Sommaire
Préambule
Pourquoi nâest-il essentiellement question que des informaticiennes de la NASA ou ayant travaillĂ© pour la NASA ? Cela revient Ă poser la question de lâinformatique cĂŽtĂ© Union soviĂ©tique. Plusieurs facteurs peuvent expliquer la mĂ©connaissance que lâon a des personnes qui, cĂŽtĂ© soviĂ©tique, ont travaillĂ© sur les programmes relatifs Ă la conquĂȘte de lâespace, Ă commencer par lâhistoire qui est, disons compliquĂ©e surtout par rapport Ă celle des USA.
Ensuite, câĂ©tait un secteur stratĂ©gique : envoyer des satellites pose les mĂȘmes questions balistiques que lâenvoi dâun missile intercontinental. Lâexistence du fondateur du programme spatial soviĂ©tique, SergueĂŻ Korolev, qui subissait des peines dâemprisonnement pour raisons politiques (dont quatre mois de goulag) et qui avait Ă©tĂ© admis dans lâĂ©quipe de lâingĂ©nieur aĂ©ronautique AndreĂŻ Tupolev lui-mĂȘme prisonnier politique Ă lâĂ©poque, a Ă©tĂ© tenue secrĂšte jusque bien aprĂšs sa mort. On peut penser quâil en va de mĂȘme pour les autres personnes ayant participĂ© aux programmes de conquĂȘte spatiale.
Concernant lâinformatique proprement dite, trois noms apparaissent. SergueĂŻ Lebedev (1902 - 1974) est considĂ©rĂ© comme le pĂšre de lâinformatique soviĂ©tique. Lebedev semble ĂȘtre un nom assez courant, ainsi, on trouve un cosmonaute russe du nom de Valentin Lebedev. LâUkrainienne Ekaterina Yushchenko (en) (1919 - 2001) que le site ukrainien (en) sur lâhistoire de lâinformatique en Ukraine appelle « lâAda Lovelace ukrainienne ». Yushenko a posĂ© les bases de la programmation thĂ©orique en Ukraine (et en URSS avant) et Ă©crit le langage de haut niveau Address. AndreĂŻ Erchov (en) (1931 â 1988), fondateur de lâĂcole sibĂ©rienne de science informatique dont le livre, Programmation pour le BESM, a marquĂ© un certain Donald Knuth.
Les ordinateurs de la conquĂȘte de lâespace URSS et USA
Les ordinateurs soviétiques
Le premier ordinateur soviĂ©tique date de 1950, construit sous la direction de SergeĂŻ Lebedev, dans un contexte oĂč le traitement Ă©lectronique de lâinformation, considĂ©rĂ© par Staline (1878 â 1953) et son entourage comme « fausse science au service de lâimpĂ©rialisme »1 nâest pas encouragĂ© par le pouvoir. Il sâagit du MESM (ĐĐĐĄĐ, ĐĐ°Đ»Đ°Ń ŃлДĐșŃŃĐŸĐœĐœĐ°Ń ŃŃĐ”ŃĐœĐŸ-ŃĐ”ŃĐ°ŃŃĐ°Ń ĐŒĐ°ŃĐžĐœĐ°, petit calculateur Ă©lectronique, qui Ă©tait plutĂŽt assez gros en volume), dĂ©veloppĂ© par une vingtaine de personnes. La plupart des ordinateurs soviĂ©tiques en dĂ©couleront.
Le BESM sur lequel AndrĂ©ĂŻ Erchov a Ă©crit son livre de programmation a Ă©tĂ© produit Ă partir de 1953. Il se dĂ©clinera en deux sĂ©ries les : BESMâ1 (1950) Ă BESMâ6 (1966) et les M -20 et ses descendants. Ces derniers, dont le premier, fabriquĂ© Ă Moscou, est sorti en 1956 seront les ordinateurs des premiers Ăąges de la conquĂȘte spatiale. Le dernier de la sĂ©rie, le M-220 Ă©tait, quant Ă lui, fabriquĂ© Ă Kazan. Ils ont, par la suite, probablement Ă©tĂ© remplacĂ©s par le MINSK dans les annĂ©es 1960.
