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Comment l’archĂ©ologie entre progressivement dans l’ùre du logiciel libre

L’archĂ©ologie est un domaine qui, depuis ses dĂ©buts, s’attache au catalogage, Ă  la structuration et l’archivage de donnĂ©es issues de fouilles. Sur le terrain, elle a longtemps reposĂ© sur la crĂ©ation de fiches, la collecte manuelle d’information sur papier, et le dessin Ă  la main, retranscrit lors des phases d’étude sur support numĂ©rique. Ce n’est que rĂ©cemment que certains archĂ©ologues ont lancĂ© le mouvement de la fouille « tout numĂ©rique ». Je vous propose de raconter ici l’histoire de la numĂ©risation de l’archĂ©ologie, qui, comme vous allez le voir, repose en partie sur le logiciel libre.

Sommaire

Qu’est-ce qu’un chantier de fouilles ?

L’archĂ©ologie française se divise en deux branches principales : l’archĂ©ologie prĂ©ventive, qui intervient lors de projets de construction, et l’archĂ©ologie programmĂ©e, menĂ©e sur des sites choisis pour rĂ©pondre Ă  des problĂ©matiques de recherche. SupervisĂ©es par les Services RĂ©gionaux de l’ArchĂ©ologie du MinistĂšre de la Culture, ces activitĂ©s sont rĂ©alisĂ©es par diffĂ©rents organismes : opĂ©rateurs publics et privĂ©s pour l’archĂ©ologie prĂ©ventive, et associations, CNRS ou universitaires pour l’archĂ©ologie programmĂ©e. Cette derniĂšre mobilise souvent des bĂ©nĂ©voles, notamment des Ă©tudiants, leur offrant une formation pratique complĂ©mentaire.

Pour l’archĂ©ologue, la fouille est un outil, et non un but en soi. Ce que l’archĂ©ologue cherche, c’est de l’information. En substance, il s’agit de comprendre l’histoire d’un site, son Ă©volution, ses habitants Ă  travers les Ă©lĂ©ments qu’ils ont laissĂ©s derriĂšre eux, que ce soit les ruines de leurs habitats, de leurs activitĂ©s artisanales ou leurs sĂ©pultures. Ceci est d’autant plus important que la fouille est un acte destructeur, puisque l’archĂ©ologue dĂ©mantĂšle son sujet d’étude au fur et Ă  mesure de la fouille.

Pour ĂȘtre exploitĂ©e, l’information archĂ©ologique doit ĂȘtre organisĂ©e selon des principes bien Ă©tablis. Le premier concept clĂ© est la couche sĂ©dimentaire (UnitĂ© Stratigraphique - US), qui tĂ©moigne d’une action humaine ou d’un phĂ©nomĂšne naturel. L’étude de l’agencement de ces couches rĂ©vĂšle la chronologie du site, la succession des Ă©vĂšnements qui s’y sont dĂ©roulĂ©s. Ces couches peuvent ĂȘtre regroupĂ©es en faits archĂ©ologiques : fossĂ©s, caves, sĂ©pultures, sont en effet des regroupements de couches qui dĂ©finissent un Ă©lĂ©ment spĂ©cifique. Enfin, les objets trouvĂ©s dans ces couches, ou mobiliers, sont cataloguĂ©s et identifiĂ©s par leur couche d’origine, fournissant des indications chronologiques et culturelles cruciales.

chantier mastraits
Le chantier de fouilles de la NĂ©cropole des Mastraits, Ă  Noisy-le-Grand (93).

Les actions menĂ©es par l’archĂ©ologue tout au long du chantier sont Ă©galement enregistrĂ©es. En effet, l’archĂ©ologue procĂšde Ă  des sondages, rĂ©alise des tranchĂ©es, mais fait aussi de nombreuses photos, ou des dessins de tout ce qu’il dĂ©couvre au fur et Ă  mesure de l’avancement du chantier. La documentation produite peut ĂȘtre plĂ©thorique, et un catalogage indispensable.

Cette information descriptive est complĂ©tĂ©e par une information spatiale, le plan des vestiges mis au jour Ă©tant essentiel pour l’analyse et la prĂ©sentation des rĂ©sultats. L’étude de ce plan, associĂ©e aux informations descriptives et chronologiques, met en Ă©vidence les grandes Ă©volutions du site ou des dĂ©tails spĂ©cifiques. Sa rĂ©alisation est gĂ©nĂ©ralement confiĂ©e Ă  un topographe en collaboration avec les archĂ©ologues.

