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Les nouvelles du samedi 20:42

Pour achever cette semaine, deux nouvelles de 2042 concoctées avec amour par les participant⋅es des ateliers #solarpunk #UPLOAD de l’Université Technologique de Compiègne (UTC).

En 2042, on rénove et on en profite pour faire autrement, que ce soit à la ville ou à la ferme !

Renaissance urbaine

Le soleil matinal traversait les grandes fenêtres du cours d’urbanisme de Monsieur Marcel, plongeant la salle dans une lumière dorée. L’Université Upload, pionnière dans l’éducation post-effondrement mondial, incarnait en 2042 un esprit de résilience et d’innovation. Ici, les étudiants apprenaient à reconstruire un monde déchiré, avec des principes de durabilité et d’indépendance.
Dans l’amphithéâtre, Apu, un jeune homme au regard pensif originaire de Mumbai, était scotché à son cahier. Les pages racontaient son voyage depuis les rues de sa ville natale, où il avait été témoin des impacts dévastateurs du changement climatique et de la surpopulation. Ces expériences l’avaient poussé vers la quête de solutions écologiques simples mais efficaces.
À l’autre bout de la salle, Stella, une étudiante venant de The Line en Arabie Saoudite, analysait les schémas urbains projetés sur l’écran. Issue d’une région marquée par des avancées technologiques, elle croyait en la puissance des solutions high-tech pour façonner l’avenir.

La voix de Monsieur Marcel brisa le silence.
« Bienvenue dans notre cours d’urbanisme durable ! Aujourd’hui, nous explorerons les défis de créer des espaces urbains indépendants et novateurs. »

Les regards d’Apu et Stella se croisèrent, marquant le début d’une collaboration improbable.
Le cours de Marcel, mélangeant théorie et pratique, encourageait les étudiants à penser au-delà des limites conventionnelles.
« Dans un monde où les ressources sont rares, nous devons être ingénieux » expliquait-il.
Son enseignement reflétait une philosophie qui valorisait l’équilibre entre la haute technologie et les approches low-tech.

Apu et Stella furent bientôt amenés à travailler ensemble sur un projet de rénovation écologique pour les dortoirs délabrés de l’université. Alors qu’ils s’asseyaient autour d’une table, Apu, animé par la conviction que des solutions simples pouvaient avoir un impact majeur, commença à partager son histoire.

« Stella, tu sais, à Mumbai, j’ai vu comment des matériaux locaux simples peuvent faire une différence dans la vie quotidienne. Les briques en terre crue, par exemple, sont abondantes et peuvent être produites localement, réduisant ainsi notre empreinte carbone. »
Stella, initialement sceptique, écouta attentivement les explications d’Apu tout en esquissant quelques notes sur son propre cahier.
« Les briques en terre crue peuvent être une alternative aux matériaux de construction conventionnels, » suggéra Apu, esquissant un plan sur son cahier. « Elles peuvent être produites localement, réduisant ainsi notre empreinte carbone. »
Stella répondit :
« C’est intéressant, Apu, mais il faut voir au-delà de la simplicité. Moi je verrais bien des panneaux solaire, des éoliennes qui se fondent dans l’architecture, et l’utilisation de l’énergie hydraulique par exemple avec un barrage. J’ai même pensé à utiliser le logiciel Heliodon pour simuler et visualiser le mouvement du soleil, et optimiser l’utilisation de la lumière solaire dans la conception des bâtiments. On pourrait même faire tourner le bâtiment avec le soleil, cela pourrait le rendre presque auto-suffisant. »

« Refurbished with passive house components, kindergarten in Estonia Valga » by Tõnu Mauring is licensed under CC BY 2.0.

 

Apu, intrigué par la vision audacieuse de Stella, sourit tout en continuant à dessiner sur son cahier.
« Je vois où tu veux en venir, Stella. Cependant, nous devons nous assurer que nos solutions sont réalistes et accessibles. Comment pouvons-nous intégrer ces technologies de manière à ce qu’elles soient durables et à la portée de tous ? »

Stella réfléchit un moment avant de répondre.
« Imaginons un bâtiment où l’architecture et la technologie solaire s’entremêlent. Des panneaux photovoltaïques ne sont plus simplement installés sur les toits, mais font partie intégrante des murs eux-mêmes. »

Apu, leva les yeux de son cahier : « Tu veux dire, transformer littéralement les murs en sources d’énergie ? »

« Exactement ! Les façades des bâtiments pourraient non seulement créer leur propre électricité mais aussi devenir des éléments esthétiques. Cela pourrait redéfinir notre approche de l’architecture durable. »

« Je comprends. Les murs pourraient absorber l’énergie solaire tout au long de la journée, réduisant la dépendance aux énergies traditionnelles. Ça pourrait vraiment changer la donne. »

Stella acquiesça. « Et il y a plus. Si on intègre intelligemment ces panneaux, on pourrait non seulement produire de l’énergie, mais aussi contrôler l’éclairage naturel et la température à l’intérieur des bâtiments. C’est comme donner vie aux murs ! »

À travers leur échange Abu et Stella découvraient le concept de bâtiment passif. Une construction économe en énergie minimisant ses consommations.

Au fil du temps, les tensions entre Apu et Stella s’étaient apaisées, laissant place à une amitié mutuelle et à une compréhension commune. Leur projet prenait forme, et devenait un exemple de coexistence entre technologie avancée et méthodes traditionnelles. Stella et Apu, après des heures de débat passionné dans la salle de classe, décidèrent qu’il était temps de partager leur vision avec le reste de l’Université Upload.

En entrant dans l’Agora, ils furent accueillis par une mosaïque de sons et de couleurs. Ce lieu, conçu comme un amphithéâtre, était un espace où se mêlaient tradition et innovation. Les pièces étaient bondées d’étudiants issus de plusieurs horizons, débattant entre eux et partageant leur sondages d’opinion, tandis que le centre était dominé par une scène circulaire.

Des groupes d’étudiants et de professeurs s’y rencontraient, discutant et partageant des idées. Au plafond, une structure de verre laissait filtrer la lumière naturelle, illuminant des jardins suspendus qui ajoutaient une touche de verdure à l’environnement technologique.

Stella et Apu, impressionnés mais déterminés, se frayèrent un chemin à travers la foule jusqu’à la scène. Ils montèrent sur la scène, sous les yeux curieux de leurs camarades. Apu prit la parole en premier, sa voix résonnant dans l’amphithéâtre :

« Chers amis, nous sommes ici pour partager une vision qui combine le meilleur de deux mondes… »

Alors qu’ils présentaient leur projet de rénovation des dortoirs, combinant les briques en terre crue et les panneaux photovoltaïques, un projecteur derrière eux affichait des simulations 3D de leurs concepts. Leurs mots étaient ponctués par des images de dortoirs transformés, de murs qui captaient l’énergie solaire et de jardins verts sur les toits.

Leurs idées furent accueillies avec un mélange d’étonnement et d’admiration. Les étudiants autour d’eux commencèrent à discuter, à poser des questions, à offrir des suggestions.

Ce jour-là, Stella et Apu ne furent pas seulement des étudiants présentant un projet. Ils étaient les porte-paroles d’une nouvelle ère, où la technologie et la tradition pouvaient coexister pour créer un avenir durable.

Monsieur Marcel, dans sa dernière leçon, regarda ses étudiants avec fierté.
« Vous avez démontré que, même dans un monde fragmenté, l’unité des idées et le respect mutuel peuvent créer des espaces qui non seulement survivent mais prospèrent. »
Apu et Stella, autrefois aux idées opposées, avaient appris la valeur de l’écoute et de l’adaptation. Leurs efforts avaient non seulement rénové les dortoirs, mais avaient aussi éclairé la voie vers un avenir urbain plus durable et inclusif.

Ce texte a été écrit par : Vilela Noah, Diker Amin et Kechid Lyam. et co-écrit par Numa Hell

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA 4.0

 

Bibliographie

Passoire thermique

DPE

 

Bâtiments passifs

Un bâtiment passif est une construction économe en énergie, conçue pour minimiser la consommation de chauffage, de climatisation et de ventilation. Il intègre une isolation thermique élevée, une étanchéité à l’air, une ventilation contrôlée, des sources d’énergie renouvelable, une orientation optimale, des fenêtres à haute performance et des matériaux à faible empreinte carbone. L’objectif est de réduire la dépendance aux systèmes énergétiques conventionnels, contribuant ainsi à la durabilité environnementale.

GUILLEMOT, Olivier. « Le bâtiment passif, sans chauffage ou presque ». XPair, 4 juillet 2019, https://conseils.xpair.com/actualite_experts/batiment-passif-sans-chauffage.htm

 

Conductivité thermique

Les caractéristiques physiques clés pour une bonne isolation thermique sont principalement une faible conductivité thermique et, dans certains cas, une bonne masse thermique.
Les matériaux traditionnels de façade comme la pierre et le béton ont une bonne inertie thermique mais ne sont pas les meilleurs isolants thermiques. Ainsi, des systèmes d’isolation additionnels sont souvent utilisés en conjonction avec ces matériaux ( Exemple : Façade Ventilée)

 

Logiciel Heliodon

C’est un logiciel qui permet d’étudier les trajets solaires en tout lieu de la surface terrestre et d’analyser l’incidence de la lumière solaire directe, ainsi que de la lumière diffuse du ciel, sur n’importe quelle construction ou zone urbaine, en tenant compte des obstructions produites par d’autres édifices ou obstacles naturels. Heliodon 2 – UTeam. https://uteam.fr/offres/heliodon-2. Consulté le 16 janvier 2024.