Quant aux langages de programmation, Yves LogĂ©, en 1987, dans lâarticle Les ordinateurs soviĂ©tiques : Histoire obligĂ©e de trois dĂ©cennies de la Revue dâĂ©tudes comparatives Est-Ouest relevait ceci :
- 1953 â librairie de sous-programmes pour STRELA et BESM,
- 1955 â langage de compilation (PP2 â PP â BESM),
- 1957 â assembleurs (PAPA, SSP),
- 1962 â compilateur Algol 60 (TA 1),
- 1962 â moniteur de traitement par lots (AUTOOPERATOR),
- 1966 â premier systĂšme dâexploitation (MINSK 22, BESM 6),
- 1967 â langage de programmation (EPSILON, ALMO).
Le FORTRAN et lâALGOL, bien quâayant Ă©tĂ© introduits dans les ordinateurs soviĂ©tiques dans les annĂ©es 1960, ne commenceront Ă ĂȘtre vraiment utilisĂ©s quâĂ partir des annĂ©es 1970, Ă©poque Ă laquelle lâURSS abandonnera la conception de ses propres ordinateurs.
Les ordinateurs des missions Apollo
Lâinformatisation de la NASA a commencĂ© avec des machines IBM, la sĂ©rie IBM 700/7000 commercialisĂ©e dans les annĂ©es 1950 Ă 1960 ; câĂ©tait la premiĂšre version des ordinateurs Ă transistors. Les langages de programmation les plus courants Ă lâĂ©poque Ă©taient le Cobol et le FORTRAN pour lequel des personnes comme Frances Allen avaient Ă©tĂ© recrutĂ©es afin de former des chercheurs, parfois rĂ©ticents, au langage.
En 1964, IBM sort la sĂ©rie System/360 qui pouvait travailler en rĂ©seau et dont le systĂšme dâexploitation, multitĂąches, Ă©tait OS/360. Il Ă©tait dotĂ© dâune RAM, insuffisante, dâun mĂ©gaoctet qui a poussĂ© les ingĂ©nieurs Ă adopter un code abrĂ©gĂ©. Et, Ă©videmment, il se programmait encore Ă lâĂ©poque avec du papier.
Lâinvention qui a permis dâĂ©quiper informatiquement les modules des missions Apollo est celle des circuits intĂ©grĂ©s, inventĂ©s par Jack Kilby en 1958. Ils Ă©quiperont les ordinateurs Ă partir de 1963, la NASA Ă©tant dans les premiers utilisateurs pour les ordinateurs de guidage dâApollo. Par la suite, les circuits intĂ©grĂ©s permettront de fabriquer les « mini-ordinateurs » (qui restent toujours assez encombrants) et les micro-ordinateurs. Les premiers micro-ordinateurs, Ă lâallure de ceux que nous avons actuellement avec : lâordinateur, un Ă©cran, un dispositif de saisie, puis, plus tard, un dispositif de pointage sortiront en 1973, aprĂšs les missions Apollo.
Judith Love Cohen (1933 â 2016) lâaccouchement du programme de guidage Apollo
Judith Love Cohen est ingénieure aérospatiale, aprÚs sa retraite, elle deviendra écrivaine et fondera une entreprise multimédia Cascade Pass.
En 1952, celle qui aidait ses camarades de classe Ă faire leurs devoirs de mathĂ©matiques, est embauchĂ©e par la North American Aviation. Elle obtient, en 1957 un Bachelor of Art (licence) en sciences, puis, en 1962, un master en sciences Ă lâUniversitĂ© de Californie. En 1957, aprĂšs son BA, elle est embauchĂ©e par le « Space Technology Laboratories (laboratoire des technologies spatiales) qui deviendra TRW. Elle y travaillera jusquâĂ sa retraite en 1990, souvent seule femme ingĂ©nieure de lâĂ©quipe dans laquelle elle se trouvait.
