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Les langues peu documentées et le libre : quelques enjeux scientifiques

Comme beaucoup de domaines scientifiques, la documentation de la diversitĂ© linguistique entretient une relation forte avec les mondes du Libre. Dans cette dĂ©pĂȘche, je vous propose de dĂ©couvrir ce domaine Ă  travers la prĂ©sentation de plusieurs logiciels et ressources libres ou en accĂšs ouvert. La documentation des langues Ă©tant un thĂšme peu courant sur LinuxFr.org, on commencera par une prĂ©sentation de cette problĂ©matique. Nous continuerons par une description des deux ressources principales existantes pour cataloguer et se repĂ©rer au sein de cette diversitĂ© linguistique. Je parlerai ensuite d’ELAN et de FLEX, deux logiciels utilisĂ©s pour annoter des enregistrements audio-visuels, une Ă©tape clef dans l’analyse linguistique, et qui permet le partage et la rĂ©utilisation de ces enregistrements. Enfin, aprĂšs un court passage sur la question de l’archivage, je prĂ©senterai deux compilations de corpus de documentation en accĂšs libre, une pratique rĂ©cente qui permet de nouveaux questionnements quantitatifs sur les langues orales peu documentĂ©es, et qui contribue Ă©galement Ă  la transparence et la traçabilitĂ© des analyses linguistiques.

    Sommaire

    L’étude des langues Ă  travers le monde

    Actuellement, environ 7000 langues ont Ă©tĂ© recensĂ©es Ă  travers le monde. Ce chiffre ne peut ĂȘtre qu’une approximation car, il n’y a pas de consensus sur la dĂ©finition de ce qu’est une langue. Une difficultĂ© par exemple est de dĂ©finir Ă  quel moment une langue est distincte d’une autre. Lorsqu’il y a variation, mais intercomprĂ©hension, de nombreux linguistes s’accordent Ă  dire qu’il s’agit alors de dialectes d’une mĂȘme langue, et donc, lorsqu’il n’y a pas intercomprĂ©hension, alors il s’agit diffĂ©rentes langues. Cette perspective considĂšre que tout le monde parle un dialecte (que ce soit celui de rĂ©fĂ©rence, ou un plus rĂ©gional comme celui de Paris, de Marseille, du QuĂ©bec), la langue n’étant qu’une abstraction permettant de regrouper les diverses pratiques langagiĂšres. En ce qui concerne l’intercomprĂ©hension, ce critĂšre n’est malheureusement pas absolu car elle peut varier selon les personnes et leur parcours personnel. Et lorsqu’on considĂšre l’évolution d’une langue Ă  travers le temps, sa diachronie, dĂ©finir ce qu’est une mĂȘme langue Ă  travers ses Ă©volutions temporelles se complexifie d’autant plus.

    Si certaines langues ont Ă©mergĂ© rĂ©cemment, on pense assez souvent aux langues dites crĂ©oles (le Bichelamar, les crĂ©oles malais, Ă  Madagascar ou au Cap Vert), ou Ă©galement lorsque certains dialectes se distinguent suffisamment pour ne plus ĂȘtre intercomprĂ©hensibles, la tendance actuelle est surtout Ă  la disparition massive des langues. Cette disparition est souvent rapportĂ©e Ă  travers la mort des derniers locuteurs et locutrices, on peut aussi considĂ©rer qu’une langue meurt lorsqu’elle n’est plus parlĂ©e d’une part, et qu’elle disparait si elle n’est pas documentĂ©e. Si certains aujourd’hui se questionnent sur la corrĂ©lation entre la diversitĂ© culturelle et la diversitĂ© Ă©cologique, il est Ă©vident que la disparition des langues correspond Ă©galement Ă  des inĂ©galitĂ©s et des tensions socio-politiques.