 

Albédo

C’est le pouvoir réfléchissant d’une surface, c’est-à-dire le rapport du flux d’énergie lumineuse réfléchie au flux d’énergie lumineuse incidente. C’est une grandeur sans dimension.

« Albédo ». Wikipédia, 18 novembre 2023, https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Albédo&oldid=209733578.

 

Lowtechisation

La low-tech désigne tout type de produits, de services, de procédés ou autres systèmes permettant, via une transformation technique, organisationnelle et culturelle, le développement de nouveaux modèles de société intégrant, dans leurs principes fondamentaux, les exigences de durabilité forte et de résilience collective

« Low-tech ». Wikipédia, 12 janvier 2024, https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Low-tech&oldid=211451282.

 

Technosolutionnisme

C’est la confiance dans la technologie pour résoudre un problème souvent créé par des technologies antérieures. « Technosolutionnisme ». Wikipédia, 3 décembre 2023, https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Technosolutionnisme&oldid=210223957.

Earth 2050 : A glimpse into the future | Kaspersky. https://2050.earth/users/artem-khorchev. Consulté le 19 janvier 2024.


La réno pour les rollots

Pierrette, femme énergique et engagée, jongle entre son rôle de mère, son poste à l’UPLOAD de Compiègne et son engagement pour un mode de vie durable. Résidant dans un écoquartier, elle apprécie chaque jour la nature environnante, se déplaçant en vélo cargo pour réduire son empreinte écologique. Chaque matin, à 8h20, elle dépose ses enfants, Léo et Léa, à la Maison d’Assistantes Maternelles (MAM) de l’écoquartier, avant de se rendre à son travail.

Son bureau à l’Université, un espace ouvert végétalisé, reflète ses convictions écologiques profondes. Responsable de projets depuis 14 ans, Pierrette est au cœur de l’innovation en matière de développement durable. Elle doit sélectionner des sujets d’étude qui permettent aux étudiants d’acquérir des connaissances tout en rendant service à la communauté locale. Ces projets génèrent également des fonds pour le fonctionnement de l’université.

Le 2 octobre 2042, après son arrivée au bureau, Pierrette consulte la plateforme Viv’Compi, une instance locale de Mastodon qui héberge les appels d’offres des habitants de Compiègne. Parmi eux, l’appel de Joël Dumasil, exploitant agricole spécialisé dans l’élevage de bovins, retient son attention. Il souhaite rénover un vieux corps de ferme pour créer un espace de stockage et de vente, promouvant ainsi le circuit court pour ses produits. Intriguée par cette initiative locale et écologique, Pierrette décide de le contacter.

— Allô, bonjour. Ici Pierrette Chénier, responsable projet à l’université UPLOAD. Je vous contacte suite au message que vous avez posté pour la rénovation de votre corps de ferme. Pouvez-vous m’en dire un peu plus ?

— Bonjour M’dame. Ouais je suis fermier. J’veux refaire mon vieux corps de ferme. Comme la nouvelle boutique de vente de produit laitier à Creil là.

— Oui… je vois… mais quel genre de produits laitiers envisagez-vous de vendre ?

— Euh ben, je suis dans l’élevage bovin et la production de lait. Mais ça devient dur et j’aimerais bien transformer une partie de mon vieux corps de ferme en un endroit sympa où les gens pourront acheter du fromage, du lait frais et du maroilles ou d’la tome au cidre.

En plus de tout cas, j’prévois aussi d’avoir un coin pour avoir du stock Tout ça, pour mettre en place du circuit court. Ça m’permettrait aussi de vendre les rollots que j’fais à plus juste prix.

— Très bien, c’est un projet qui conviendra bien à nos étudiants en dernière année, ils pourront voir ça avec vous dès le…

Joël coupe la parole brutalement à Pierrette.

— Je t’arrête tout de suite m’dame, j’pense pas que ce genre de projet puisse être confié à des gamins étudiants. Faut des têtes bien pleines, des gens qui savent faire des calculs de structure, thermique et autres. J’ai pas envie que mon bâtiment tombe sur la tête des clients ou que mes fromages tournent.

— Je comprends que vous soyez réticent, mais je vous assure que nos étudiants sont encadrés par des enseignants compétents et professionnels. Nous avons ici à l’université des experts en conception de bâtiments, au fait des dernières normes de sécurité alimentaire. Le mieux c’est que vous les rencontriez pour leur expliquer ce que vous souhaitez exactement, d’accord ?

— J’suis pas totalement convaincu, mais ça coûte rien de se rencontrer. Quand est—ce qu’on pourrait avoir un rendez-vous ?

— Je vous propose de se rencontrer demain à 9h sur le site de l’université.

— Très bien. À d’main.

Rollot de Marchélepot (Somme) Par Bycro — Travail personnel, CC BY-SA 4.0

 

Pierrette convoque ensuite Maxime dans son bureau pour préparer cette entrevue. C’est un élève de cinquième année, chef des projets de sa promo. Très apprécié par ses professeurs et ses camarades, il s’investit beaucoup dans la vie de son école. Adepte de la course à pied, il organise dès qu’il le peut des courses caritatives pour venir en aide aux plus démunis.

— Bonjour Maxime, Dis-moi, nous avons un éleveur qui veut transformer un vieux corps de ferme en espace de stockage et de vente en circuit court. Ce monsieur… euh Joël Dumasil… a de belles ambitions, mais ça nécessiterait une rénovation complète. C’est typiquement la taille de projet que tu peux encadrer, et ce serait une bonne initiative pour la certification de ton groupe.

— Merci ! Mais tout d’abord, je vérifierai la présence d’amiante. Dans les constructions des années 80, c’est fréquent. Je suggère de poser des questions spécifiques à Joël sur ce point pour éviter des complications coûteuses.

— Bonne idée. Tu vois d’autres points importants à étudier ?

— L’accessibilité est souvent négligée, mais cela peut changer un projet. je vais voir ça avec des étudiants de 4e année qui ont bossé là-dessus. On pourrait aussi déléguer certaines tâches aux étudiants de première année pour les impliquer davantage, et les heures supplémentaires compteront comme des TVO1 pour eux, ça devrait les motiver.

—  Parfait, s’exclame Pierrette. Alors réunion ici demain avec notre éleveur.

 

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Le lendemain, Pierrette a demandé a déposé Léo et Léa à la MAM avant de se rendre dans la salle de réunion. Au RER2 elle récupère du café et quelques parts de moelleux aux pommes cuisiné sur place pour le petit déjeuner des étudiants et de l’administration. Eh oui, à l’UPLOAD, il y a des élèves qui savent pâtisser en plus de cuisiner de succulentes ratatouilles avec les bons légumes frais qu’ils cultivent.

Maxime arrive, il a eu un réveil un peu difficile et il apprécie le petit déjeuner.

— Eh bien hier soir à l’internat, j’ai discuté tard dans la nuit avec Kevin et on a parlé de l’accessibilité du point de vente pour les personnes à mobilité réduite (PMR). Sa petite sœur s’est retrouvée en fauteuil roulant pendant une courte période. Il m’a expliqué qu’avant il n’en avait pas conscience, mais que beaucoup d’endroits ne sont pas encore accessibles aux PMR. Je savais que les bâtiments accueillant du public doivent se mettre « aux normes », mais je n’avais pas vraiment conscience de toutes les difficultés que ça entraînait. Alors j’ai fait quelques recherches avec Solar’IA. C’est chouette cette intelligence artificielle une fois qu’on l’a en main ! J’ai gagné pas mal de temps pour pointer les trucs essentiels.

— J’ai par exemple découvert que cette histoire d’accessibilité aux PMR était régi par une norme précise, l’AFNOR NF P98-351. J’ai réussi à y accéder depuis le portail de l’UPLOAD et j’ai pu la survoler pour me faire une petite idée de l’ampleur des exigences à respecter. Heureusement pour moi qu’internet fonctionne entre 22h et 6h !

Bon, je vais aborder ce point en priorité avec lui, car ça peut changer toute la mobilité au sein des espaces. Par exemple, il faut, selon la norme, a minima des portes d’une largeur de 1,20m et ainsi qu’une rampe d’accès inclinée à 5 % de cette même largeur.

À cet instant, Joël, apprêté pour l’occasion, franchit l’entrée de l’UPLOAD et Pierrette l’accueille.
— Vous êtes monsieur Dumasil ? C’est moi que vous avez eu au téléphone,
— Enchanté M’dame, vous pouvez m’appeler Joël et me tutoyer.
— Très bien, j’essayerai d’y veiller. Je te présente Maxime, un élève de cinquième année, il encadrera le projet.
Maxime lui tend une main qu’il espère ferme et assurée :
— Bonjour monsieur, ravi de vous rencontrer !
Joël, lui rend une poignée de main vigoureuse :
— Enchanté !
Pierrette les conduit dans un bureau et la discussion s’engage assez vite. Méfiant, Joël ne peut se retenir de lancer à Maxime :
— T’as pensé à l’amiante qu’il y a dans mon corps de ferme ?
Avec un sourire, Maxime le rassure :
— Dès la réception de votre appel d’offre, nous avons pensé à sa potentielle présence d’amiante dans votre bâtiment, des étudiant⋅es de l’UPLOAD ont déjà désamianté de vieux bâtiments. Pouvez-vous me rappeler de quelle année date le vôtre ?