À l’issue de la phase de terrain, une phase d’analyse des donnĂ©es collectĂ©es est rĂ©alisĂ©e. Cette phase dite de post-fouille permet de traiter l’ensemble des informations recueillies, d’en rĂ©aliser la description complĂšte, d’effectuer les Ă©tudes nĂ©cessaires Ă  la comprĂ©hension du site en faisant appel Ă  de nombreux spĂ©cialistes : cĂ©ramologues, anthropologues, archĂ©ozoologues, lithiciens, carpologues, anthracologues, spĂ©cialistes de la palĂ©omĂ©tallurgie, etc.

Cette phase de post-fouille aboutit dans un premier temps Ă  la rĂ©alisation d’un rapport d’opĂ©ration, compte rendu le plus exhaustif possible du site et de son Ă©volution. Ces rapports sont remis au ministĂšre de la Culture qui en juge la qualitĂ©. Ils ne sont pas destinĂ©s Ă  ĂȘtre largement diffusĂ©s, mais sont normalement accessibles Ă  toute personne qui en fait la demande auprĂšs de l’administration concernĂ©e. Ils sont une base de travail importante pour l’ensemble de la communautĂ© scientifique.

Sur la base de ce rapport, la publication d’articles dans des revues spĂ©cialisĂ©es permet de prĂ©senter les rĂ©sultats de l’opĂ©ration plus largement, parfois en fonction de certaines thĂ©matiques ou problĂ©matiques spĂ©cifiques.

Pratique de l’archĂ©ologie : exemple dans le prĂ©ventif

L’utilisation de trĂšs nombreux listings papier est une constante. Ces listings permettent de tenir Ă  jour l’enregistrement de la donnĂ©e sous forme de tableaux d’inventaire des couches, des faits, des sondages, des photos, etc. Des fiches d’enregistrement spĂ©cifiques sont Ă©galement utilisĂ©es dans de nombreuses spĂ©cialitĂ©s de l’archĂ©ologie, telle que l’anthropologie funĂ©raire.

Sur le terrain, les Ă©lĂ©ments mis au jour sont encore pour une trĂšs grande majoritĂ© dessinĂ©s Ă  la main, sur papier calque ou millimĂ©trĂ©, qu’il s’agisse d’un plan de vestiges ou des nombreux relevĂ©s de coupe stratigraphique. Ceci demande bien entendu un temps important, en particulier en cas de vestiges complexes.
L’utilisation de tachĂ©omĂštres Ă©lectroniques, puis du GPS diffĂ©rentiel a permis de se passer des dĂ©camĂštres, ou des systĂšmes de carroyage, lors de la fouille des sites. Des topographes, spĂ©cifiquement formĂ©s, ont alors commencĂ© Ă  intervenir sur site pour la rĂ©alisation des plans gĂ©nĂ©raux.

La collection documentaire obtenue Ă  l’issue d’un chantier de fouille est particuliĂšrement prĂ©cieuse. Il s’agit lĂ  des seuls Ă©lĂ©ments qui permettront de restituer l’histoire du site, en croisant ces donnĂ©es avec le rĂ©sultat des Ă©tudes rĂ©alisĂ©es. La crainte de la disparition de ces donnĂ©es, ou de leur utilisation par autrui du fait d’une dĂ©couverte remarquable, est un sentiment souvent partagĂ© au sein de la communautĂ© archĂ©ologique. L’archĂ©ologue peut se sentir dĂ©positaire de cette information, voire exprimer un sentiment de possession qui va tout Ă  fait Ă  l’encontre de l’idĂ©e de science partagĂ©e et ouverte. L’idĂ©e que l’ouverture de la donnĂ©e est le meilleur moyen de la protĂ©ger est loin d’ĂȘtre une Ă©vidence.

fiche de conservation, illustrant le coloriage manuel des parties de squelette retrouvées
Fiche de conservation, illustrant le coloriage manuel des parties de squelette retrouvées

Exemple de fiche descriptive d’une couche archĂ©ologique
Exemple, parmi tant d’autres, de fiche descriptive vierge d’une couche archĂ©ologique

Le début de la numérisation

C’est essentiellement aprĂšs la phase terrain que les outils numĂ©riques ont Ă©tĂ© apprivoisĂ©s par les archĂ©ologues.