Son travail : les ordinateurs de guidage. Elle a fait partie de lâĂ©quipe qui a conçu le « Tracking and Data Relay Satellites (TDRS) », le systĂšme suivi et de relais des donnĂ©es des satellites de la NASA. Ce systĂšme qui permet notamment de rester en contact avec la Station spatiale internationale.
Elle sâoccupera aussi du tĂ©lescope Hubble. Elle avait Ă©tĂ© chargĂ©e de concevoir le systĂšme terrestre des opĂ©rations scientifiques. Elle dira dans une vidĂ©o (en) rĂ©alisĂ©e par Cascade Pass quâelle avait travaillĂ© avec les astronomes, car câĂ©taient eux qui allaient utiliser le tĂ©lescope. Le systĂšme avait trois fonctions principales :
- planification des observations,
- contrÎle en temps réel du réglage de la mise au point et du changement des filtres,
- récupération des données pour générer des photos, partie que Cohen considérait comme la plus intéressante et la plus difficile à réaliser.
Mais, le point culminant de sa carriĂšre a Ă©tĂ© le programme Apollo, notamment le systĂšme de guidage de la mission Apollo 13 qui devait ĂȘtre la troisiĂšme Ă se poser sur la Lune, lâordinateur AGS (Abort Guidance System, systĂšme de guidage dâabandon pour le module destinĂ© Ă rester sur la Lune). Cette mission commence mal : les astronautes prĂ©vus Ă lâorigine changent presque Ă la derniĂšre minute, quand la fusĂ©e dĂ©colle le 11 avril 1970, le moteur central du deuxiĂšme Ă©tage sâĂ©teint trop tĂŽt. Ce sera compensĂ©, sans incidence sur la trajectoire. Le 13 avril, lâun des astronautes, Jack Swigert, lance le fameux :
Houston, weâve had a problem.
Le module de service dâApollo 13 est hors dâusage, lâĂ©quipe change de module de service en urgence et embarque dans le module lunaire (LM) prĂ©vu pour deux personnes alors quâils sont trois. LâAGS servira en tant quâordinateur de bord et contrĂŽlera tous les Ă©quipements vitaux, mais il nâaurait pas pu revenir sur lâorbite terrestre si Cohen nâavait pas bataillĂ© avec la NASA pour que la fonction de retour y soit incluse.
Son fils, lâingĂ©nieur en informatique Neil Siegel (en) racontera, ce qui a Ă©tĂ© vĂ©rifiĂ©, quâelle avait conçu lâAGS pendant quâelle Ă©tait enceinte de son demi-frĂšre, lâacteur Jack Black. Le 28 aoĂ»t 1969, au moment de partir pour lâhĂŽpital pour accoucher, elle prend aussi le code dâun problĂšme sur lequel elle travaillait. Elle appellera son patron plus tard pour lui signaler quâelle lâavait rĂ©solu, et aussi, en passant, que le bĂ©bĂ© Ă©tait nĂ©. Le problĂšme en question concernait lâAGS.
Margaret Hamilton (née en 1936) la jeune femme à cÎté de la pile de livre de sa hauteur
La photo probablement la plus connue de Margaret Hamilton est celle oĂč on la voit poser Ă cĂŽtĂ© dâune pile de gros documents reliĂ©s : le code du logiciel de navigation de la mission Apollo 11.
Margaret Hamilton intĂšgre le MIT (Massachusetts Institute of Technology) en 1960 pour dĂ©velopper des logiciels informatiques. En 1961, la NASA confie au MIT la mission de rĂ©aliser un ordinateur embarquĂ© de navigation et de pilotage avec un cahier des charges assez lĂ©ger et permettant au MIT une grande crĂ©ativitĂ©. Ce sera lâAGC (Apollo Guidance Computer) qui sera le premier Ă utiliser des circuits intĂ©grĂ©s. Lourd, 32 kilos, il prĂ©figure nĂ©anmoins les ordinateurs portables puisque tous les Ă©lĂ©ments, ordinateur, mĂ©moire, Ă©cran et dispositif de saisie Ă©taient rĂ©unis dans un seul boitier.