    Bref, la documentation des langues, c’est un sujet actuel, et d’un point de vue scientifique, la perte de cette diversitĂ© aura de tristes consĂ©quences sur la connaissance des langues et de l’univers des possibles languagiers, encore souvent sous-estimĂ© :

    • l’article The myth of language universals : Language diversity and its importance for cognitive science d’Evans donne un bel aperçu du dĂ©bat qui existe entre les linguistes fonctionnalistes, notamment les approches gĂ©nĂ©rativistes telles que proposĂ©es par Noam Chomsky. Pourtant, rĂ©guliĂšrement Ă  travers la documentation des langues, des catĂ©gories cognitives jusque-lĂ  non-soupçonnĂ©s, voire rejetĂ©es car non-observĂ©es, sont identifiĂ©s. Nous nous sommes rendu compte rĂ©cemment qu’un quart des langues grammaticalisaient l’emploi d’évidentiels, ces morphĂšmes qui indiquent la source d’une information. Au niveau de l’odorat, des neurologistes pensaient que si nous n’avions pas de termes abstraits pour catĂ©goriser les odeurs, c’était liĂ© au fait que notre cerveau ne le permettait pas. La description des termes liĂ©s Ă  l’odorat en Jahai (par ici si vous souhaitez Ă©couter du Jahai), qui possĂšde donc des termes spĂ©cifiques pour catĂ©goriser les odeurs, a montrĂ© le contraire.
    • accĂ©der Ă  des facettes non-matĂ©rielles de la prĂ©histoire, non-accessibles Ă  travers l’archĂ©ologie. La documentation des langues nous permet d’accĂ©der, dans une certaine mesure, aux termes et aux concepts utilisĂ©s durant les diffĂ©rentes prĂ©histoires Ă  travers la comparaison des langues et de leurs structures. Les travaux sont nombreux et anciens en ce qui concerne les langues europĂ©ennes, mais les recherches en linguistique historique (ou comparĂ©e) portent Ă©galement sur toutes les langues connues Ă  travers le monde. Les chercheurs et chercheuses de ce domaine collaborent assez rĂ©guliĂšrement avec les archĂ©ologues pour retracer les mouvements de population.
    • mettre au point des systĂšmes d’écriture pour les langues orales, ou simplement des traitements de texte adaptĂ© aux Ă©critures existantes. Parfois, certaines personnes savent Ă©crire dans la ou les langues officielles du pays, mais ne connaissent pas d’écriture pour une de leurs langues rĂ©gionales. C’est ainsi souvent le cas pour les personnes au Vanuatu. Le pays reconnait mĂȘme le droit d’enseigner les langues locales Ă  l’école, mais il n’existe que trĂšs rarement des ressources (que ce soit les personnes ou les manuels) pour cela. Parfois, les gens ne connaissent tout simplement pas de systĂšme d’écriture.

    Quelques concepts et termes liés à la documentation des langues

    Comme tout domaine de recherche, la terminologie et les concepts linguistiques Ă©voluent au grĂ© des discussions et peut se distinguer de l’usage attendu des termes. Une Ă©tape importante dans la documentation d’une langue est la production d’une grammaire dĂ©crivant les structures linguistiques de cette langue. De nombreux linguistes estiment alors qu’on peut dire que cette langue est dĂ©crite. Il ne faut pas se tromper cependant, aucun linguiste ne considĂšre qu’une langue est alors complĂštement dĂ©crite. Une grammaire ne contient que quelques aspects estimĂ©s actuellement essentielles par les linguistes de terrain. Ces points sont, le plus souvent, une description du systĂšme phonologique d’une langue (c’est-Ă -dire comment les sons d’une langue sont organisĂ©s les uns vis-Ă -vis des autres), des morphĂšmes et des processus morphologiques associĂ©s (la conjugaison, l’expression de la possession, les dĂ©clinaisons, les genres, les classifications, etc.) d’une langue et souvent un dĂ©but de description des processus syntaxiques. Il existe de nombreuses approches pour dĂ©crire les faits linguistiques, et la description d’une langue se fait souvent en dialogue avec les pratiques et terminologies qui ont Ă©tĂ© employĂ©es dans l'aire linguistique concernĂ©e.