En post-fouille, la documentation papier est encore souvent une base documentaire fondamentale pour l’analyse du site. L’irruption de l’informatique au milieu des annĂ©es 80 a conduit les archĂ©ologues Ă  transcrire cette donnĂ©e sous forme numĂ©rique, afin de faciliter son analyse et sa prĂ©sentation. Bien que les logiciels aient Ă©voluĂ©, le processus est pratiquement le mĂȘme aujourd’hui, avec une numĂ©risation de la documentation sous de nombreux formats.

Les listings peuvent ĂȘtre intĂ©grĂ©s Ă  des bases de donnĂ©es (le plus souvent propriĂ©taires tel MS Access, FileMaker ou 4D) ou des tableurs. De nombreuses bases ont Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©es en interne, localement, par les archĂ©ologues eux-mĂȘmes. Uniquement attributaires, elles se sont progressivement mises en rĂ©seau et adaptĂ©es au support, permettant d’envisager un usage sur le terrain, sans que ceci ne soit largement dĂ©ployĂ©.

Base de données
Exemple d’une base de donnĂ©es au tournant des annĂ©es 2000

Toute la documentation dessinĂ©e sur le terrain est amenĂ©e Ă  ĂȘtre redessinĂ©e au propre sur support numĂ©rique, dans des logiciels de dessin vectoriel, trĂšs souvent Adobe Illustrator, parfois Inkscape.
Les donnĂ©es en plan, levĂ©es par le topographe, sont rĂ©alisĂ©es sous Autocad et Ă©taient exportĂ©s en .dxf ou .dwg avant d’ĂȘtre remis au propre sous Adobe illustrator, ce qui est le cas Ă©galement des dessins rĂ©alisĂ©s sur le terrain.
Le mobilier est confiĂ© Ă  des spĂ©cialistes qui le dĂ©crivent, le dessinent, en dressent l’inventaire, le plus souvent dans des tableurs. Leurs dessins sont lĂ  encore scannĂ©s et remis au propre numĂ©riquement.

Avec le recul, nous constatons que les outils numĂ©riques sont majoritairement utilisĂ©s comme des outils de mise au propre de l’information collectĂ©e sur le terrain. Bien des tableurs ne sont ainsi que la stricte transcription des tableaux papier utilisĂ©s par les archĂ©ologues, auquel on ajoutera quelques totaux, moyennes ou mĂ©dianes. Les dessins rĂ©alisĂ©s sur papier, sont dĂ©calquĂ©s dans des logiciels de vectorisation pour plus de lisibilitĂ© et les plus-values scientifique sont finalement assez limitĂ©es.

Il en rĂ©sulte une documentation numĂ©rique relativement disparate, avec l’usage de nombreux outils propriĂ©taires, des formats fermĂ©s, et une sĂ©paration trĂšs forte entre l’information spatiale et l’information descriptive (ou attributaire).

L’usage progressif des bases de donnĂ©es a cependant permis d’agglomĂ©rer certaines donnĂ©es et de rassembler et mettre en relation l’information. Des travaux universitaires ont Ă©galement permis d’alimenter la rĂ©flexion sur la structuration des donnĂ©es archĂ©ologiques et de former de nombreux archĂ©ologues, permettant d’adopter des pratiques plus vertueuses.

Le mouvement tout numérique

Jusqu’à prĂ©sent, passer au tout numĂ©rique dans le cadre archĂ©ologique semblait relativement utopique. Il a fallu que de nouvelles technologies apparaissent, que des supports portables et simples d’usage se mettent en place, que les rĂ©seaux se dĂ©veloppent, et que les archĂ©ologues s’emparent de ces nouveaux outils.

