail, avez-vous infléchi en partie votre démarche, si oui dans quel sens ?

Timothé : Sur la partie qui m’occupe le plus depuis le début, c’est-à-dire « La famille », j’ai complètement infléchi ma pensée au fur et à mesure de la recherche et de l’écriture. J’étais parti à lire sur les habitats partagés, sur l’histoire de la famille, avec comme idée principale de broder autour de la possibilité de faire des colocations familiales… Finalement, je me dirige plus sur la proposition de la « parenté » qui me semble un concept bien plus ouvert que la famille, une réponse à l’extrême-droite et une possibilité d’ajuster nos besoins et nos envies de vie collective. Avec Margaux, nous nous sommes lancé⋅es dans l’inconnu avec ce livre. Nous avions des bases sur certains sujets que nous voulions traiter, mais pas sur tous. En plus, regarder un sujet et se demander « Où est l’amour là-dedans ? », ce n’est pas une démarche habituelle, ni pour nous et encore moins pour les auteurices qui nous ont précédé⋅es. Il m’a fallu vraiment du temps pour trouver une direction, car les textes que j’ai lus n’abordaient pas du tout le sujet des familles par le prisme de l’amour (peut être ai-je raté certaines références). L’inflexion vient à la fois du processus de recherche et de celui d’écriture qui oblige à clarifier des idées.

Margaux : J’ai l’impression d’avoir affiné ma pensée au fil de mes lectures et de l’écriture de ce livre. Cela m’a donné envie d’appréhender ces sujets autrement. La partie sur le genre n’était pas prévue au départ. Mais elle s’est imposée à un moment comme une nécessité pour approfondir la critique du système hétérosexuel et la manière dont il sert le capitalisme. Au contraire, j’ai eu beaucoup de mal à entrer dans l’écriture de la partie sur les relations au vivant, par peur de me lancer dans quelque chose de naïf et de désincarné après tout ça. L’angle d’attaque du binarisme m’a permis de me lancer, quitte à laisser de côté pour l’instant l’aspect de la spiritualité que je pensais aborder.

Nous sommes aussi curieux et curieuses de comprendre comment vous travaillez à « quatre mains » ou plutôt deux claviers.
Timothé : Pour l’instant nous avons avancé chacun.e de notre côté. D’abord parce que nous n’avons pas le même volume horaire à consacrer à l’écriture. Margaux peut passer plusieurs jours de la même semaine à écrire, moi non. Si nous écrivions sur les mêmes parties, il se créerait des disparités d’avancement qui retarderaient l’écriture. Dans une autre situation, nous aurions sûrement essayé d’écrire le plus souvent à quatre mains, mais dans la configuration actuelle il nous a semblé plus sage d’avancer chacun⋅e sur des parties différentes. Nous avons prévu d’écrire à quatre mains le chapitre sur les ZADs, car il sera en partie le résultat de notre expérience partagée de ce terrain.

énorme canard en plastique jaune flottant dans le port de Hong Kong

« Hong Kong Giant Rubber Duck » par IQRemix, licence CC BY-SA 2.0.

Pour ce qui est de l’équipe, il faut que je me lâche et j’accepte d’essayer ce concept du « canard en plastique », en envoyant ma partie alors qu’elle n’est pas encore dans un état où je me dis « allez c’est bon, c’est propre, je peux la faire lire ». Je n’ai jamais essayé cette méthode et c’est un peu impressionnant.

Margaux : Pour ma part les retours de l’équipe sont très précieux parce qu’ils me permettent d’affiner ma pensée, de la rendre plus précise et d’éviter les non-sens. Il y a aussi les yeux de lynx pour les fautes, les coquilles, les niveaux de langage non adéquats. Entre le brouillon et la version finale, il y a des commentaires et de nombreuses relectures. Merci pour ça !

L’attribution d’une bourse de création par DLeC est une tentative modeste de montrer que le travail initial d’écriture devrait dans un monde idéal être rémunéré en amont. Quel est l’apport de cette bourse dans votre travail ? Aurait-il existé ? Aurait-il eu la même forme ? Selon vous, en fonction de votre expérience, quel devrait être le statut « idéal » d’auteur-autrice ?
Timothé : C’est à la fois super chouette car cela permet de décharger en partie l’auteurice de la nécessité de faire une œuvre commerciale, mais c’est aussi une très grosse pression. Être contractuellement engagés à écrire, cela veut dire que nous devons réussir. C’est moteur, cela pousse à ne pas lâcher le morceau, mais pour moi c’est aussi une pression car l’échec est toujours possible. Néanmoins, décharger les auteurices, surtout professionnel⋅les de la précarité durant la phrase d’écriture est une magnifique ambition qui ne peut qu’être encouragée.