Mais avant de travailler sur lâAGC, Hamilton intĂšgre, en 1961, le laboratoire Lincoln pour travailler sur le projet militaire ultra-secret SAGE qui devait produire en temps rĂ©el une image de lâespace aĂ©rien Ă©tats-unien. Elle racontera ensuite avoir fait lâobjet dâun bizutage (une coutume apparemment) : on lui avait demandĂ© de travailler sur un programme piĂ©gĂ© commentĂ© en grec et en latin. Elle Ă©tait la premiĂšre Ă avoir rĂ©ussi Ă le faire fonctionner. Et câest ainsi quâen 1963 elle est invitĂ©e Ă rejoindre le laboratoire Draper du MIT qui Ă©tait en charge du dĂ©veloppement des logiciels embarquĂ©s dâApollo.
Elle Ă©voquera aussi la fois oĂč, emmenant de temps en temps sa fille au laboratoire, un jour, cette derniĂšre, jouant Ă lâastronaute, fait planter le systĂšme : elle avait sĂ©lectionnĂ© le programme dâatterrissage alors quâelle Ă©tait « en vol » (un appui sur une mauvaise touche). Ce que voyant Hamilton alerte la direction pour que lâon modifie le programme, rĂ©ponse « ils sont expĂ©rimentĂ©s, ça nâarrivera pas ». Sauf quâĂ©videmment, câest arrivĂ© au pendant la mission Apollo 8. On peut imaginer quâHamilton et son Ă©quipe Ă©taient prĂ©parĂ©es Ă cette Ă©ventualitĂ© : les donnĂ©es de navigation seront renvoyĂ©es et la trajectoire corrigĂ©e. Elle codera aussi un systĂšme de prioritĂ© des tĂąches afin dâĂ©viter que lâAGC ne sature et quâil fasse le travail correctement. LâAGC pouvait ainsi interrompre des tĂąches pour faire passer celles qui Ă©taient les plus prioritaires et câest ce qui a permis Ă Apollo 11 dâatterrir correctement sur la Lune.
Hamilton quittera le MIT en 1974 pour co-fonder une entreprise de dĂ©veloppement de logiciels, Higher Order Software (HOS) quâelle dirigera jusquâen 1984. HOS se spĂ©cialisait notamment sur les logiciels de dĂ©tection des erreurs. Ensuite, en 1986, elle crĂ©era Hamilton Technologies et concevra le langage de programmation USL (Universal Systems Language).
Elle reçoit en 2016 la mĂ©daille prĂ©sidentielle de la libertĂ© des mains de Barack Obama. Margaret Hamilton est considĂ©rĂ©e comme une pionniĂšre de lâingĂ©nierie logicielle et comme une des personnes qui ont contribuĂ© Ă la populariser.
JoAnn H. Morgan (nĂ©e en 1940) la seule femme prĂ©sente dans la salle de tir lors du lancement dâApollo 11
Sur une photo de la salle de tir dâApollo 11, le 16 juillet 1969, elle apparaĂźt comme la seule femme derriĂšre une console. Les femmes que lâon voit sur le cĂŽtĂ© sont entrĂ©es aprĂšs le lancement.