Maxime a son idée derrière la tête, car il a déjà fait un projet de rénovation de bâtiment. Il sait très bien que la poussière d’amiante est très fine et donc dangereuse pour les êtres vivants. Il explique donc le détail à Joël : un protocole très strict sera imposé. Les ouvriers installeront une zone de sécurité autour du bâtiment et bâcheront toutes les ouvertures afin de retenir la poussière. Après quoi l’équipe possédant les habilitations amiante SS3 et SS4 installera une cabine à l’entrée du bâtiment dans laquelle les ouvriers s’équiperont d’une combinaison intégrale et de masques FFP3. Au final, les parties amiantées retirées seront mises en sacs étanches pour finir en centre d’enfouissement.

— Il a été construit dans les années 80 par mon arrière-grand-père. Il est en briques rouges, sur une dalle en béton. J’peux te dire que ce bâtiment a bien vécu, mon ami, tu l’verras à l’état des murs qui s’affaissent sous l’poids de la toiture. Elle a pris la flotte, elle est percée de partout…

Il s’interrompt, saisit un carnet dans sa poche et se met à chercher…

— J’note tout pour rien oublier. Alors… Bon j’suis pas embêtant sur la manière de réaliser les travaux, mais j’veux réutiliser un maximum de matériaux pour que ça coûte moins cher…

— On est d’accord pour le recyclage et le réemploi des matériaux, enchaîne Maxime.

— Oui par exemple, j’ai une poutre porteuse dans l’hangar, je pense qu’avec les prix du bois de plus en plus chers, j’peux la réutiliser pour la structure. En plus à vot’Radio Padakor ils ont dit, faut faire gaffe à ça, peut y a voir des accidents…

— Alors monsieur Dujardin c’est sans problème pour certains éléments de votre bâtiment, mais pour votre poutre ce n’est pas possible. Je suis désolé, mais les assurances ne valident pas ça, par risque que les résistances soient modifiées. Mais ne vous en faites pas, on va essayer de réutiliser au maximum vos matériaux. Par exemple, votre poutre, on pourrait en faire un comptoir pour le point de vente. Il suffirait de la scier correctement, de la poncer puis de la vernir.

— Ah mais, c’est que tu t’y connais bien finalement ! Si tu veux, j’ai quelques copains du temps où j’étais à l’école du bois, avant de reprendre la ferme de mon père… J’peux te les présenter. C’est des experts en charpente, des as ces gars-là. On pourrait les faire venir pour jeter un coup d’œil à la poutre et discuter des possibilités de rénovation.

Joël s’animait en parlant de ses souvenirs, évoquant les compétences spécifiques de chacun et les projets réalisés dans leur centre de formation. Ses yeux brillaient à l’évocation de ce qui avait été visiblement un formidable moment de sa vie.

— C’est des gars géniaux, passionnés par leur travail. Ce que j’adore chez eux c’est qu’ils travaillent localement, ils utilisent seulement le bois qui pousse dans l’Oise, il y a rien de tel que des résineux, sapins ou épicéas. Et ils respectent les cycles : ils coupent uniquement des arbres matures et veillent à en laisser suffisamment pour la régénération naturelle du domaine forestier… Sergueï, lui c’est mon meilleur pote. Il vient de Russie et il nous a montré des superbes techniques pour sculpter l’bois. J’me souviens il avait fait une colombe ou on voyait chaque plume, pour l’élu de son cœur, André, et aujourd’hui ils ont adopté 2 enfants ! Que ça passe vite… M’enfin, il pourrait sûrement faire quelque chose d’original qu’on remarquerait directement en passant la porte de la boutique…

Y’a aussi son associé Stefano, charpentier de génération en génération. Si on a un doute, on pourra faire appel à son père, Fabio, il est incollable. J’ai tout le matos dont on aura besoin à la maison pour s’occuper de ça : un établi, une scie circulaire robuste, une ponceuse et même du vernis écologique, ça sera déjà ça d’moins à prévoir dans le devis.

Photo pxhere.com licence CC0

 

Maxime, captivé par ces aspects du projet, ajoute :

— On a aussi pensé à une idée pour attirer plus de monde. En installant des portes larges et un rampe d’accès depuis un parking adapté, les personnes en fauteuil roulant pourraient profiter de vos produits. On ne va pas trop rentrer plus dans le détail aujourd’hui, mais vous voyez l’idée. Je vais demander à mes camarades compétents dans le domaine et on viendra directement évaluer tous les travaux sur place. Vous êtes d’accord pour nous recevoir ?

— Alors là Maxime, ça me touche que tu penses tout de suite au handicap. J’suis si heureux de voir comme les mentalités ont changé, c’était pas si évident à mon époque…

Sinon, j’suis tous les jours à ma ferme, et si j’y suis pas, j’suis dans mon tracteur. Venez quand vous voulez, y’aura quelqu’un pour vous accueillir les bras grand ouverts.

Mais n’oublie pas que j’ai une limite de prix. C’est pas possible pour moi que les frais dépassent mon budget. J’ai eu une généreuse prime de l’agora de Crépy-en-Valois pour rénover mon vieux bâtiment mais j’pourrais pas ajouter des mille et des cents.

— Joël, intervient Pierrette, ne vous en faites pas trop pour le prix, nous respecterons votre budget. Je voudrais également préciser que nos étudiants interviendront uniquement dans la déconstruction-reconstruction du bâti et non pas dans l’aménagement proprement dit, il ne s’occuperont donc pas de la mise en place de votre matériel.

— Oui, ben évidemment, j’m’occupe moi-même du matos pour la fabrication du fromage.

— Voilà ! Super, conclut Maxime, nous sommes d’accord… Je vais m’occuper du recrutement puis nous conviendrons d’un créneau pour venir sur votre exploitation. Merci de votre venue.

Joël se lève de sa chaise :
— Avec plaisir ! Maxime, par contre les prochaines fois, tutoie-moi, pas de gêne entre nous gamin, on va travailler ensemble. Et merci Pierrette d’avoir pris le temps d’étudier mon projet.

Texte sous licence CC-BY-SA.
Autrices et auteurs : Gros Arthur, Pinabiaux Luka, Poirier Aglaé, Rivière Auguste.

 

BIBLIOGRAPHIE

Réglementation autour du désamiantage

Une feuille de route pour le traitement des déchets amiantés, CGEDD CGE de l’économie et du développement durable N° 013959-01, https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/cge/dechets-amiante.pdf
Amiot-Than-Trong Yvette. L’amiante. In : Droit et Ville, tome 46, 1998. pp. 213-222. DOI : https://doi.org/10.3406/drevi.1998.1479 https://persee.fr/doc/drevi_0396-4841_1998_num_46_1_1479

Contamination des sols par l’exploitation agricole

  • Cours / UTC / UB09 / Procédés de traitement des polluantes dans les sols A23 (Edvina Lamy)
  • Vincent Chatellier. L’élevage bovin et l’environnement en France : le diagnostic justifie-t-il des alternatives techniques ?. Productions Animales, 2003, 16 (4), pp.231-249. ffhal-02678699ff (augmentation des teneurs en nitrates et en phosphore des eaux, émission de gaz à effet de serre)

 

  • Norme AFNOR NF U 44 551, version Mai 2002. Supports de culture : Dénominations, spécifications, marquage.
  • Déconstruction : Cours / UTC / AP / Éco circulation P23 (Fabien Lamarque et Nathalie Molines)

Accès PMR

Norme AFNOR NF P98-351, version Août 2021. Cheminements — Insertion des personnes handicapées — Éveil de vigilance — Caractéristiques, essais et règles d’implantation des dispositifs podotactiles au sol d’éveil de vigilance à l’usage des personnes aveugles ou malvoyantes

David Revoy, un artiste face aux IA génératives

Depuis plusieurs années, Framasoft est honoré et enchanté des illustrations que lui fournit David Revoy, comme sont ravi⋅es les lectrices et lecteurs qui apprécient les aventures de Pepper et Carrot et les graphistes qui bénéficient de ses tutoriels. Ses créations graphiques sont sous licence libre (CC-BY), ce qui est un choix courageux compte tenu des « éditeurs » dépourvus de scrupules comme on peut le lire dans cet article.

Cet artiste talentueux autant que généreux explique aujourd’hui son embarras face aux IA génératives et pourquoi son éthique ainsi que son processus créatif personnel l’empêchent de les utiliser comme le font les « IArtistes »…

Article original en anglais sur le blog de David Revoy

Traduction : Goofy, révisée par l’auteur.

Intelligence artificielle : voici pourquoi je n’utiliserai pas pour mes créations artistiques de hashtag #HumanArt, #HumanMade ou #NoAI

par David REVOY

 

Pepper sur une chaise entourée de flammes, reprise d'un célèbre mème "this is fine"

Image d’illustration : « This is not fine », licence CC-BY 4.0, source en haute résolution disponible

« C’est cool, vous avez utilisé quel IA pour faire ça ? »

« Son travail est sans aucun doute de l’IA »

« C’est de l’art fait avec de l’IA et je trouve ça déprimant… »

… voilà un échantillon des commentaires que je reçois de plus en plus sur mon travail artistique.

Et ce n’est pas agréable.