    Depuis l’article Documentary and descriptive linguistics de Nicholaus Himmelman, qui a promu la distinction entre la documentation linguistique et la description linguistique, on accorde beaucoup plus d’importance Ă  la production d’un corpus d’enregistrements annotĂ©s. On dit alors d’une langue qu’elle est documentĂ©e si des enregistrements annotĂ©s, de prĂ©fĂ©rences audio-visuels, de cette langue existe. Enfin, il existe la problĂ©matique de l’outillage d’une langue, c’est-Ă -dire si ses locuteurs et locutrices ont accĂšs ou non aux outils informatisĂ©s, du traitement texte aux dictionnaires informatisĂ©s en passant par la reconnaissance vocale, la transcription automatique, voire aujourd’hui aux modĂšles de langues et autres ressources nĂ©cessitant des corpus beaucoup plus grands.

    Les catalogues et base de donnĂ©es pour l’identification des langues

    Une problĂ©matique rĂ©currente dans le domaine des langues est de clairement identifier la langue sur laquelle on travaille. Cependant, identifier une langue, ce qui relĂšve ou non de cette langue, oĂč elle est parlĂ©e, est l’enjeu de nombreux dĂ©bats, souvent politique, et n’est pas une tĂąche simple. Quoi qu’il en soit, il existe des ressources, bases de donnĂ©es, qui proposent d’associer Ă  des noms de langues, endonymes ou exonymes, des codes pour rendre leur identification univoque.

    L’Ethnologue et l’ISO 639 : une norme gĂ©rĂ©e par le Summer Institute of Linguistics (SIL)

    Ethnologue, Languages of the World, ou plus simplement l’Ethnologue, est une base de donnĂ©es dĂ©veloppĂ©e et maintenu par l’organisme Ă©vangĂ©lique SIL, Summer Institute of Linguistic depuis 1951. Elle vise Ă  recenser toutes les langues du monde. L’ISO 639 est une norme issue de ce catalogue, Ă©galement maintenue par le SIL. Cet organisme est trĂšs actif au niveau de la documentation des langues et de la crĂ©ation d’écritures, car un de ses objectifs est de traduire la Bible dans toutes les langues du monde. Historiquement, l’Ethnologue est un des premiers catalogues dont l’objet a Ă©tĂ© de recenser les langues. Si cette norme semble le plus souvent suffisamment exhaustive pour les besoins liĂ©s Ă  l’informatique, aprĂšs tout, les internautes consultent Internet en trĂšs peu de langue, d’un point de vue linguistique, il possĂšde de nombreuses lacunes.

    La liste SIL des langues

    Un premier souci est la nĂ©cessitĂ© d’avoir une granularitĂ© plus importante que simplement la langue. Les linguistes travaillent sur des dialectes et des variĂ©tĂ©s, sur des familles de langues, et parfois ont travaillĂ© sur des distinctions qui n’ont parfois plus cours. Afin de pouvoir associer ces ressources Ă  des langues, ou des entitĂ©s linguistiques particuliĂšres, l’approche du SIL ne suffit pas.

    Enfin, la gestion du catalogue par un organisme religieux, donc avec parfois d’autres enjeux qu’uniquement scientifiques, le fait qu’il s’agisse d’une norme, donc la nĂ©cessitĂ© de collaborer avec l’ISO, et le fait que seule une partie du catalogue est accessible (il faut un abonnement pour accĂ©der Ă  la totalitĂ© de la ressource) rend la ressource moins pertinente pour de nombreux linguistes. Ces limites ont poussĂ© des linguistes Ă  proposer une ressource alternative.

    Glottocode : par le Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology.

