Du libre dans les Ă©coles belges avec NumEthic
Aujourdâhui, nous partons Ă la dĂ©couverte de NumEthic, une association belge qui Ćuvre pour promouvoir le libre notamment dans les Ă©coles.
Pour commencer, pouvez-vous nous présenter NumEthic ?
NumEthic est une association qui a pour but de promouvoir et de crĂ©er un espace de rĂ©flexions et de pratiques autour du numĂ©rique dans lâĂ©ducation et en particulier dans lâenseignement. Pour cela nous organisons et donnons des ateliers, des animations et formations autour de ce sujet. Nous voulons Ă©galement accompagner des Ă©coles dans la rĂ©flexion et la mise en place dâoutils informatiques libres.

Logo de NumEthic
Vous ĂȘtes une ASBL, pouvez-vous expliquer aux non-belges ce que cela signifie ?
Câest une Association Sans But Lucratif. Câest lâĂ©quivalent dâune association loi 1901 en France. Pour faire simple, sâil y a des bĂ©nĂ©fices liĂ©s Ă nos activitĂ©s, ils ne peuvent pas ĂȘtre distribuĂ©s aux membres de lâassociation. Ils doivent ĂȘtre rĂ©investis dans lâassociation.
NumEthic, votre nom dâassociation est clair. Mais, vous mettez quel sens exactement derriĂšre cette notion de « NumĂ©rique Ăthique » ?
Parce que nous avons une démarche démocratique et parce que nous nous sommes mal coordonnés ;-), voici ici et là deux réponses intéressantes et qui se complÚtent.
Ămilie : Nous le comprenons dans le sens dĂ©crit par Ăric Sadin, Ă savoir que lâĂ©thique Ă pour base de permettre « le respect inconditionnel de lâintĂ©gritĂ© et de la dignitĂ© humaine ». Ainsi, pour ĂȘtre Ă©thique, il faut permettre Ă toute personne dâexercer son jugement, de pouvoir dĂ©cider en conscience et sans ĂȘtre pris dans un quelconque engrenage marchand. Notre objectif est donc clairement de provoquer une dĂ©marche de questionnement par rapport aux usages que nous avons du numĂ©rique car aucune technologie nâest neutre comme le dĂ©fendait Jacques Ellul, que du contraire. Ă nos yeux, un numĂ©rique Ă©thique serait un numĂ©rique respectueux de lâintĂ©gritĂ© intellectuelle, morale, psychique de tout un chacun ; un numĂ©rique sobre et responsable qui se soucie des questions environnementales, dĂ©mocratiques, citoyennes, humainesâŠ
Manu : Câest une bonne question. Nous ne pensons pas quâil y a une rĂ©ponse simple et dĂ©finitive. Dâabord, parce que notre sociĂ©tĂ© et le numĂ©rique sont complexes et en mutations constantes, sâarrĂȘter Ă une rĂ©ponse, ce serait lâoublier. Ensuite, mĂȘme si nous partageons une culture relativement commune chaque situation, chaque relation entre une personne ou un groupe de personnes et un objet numĂ©rique est singuliĂšre. Les enjeux, les besoins et les dĂ©sirs ne sont pas les mĂȘmes. Notre volontĂ© est de mettre Ă disposition toute une sĂ©rie de repĂšres, de grilles de lecture pour que tout un chacun puisse dĂ©terminer, avec les valeurs qui sont les leurs, ce que devrait ĂȘtre un « numĂ©rique Ă©thique » dans leur contexte particulier. Dâailleurs, nous ne voyons pas le logiciel libre comme une fin en soi. Pour nous, câest non seulement un moyen dâĂ©mancipation, par la libertĂ© quâil procure aux utilisateurs, mais aussi une maniĂšre dâexpliciter, de mettre en Ă©vidence quâil y a un intĂ©rĂȘt Ă penser la relation que nous avons avec les logiciels, quâil y a des enjeux philosophiques, culturels, politiques et Ă©cologiques. Câest donc une super porte dâentrĂ©e pour y rĂ©flĂ©chir.