Dans un monde où des légions d’IArtistes envahissent les plateformes comme celles des médias sociaux, de DeviantArt ou ArtStation, je remarque que dans l’esprit du plus grand nombre on commence à mettre l’Art-par-IA et l’art numérique dans le même panier. En tant qu’artiste numérique qui crée son œuvre comme une vraie peinture, je trouve cette situation très injuste. J’utilise une tablette graphique, des layers (couches d’images), des peintures numériques et des pinceaux numériques. J’y travaille dur des heures et des heures. Je ne me contente pas de saisir au clavier une invite et d’appuyer sur Entrée pour avoir mes images.
C’est pourquoi j’ai commencé à ajouter les hashtags #HumanArt puis #HumanMade à mes œuvres sur les réseaux sociaux pour indiquer clairement que mon art est « fait à la main » et qu’il n’utilise pas Stable Diffusion, Dall-E, Midjourney ou n’importe quel outil de génération automatique d’images disponible aujourd’hui. Je voulais clarifier cela pour ne plus recevoir le genre de commentaires que j’ai cités au début de mon intro. Mais quel est le meilleur hashtag pour cela ?

Je ne savais pas trop, alors j’ai lancé un sondage sur mon fil Mastodon

sondage sur le fil mastodon de David : Quel hashtag recommanderiez-vous à un artiste qui veut montrer que son art n'est paz créé par IA ? réponses : 55% #HumanMade 30% #Human Art 15% Autre (commentez)

Source : https://framapiaf.org/@davidrevoy/110618065523294522

Résultats

Sur 954 personnes qui ont voté (je les remercie), #HumanMade l’emporte par 55 % contre 30 % pour #HumanArt. Mais ce qui m’a fait changer d’idée c’est la diversité et la richesse des points de vue que j’ai reçus en commentaires. Bon nombre d’entre eux étaient privés et donc vous ne pouvez pas les parcourir. Mais ils m’ont vraiment fait changer d’avis sur la question. C’est pourquoi j’ai décidé de rédiger cet article pour en parler un peu.

Critiques des hashtags #HumanMade et #HumanArt

Tout d’abord, #HumanArt sonne comme une opposition au célèbre tag #FurryArt de la communauté Furry. Bien vu, ce n’est pas ce que je veux.

Et puis #HumanMade est un choix qui a été critiqué parce que l’IA aussi était une création humaine, ce qui lui faisait perdre sa pertinence. Mais la plupart des personnes pouvaient facilement comprendre ce que #HumanMade signifierait sous une création artistique. Donc 55 % des votes était un score cohérent.

J’ai aussi reçu pas mal de propositions d’alternatives comme #HandCrafted, #HandMade, #Art et autres suggestions.

Le succès de #NoAI

J’ai également reçu beaucoup de suggestions en faveur du hashtag #NoAI, ainsi que des variantes plus drôles et surtout plus crues. C’était tout à fait marrant, mais je n’ai pas l’intention de m’attaquer à toute l’intelligence artificielle. Certains de ses usages qui reposent sur des jeux de données éthiques pourraient à l’avenir s’avérer de bons outils. J’y reviendrai plus loin dans cet article.
De toutes façons, j’ai toujours essayé d’avoir un état d’esprit « favorable à » plutôt que « opposé à » quelque chose.

C’est aux artistes qui utilisent l’IA de taguer leur message

Ceci est revenu aussi très fréquemment dans les commentaires. Malheureusement, les IArtistes taguent rarement leur travail, comme on peut le voir sur les réseaux sociaux, DeviantArt ou ArtStation. Et je les comprends, vu le nombre d’avantages qu’ils ont à ne pas le faire.

Pour commencer, ils peuvent se faire passer pour des artistes sans grand effort. Ensuite, ils peuvent conférer à leur art davantage de légitimité à leurs yeux et aux yeux de leur public. Enfin, ils peuvent probablement éviter les commentaires hostiles et les signalements des artistes anti-IA des diverses plateformes.
Je n’ai donc pas l’espoir qu’ils le feront un jour. Je déteste cette situation parce qu’elle est injuste.
Mais récemment j’ai commencé à apprécier ce comportement sous un autre angle, dans la mesure où ces impostures pourraient ruiner tous les jeux de données et les modèles d’apprentissage : les IA se dévorent elles-mêmes.

Quand David propose de saboter les jeux de données… :-P 

Pas de hashtag du tout

La dernière suggestion que j’ai fréquemment reçue était de ne pas utiliser de hashtag du tout.
En effet, écrire #HumanArt, #HumanMade ou #NoAI signalerait immédiatement le message et l’œuvre comme une cible de qualité pour l’apprentissage sur les jeux de données à venir. Comme je l’ai écrit plus haut, obtenir des jeux de données réalisées par des humains est le futur défi des IA. Je ne veux surtout pas leur faciliter la tâche.
Il m’est toujours possible d’indiquer mon éthique personnelle en écrivant « Œuvre réalisée sans utilisation de générateur d’image par IA qui repose sur des jeux de données non éthiques » dans la section d’informations de mon profil de média social, ou bien d’ajouter simplement un lien vers l’article que j’écris en ce moment même.

Conclusion et considérations sur les IA

J’ai donc pris ma décision : je n’utiliserai pour ma création artistique aucun hashtag, ni #HumanArt, ni #HumanMade, ni #NoAI.
Je continuerai à publier en ligne mes œuvres numériques, comme je le fais depuis le début des années 2000.
Je continuerai à tout publier sous une licence permissive Creative Commons et avec les fichiers sources, parce que c’est ainsi que j’aime qualifier mon art : libre et gratuit.

Malheureusement, je ne serai jamais en mesure d’empêcher des entreprises dépourvues d’éthique de siphonner complètement mes collections d’œuvres. Le mal est en tout cas déjà fait : des centaines, voire des milliers de mes illustrations et cases de bandes dessinées ont été utilisées pour entraîner leurs IA. Il est facile d’en avoir la preuve (par exemple sur haveibeentrained.com  ou bien en parcourant le jeu de données d’apprentissage Laion5B).

Je ne suis pas du tout d’accord avec ça.

Quelles sont mes possibilités ? Pas grand-chose… Je ne peux pas supprimer mes créations une à une de leur jeu de données. Elles ont été copiées sur tellement de sites de fonds d’écran, de galeries, forums et autres projets. Je n’ai pas les ressources pour me lancer là-dedans. Je ne peux pas non plus exclure mes créations futures des prochaines moissons par scans. De plus, les méthodes de protection comme Glaze me paraissent une piètre solution au problème, je ne suis pas convaincu. Pas plus que par la perspective d’imposer des filigranes à mes images…

Ne vous y trompez pas : je n’ai rien contre la technologie des IA en elle-même.On la trouve partout en ce moment. Dans le smartphones pour améliorer les photos, dans les logiciels de 3D pour éliminer le « bruit » des processeurs graphiques, dans les outils de traduction [N. de T. la présente traduction a en effet été réalisée avec l’aide DeepL pour le premier jet], derrière les moteurs de recherche etc. Les techniques de réseaux neuronaux et d’apprentissage machine sur les jeux de données s’avèrent très efficaces pour certaines tâches.
Les projets FLOSS (Free Libre and Open Source Software) eux-mêmes comme GMIC développent leurs propres bibliothèques de réseaux neuronaux. Bien sûr elles reposeront sur des jeux de données éthiques. Comme d’habitude, mon problème n’est pas la technologie en elle-même. Mon problème, c’est le mode de gouvernance et l’éthique de ceux qui utilisent de telles technologies.

Pour ma part, je continuerai à ne pas utiliser d’IA génératives dans mon travail (Stable Diffusion, Dall-E, Midjourney et Cie). Je les ai expérimentées sur les médias sociaux par le passé, parfois sérieusement, parfois en étant impressionné, mais le plus souvent de façon sarcastique .

Je n’aime pas du tout le processus des IA…

Quand je crée une nouvelle œuvre, je n’exprime pas mes idées avec des mots.
Quand je crée une nouvelle œuvre, je n’envoie pas l’idée par texto à mon cerveau.

C’est un mixage complexe d’émotions, de formes, de couleurs et de textures. C’est comme saisir au vol une scène éphémère venue d’un rêve passager rendant visite à mon cerveau. Elle n’a nul besoin d’être traduite en une formulation verbale. Quand je fais cela, je partage une part intime de mon rêve intérieur. Cela va au-delà des mots pour atteindre certaines émotions, souvenirs et sensations.
Avec les IA, les IArtistes se contentent de saisir au clavier un certains nombre de mots-clés pour le thème. Ils l’agrémentent d’autres mots-clés, ciblent l’imitation d’un artiste ou d’un style. Puis ils laissent le hasard opérer pour avoir un résultat. Ensuite ils découvrent que ce résultat, bien sûr, inclut des émotions sous forme picturale, des formes, des couleurs et des textures. Mais ces émotions sont-elles les leurs ou bien un sous-produit de leur processus ? Quoi qu’il en soit, ils peuvent posséder ces émotions.

Les IArtistes sont juste des mineurs qui forent dans les œuvres d’art générées artificiellement, c’est le nouveau Readymade numérique de notre temps. Cette technologie recherche la productivité au moindre coût et au moindre effort. Je pense que c’est très cohérent avec notre époque. Cela fournit à beaucoup d’écrivains des illustrations médiocres pour les couvertures de leurs livres, aux rédacteurs pour leurs articles, aux musiciens pour leurs albums et aux IArtistes pour leurs portfolios…

Je comprends bien qu’on ne peut pas revenir en arrière, ce public se sent comme empuissanté par les IA. Il peut finalement avoir des illustrations vite et pas cher. Et il va traiter de luddites tous les artistes qui luttent contre ça…

Mais je vais persister ici à déclarer que personnellement je n’aime pas cette forme d’art, parce qu’elle ne dit rien de ses créateurs. Ce qu’ils pensent, quel est leur goût esthétique, ce qu’ils ont en eux-mêmes pour tracer une ligne ou donner tel coup de pinceau, quelle lumière brille en eux, comment ils masquent leurs imperfections, leurs délicieuses inexactitudes en les maquillant… Je veux voir tout cela et suivre la vie des personnes, œuvre après œuvre.