sur l'herbe au bord de l'eau, les outils offerts par une main engageante à qui veut écrire : machine à écrire (mécanique, d'autrefois), coussin rouge, théière, brioche, cookies, rame de papier

Illustration CC BY David Revoy (sources)

 

Margaux : Je suis d’accord, ce projet ne se serait jamais concrétisé sans cette bourse. Personnellement, je ne pense pas que j’aurais écrit d’essai. C’est vraiment une chance incroyable d’affiner ma pensée politique, de prendre le temps de lire des essais, de me demander « qu’est-ce que je pense à ce sujet ? » … et de créer des liens, comme une toile d’araignée, entre mes lectures, mes discussions, des idées politiques qui a priori ne réclament pas de filiations les unes avec les autres…
Dans l’idéal, je pense que le statut d’artiste-auteur⋅ice devrait rejoindre le régime d’intermittent.e. En vérité, la frontière est très fine. De nombreux auteur⋅ices réalisent des lectures, des performances, des masterclass, des ateliers qui sont très similaires au travail d’un⋅e comédien⋅ne. De la même manière qu’iels ont besoin de temps pour écrire et monter leur pièce de théâtre, les auteur⋅ices ont besoin de temps rémunéré pour créer une œuvre et la faire vivre dans le monde.

gros plan sur une main de petite fille qui écrit avec un crayon sur une page blanche

« Get Ready, Get Set, Write » par MellieRene, licence CC BY-NC 2.0

Même question pour le rapport avec l’éditeur ?
Timothé : Sans un éditeur qui nous pousse à écrire, ce travail serait juste resté dans nos têtes ! Nous aurions sûrement refait le passé autour d’un verre en nous demandant si nous aurions changé ou pas le monde avec « L’amour en Commun ». Personnellement, je n’avais pas prévu d’écrire un autre livre, si « L’amour en Commun » existe dans le futur, ce sera entièrement sous l’impulsion de Framasoft, des Livres en Commun et aussi un peu de Margaux qui a entendu parler de l’appel à écriture et m’a poussé à répondre avec elle.
D’un point de vue plus applicatif, c’est pour moi la première fois que j’ai un éditeur à qui je suis redevable de ce que j’écris. C’est super de pouvoir être confirmé et conseillé mais comme tout ce qui inclut plus d’une personne, cela va nous obliger à nous entendre.

Margaux : Je n’ai encore jamais été éditée, mis à part en revue. Mais les revues que je préfère sont celles qui m’ont demandé de modifier mon texte et avec lesquelles nous avons eu de vrais échanges à ce sujet ! Pour moi, un⋅e éditeur⋅ice, ce n’est pas seulement quelqu’un qui tamponne le sceau « publiable » sur notre manuscrit, ou le met en vente. Cela devrait être une véritable relation de soutien, de regard critique, d’échange et d’accompagnement pour amener ledit manuscrit vers la forme finie du livre. Je tiens beaucoup à cet espace collectif du retravail. Je crois qu’il est très important pour passer de l’intime à l’objet « livre », indépendant de l’auteur⋅ice. Vous êtes très bons là-dessus Frama, merci beaucoup pour votre soutien et votre patience !

Merci Margaux et Timothé, à bientôt !

 

Les conseils de Ray Bradbury à qui veut écrire – Open Culture (4)

Dans le 4e épisode de notre mini-série de l’été, nous recueillons les conseils d’écriture de Ray Bradbury (oui, celui des Chroniques martiennes et Fahrenheit 451, entre autres) qu’il expose au fil d’une conférence résumée pour vous dans cet article d’openculture.com, un portail très riche en ressources culturelles.
Ah, au fait, profitons-en pour vous rappeler que le Ray’s Day c’est lundi 22 août : en hommage au grand Ray, c’est l’occasion de lire des tas de textes en tous genres et de faire connaître les vôtres et même de les mettre en ligne. Rendez-vous sur le nouveau site du Ray’s Day qui sert de socle à cette initiative.

 

Article original : Ray Bradbury Gives 12 Pieces of Writing Advice to Young Authors (2001)

Traduction : goofy

Ray Bradbury donne 12 conseils d’écriture aux jeunes auteur⋅e⋅s

par Colin Marshall

À l’instar de l’icône du genre Stephen King, Ray Bradbury est parvenu à toucher un public bien plus large que celui auquel il était destiné en offrant des conseils d’écriture à tous ceux qui prennent la plume. Dans ce discours prononcé en 2001 lors du symposium des écrivains organisé par l’université Point Loma Nazarene à By the Sea, Ray Bradbury raconte des anecdotes tirées de sa vie d’écrivain, qui offrent toutes des leçons pour se perfectionner dans l’art d’écrire.