    Le projet Glottolog, initialement dĂ©veloppĂ© par Sebastian Nordhoff et Harald Hammarström, catalogue non seulement les langues du monde actuelles et passĂ©s, les familles de langues et leurs diffĂ©rentes branches, mais Ă©galement « les restes Â» des hypothĂšses de langues ou de regroupements historiques. Cette granularitĂ© permet de retrouver les documents associĂ©s Ă  chacun de ces objets. Si le catalogue est dĂ©diĂ© aux langues moins connues, les langues les plus centrales sont elles aussi rĂ©pertoriĂ©es. Il s’agit actuellement du catalogue mis en avant par les linguistes documentant les langues Ă  travers le monde. L’application Glottolog est disponible via la licence MIT.

    Aperçu du Glottolog à travers la liste des langues

    Si aux premiers abords, la liste des langues du Glottolog ne se distingue pas franchement de celle de l’ISO 639, c’est parce qu’il faut regarder plus en dĂ©tail pour comprendre les diffĂ©rences essentielles entre les deux ressources. Notons tout de mĂȘme la colonne « Child dialects » : « Dialectes enfants », et les champs vides au niveau des colonnes Top-level-family et pour la langue Abai Tubu-Abai Sembuak dans la colonne « ISO-639-3 Â». La colonne « Child dialects » reprĂ©sente une information qui n’est pas documentĂ© dans l’ISO 639, ce n’est pas son objet aprĂšs tout, mais qui est intĂ©ressant pour les linguistes travaillant sur cette langue, indiquant qu’un minimum de donnĂ©es sociolinguistiques sont disponibles. Les champs vides dans la colonne « Top-level family » sont dus au fait que ces langues sont des isolats, c’est-Ă -dire que la linguistique comparĂ©e ne trouve pas de correspondances significatives entre cette langue et d’autres langues qui permettraient de les regrouper en une famille. Enfin, le vide dans la colonne ISO-963-3 rĂ©vĂšle que la langue Abai Tubu-Abai Sembuak ne possĂšde pas d’entrĂ©e dĂ©diĂ©e dans la norme.

    Ainsi, lorsque l’on consulte une langue en particuliĂšre, ici le Nisvai, on voit apparaitre tous les embranchements existants associĂ©s Ă  cette langue :

    La langue Nisvai dans le Glottolog

    Cette vue de l’arborescence associĂ©e Ă  une langue particuliĂšre rĂ©vĂšle tous les embranchements auxquels peut⁻ĂȘtre associĂ©e une langue. Et Ă  chacun de ces embranchements, si des ressources linguistiques ont Ă©tĂ© identifiĂ©es par les mainteneurs du Glottolog, celles peuvent ĂȘtre proposĂ©es. Cette fonction permet aux linguistes de trouver des ressources sur les langues proches, non pas gĂ©ographiquement (mĂȘme si en pratique c’est le plus souvent le cas), mais d’un point de vue gĂ©nĂ©alogique.

    Les autres

    Il existe d’autres initiatives pour cataloguer les langues du monde, que ce soit la liste proposĂ©e par Wikipedia, la liste de la CIA ou encore The Linguasphere Register, mais ces initiatives ne sont pas aussi pertinentes du point de vue de la documentation des langues.

    Documenter les langues

    ELAN : des schĂ©mas d’annotation flexibles

    ELAN est un des logiciels libres (GPL3) les plus utilisĂ©s par les linguistes pour annoter des enregistrements audio et vidĂ©o. Il permet d’élaborer des structures d’annotation complexes permettant ainsi de rendre compte des analyses que les linguistes souhaitent associer Ă  un enregistrement. Ces couches d’annotation sont reliĂ©es les unes aux autres par des relations logiques, avec le plus souvent une couche de rĂ©fĂ©rence indexĂ©e temporellement Ă  l’enregistrement. Les annotations les plus courantes sont une transcription, une traduction et une annotation morphologique. Mais des nombreuses autres analyses peuvent ĂȘtre incluses, que ce soit les parties du discours, les rĂ©fĂ©rences et anaphores, l'animĂ©itĂ©, mais aussi les gestes, la structuration du discours, les signes pour les sourds et malentendants.