J’espère que vous continuerez à suivre et soutenir mon travail artistique, les épisodes de mes bandes dessinées, mes articles et tutoriels, pour les mêmes raisons.


Vous pouvez soutenir la travail de David Revoy en devenant un mécène ou en parcourant sa boutique.

Échirolles libérée ! La dégooglisation (4)

Dans ce quatrième volet du processus de dégooglisation de la ville d’Échirolles (si vous avez manqué le début) Nicolas Vivant aborde le complexe problème de la fracture numérique, qui demande d’aller au-delà de la médiation pour trouver des structures et des moyens adaptées aux pratiques diverses des citoyens : la stratégie numérique doit aller de pair avec l’action sociale.


Dégooglisation d’Échirolles, partie 4 : l’inclusion numérique

La fracture numérique : un symptôme parmi d’autres

Avec 36 % de logements sociaux et 3 quartiers « politique de la ville » Échirolles est, sans nul doute, une ville populaire. Plusieurs études sur les difficultés liées au numérique ont été réalisées sur notre territoire : l’une par notre CCAS (2019), l’autre par un cabinet indépendant (2020-2021). Si elles n’ont pas montré de situation spécifique à notre commune, elles ont permis de mesurer l’étendue des problématiques qu’il est indispensable de travailler.

Quelles sont les populations qui rencontrent des difficultés avec le numérique ?

  • Les personnes âgées ;
  • les personnes en situation de précarité sociale ou financière ;
  • les personnes ne maîtrisant pas bien la langue française ;
  • les jeunes qui possèdent les outils, mais ne maîtrisent pas les usages ;
  • les personnes en situation de handicap ou qui souffrent de pathologies.

Notre CCAS adresse avec sérieux l’ensemble de ces enjeux. Nos maisons des habitants (anciennement « centres sociaux ») jouent un rôle majeur dans leur prise en charge, partout sur le territoire communal. Des équipes existent, avec qui il n’est pas envisageable de ne pas travailler. Pour autant, dans un effort de cohérence avec le schéma directeur « Échirolles numérique libre », nos élus et notre direction générale ont choisi de rattacher l’inclusion numérique à la DSCN (Direction de la Stratégie et de la Culture Numériques).

Conclusion : la fracture numérique n’est pas un problème en tant que tel. C’est un symptôme d’enjeux sociaux qui doivent rester prioritaires dans l’aide apportée à nos habitants. Traiter la fracture numérique sans prendre en compte les problématiques sous-jacentes serait un pansement sur une jambe de bois. Un travail en transversalité est indispensable.

La médiation comme unique solution ?

Les études réalisées ont également montré que les difficultés rencontrées par notre population ne se limitaient pas aux usages. Un véritable effort d’inclusion numérique nécessite d’adresser 6 grands domaines :

1. L’accès au matériel (PC, smartphones, systèmes d’impression) ;
2. l’accès à une connexion internet de qualité ;
3. la formation technique ;
4. l’information, l’éducation populaire aux grands enjeux du numérique ;
5. l’assistance aux usages, l’accès au droit ;
6. le support matériel.

Les efforts de l’État et des collectivités sur l’inclusion numérique reposent principalement sur la médiation numérique (les points 3, 4 et 5, donc). Dans le cadre du plan « France Relance », par exemple, l’ANCT (Agence Nationale de Cohésion des Territoires) finance depuis 2021 le recrutement de « Conseillers Numériques France Services » dans les associations ou les collectivités territoriales. Des « Maisons France Services » et des « Bus France Services » émaillent également nos régions.

Pour les autres points (1, 2 et 6), seul le secteur privé se positionne. On connaît, par exemple, le travail d’associations comme Emmaüs Connect pour la mise à disposition de smartphones et de cartes SIM prépayées, mais seuls les publics en grande précarité sont adressés.

La mise à disposition, dans les communes, d’accès publics, permet de répondre, en partie, aux problématiques du manque de matériel et d’accès à internet. L’accès aux téléservices mis à disposition (et souvent rendus obligatoires) par l’état et les grandes structures compétentes dans le domaine social, est possible depuis ce type de lieu. Mais la dimension intime de l’accès au numérique n’est pas prise en compte : on ne contacte pas sa grand-mère (ou sa compagne) en visioconférence depuis un lieu public. On ne regarde pas une série ou un match de foot depuis une maison des habitants.

Sans faire l’effort de mettre à la disposition des publics fragiles du matériel et une connexion à internet de qualité à domicile, on ne pratique pas une véritable inclusion : ceux qui ont les moyens disposent d’accès dans des conditions confortables et dans l’intimité, les autres doivent sortir, par tous les temps, pour bénéficier d’un accès au numérique limité, à des horaires qu’ils ne peuvent pas choisir et sous le regard de leurs concitoyens.

La médiation numérique ne peut constituer, à elle seule, un dispositif d’inclusion numérique efficace et complet. Un travail plus ambitieux est indispensable. Nous essayons de nous y atteler (et ce n’est pas simple).

L’inclusion à l’échirolloise

L’accès au matériel

Pour la mise à disposition de matériel pour ceux qui en ont le plus besoin, la ville a choisi de s’appuyer sur une association échirolloise récente : PC solidaire (site en cours de développement au moment où cet article est rédigé). Le processus est en cours de création : notre DSI remettra son matériel usagé à cette association, qui se chargera de le reconditionner et de le remettre gratuitement, via les maisons des habitants, aux bénéficiaires.

L’association a eu l’excellente idée de se pencher sur le schéma directeur de la ville et a choisi, librement, de s’en inspirer. Le système d’exploitation par défaut devrait donc être le même que celui est en cours de déploiement : Zorin OS.

L’accès à internet

C’est le point le plus difficile à travailler, et de loin. L’offre étant exclusivement privée, nous essayons de négocier avec les FAI (fournisseurs d’accès à internet) la mise en place d’une solution très abordable à destination des bénéficiaires de logement sociaux. Des discussions sont en cours, mais aujourd’hui aucune offre véritablement satisfaisante n’est en place. Seule proposition (pas suffisamment) connue, à destination des populations bénéficiant des minima sociaux, celle d’Orange, « Coup de pouce Internet », à 15,99€/mois.

La formation, l’information et l’assistance

Grâce à un financement de l’ANCT, la Ville et son CCAS ont pu, en 2021, recruter 4 conseillers numériques. Ils interviennent dans les maisons des habitants, les bibliothèques et la maison des associations. Spécialisés dans la médiation numérique et formés dans le cadre du dispositif de l’État ils réalisent, depuis juillet 2021, des accompagnements individuels, des ateliers et des sessions de formation. Malheureusement, l’État annonce une baisse des financements et ces emplois sont menacés. Nous travaillons donc à la mise en place d’un nouveau dispositif, pérenne cette fois-ci, et qui ne dépendra pas de financements extérieurs.


Quelques-uns de nos conseillers, au travail dans une MDH

D’autres initiatives existent à Échirolles depuis des années : « Les écrans, parlons-en ! », par exemple. Conçu par le service « éducation » de la ville en lien étroit avec le CCAS, ce dispositif part du principe qu’une bonne hygiène numérique passe aussi par l’éloignement raisonné des écrans.

Mais encore ?

La ville a choisi de ne pas limiter son aide aux seuls habitants, mais aussi aux nombreuses associations qui animent le territoire (→ https://asso-echirolles.fr). Notre tissu associatif est riche de ses bénévoles, dynamique et innovant dans ses actions. Sa contribution au « vivre ensemble » est majeure. L’étude « Échirolles numérique » de 2021 a montré que l’accès aux ressources numériques était très variable en fonction des associations. Nous avons donc décidé de leur apporter une aide sur deux volets : la création de sites web et (dans un second temps) la mise à disposition d’outils numériques de gestion associative.

Le principe est simple : la DSI de la ville prend en charge l’hébergement, crée un sous-domaine dédié à l’association, installe un CMS (système de gestion de contenu) libre et gère les mises à jour (CMS, thèmes, extensions…) et les sauvegardes. 6 ateliers de formation sont organisés pour apprendre à créer son contenu et à faire vivre le site. À l’issue de ces ateliers, l’association administre son site en autonomie. En cas de problème, un forum permet d’échanger avec le formateur et les autres associations qui bénéficient du dispositif. Le point fort : si les personnes en charge du site ne sont plus en mesure de s’en occuper, un retour en atelier est toujours possible pour qu’une nouvelle équipe s’en saisisse.

Inclusion vs dégooglisation

L’efficacité du dispositif d’inclusion numérique de la ville repose sur deux piliers principaux : le schéma directeur, boussole technique et politique de nos choix, et le travail en transversalité, qui garantit une présence partout sur le territoire et la prise en compte de la problématique dans sa globalité. Rattaché à la direction du numérique, il permet une action cohérente à l’échelle de la ville.