Tout le monde nâa pas la mĂȘme vision de lâĂ©thique ;-)
Vos actions ciblent principalement le monde de lâĂ©ducation. Pourquoi ce choix ?
Ămilie : Probablement parce que les fondateurs sont tous les deux des enseignants ;-) plus sĂ©rieusement, lâĂ©cole est un espace dâapprentissage et de dĂ©couverte. Ă lâheure oĂč elle est dĂ©sormais investie par les grandes multinationales de la tech pour rĂ©pondre Ă la « transition numĂ©rique » de lâenseignement, câest un devoir moral presque dâĂ©veiller les Ă©lĂšves (et les adultes de lâĂ©quipe Ă©ducative) aux enjeux du numĂ©rique -tant sociĂ©taux quâĂ©cologiques- et de leur proposer un panel dâoutils plus respectueux de leurs donnĂ©es personnelles. Cela rentre dans notre dĂ©marche dâĂ©ducation AU numĂ©rique, qui souhaite donner des clefs de comprĂ©hension de la culture numĂ©rique et de son impact sur lâorganisation de notre sociĂ©tĂ©.
Manu : Tous les membres actifs travaillent dâune maniĂšre ou dâune autre dans les Ă©coles que ce soit en tant quâenseignant, en tant que technicien en informatique ou les deux. Câest donc quelque chose que nous connaissons, oĂč nous avons de lâexpĂ©rience et un petit rĂ©seau. MĂȘme si la voie est libre, la route est longue, autant commencer par un chemin que nous connaissons un peu ;-).
Quel accueil reçoivent vos interventions de la part des enseignants ?
Ămilie : Certains sont curieux, intĂ©ressĂ©s voire dĂ©jĂ convaincus. Cependant, pour la majoritĂ©, le numĂ©rique nâest pas un enjeu, seulement un outil : ils et elles prĂ©fĂšrent alors rester dans la simplicitĂ© des systĂšmes dominants bien connus.
Manu : Ăa dĂ©pend vraiment des personnes et du sujet. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, câest difficile de ne pas faire le constat que le numĂ©rique est quasi omniprĂ©sent et quâil transforme notre sociĂ©tĂ© en profondeur, dâoĂč le besoin dây rĂ©flĂ©chir. Les enseignants sont assez sensibles Ă lâaspect « manipulation » des GAFAM vis-Ă -vis des jeunes, mais lâeffort nĂ©cessaire Ă la mise en place dâactions ou dispositif pĂ©dagogique bloque la majoritĂ© dâentre eux. Il faut savoir quâen Belgique francophone lâutilisation de Google ou Microsoft est encouragĂ© dans pas mal dâĂ©coles. Le systĂšme dâenseignement belge est composĂ© de plusieurs « rĂ©seaux ». Certains sont clairement pro-GAFAM, dâautres pas.
Et de la part des inspections (je ne sais pas si cela fonctionne comme cela en Belgique) ?
Nous avons des inspecteurs, mais ils sont lĂ pour vĂ©rifier le travail des enseignants. Jâimagine que ce nâest pas la mĂȘme fonction en France.
En France, rĂ©cemment, nous avons eu la chance de voir lâĂ©mergence de apps.education au niveau dâune branche du ministĂšre. Est-ce quâau niveau belge, il y a une volontĂ© ministĂ©rielle de mettre en avant le libre ?
Au niveau du ministĂšre, la volontĂ© est des plus molles pour mettre en place du libre. Il y a bien un accĂšs Ă une plateforme Moodle offerte Ă toutes les Ă©coles ou encore une utilisation assez importante de pix.org, mais câest malheureusement tout. Par ailleurs, il y a un dĂ©ni Ă©vident de nos politiciens vis-Ă -vis de la violation de la vie privĂ©e de la part des GAFAM. Câest donc difficile de faire bouger les lignes mĂȘme si nous ne dĂ©sespĂ©rons pas.
Arrivez-vous facilement Ă intervenir dans les Ă©coles ?
Ce nâest pas Ă©vident. En tant quâassociation, nous existons seulement depuis 2021. Pour le moment, câest principalement par le bouche-Ă -oreilles que nous avons accĂšs Ă des Ă©coles, et donc par des gens qui nous font dĂ©jĂ confiance.
Parmi vos objectifs prĂ©sents sur votre site, vous indiquez vouloir « privilĂ©gier la diversitĂ© de des outils ». Ne craignez vous pas que pour certaines personnes, avoir trop dâoutils diffĂ©rents ne soit pas un peu dĂ©stabilisant ?
Si une personne est seule face Ă tous ces outils, câest sĂ»r que ce sera dĂ©stabilisant. Câest pour ça que nous nâenvisageons pas les outils comme des « individus » hors de tout contexte, mais comme faisant partie dâune dynamique sociale, dâune communautĂ© sur laquelle les personnes pourront sâappuyer pour faire face Ă la complexitĂ© du monde numĂ©rique. Une communautĂ© qui pourra orienter les nouveaux venus quâils pourront intĂ©grer par la suite. Et par communautĂ©, jâentends NumEthic, Framasoft, les GULL, ceux autour dâun logiciel spĂ©cifique, etc.
Câest vous qui dĂ©marchez les Ă©tablissements ou ceux-ci vous contactent directement ?
Dans la grande majoritĂ© des cas, ce sont les Ă©tablissements qui viennent vers nous. Le peu de dĂ©marchage que nous avons fait nâa pas donnĂ© beaucoup de rĂ©sultats.
Quels sont vos souhaits, perspectives dâĂ©volutions pour NumEthic ?
Notre premier souhait, câest de faire plus dâateliers, dâanimations, dâaccompagnements dâĂ©cole et de faire grandir une communautĂ© autour du projet de NumEthic. Pour cela, nous aimerions engager quelquâun de maniĂšre permanente. Nous espĂ©rons Ă©galement faire plus de lobbying au niveau institutionnel. Et surtout rencontrer plein de chouettes gens :-).
Et pour finir, une petit question trollesque : pourquoi choisir une licence non libre (CC-BY-NC-SA) pour la publication sur votre site qui promeut les logiciels libres ?
Câest une chouette question, parce quâil met en Ă©vidence une certaine tension entre ce que nous dĂ©fendons en premier lieu, un numĂ©rique Ă©thique, et comment, en pratique, celui-ci prend forme avec les logiciels libres par exemple. Dans ce cas, câest la clause non-commerciale (NC) qui pose problĂšme. Une clause qui sâattarde sur lâaspect Ă©conomique que nous ne voudrions surtout pas mettre de cĂŽtĂ© pour penser lâĂ©thique du numĂ©rique. Nous ne voudrions dâailleurs pas tomber dans une vision Ă©thique « absolue », mais plutĂŽt « politique », câest-Ă -dire qui sâintĂ©resse Ă ce que cela produit chez celles et ceux qui la pratique, lâĂ©mancipation par exemple.
Pour ĂȘtre honnĂȘte, nous nâavons pas discutĂ© du choix de la licence. En Belgique, il y a beaucoup dâacteurs commerciaux, grands ou petits. Jâimagine que la clause NC nous permet juste de rĂ©sister Ă ce contexte et de nous dĂ©marquer en tant que petit acteur.

Troll par Thodor Kittelsen (un de premiers à avoir représenté des trolls)
Un grand merci Ă NumEthic dâavoir pris le temps de nous prĂ©senter leur association !