    Extrait d’une narration prĂ©sente dans DoReCo, et vue sur les diffĂ©rentes couches d’annotation pouvant ĂȘtre associĂ©s Ă  un enregistrement.

    Dans cette capture d’écran issu d’un texte de DoReCo retravaillĂ© par l’auteur, on aperçoit un extrait de quelques secondes d’une narration nisvaie. Il s’agit d’un des modes de visualisation des annotations proposĂ©es par ELAN pour reprĂ©senter les diffĂ©rentes couches d’annotation. Certaines de ces annotations ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es Ă  la main par l’auteur, d’autres ont Ă©tĂ© retravaillĂ©es par les algorithmes mis en place par DoReCo, puis manuellement corrigĂ©s. Enfin, il y a Ă©galement des couches d’annotation de la prosodie par le biais de SLAM+.

    FLEX : gĂ©rer un projet de documentation

    FLEX est un logiciel dĂ©veloppĂ© par le SIL et dont le code source est rĂ©gie par la licence LGPL 2.1. Il est conçu davantage pour coordonner l’ensemble d’une documentation linguistique, de la gestion des textes Ă  l’élaboration d’un dictionnaire, en passant par les analyses linguistiques. En revanche, il ne gĂšre pas rĂ©ellement l’annotation d’enregistrements. De nombreux linguistes l’utilisent en complĂ©ment d’ELAN.

    Si le logiciel est prometteur sur le papier, Ă  chaque fois que je l’ai essayĂ©, j’ai Ă©tĂ© rebutĂ© par son cĂŽtĂ© usine Ă  gaz, et surtout ses nombreux plantages notamment lorsqu’on essaie de gĂ©rer des fichiers multimĂ©dia avec. Et il en est de mĂȘme pour les autres logiciels dĂ©veloppĂ© par le SIL, tel que SayMore pour gĂ©rer les mĂ©tadonnĂ©es des enregistrements, WeSay pour faire des dictionnaires en collaboration avec les locuteurs et locutrices, Ă  chaque fois que je les ai essayĂ©s, enthousiasmĂ© par leurs fonctionnalitĂ©s, j’ai Ă©tĂ© déçu par le fait qu’ils ne fonctionnaient pas correctement sur mon ordinateur.

    Aperçu de Flex

    Cette capture d’écran illustre un des modes de saisie de FLEX, ici la vue tabulaire du lexique, qui permet de rentrer et gĂ©rer les dĂ©finitions des lexĂšmes (les entrĂ©es du dictionnaire) de maniĂšre assez rapide. On aperçoit dans la partie en haut Ă  gauche les autres modes d’édition du lexique, et en dessous les autres catĂ©gories liĂ©es Ă  la gestion d’un projet de documentation : Texts & Words, Grammar, Notebook et Lists. C’est Ă  travers la catĂ©gorie Texts & Words que l’on peut par exemple importer des textes transcrits, voire des fichiers ELAN pour peupler la base de donnĂ©es lexicales. Grammar permet de dĂ©crire les paradigmes grammaticaux, FLEX propose d’ailleurs quelques algorithmes qui aident Ă  la construction des paradigmes grammaticaux. Notebook et Lists servent Ă  la gestion du projet, le premier pour prendre des notes diverses, et le second pour crĂ©er des listes, en particulier des tĂąches encore Ă  rĂ©aliser.