Ce lien entre action sociale et stratégie numérique est l’une des forces d’Échirolles. Il est l’un des éléments qui permettent de faire rayonner le schéma directeur à l’échelle de la commune, et pas seulement en interne. Mais une autre façon d’agir (et surtout d’interagir) au delà sur périmètre de la ville existe. Elle fera l’objet du cinquième et dernier article de cette série.

L’épisode 1 (structuration)
L’épisode 2 (transformation)
L’épisode 3 (solutions)
L’épisode 4 (vous êtes ici)
L’épisode 5 (fédération)

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Retrouvez-moi sur Mastodon : https://colter.social/@nicolasvivant

Démystifier les conneries sur l’IA – Une interview

Cet article a été publié à l’origine par THE MARKUP, il a été traduit et republié selon les termes de la licence Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivatives
Publication originale sur le site themarkup.org

Démystifier le buzz autour de l’IA

Un entretien avec Arvind Narayanan

par JULIA ANGWIN
Si vous avez parcouru tout le battage médiatique sur ChatGPT le dernier robot conversationnel qui repose sur l’intelligence artificielle, vous pouvez avoir quelque raison de croire que la fin du monde est proche.

Le chat « intelligent » de l’IA a enflammé l’imagination du public pour sa capacité à générer instantanément des poèmes, des essais, sa capacité à imiter divers styles d’écrits, et à réussir à des examens d’écoles de droit et de commerce.

Les enseignants s’inquiètent de la tricherie possible de leurs étudiants (des écoles publiques de New York City l’ont déjà interdit). Les rédacteurs se demandent si cela ne va pas faire disparaître leur travail (BuzzFeed et CNET ont déjà utilisé l’IA pour créer des contenus). Le journal The Atlantic a déclaré que cela pourrait « déstabiliser les professions de cadres supérieurs ». L’investisseur en capital-risque Paul Kedrosky l’a qualifié de « bombe nucléaire de poche » et blâmé ses concepteurs pour l’avoir lancé dans une société qui n’y est pas prête.

Même le PDG de l’entreprise qui a lancé ChatGPT, Sam Altman, a déclaré aux médias que le pire scénario pour l’IA pourrait signifier « notre extinction finale ».

Cependant pour d’autres ce buzz est démesuré. Le principal scientifique chargé de l’IA chez Meta’s AI, Yann LeCun, a déclaré à des journalistes que ChatGPT n’a « rien de révolutionnaire ». Le professeur de langage informatique de l’université de Washington Emily Bender précise que « la croyance en un programme informatique omniscient vient de la science-fiction et devrait y rester ».

Alors, jusqu’à quel point devrions-nous nous inquiéter ? Pour recueillir un avis autorisé, je me suis adressée au professeur d’informatique de Princeton Arvind Narayanan, qui est en train de co-rédiger un livre sur « Le charlatanisme de l’IA ». En 2019, Narayanan a fait une conférence au MIT intitulée « Comment identifier le charlatanisme del’IA » qui exposait une classification des IA en fonction de leur validité ou non. À sa grande surprise, son obscure conférence universitaire est devenue virale, et ses diapos ont été téléchargées plusieurs dizaines de milliers de fois ; ses messages sur twitter qui ont suivi ont reçu plus de deux millions de vues.

Narayanan s’est alors associé à l’un de ses étudiants, Sayash Kapoor, pour développer dans un livre la classification des IA. L’année dernière, leur duo a publié une liste de 18 pièges courants dans lesquels tombent régulièrement les journalistes qui couvrent le sujet des IA. Presque en haut de la liste : « illustrer des articles sur l’IA avec de chouettes images de robots ». La raison : donner une image anthropomorphique des IA implique de façon fallacieuse qu’elles ont le potentiel d’agir dans le monde réel.

Narayanan est également le co-auteur d’un manuel sur l’équité et l’apprentissage machine et dirige le projet Web Transparency and Accountability de l’université de Princeton pour contrôler comment les entreprises collectent et utilisent les informations personnelles. Il a reçu de la Maison-Blanche le Presidential Early Career Award for Scientists and Engineers [N. de T. : une distinction honorifique pour les scientifiques et ingénieurs qui entament brillamment leur carrière].

Voici notre échange, édité par souci de clarté et brièveté.

Angwin : vous avez qualifié ChatGPT de « générateur de conneries ». Pouvez-vous expliquer ce que vous voulez dire ?

Narayanan : Sayash Kapoor et moi-même l’appelons générateur de conneries et nous ne sommes pas les seuls à le qualifier ainsi. Pas au sens strict mais dans un sens précis. Ce que nous voulons dire, c’est qu’il est entraîné pour produire du texte vraisemblable. Il est très bon pour être persuasif, mais n’est pas entraîné pour produire des énoncés vrais ; s’il génère souvent des énoncés vrais, c’est un effet collatéral du fait qu’il doit être plausible et persuasif, mais ce n’est pas son but.

Cela rejoint vraiment ce que le philosophe Harry Frankfurt a appelé du bullshit, c’est-à-dire du langage qui a pour objet de persuader sans égards pour le critère de vérité. Ceux qui débitent du bullshit se moquent de savoir si ce qu’ils disent est vrai ; ils ont en tête certains objectifs. Tant qu’ils persuadent, ces objectifs sont atteints. Et en effet, c’est ce que fait ChatGPT. Il tente de persuader, et n’a aucun moyen de savoir à coup sûr si ses énoncés sont vrais ou non.

Angwin : Qu’est-ce qui vous inquiète le plus avec ChatGPT ?

Narayanan : il existe des cas très clairs et dangereux de mésinformation dont nous devons nous inquiéter. Par exemple si des personnes l’utilisent comme outil d’apprentissage et accidentellement apprennent des informations erronées, ou si des étudiants rédigent des essais en utilisant ChatGPT quand ils ont un devoir maison à faire. J’ai appris récemment que le CNET a depuis plusieurs mois maintenant utilisé des outils d’IA générative pour écrire des articles. Même s’ils prétendent que des éditeurs humains ont vérifié rigoureusement les affirmations de ces textes, il est apparu que ce n’était pas le cas. Le CNET a publié des articles écrits par une IA sans en informer correctement, c’est le cas pour 75 articles, et plusieurs d’entre eux se sont avérés contenir des erreurs qu’un rédacteur humain n’aurait très probablement jamais commises. Ce n’était pas dans une mauvaise intention, mais c’est le genre de danger dont nous devons nous préoccuper davantage quand des personnes se tournent vers l’IA en raison des contraintes pratiques qu’elles affrontent. Ajoutez à cela le fait que l’outil ne dispose pas d’une notion claire de la vérité, et vous avez la recette du désastre.

Angwin : Vous avez développé une classification des l’IA dans laquelle vous décrivez différents types de technologies qui répondent au terme générique de « IA ». Pouvez-vous nous dire où se situe ChatGPT dans cette taxonomie ?

Narayanan : ChatGPT appartient à la catégorie des IA génératives. Au plan technologique, elle est assez comparable aux modèles de conversion de texte en image, comme DALL-E [qui crée des images en fonction des instructions textuelles d’un utilisateur]. Ils sont liés aux IA utilisées pour les tâches de perception. Ce type d’IA utilise ce que l’on appelle des modèles d’apprentissage profond. Il y a environ dix ans, les technologies d’identification par ordinateur ont commencé à devenir performantes pour distinguer un chat d’un chien, ce que les humains peuvent faire très facilement.

Ce qui a changé au cours des cinq dernières années, c’est que, grâce à une nouvelle technologie qu’on appelle des transformateurs et à d’autres technologies associées, les ordinateurs sont devenus capables d’inverser la tâche de perception qui consiste à distinguer un chat ou un chien. Cela signifie qu’à partir d’un texte, ils peuvent générer une image crédible d’un chat ou d’un chien, ou même des choses fantaisistes comme un astronaute à cheval. La même chose se produit avec le texte : non seulement ces modèles prennent un fragment de texte et le classent, mais, en fonction d’une demande, ces modèles peuvent essentiellement effectuer une classification à l’envers et produire le texte plausible qui pourrait correspondre à la catégorie donnée.

Angwin : une autre catégorie d’IA dont vous parlez est celle qui prétend établir des jugements automatiques. Pouvez-vous nous dire ce que ça implique ?

Narayanan : je pense que le meilleur exemple d’automatisation du jugement est celui de la modération des contenus sur les médias sociaux. Elle est nettement imparfaite ; il y a eu énormément d’échecs notables de la modération des contenus, dont beaucoup ont eu des conséquences mortelles. Les médias sociaux ont été utilisés pour inciter à la violence, voire à la violence génocidaire dans de nombreuses régions du monde, notamment au Myanmar, au Sri Lanka et en Éthiopie. Il s’agissait dans tous les cas d’échecs de la modération des contenus, y compris de la modération du contenu par l’IA.

Toutefois les choses s’améliorent. Il est possible, du moins jusqu’à un certain point, de s’emparer du travail des modérateurs de contenus humains et d’entraîner des modèles à repérer dans une image de la nudité ou du discours de haine. Il existera toujours des limitations intrinsèques, mais la modération de contenu est un boulot horrible. C’est un travail traumatisant où l’on doit regarder en continu des images atroces, de décapitations ou autres horreurs. Si l’IA peut réduire la part du travail humain, c’est une bonne chose.

Je pense que certains aspects du processus de modération des contenus ne devraient pas être automatisés. Définir où passe la frontière entre ce qui est acceptable et ce qui est inacceptable est chronophage. C’est très compliqué. Ça demande d’impliquer la société civile. C’est constamment mouvant et propre à chaque culture. Et il faut le faire pour tous les types possibles de discours. C’est à cause de tout cela que l’IA n’a pas de rôle à y jouer.