Le collectif Ramen (Recherches ArchĂ©ologiques en ModĂ©lisation de l’Enregistrement NumĂ©rique) est nĂ© des Ă©changes et des expĂ©riences de divers archĂ©ologues de l’Institut National De Recherches ArchĂ©ologiques PrĂ©ventives (Inrap) qui se sont regroupĂ©s autour de la rĂ©alisation de la fouille programmĂ©e de la nĂ©cropole mĂ©diĂ©vale de Noisy-Le-Grand, fouille gĂ©rĂ©e par l’association ArchĂ©ologie des NĂ©cropoles et confiĂ©e Ă  la direction scientifique de Cyrille Le Forestier (Inrap). Cette fouille programmĂ©e a permis de lancer une expĂ©rimentation sur la complĂšte dĂ©matĂ©rialisation de la donnĂ©e archĂ©ologique en se basant sur la photogrammĂ©trie, le SIG, et une base de donnĂ©es spatiale.

Principe général

Si le topographe intervient bien toujours pour la prise de points de rĂ©fĂ©rence, le relevĂ© dĂ©taillĂ© des vestiges est assurĂ©, pour cette expĂ©rimentation, par la mise en Ɠuvre de la photogrammĂ©trie de maniĂšre systĂ©matique. Cette mĂ©thode permet, par la rĂ©alisation de multiples photos d’un objet ou d’une scĂšne, de rĂ©aliser un modĂšle 3D prĂ©cis, et donc exploitable Ă  postĂ©riori par l’archĂ©ologue en post fouille. La photogrammĂ©trie constitue Ă  Noisy l’unique outil de relevĂ©, remplaçant purement et simplement le dessin sur papier. En effet, Ă  partir de ce nuage de points 3D, il est possible d’extraire de multiples supports en 2D et d’ajouter la gĂ©omĂ©trie ou des informations supplĂ©mentaires dans la base de donnĂ©es: contours de la sĂ©pulture, reprĂ©sentation du squelette in situ, profils, mesures, altitudes, etc.

RelevĂ© photogrammĂ©trique d’une sĂ©pulture
RelevĂ© photogrammĂ©trique d’une sĂ©pulture

L’enregistrement des donnĂ©es est assurĂ© par l’utilisation d’une base de donnĂ©es relationnelles et spatiales dont l’interface est accessible dans QGIS, mais Ă©galement via une interface web directement sur le terrain, sans passer par des inventaires ou listing papier. L’interface web a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e grĂące Ă  SQLPage, serveur web qui utilise un langage Ă  base de SQL pour la rĂ©alisation de l’interface graphique, sans avoir Ă  passer par les langages de programmation plus complexes classiquement utilisĂ©s pour la crĂ©ation d’applications web, tel PHP.

Bien entendu, cette dĂ©marche se poursuit Ă©galement en laboratoire lors de l’étape d’analyse du site.

Logiciels et formats libres

Mais l’abandon du support papier nĂ©cessite de nous poser la question de la pĂ©rennitĂ© des fichiers et des donnĂ©es qu’ils contiennent.

En effet, dans un processus de dĂ©matĂ©rialisation complet, la mĂ©moire du site n’est plus contenue sur des centaines de fiches manuscrites, mais dans des fichiers numĂ©riques dont nous ignorons Ă  priori si nous pourrons les conserver sur le long terme. L’impossibilitĂ© d’accĂ©der Ă  cette donnĂ©e avec d’autres logiciels que ceux originellement utilisĂ©s lors de leur crĂ©ation Ă©quivaut Ă  leur destruction. Seuls les formats standards peuvent rĂ©pondre Ă  cette problĂ©matique, et ils sont particuliĂšrement utilisĂ©s par les logiciels libres. Pour la photogrammĂ©trie, les formats .ply et .obj, qui sont implĂ©mentĂ©s dans de nombreux logiciels, libres et propriĂ©taires, ont Ă©tĂ© choisis. Pour la donnĂ©e attributaire et spatiale, elle est enregistrĂ©e dans des bases de donnĂ©es relationnelles libres (Spatialite et Postgis), et facilement exportable en .sql, qui est un format standardisĂ© et reconnu par de trĂšs nombreuses bases de donnĂ©es.

Malheureusement, le logiciel libre reste peu utilisĂ© dans notre quotidien archĂ©ologique, et les logiciels propriĂ©taires sont souvent trĂšs bien implantĂ©s. Le libre souffre encore aujourd’hui d’a priori et d’une mauvaise image au sein de la communautĂ© archĂ©ologique, qui le trouve plus compliquĂ©, moins joli, moins efficace, etc.