    Et il y en a bien d’autres encore

    Il existe de nombreux autres logiciels similaires, tels qu’EXmaralda pour l’annotation des enregistrements (surtout utilisĂ© en Allemagne Ă  ma connaissance), Sonal (non libre, et dont le dĂ©veloppement semble arrĂȘtĂ©) qui est utilisĂ© par les sociologues et les anthropologues pour une annotation thĂ©matique de leurs entretiens, Anvil, qui semble intĂ©ressant mais que je n’ai jamais rĂ©ellement vu utilisĂ©, ou enfin le vieux Transcriber qui lui Ă©tait encore employĂ© par certains projets il y a quelques annĂ©es. Rentrer dans le dĂ©tail de tous ces logiciels dĂ©passerait le cadre d’une dĂ©pĂȘche comme celle-ci, mais Ă©numĂ©rer la diversitĂ© logicielle montre qu’il s’agit d’un secteur un minimum dynamique, d’ailleurs la question de la transcription et de l’annotation des enregistrements ne se limite pas du tout qu’au domaine de la documentation des langues du monde.

    L’archivage et la compilation de corpus

    Afin de conserver et partager les corpus et donnée enregistrées par les linguistes, chercheurs voire simplement les personnes ayant documenté une langue, il existe des archives, le plus souvent en ligne. Il y a en France par exemple Pangloss, géré par le LACITO, dédié aux langues orales, ou ORTOLANG, plus générique, pour les corpus de langue. En Océanie, il y a Paradisec. Il y a aussi ELAR, autrefois à Londres, et qui a déménagé récemment à Berlin récemment.

    Ces archives proposent diverses interfaces pour dĂ©poser, gĂ©rer et parfois mĂȘme consulter les enregistrements et les annotations rĂ©alisĂ©s par les linguistes et leurs collaborateurs·e·s. À noter que pour ces archives, Ortolang dĂ©crit son architecture logicielle qui repose sur des briques ouvertes, en revanche concernant Paradisec et Pangloss, bien que leur statuts soient sĂ»rement similaires du fait de la dĂ©marche gĂ©nĂ©rale de ses ingĂ©nieurs, je n’ai pas trouvĂ© de liens vers les logiciels employĂ©s. Quant Ă  ELAR, le logiciel utilisĂ© est Preservica, une solution propriĂ©taire qui, quand on a le malheur de devoir l’utiliser, fonctionne bien lentement.

    La compilation de corpus, si elle se rapproche de l’archivage en ce qu’il s’agit Ă©galement de recueillir, conserver et publier les corpus des linguistes, correspond Ă©galement Ă  une Ă©dition particuliĂšre de ces corpus. La compilation de corpus est rĂ©alisĂ© Ă  travers la mise en place de processus de qualitĂ©, d’annotations et de conventions particuliĂšres. Les deux compilations de corpus prĂ©sentĂ©es ici sont des compilations de corpus de documentation de langues orales. Les enregistrements ont Ă©tĂ© systĂ©matiquement annotĂ©s en utilisant une convention nommĂ©e les gloses interlinaires (le nom fait en fait rĂ©fĂ©rence Ă  la pratique ancienne d’insĂ©rer des explications entre les lignes d’un texte. En pratique aujourd’hui, ce n’est plus vraiment ce que font les linguistes, puisque le travail est informatisĂ© et les annotations ne sont plus entre les lignes, mais, le terme a cependant Ă©tĂ© conservĂ©).

    DoReCo

    DoReCo est une compilation de 52 corpus en accĂšs ouvert (NdR : auquelle l’auteur a contribuĂ©). La compilation a nĂ©cessitĂ© la mise en place de processus de qualitĂ© afin d’assurer la cohĂ©rence de l’ensemble et de fournir un certain nombre de garanties quant aux qualitĂ©s du corpus.

    Les langues dans DoReCo

    Une premiĂšre qualitĂ©, et l’une des originalitĂ©s de DoReCo, est de proposer un alignement temporel est trĂšs fin. La durĂ©e de chaque phonĂšme, de chaque morphĂšmes, de chaque mot (ici suivant la dĂ©finition de la personne Ă  l’origine du corpus, car la dĂ©finition d’un mot n’a rien d’une Ă©vidence) et enfin de chaque groupe de souffle est fournie. Une deuxiĂšme qualitĂ© a Ă©tĂ© de s’assurer que pour l’ensemble des retranscriptions, chacun des termes et des morphĂšmes possĂšde une glose, c’est-Ă -dire qu’ils possĂšdent une explication linguistique.