Angwin : vous décrivez une autre catégorie d’IA qui vise à prédire les événements sociaux. Vous êtes sceptique sur les capacités de ce genre d’IA. Pourquoi ?

Narayanan : c’est le genre d’IA avec laquelle les décisionnaires prédisent ce que pourraient faire certaines personnes à l’avenir, et qu’ils utilisent pour prendre des décisions les concernant, le plus souvent pour exclure certaines possibilités. On l’utilise pour la sélection à l’embauche, c’est aussi célèbre pour le pronostic de risque de délinquance. C’est aussi utilisé dans des contextes où l’intention est d’aider des personnes. Par exemple, quelqu’un risque de décrocher de ses études ; intervenons pour suggérer un changement de filière.

Ce que toutes ces pratiques ont en commun, ce sont des prédictions statistiques basées sur des schémas et des corrélations grossières entre les données concernant ce que des personnes pourraient faire. Ces prédictions sont ensuite utilisées dans une certaine mesure pour prendre des décisions à leur sujet et, dans de nombreux cas, leur interdire certaines possibilités, limiter leur autonomie et leur ôter la possibilité de faire leurs preuves et de montrer qu’elles ne sont pas définies par des modèles statistiques. Il existe de nombreuses raisons fondamentales pour lesquelles nous pourrions considérer la plupart de ces applications de l’IA comme illégitimes et moralement inadmissibles.

Lorsqu’on intervient sur la base d’une prédiction, on doit se demander : « Est-ce la meilleure décision que nous puissions prendre ? Ou bien la meilleure décision ne serait-elle pas celle qui ne correspond pas du tout à une prédiction ? » Par exemple, dans le scénario de prédiction du risque de délinquance, la décision que nous prenons sur la base des prédictions est de refuser la mise en liberté sous caution ou la libération conditionnelle, mais si nous sortons du cadre prédictif, nous pourrions nous demander : « Quelle est la meilleure façon de réhabiliter cette personne au sein de la société et de diminuer les risques qu’elle ne commette un autre délit ? » Ce qui ouvre la possibilité d’un ensemble beaucoup plus large d’interventions.

Angwin : certains s’alarment en prétendant que ChatGPT conduit à “l’apocalypse,” pourrait supprimer des emplois et entraîner une dévalorisation des connaissances. Qu’en pensez-vous ?

Narayanan : Admettons que certaines des prédictions les plus folles concernant ChatGPT se réalisent et qu’il permette d’automatiser des secteurs entiers de l’emploi. Par analogie, pensez aux développements informatiques les plus importants de ces dernières décennies, comme l’internet et les smartphones. Ils ont remodelé des industries entières, mais nous avons appris à vivre avec. Certains emplois sont devenus plus efficaces. Certains emplois ont été automatisés, ce qui a permis aux gens de se recycler ou de changer de carrière. Il y a des effets douloureux de ces technologies, mais nous apprenons à les réguler.

Même pour quelque chose d’aussi impactant que l’internet, les moteurs de recherche ou les smartphones, on a pu trouver une adaptation, en maximisant les bénéfices et minimisant les risques, plutôt qu’une révolution. Je ne pense pas que les grands modèles de langage soient même à la hauteur. Il peut y avoir de soudains changements massifs, des avantages et des risques dans de nombreux secteurs industriels, mais je ne vois pas de scénario catastrophe dans lequel le ciel nous tomberait sur la tête.

Comme toujours, merci de votre attention.

À bientôt,
Julia Angwin
The Markup

On peut s’abonner ici à la lettre hebdomadaire (en anglais) du magazine The Markup, envoyée le samedi.

Contra Chrome : une BD décapante maintenant en version française

Il y a loin de la promotion du navigateur Chrome à ses débuts, un outil cool au service des internautes, au constat de ce qu’il est devenu, une plateforme de prédation de Google, c’est ce que permet de mesurer la bande dessinée de Leah,

Contra Chrome est un véritable remix de la BD promotionnelle originale (lien vers le document sur google.com) que Leah Elliott s’est évertuée à détourner pour exposer la véritable nature de ce navigateur qui a conquis une hégémonie au point d’imposer ses règles au Web.

Nous avons trouvé malicieux et assez efficace son travail qui a consisté à conserver les images en leur donnant par de nouveaux textes un sens satirique et pédagogique pour démontrer la toxicité de Google Chrome.

La traduction qui est aujourd’hui disponible a été effectuée par les bénévoles de Framalang et par Calimero (qui a multiplié sans relâche les ultimes révisions). Voici en même temps que l’ouvrage, les réponses que Leah a aimablement accepté de faire à nos questions.

 

Bonjour, peux-tu te présenter brièvement pour nos lecteurs et lectrices…
Je m’appelle Leah et je suis autrice de bandes dessinées et artiste. J’ai une formation en art et en communication, et je n’ai jamais travaillé dans l’industrie technologique.

Est-ce que tu te considères comme une militante pour la préservation de la vie privée ?

Eh bien, le militantisme en matière de vie privée peut prendre de nombreuses formes. Parfois, c’est être lanceur d’alerte en fuitant des révélations, parfois c’est une bande dessinée, ou la simple installation d’une extension de navigateur comme Snowflake, avec laquelle vous pouvez donner aux dissidents des États totalitaires un accès anonyme à un internet non censuré.

Dans ce dernier sens, j’espère avoir été une militante avant de créer Contra Chrome, et j’espère l’être encore à l’avenir.

Comment t’es venue l’idée initiale de réaliser Contra Chrome ?

Ça s’est fait progressivement.

Lorsque la bande dessinée Chrome de Scott McCloud est sortie en 2008, je n’avais qu’une très vague idée du fonctionnement d’Internet et de la façon dont les entreprises récoltent et vendent mes données. Je me figurais essentiellement que je pouvais me cacher dans ce vaste chaos. Je pensais qu’ils récoltaient tellement de données aléatoires dans le monde entier qu’ils ne pouvaient pas espérer me trouver, moi petite aiguille dans cette botte de foin planétaire.

Et puis les révélations de Snowden ont éclaté, et il a dit : « Ne vous y trompez pas », en dévoilant tous les ignobles programmes de surveillance de masse. C’est alors que j’ai compris qu’ils ne se contenteraient pas de moissonner le foin, mais aussi des aiguilles.

Depuis, j’ai essayé de m’éduquer et d’adopter de meilleurs outils, découvrant au passage des logiciels libres et open source respectueux de la vie privée, dont certains des excellents services proposés par Framasoft.

Lorsque j’ai retrouvé la bande dessinée de McCloud quelque temps après les révélations de Snowden, j’ai soudain réalisé qu’il s’agissait d’un véritable trésor, il ne manquait que quelques pages…

Qu’est-ce qui t’a motivée, à partir de ce moment ?

L’indignation, principalement, et le besoin de faire quelque chose contre un statu quo scandaleux. Il y a un décalage tellement affreux entre la société que nous nous efforçons d’être, fondée sur des valeurs et les droits de l’homme, et les énormes structures d’entreprises barbares comme Google, qui récoltent agressivement des masses gigantesques de données personnelles sans jamais se soucier d’obtenir le consentement éclairé de l’utilisateur, sans aucune conscience de leurs responsabilités sur les retombées individuelles ou sociétales, et sans aucun égard pour les conséquences que cela a sur le processus démocratique lui-même.

En lisant Shoshana Zuboff, j’ai vu comment ce viol massif de données touche à la racine de la liberté personnelle de chacun de se forger sa propre opinion politique, et comment il renforce ainsi les régimes et les modes de pensée autoritaires.

Trop de gens n’ont aucune idée de ce qui est activé en continu 24 heures sur 24 au sein de leur propre maisons intelligente et sur les téléphones de leurs enfants, et je voulais contribuer à changer ça.

Certains aspects de la surveillance via le navigateur Chrome sont faciles à deviner, cependant ta BD va plus en profondeur et révèle la chronologie qui va des promesses rassurantes du lancement à la situation actuelle qui les trahit. Est-ce que tu as bénéficié d’aide de la part de la communauté des défenseurs de la vie privée sur certains aspects ou bien as-tu mené seule ton enquête ?

Comme on peut le voir dans les nombreuses annotations à la fin de la bande dessinée, il s’agit d’un énorme effort collectif. En fin de compte, je n’ai fait que rassembler et organiser les conclusions de tous ces militants, chercheurs et journalistes. J’ai également rencontré certains d’entre eux en personne, notamment des experts reconnus qui ont mené des recherches universitaires sur Google pendant de nombreuses années. Je leur suis très reconnaissante du temps qu’ils ont consacré à ma bande dessinée, qui n’aurait jamais existé sans cette communauté dynamique.

Pourquoi avoir choisi un « remix » ou plutôt un détournement de la BD promotionnelle, plutôt que de créer une bande dessinée personnelle avec les mêmes objectifs ?

En relisant la BD pro-Google de McCloud, j’ai constaté que, comme dans toute bonne bande dessinée, les images et le texte ne racontaient pas exactement la même histoire. Alors que le texte vantait les fonctionnalités du navigateur comme un bonimenteur sur le marché, certaines images me murmuraient à l’oreille qu’il existait un monde derrière la fenêtre du navigateur, où le contenu du cerveau des utilisateurs était transféré dans d’immenses nuages, leur comportement analysé par des rouages inquiétants tandis que des étrangers les observaient à travers un miroir sans tain.