Le libre a cependant fait une incursion majeure avec l’arrivĂ©e du SystĂšme d’Information GĂ©ographique (SIG) libre QGIS, qui a permis d’installer un SIG sur tous les postes des agents de l’institut et de l’envisager comme un outil d’analyse Ă  l’échelle d’un site archĂ©ologique. Par un accompagnement et la mise en place d’un plan de formation adĂ©quat, de nombreux archĂ©ologues ont Ă©tĂ© formĂ©s Ă  l’usage du logiciel au sein de l’Institut.

QGIS a vĂ©ritablement rĂ©volutionnĂ© nos pratiques en permettant l’interrogation immĂ©diate de la donnĂ©e attributaire par la donnĂ©e spatiale (quel est ce vestige que je vois sur le plan ?) ou, Ă  l’inverse, de localiser un vestige par sa donnĂ©e attributaire (oĂč se trouve la sĂ©pulture 525 ?). Il est cependant trĂšs frĂ©quent d’avoir encore d’un cĂŽtĂ© la donnĂ©e attributaire dans des tableurs ou des bases de donnĂ©es propriĂ©taires, et la donnĂ©e spatiale dans QGIS, l’interrogation des deux reposant sur des jointures.

Bien entendu, QGIS permet aussi l’analyse des donnĂ©es, la crĂ©ation de plans thĂ©matiques ou chronologiques, indispensables supports Ă  nos rĂ©flexions. Nous pouvons, Ă  partir de ces Ă©lĂ©ments, rĂ©aliser les trĂšs nombreuses figures du rapport d’opĂ©ration, sans passer par un logiciel de dessin vectoriel, en plan comme en coupe (reprĂ©sentation verticale de la stratigraphie). Il permet de normaliser les figures par l’emploi des styles, et, par l’usage de l’outil Atlas, de rĂ©aliser des catalogues complets, pour peu que la donnĂ©e soit rigoureusement structurĂ©e.

analyse spatiale
Exemple d’analyse dans Qgis de rĂ©partition des rejets de cĂ©ramique sur un site gaulois

Dans le cadre de l’expĂ©rimentation sur la nĂ©cropole des Mastraits, Si Qgis est bien un des piliers du systĂšme, quelques logiciels propriĂ©taires sont encore employĂ©s.

Le logiciel de traitement utilisĂ© pour la photogrammĂ©trie est propriĂ©taire. L’objectif Ă  terme est de pouvoir utiliser un logiciel libre, MicMac, dĂ©veloppĂ© par l’IGN, Ă©tant un possible candidat. Il manque cependant encore d’une interface pleinement intuitive pour que les archĂ©ologues puissent s’approprier l’outil de maniĂšre autonome.

De mĂȘme, les enthousiasmantes derniĂšres Ă©volutions du projet Inkscape devraient nous inciter Ă  nous tourner davantage vers ce logiciel et Ă  utiliser de maniĂšre systĂ©matique le .svg. L’usage de Scribus pour la PAO devrait Ă©galement ĂȘtre sĂ©rieusement envisagĂ©e.

Le logiciel libre et ses indĂ©niables avantages prend ainsi doucement place, essentiellement via QGIS, dans la chaĂźne de production de nos donnĂ©es archĂ©ologiques. Nous ne pouvons qu’espĂ©rer que cette place grandira. Le chemin paraĂźt encore long, mais la voie libre


Badass, spatial et attributaire réunis

Le dĂ©veloppement de la Base ArchĂ©ologique de DonnĂ©es Attributaires et SpatialeS a eu comme objectif d’intĂ©grer, au sein d’une seule et mĂȘme base de donnĂ©es, les informations attributaires renseignĂ©es par les archĂ©ologues et les informations spatiales recueillies par le topographe. Il s’agit mĂȘme de rassembler, au sein des tables dĂ©diĂ©es, les informations attributaires et spatiales, garantissant ainsi l’intĂ©gritĂ© de la donnĂ©e.
Son principe s’appuie sur le fonctionnement de la chaine opĂ©ratoire en archĂ©ologie, Ă  savoir l’identification et l’enregistrement par l’archĂ©ologue des vestiges mis au jour, auquel succĂšde le relevĂ© tridimentionnel rĂ©alisĂ© par le topographe. Ce dernier dispose, dans la base de donnĂ©es, de tables spĂ©cifiques dans laquelle il peut verser la gĂ©omĂ©trie et des donnĂ©es attributaires minimales (numĂ©ro, type). Des triggers vont ensuite alimenter les tables renseignĂ©es par les archĂ©ologues avec la gĂ©omĂ©trie, selon leur identifiant et leur type.