Ătant enfant, elle prĂ©fĂ©rait lire Jules Verne Ă jouer Ă la poupĂ©e2 et jouer avec la boĂźte de chimie que son pĂšre lui avait offert. Son pĂšre, justement, travaillait pour le programme de dĂ©veloppement des fusĂ©es amĂ©ricaines. JoAnn H. Morgan va passer son adolescence Ă Titusville en Floride, Ă quelques kilomĂštres de la base de lancement de Cap Canaveral. Elle y regardera les lancements des fusĂ©es. Ce qui la dĂ©cidera dans son orientation professionnelle. Elle commence, Ă dix-sept ans, par un stage Ă lâArmy Ballistic Missile Agency (ABMA, Agence des missiles balistiques de l'armĂ©e de terre). Elle continuera Ă travailler Ă Cap Canaveral pendant lâĂ©tĂ©. En 1963, elle obtient un Bachelor of Arts (licence) en mathĂ©matiques. Elle commence Ă travailler pour la NASA au Centre spatial Kennedy (KSC) en tant quâingĂ©nieure. Elle sera la seule, ça nâa pas Ă©tĂ© facile : entre le fait que son supĂ©rieur hiĂ©rarchique trouve nĂ©cessaire de prĂ©ciser quâelle est ingĂ©nieure et pas lĂ pour faire le cafĂ© pour ses collĂšgues (en) ou lâabsence de toilettes pour femmes.
En 1969, elle est promue et devient « Chief Instrumentation Controller, KSC Technical Support » (ContrĂŽleur en chef de lâinstrumentation, support technique du centre), ce qui lui donne un poste dans la salle de contrĂŽle de la mission Apollo 11. LâĂ©quipe de Morgan sera celle qui supervisera le lancement de la mission ce qui lui demandera de rester dans la salle de contrĂŽle encore aprĂšs le lancement pour pouvoir vĂ©rifier les Ă©quipements et faire un rapport sur les dommages consĂ©cutifs au lancement afin de prĂ©parer le suivant, sa tĂąche, dans le cadre de la mission, sâarrĂȘte au moment de lâatterrissage lunaire. Elle considĂšre que câest ce qui a lancĂ© sa carriĂšre.
AprĂšs Apollo 11, elle bĂ©nĂ©ficiera dâune bourse Sloan pour poursuivre des Ă©tudes et elle obtiendra une maĂźtrise en sciences de gestion en 1977 et retournera Ă la NASA en 1979 oĂč elle est promue chef de la division des services informatique du KSC, premiĂšre femme Ă occuper ce poste en particulier et un poste de direction Ă la NASA. Une tĂąche ardue dans une pĂ©riode de transition technologique : la NASA changeait son systĂšme informatique et commençait Ă remplacer les vieux ordinateurs gĂ©ants par des PC. Elle deviendra ensuite directrice adjointe des vĂ©hicules de lancement (deputy of Expendable Launch Vehicles, director of Payload Projects Management) puis directrice de la sĂ©curitĂ© de la mission ( director of Safety and Mission Assurance). Elle aura Ă©tĂ© lâune des deux derniĂšres personnes Ă avoir vĂ©rifiĂ© le lancement de la navette spatiale.
Elle prend sa retraite en 2003 aprÚs avoir passé toute sa carriÚre à la NASA.
Morgan continue Ă militer pour que plus de femmes puissent suivre des carriĂšres scientifiques et techniques.
Frances Northcutt dite « Poppy » (nĂ©e en 1943) lâautre seule femme prĂ©sente dans les salles de tir des missions Apollo 8 et 13
Frances « Poppy » Northcutt a planifié les trajectoires des vols des missions Apollo dans les années 1960 et 1970.
Elle commence sa carriĂšre dans lâaĂ©rospatiale comme Judith Love Cohen en Ă©tant embauchĂ©e en 1965 par TRW. Elle sera dâabord une des calculatrices humaines. ProblĂšme : pour pouvoir bĂ©nĂ©ficier dâune promotion, elle devait faire des heures supplĂ©mentaires si nĂ©cessaire, ce qui Ă©tait interdit aux femmes Ă©tats-uniennes de lâĂ©poque. Elle tient le pari dâen faire mais non rĂ©munĂ©rĂ©es. Cela fonctionne, elle obtient une promotion et intĂšgre lâĂ©quipe technique (personnel effectuant des travaux ingĂ©nierie), mieux payĂ©e. Ce qui pose un autre problĂšme, celui de lâĂ©cart de rĂ©munĂ©ration entre les hommes et les femmes.