La plupart d’entre elles ont trait aux pratiques quotidiennes qui constituent ce qu’il appelle « l’hygiène de l’écriture ».

 

En regardant cette conférence divertissante et pleine de digressions, vous pourriez en tirer un ensemble de points totalement différents, mais voici, sous forme de liste, comment j’interprète le programme de Bradbury :

  • Ne commencez pas par vouloir écrire des romans. Ils prennent trop de temps. Commencez plutôt votre vie d’écrivain en rédigeant « un sacré paquet de nouvelles », jusqu’à une par semaine. Prenez un an pour le faire ; il affirme qu’il est tout simplement impossible d’écrire 52 mauvaises nouvelles d’affilée. Il a attendu l’âge de 30 ans pour écrire son premier roman, Fahrenheit 451. « Ça valait le coup d’attendre, hein ? »
  • On peut les aimer, mais on ne peut pas les égaler. Gardez cela à l’esprit lorsque vous tenterez inévitablement, consciemment ou inconsciemment, d’imiter vos écrivains préférés, tout comme il a imité H.G. Wells, Jules Verne, Arthur Conan Doyle et L. Frank Baum.
  • Examinez des nouvelles « de qualité ». Il suggère Roald Dahl, Guy de Maupassant, et les moins connus Nigel Kneale et John Collier. Tout ce qui se trouve dans le New-Yorker d’aujourd’hui ne fait pas partie de ses critères, car il trouve que leurs histoires sont « dépourvues de métaphores ».
  • Bourrez-vous le crâne. Pour accumuler les blocs de construction intellectuelle de ces métaphores, il suggère un cours de lecture à l’heure du coucher : une nouvelle, un poème (mais Pope, Shakespeare et Frost, pas les « conneries » modernes) et un essai. Ces essais devraient provenir de divers domaines, dont l’archéologie, la zoologie, la biologie, la philosophie, la politique et la littérature. « Au bout de mille nuits », résume-t-il, « bon Dieu, vous saurez plein de trucs ! ».
  • Débarrassez-vous des amis qui ne croient pas en vous. Se moquent-ils de vos ambitions d’écrivain ? Il suggère de les appeler pour les « virer » sans tarder.
  • Vivez dans la bibliothèque. Ne vivez pas dans vos « maudits ordinateurs ». Il n’est peut-être pas allé à l’université, mais ses habitudes de lecture insatiables lui ont permis d’être « diplômé de la bibliothèque » à 28 ans.
  • Tombez amoureux des films. De préférence des vieux films.
  • Écrivez avec joie. Dans son esprit, « l’écriture n’est pas une affaire sérieuse ». Si une histoire commence à ressembler à du travail, mettez-la au rebut et commencez-en une qui ne l’est pas. « Je veux que vous soyez jaloux de ma joie », dit Bradbury à son public.
  • Ne prévoyez pas de gagner de l’argent. Avec son épouse, qui « a fait vœu de pauvreté pour l’épouser », Ray a atteint l’âge de 37 ans avant de pouvoir s’offrir une voiture (et il n’a toujours pas réussi à passer son permis).
  • Faites une liste de dix choses que vous aimez et de dix choses que vous détestez. Puis écrivez sur les premières, et « tuez » les secondes – également en écrivant à leur sujet. Faites de même avec vos peurs. Tapez tout ce qui vous passe par la tête. Il recommande l' »association de mots » pour lever tout blocage créatif, car « vous ne savez pas ce que vous avez en vous avant de le tester ».
  • N’oubliez pas qu’avec l’écriture, ce que vous recherchez, c’est une seule personne qui vienne vous dire : « Je vous aime pour ce que vous faites. » Ou, à défaut, vous cherchez quelqu’un qui vienne vous dire : « Vous n’êtes pas aussi fou que tout le monde le dit ».

Autres ressources

Ray Bradbury : Literature is the Safety Valve of Civilization

The Shape of A Story : Writing Tips from Kurt Vonnegut

John Steinbeck’s Six Tips for the Aspiring Writer and His Nobel Prize Speech

L’auteur de l’article

Colin Marshall produit Notebook on Cities and Culture. Pour le suivre sur Twitter : @colinmarshall.


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