La base est ainsi l’unique dĂ©positaire de l’information attributaire et spatiale tout au long de l’opĂ©ration, du terrain Ă  la post fouille.

Le format de la base de donnĂ©es est Ă  l’origine SpatiaLite. Mais la masse documentaire produite par la nĂ©cropole des Mastraits nous a conduit Ă  la porter sous PostGIS. Nombre d’opĂ©rations archĂ©ologiques ne nĂ©cessitent cependant qu’une petite base SpatiaLite, qui permet en outre Ă  l’archĂ©ologue d’avoir la main sur son fichier de donnĂ©es. Seuls quelques gros chantiers peuvent avoir besoin d’une solution PostgreSQL, par ailleurs utilisĂ©e pour le CAtalogue de VIsualisation ARchĂ©ologique (Caviar) qui a vocation Ă  accueillir les donnĂ©es spatiales et attributaires produites Ă  l’institut.

Naturellement, Badass a Ă©tĂ© couplĂ©e Ă  un projet QGIS proposant dĂ©jĂ  des styles par dĂ©faut, mais aussi quelques requĂȘtes ou vues communĂ©ment utilisĂ©es lors d’une Ă©tude archĂ©ologique. Une extension QGIS a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©e par plusieurs Ă©tudiants afin de permettre la gĂ©nĂ©ration automatique du projet et de la base de donnĂ©es.

Pour entrer dans Badass : la Bad’Mobil

Il restait la question de la portabilitĂ© de ce systĂšme. QGIS est un logiciel demandant beaucoup de ressource et dont l’interface est inadaptĂ©e aux petits Ă©crans, apprĂ©ciĂ©s pour leur portabilitĂ© sur le terrain (tĂ©lĂ©phones et tablettes).

Choisir d’utiliser une base SpatiaLite ou PostGIS permettait d’envisager dĂšs le dĂ©part une interface web, qui pourrait alors ĂȘtre utilisĂ©e sur n’importe quel terminal. Il avait d’abord Ă©tĂ© envisagĂ© de lancer un dĂ©veloppement en PHP/HTML/CSS avec un serveur web Apache. Mais ceci nĂ©cessitait de disposer d’un serveur web, et de programmer toute une interface. Il restait aussi Ă  rĂ©pondre Ă  quelques questions d’infrastructure : oĂč l’hĂ©berger, quels financements pour cela, et qui pour administrer l’ensemble ?

C’est ici mĂȘme, sur LinuxFR, que l’un des membres du collectif a dĂ©couvert SQLPage. Ce logiciel libre, dĂ©veloppĂ©e par lovasoa, permet de disposer d’un serveur web trĂšs simple, et la rĂ©alisation d’une application de type CRUD avec une interface dont le dĂ©veloppement ne repose que sur du SQL.

SQLPage repose sur un fichier exĂ©cutable, qui, lancĂ© sur un poste informatique, transforme celui-ci en serveur web. Un fichier de configuration permet de dĂ©finir notamment l’emplacement de la base de donnĂ©es qui sera interrogĂ©e. Pour chaque page web de l’interface, on Ă©crit un fichier .sql pour dĂ©finir les donnĂ©es Ă  aller chercher ou modifier dans la base, et les composants d’interface qui permettront de l’afficher (tableaux, formulaires, graphiques
). L’accĂšs Ă  cette interface se fait dans un navigateur web. Si le poste est en rĂ©seau, l’adresse IP du poste permet d’y accĂ©der Ă  distance, avec une adresse comme http://192.168.1.5:8080 par exemple. L’utilisation d’un VPN nous permet d’utiliser le rĂ©seau de tĂ©lĂ©phonie mobile, ce qui nous dispense de toute mise en place d’un rĂ©seau local avec routeur, antennes, etc.

principe
Principe de fonctionnement général

Ainsi, l’installation de l’ensemble est trĂšs simple et ne repose que sur une arborescence de fichiers Ă  dĂ©ployer sur le poste serveur : la base de donnĂ©e, et un rĂ©pertoire contenant le binaire SQLPage et les fichiers constituant les pages web.