Le travail de lâĂ©quipe technique consistait Ă Ă©crire le programme. Dâautres assuraient la tĂąche de le rentrer dans lâordinateur, ce qui nâallait pas sans quelques bugs au passage, qui pouvaient avoir des consĂ©quences fatales. LâĂ©quipe de Northcutt Ă©tait chargĂ©e du calcul de la trajectoire de retour dâApollo 8. CâĂ©tait une mission mĂ©morable pour Northcutt Ă plus dâun titre. Dâabord, câĂ©tait la premiĂšre fois quâun vĂ©hicule spatial habitĂ© allait ĂȘtre mis en orbite autour de la Lune. CâĂ©tait aussi ce qui aura permis de dĂ©terminer lâĂ©quipement et le matĂ©riel nĂ©cessaire pour les missions suivantes, notamment la quantitĂ© de carburant nĂ©cessaire. Enfin, câĂ©tait la premiĂšre fois que les calculs de Northcutt et de son Ă©quipe Ă©taient utilisĂ©s, et cela allait servir aussi aux missions suivantes. Ainsi, aprĂšs Apollo 8, il nây aura pas eu de modifications des programmes, sauf en cas de problĂšme. Pour Apollo 13, avec dâautres ingĂ©nieurs, elle aura pour mission de calculer le retour de la capsule Apollo aprĂšs lâexplosion du rĂ©servoir dâoxygĂšne qui oblige lâĂ©quipage Ă rentrer sur Terre dans le module lunaire.
Elle suivra ensuite des Ă©tudes de droit Ă lâUniversitĂ© de Houston pour devenir avocate. Elle en sortira diplĂŽmĂ©e en 1981 et travaillera pour le procureur du comtĂ© de Harris Ă Houston, sera stagiaire auprĂšs dâun juge fĂ©dĂ©ral en Alabama avant de se tourner vers le privĂ© et dĂ©fendre des causes sur les droits de femmes, elle qui a longtemps travaillĂ© avec un salaire infĂ©rieur Ă celui de ses collĂšgues pour le mĂȘme travail.
Elle expliquera au site astronomy (en) :
Jâai eu beaucoup de chance. La plupart des femmes nâavaient pas quelquâun qui se battait aussi durement pour elles.
Elle ajoutera :
Câest le problĂšme auquel sont confrontĂ©es les femmes en particulier, lorsquâelles sont embauchĂ©es pour un salaire infĂ©rieur Ă ce quâelles valent. Si vous ne partez pas sur un pied dâĂ©galitĂ©, vous ne pourrez jamais vous rattraper.
Northcutt continue Ă militer pour les droits des femmes, mis Ă mal aux Ătats-Unis lors de la prĂ©sidence de Trump.
Les tisserandes
Les tisserandes, dont beaucoup étaient navajos ou noires, les « Little Old Ladies » ont tressé les mémoires à tores de ferrite des missions Apollo. Elles avaient littéralement la vie des astronautes entre leurs mains.
Les RAM des ordinateurs des annĂ©es 1950 Ă 1975 Ă©taient le plus souvent des mĂ©moires Ă tores de ferrite. DâaprĂšs la notice de celles prĂ©sentĂ©es au musĂ©e du Conservatoire National des Arts et MĂ©tiers (CNAM) Ă Paris dans la photo ci-dessous :
elles sont encore utilisées lors de certaines missions spatiales car elles ne sont pas endommagées par les rayons cosmiques.

MĂ©moires Ă tores de ferrite du Gamma 60 dâune capacitĂ© de 512 octets, dĂ©but des annĂ©es 1960, musĂ©e du CNAM, Paris.