    La compilation totalise une centaine d’heures d’enregistrements audio, en grande majoritĂ© des narrations monologiques. À noter que les corpus de la compilation sont accĂšs ouvert, via une licence Creative Commons, mais que les droits d’utilisation varient d’un corpus Ă  l’autre. Les donnĂ©es sont accessibles aux formats d’ELAN : .eaf, de Praat : . TextGrid, TEI.xml, et.csv.

    Multi-CAST

    Multi-CAST est Ă©galement une compilation de 18 corpus de documentation de langues diffĂ©rentes. Les textes annotĂ©s via le logiciel ELAN. Contrairement Ă  DoReCo, l’alignement temporel des annotations n’est pas rĂ©alisĂ© de maniĂšre prĂ©cise, mais manuellement, par les personnes Ă  l’origine du corpus, Ă  l’échelle de l’énoncĂ©. Les textes sont Ă©galement en grande majoritĂ© des narrations monologiques. L’originalitĂ© de cette compilation de corpus vient du fait que les textes contiennent trois couches d’annotation particuliĂšres : GRAID, Grammatical Relations and Animacy in Discourse, (voir), puis RefIND et ISNRef (Referent Indexing in Natural Language Discourse, voir Schiborr et al. 2018).

    La page d’accueil de Multi-Cast

    Cette compilation de corpus est aussi disponible dans plusieurs formats. XML Ă©videmment, puisque c’est le format natif d’ELAN, mais aussi TSV et il existe Ă©galement un paquet pour R. Tout cela est disponible via la licence CC-BY 4.0.

    Conclusion

    J’espĂšre que vous avez apprĂ©ciĂ© cette introduction Ă  la documentation des langues Ă  travers les logiciels libres. L’idĂ©e est surtout d’attiser la curiositĂ©, car il reste Ă©videmment encore de nombreux aspects ou points Ă  discuter et Ă  approfondir. La prochaine fois que j’aborderai le thĂšme de la documentation linguistique ici, j’espĂšre que ça sera pour prĂ©senter mon application basĂ©e sur Django pour faire de la lexicographie.

    Il y a Ă©galement un autre sujet sur lequel j’aimerais bien Ă©changer ici prochainement : la question des licences des donnĂ©es collectĂ©s et la nĂ©gociation lorsque l’on travaille avec des personnes Ă  tradition orale. Si ouvrir l’accĂšs aux donnĂ©es de recherche et aux corpus peut sembler ĂȘtre une Ă©vidence pour certains, il ne faut pas oublier que souvent, les chercheurs et chercheuses de terrain collectent des informations personnelles, que la connaissance n’est pas forcĂ©ment considĂ©rĂ©e comme un bien public et les enregistrements, notamment les narrations, qui ne sont pas forcĂ©ment perçues comme des fictions, sont souvent couverts par des droits locaux. Enfin, ouvrir ses donnĂ©es de recherche, si c’est permettre Ă  d’autres de rĂ©utiliser ses donnĂ©es, requiert beaucoup de travail de la part des linguistes, c’est une tĂąche longue, ingrate et surtout peu valorisĂ©e. Alors qu’il est de plus en plus prĂ©caire d’ĂȘtre chercheur en sciences humaines, il est aussi difficile de demander Ă  ces chercheurs et chercheuses de consacrer une grande partie de leur temps Ă  des tĂąches qui ne leur permettront pas de se constituer un CV, nĂ©cessaire si l’on souhaite avoir un poste stable (c’est-Ă -dire plus de deux ans).

    Label sans IA : ce texte a Ă©tĂ© rĂ©digĂ© sans aucun aide de la part d’une LLM.

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