En nous appuyant sur la documentation (et en posant parfois des questions Ă  l’auteur du logiciel), nous avons pu dĂ©velopper seuls une interface trĂšs complĂšte rĂ©pondant bien Ă  nos besoins sur le terrain. NommĂ©e Bad’Mobil, l’interface web permet d’accĂ©der Ă  l’ensemble des donnĂ©es attributaires renseignĂ©es par les archĂ©ologues et permet dĂ©sormais, grĂące aux Ă©volutions constantes de dĂ©veloppement de SQLPage, de visualiser la donnĂ©e spatiale. La documentation produite au cours du chantier peut Ă©galement ĂȘtre consultĂ©e si les fichiers (photos, dessins scannĂ©s, etc.) sont placĂ©s au bon endroit dans l’arborescence. Les pages se composent principalement de formulaires de crĂ©ation ou de modification, ainsi que de tableaux listant les Ă©lĂ©ments dĂ©jĂ  enregistrĂ©s. La visualisation de la gĂ©omĂ©trie permet de se repĂ©rer spatialement sur le terrain, en particulier en cas de chantier complexe, et d’interagir avec la donnĂ©e attributaire.

L’interface de BadMobil, avec SQLPage
L’interface de BadMobil, avec SQLPage

Cas d’utilisation et bĂ©nĂ©fices concrets

PremiÚre expérience aux Mastraits

Le chantier de fouille de la NĂ©cropole des Mastraits a Ă©tĂ© le chantier test de ces dĂ©veloppements. L’importante quantitĂ© de donnĂ©es rĂ©coltĂ©es, mais Ă©galement son statut de fouille programmĂ©e permet de mettre en place ce genre d’expĂ©rimentation avec un impact bien moindre que dans une fouille prĂ©ventive oĂč les dĂ©lais sont particuliĂšrement contraints.

La mise en place de l’interface SQLPage a permis la dĂ©matĂ©rialisation complĂšte de l’enregistrement attributaire, et se rĂ©vĂšle trĂšs performante. Il s’agit d’un changement majeur de nos pratiques et va nous permettre gagner un temps extrĂȘmement important lors du traitement des donnĂ©es.

Ceci permet Ă©galement de centraliser l’information, de travailler Ă  plusieurs personnes en mĂȘme temps sans attendre la disponibilitĂ© des classeurs d’enregistrement traditionnellement utilisĂ©s, et de guider les archĂ©ologues au cours du processus d’enregistrement, Ă©vitant les oublis et les erreurs. GrĂące Ă  une interface simplifiĂ©e, la saisie peut se faire de maniĂšre trĂšs intuitive sans rĂ©elle nĂ©cessitĂ© de formation approfondie.

L’homogĂ©nĂ©itĂ© de la donnĂ©e saisie est ainsi meilleure, et les possibilitĂ©s d’interrogation bien plus importantes.

Perspectives d’avenir

À l’issue du dĂ©veloppement de Badass et Bad’mobil sur la nĂ©cropole des Mastraits, il nous a paru possible d’envisager son dĂ©ploiement dans le cadre de l’archĂ©ologie prĂ©ventive. Si la question de l’infrastructure rĂ©seau nĂ©cessaire au fonctionnement de cette solution peut se poser (nĂ©cessitĂ© de disposer d’une alimentation Ă©lectrique stable sur des chantiers perdus en pleine campagne, disponibilitĂ© des tablettes, couverture rĂ©seau
), les bĂ©nĂ©fices en termes d’homogĂ©nĂ©itĂ© des donnĂ©es et de facilitĂ© de saisie sont trĂšs importants. Quelques chantiers d’archĂ©ologie prĂ©ventive ont ainsi pu tester le systĂšme, la plupart du temps sur des sites de petite ampleur, en bĂ©nĂ©ficiant de l’accompagnement des membres du collectif.