La fabrication de ces mĂ©moires ne pouvait pas ĂȘtre mĂ©canisĂ©e, elles Ă©taient donc tissĂ©es Ă la main. Et, Ă lâĂ©poque des missions Apollo les seules personnes qui avaient lâhabilitĂ© et la prĂ©cision digitale nĂ©cessaires pour le faire Ă©taient des femmes, surnommĂ©es les LOL et supervisĂ©es par les « rope mothers » (mĂšres des cordes), gĂ©nĂ©ralement des hommes, et dont la cheffe Ă©tait Margaret Hamilton. Ce travail extrĂȘmement critique, Ă©tait contrĂŽlĂ© par trois ou quatre personnes avant dâĂȘtre validĂ©. Il rĂ©clamait non seulement des ressources manuelles mais aussi des capacitĂ©s intellectuelles certaines pour ĂȘtre accompli correctement.
Quand, en 1975, un rapport de la NASA sur les missions Apollo sâextasiait, Ă juste titre, sur les systĂšmes informatiques dĂ©veloppĂ©s en mis en Ćuvre, il nĂ©gligeait complĂštement cet aspect essentiel. Les journalistes de cette Ă©poque, prĂ©sentaient la fabrication des mĂ©moires comme un travail ne nĂ©cessitant aucune rĂ©flexion ni aucune compĂ©tenceâŠ
Pour compléter
Les ordinateurs soviétiques
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SergeĂŻ A ; Lebedev, pĂšre de lâordinateur soviĂ©tique, Pierre Vandeginste, La Recherche, mensuel N°375, mai 2004, pour accĂ©der Ă lâarticle, il faut « lâacheter » en visionnant une publicitĂ©, le bouton qui permet cela ne se voit pas dans un Firefox avec un bloqueur de publicitĂ©, mais ça fonctionne bien avec Konqueror
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Les ordinateurs soviĂ©tiques : histoire obligĂ©e de trois dĂ©cennies, Yves LogĂ©, Revue dâĂ©tudes comparatives Est-Ouest AnnĂ©e 1987 18-4 pp. 53-75
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Il y a 50 ans : back in the USSR, Pierre Mounier-Kuhn, blog binaire, 24 janvier 2020
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PremiĂšre gĂ©nĂ©ration dâordinateurs (1936-1956), tout le site est en fait une histoire des calculatrices et des ordinateurs, Fabrice Auclert, 18 juillet 2019.
Missions Apollo
Lâexploration spatiale et les astronautes
Sur la journée Ada Lovelace et la place des femmes dans les carriÚres scientifiques et techniques
Excuse et paragraphes de la fin
Cette dĂ©pĂȘche paraĂźt assez tardivement aprĂšs la prĂ©cĂ©dente pour des raisons assez indĂ©pendantes de ma volontĂ© et incluant un piratage dâun de mes sites.
Ceci Ă©tant, un grand merci une fois de plus Ă vmagnin pour ses suggestions, notamment pour cette citation tirĂ©e dâune de ses lectures, Forces de la nature de François Lacombe, Anna Reser et Leila McNeil chez Belin :
Dans lâhistoire des sciences et des vols spatiaux, on constate que cette distinction nette Ă©tablie entre les tĂąches techniques et non techniques a Ă©tĂ© lâune des façons de marginaliser systĂ©matiquement les femmes.
Ce qui se vérifie amplement notamment avec les tisserandes des mémoires.
Comme de bien entendu, entre les recherches, lâĂ©criture et les commentaires de la dĂ©pĂȘche prĂ©cĂ©dente, il appert quâil y a un sujet connexe, celui de lâastronomie et de lâĂ©volution du mĂ©tier dâastronome et dâastrophysicienne qui mĂ©riterait dâĂȘtre traitĂ©. Ce qui sera fait, dâici la fin de lâannĂ©e. Et, si vous cherchez un sujet de mĂ©moire ou thĂšse, Ă mon avis le thĂšme des langages informatiques : naissance, diversitĂ©, histoire, pourquoi un langage trĂšs populaire finit par ĂȘtre abandonnĂ©, etc. pourrait ĂȘtre passionnant (si ça nâa pas dĂ©jĂ Ă©tĂ© fait). Peut-ĂȘtre quâun jour je vous infligerai un texte sur lâhistoire de lâinformatique soviĂ©tique (ou peut-ĂȘtre pas).