Les dĂ©veloppements futurs s’orienteront sans doute vers l’intĂ©gration de nouveaux formulaires, ou de nouveaux outils de suivi. Actuellement, Badass permet de recueillir les observations communes Ă  tous les sites archĂ©ologiques, ainsi que les observations anthropologiques du fait de son utilisation au sein de la nĂ©cropole des Mastraits.
Nous pourrions ainsi envisager d’intĂ©grer les nombreuses spĂ©cialitĂ©s de l’archĂ©ologie, mais il est probable que nous obtenions alors une Ă©norme machine dont la maintenance pourrait s’avĂ©rer complexe. Nous restons donc prudents Ă  ce sujet.

Conclusion

Petit Ă  petit, l’emploi des outils numĂ©riques s’est gĂ©nĂ©ralisĂ© dans les mĂ©tiers de l’archĂ©ologie. AprĂšs les traitements de texte et tableurs des annĂ©es 90 (souvent sous mac), les premiers dessins vectoriels numĂ©risĂ©s sous Adobe Illustrator, et les bases de donnĂ©es sous Filemaker, Access ou 4D, les outils numĂ©riques sont aujourd’hui en mesure d’ĂȘtre utilisĂ©s au cours de toute la chaĂźne d’acquisition de la donnĂ©e.

L’apport des logiciels et des formats libres est majeur pour cette nouvelle Ă©tape.

QGIS a fondamentalement rĂ©volutionnĂ© la pratique archĂ©ologique en offrant au plus grand nombre l’accĂšs au SIG, permettant de relier et de manipuler les donnĂ©es attributaires et spatiales. Il a ouvert la voie Ă  de nouvelles Ă©volutions, et Ă  l’intĂ©gration de technologies jusque-lĂ  peu utilisĂ©es par l’archĂ©ologie (notamment l’utilisation de bases de donnĂ©es relationnelles et spatiales au format SQL).
SQLpage nous a permis d’offrir Ă  l’archĂ©ologue une interface complĂšte et simple afin d’accĂ©der Ă  une base de donnĂ©es en rĂ©seau. Si son dĂ©veloppement nĂ©cessite une connaissance certaine du SQL et du fonctionnement d’un site web, son dĂ©ploiement et sa maintenance sont tout Ă  fait abordables.
SQLPage rĂ©pond Ă  un rĂ©el besoin sur le terrain. Pour les archĂ©ologues, il permet de simplifier leur pratique tout en rĂ©pondant Ă  la complexitĂ© grandissante face Ă  la masse documentaire Ă  traiter, et Ă  l’accroissement de l’exigence qualitative des rendus.

L’association de QGIS, des bases de donnĂ©es spatiales et relationnelles et d’une interface web parfaitement adaptĂ©e au terrain comblent dĂ©sormais le manque constatĂ© d’un outil efficace et fiable d’enregistrement archĂ©ologique Ă  l’échelle de l’opĂ©ration. À ce titre, Badass associĂ©e Ă  Bad‘Mobil comblent totalement les attentes des archĂ©ologues qui les ont expĂ©rimentĂ©s.

Si les logiciels libres ont, ces derniĂšres annĂ©es, entamĂ© une timide percĂ©e chez de nombreux opĂ©rateurs d’archĂ©ologie (certains les ont pleinement adoptĂ©s), des rĂ©ticences restent prĂ©sentes, que ce soit des utilisateurs, mais aussi parfois des DSI des administrations publiques, qui peuvent prĂ©fĂ©rer opter pour un service tout-en-un dotĂ© d’un support technique.

Mais la persistance des usages des logiciels propriĂ©taires n’est pas sans poser de rĂ©els problĂšmes quant Ă  la pĂ©rennitĂ© des donnĂ©es archĂ©ologiques et les archĂ©ologues commencent juste Ă  dĂ©couvrir le problĂšme. Leur attachement Ă  leurs donnĂ©es — si elle va parfois Ă  l’encontre du principe de la science ouverte — devrait cependant les inciter Ă  opter pour des formats dont la pĂ©rennitĂ© apparaĂźt certaine, garantissant par lĂ  mĂȘme l’accĂšs Ă  ces donnĂ©es dans le futur, quel que soit le logiciel ou le systĂšme d’exploitation utilisĂ©, s’ils ne veulent pas que leur travail tombe dans l’oubli


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