Pour rendre ces murmures plus audibles, il me suffisait de réarranger certaines cases et bulles, un peu comme un puzzle à pièces mobiles. Lorsque les éléments se sont finalement mis en place un jour, ils se sont mis à parler d’une voix très claire et concise, et ont révélé beaucoup plus de choses sur Chrome que l’original.

Lawrence Lessig a expliqué un jour que, tout comme les essais critiques commentent les textes qu’ils citent, les œuvres de remixage commentent le matériel qu’elles utilisent. Dans mon cas, la BD originale de Chrome expliquait prétendument le fonctionnement de Chrome, et j’ai transformé ce matériel en une BD qui rend compte de son véritable fonctionnement.

Est-ce que tu as enregistré des réactions du côté de l’équipe de développement de Chrome ? Ou du côté de Scott Mc Cloud, l’auteur de la BD originale ?

Non, c’est le silence radio. Du côté de l’entreprise, il semble qu’il y ait eu quelques opérations de nettoyage à la Voldemort : Des employés de Google sur Reddit et Twitter, se sont conseillé mutuellement de ne pas créer de liens vers le site, de ne pas y réagir dans les fils de discussion publics, exigeant même parfois que les tweets contenant des images soient retirés.

Quant à Scott, rien non plus jusqu’à présent, et j’ai la même curiosité que vous.

Ton travail a suscité beaucoup d’intérêt dans diverses communautés, de sorte que les traductions plusieurs langues sont maintenant disponibles (anglais, allemand, français et d’autres à venir…). Tu t’attendais à un tel succès ?

Absolument pas. Le jour où je l’ai mis en ligne, il n’y a eu aucune réaction de qui que ce soit, et je me souviens avoir pensé : « bah, tu t’attendais à quoi d’autre, de toutes façons ? ». Je n’aurais jamais imaginé le raz-de-marée qui a suivi. Tant de personnes proposant des traductions, qui s’organisaient, tissaient des liens. Et tous ces messages de remerciement et de soutien, certaines personnes discutent de ma BD dans les écoles et les universités, d’autres l’impriment et la placent dans des espaces publics. Ça fait vraiment plaisir de voir tout ça.

Il y a une sorte de réconfort étrange dans le fait que tant d’êtres humains différents, de tous horizons et de tous les coins de la planète, partagent ma tristesse et mon horreur face au système du capitalisme de surveillance. Cette tristesse collective ne devrait pas me rendre heureuse, et pourtant elle me donne le courage de penser à un avenir très différent.

Quel navigateur utilises-tu au lieu de Chrome ? Lequel recommanderais-tu aux webnautes soucieux de préserver leur vie privée ?

Je suis peut-être allée un peu loin désormais, mais je pratique ce que je prêche dans la BD : pour 95 % de ma navigation, j’utilise simplement le navigateur Tor. Et lorsque Tor est bloqué ou lorsqu’une page ne fonctionne pas correctement, j’utilise Firefox avec quelques modifications et extensions pour améliorer la confidentialité.

Donc généralement, que je cherche des recettes de muffins, que je vérifie la météo ou que je lise les nouvelles, c’est toujours avec Tor. Parce que j’ai l’impression que le navigateur Tor ne peut prendre toute sa valeur que si suffisamment de personnes l’utilisent en même temps, pour qu’un brouillard suffisamment grand de non-sens triviaux entoure et protège les personnes vulnérables dont la sécurité dépend actuellement de son utilisation.

Pour moi, c’est donc une sorte de devoir civique en tant que citoyenne de la Terre. De plus, je peux parcourir mes recettes de muffins en ayant la certitude qu’il ne s’agit que d’un navigateur et non d’un miroir sans tain.

Merci Leah et à bientôt peut-être !


Cliquez sur l’image ci-dessous pour accéder à la version française de Contra chrome

 

Brian Eno n’aime pas les NFT – Open Culture (5)

Le 5e numéro de notre mini-série de l’été, qui vagabonde librement d’un article de openculture.com à l’autre, vous propose aujourd’hui de lire quelques propos assez vifs sur les NFT que l’on peut définir grossièrement comme des titres de propriété, enregistrés dans une sorte de « grand livre » numérique public et décentralisé (en savoir plus avec ces questions/réponses). Leur apparition ces dernières années suscite autant d’engouement spéculatif que de critiques acerbes.

Voici par exemple le point de vue de Brian Eno, un musicien, producteur, compositeur dont la carrière et la notoriété dans le monde de la musique sont immenses : les plus grands ont bénéficié de son talent, on lui doit le développement et la popularisation d’un genre musical et nombreuses sont ses expérimentations artistiques, pas seulement musicales..

 

Article original : Brian Eno Shares His Critical Take on Art & NFTs : “I Mainly See Hustlers Looking for Suckers”

Traduction : Goofy

Brian Eno expose son point de vue critique sur l’art et les NFT : « Je vois surtout des arnaqueurs qui cherchent des pigeons »

par Josh Jones

Image via Wikimedia Commons

Dans notre monde marqué par les inégalités, on peut avoir l’impression que nous n’avons plus grand-chose en commun, qu’il n’y a pas de « nous », mais seulement « eux » et « nous ». Mais les multiples crises qui nous séparent ont aussi le potentiel d’unir l’espèce. Après tout, une planète qui se réchauffe rapidement et une pandémie mondiale nous menacent tous, même si elles ne nous menacent pas de la même manière.

Les solutions existent-elles dans la création de nouvelles formes de propriété privée, de nouvelles façons de déplacer le capital dans le monde ? Les sous-produits de la marchandisation et du gaspillage capitalistes, à l’échelle de l’extinction, peuvent-ils être atténués par de nouvelles formes ingénieuses de financiarisation ? Tels semblent être les arguments avancés par les zélateurs des crypto-monnaies et de NFT, un acronyme signifiant jetons non fongibles et – si vous ne l’avez pas encore remarqué – qui semble la seule chose dont tout le monde parle aujourd’hui dans le monde de l’art.

Brian Eno a exprimé son opinion sur le sujet de manière assez abrupte dans une interview récente. « Les NFT me semblent juste un moyen pour les artistes d’obtenir une petite part du gâteau du capitalisme mondial », a-t-il dit sur le site The Crypto Syllabus. « Comme c’est mignon : maintenant les artistes peuvent aussi devenir de petits trous du cul de capitalistes ». Il désapprouve évidemment l’utilisation de l’art uniquement pour générer des profits, car si nous avons appris quelque chose de la théorie de la créativité et de l’influence d’Eno au cours des dernières décennies, c’est bien que selon lui le moteur principal de la création artistique est… de générer davantage d’art.

« Si j’avais voulu gagner de l’argent avant tout, j’aurais eu une carrière différente, comme n’importe qui d’autre. Je n’aurais probablement pas choisi d’être un artiste ».

Il est tout à fait inutile d’essayer de cataloguer Eno comme technophobe ou déconnecté, c’est tout le contraire. Mais les produits financiers fictifs qui ont envahi toutes les autres sphères de la vie n’ont pas leur place dans les arts, affirme-t-il.

Lorsqu’on lui demande pourquoi les NFT sont présentés comme un salut pour les artistes et le monde de l’art par les visionnaires des crypto-monnaies, parmi lesquels figurent nombre de ses amis et collaborateurs, Eno répond :

Je peux comprendre pourquoi les personnes qui en ont profité sont satisfaites, et il est assez naturel dans un monde libertarien de croire que quelque chose qui vous profite doit automatiquement être « bon » pour le monde entier. Cette croyance est une version de ce que j’appelle « l’automatisme » : l’idée que si vous laissez les choses tranquilles et que vous laissez une chose ou l’autre – le marché, la nature, la volonté humaine – suivre son cours sans entrave, vous obtiendrez automatiquement un meilleur résultat qu’en intervenant. Les personnes qui ont ce genre de croyances n’ont aucun scrupule à intervenir elles-mêmes, mais veulent simplement une situation où personne d’autre ne peut intervenir. Surtout pas l’État.

Le fait que la vente des NFT n’ait profité qu’à un très petit nombre de personnes – à hauteur de 69 millions de dollars en une seule vente dans une affaire récente très médiatisée – ne semble pas particulièrement gêner ceux qui insistent sur leurs avantages. Les créateurs des NFT ne semblent pas non plus gênés par l’énorme surcharge énergétique que nécessite cette technologie, « un système pyramidal de cauchemar écologique », comme le dépeint Synthtopia – dont Eno dit :

« dans un monde en réchauffement, une nouvelle technologie qui utilise de vastes quantités d’énergie comme « preuve de travail », c’est-à-dire simplement pour établir un certain âge d’exclusivité, est vraiment insensée. »

Eno répond volontiers aux questions sur les raisons pour lesquelles les NFT semblent si séduisantes – ce n’est pas un grand mystère, juste une nouvelle forme d’accumulation, de marchandisation et de gaspillage, une forme en particulier qui n’ajoute rien au monde tout en accélérant l’effondrement du climat. Les NFT sont le « readymade inversé », selon David Joselit : là où « Duchamp utilisait la catégorie de l’art pour libérer la matérialité de la forme marchandisable, les NFT déploient la catégorie de l’art pour extraire la propriété privée d’informations librement disponibles ».

Le discours autour des NFT semble également libérer l’art de la catégorie de l’art, et tout ce que cela a signifié pour l’humanité depuis des millénaires en tant que pratique communautaire, réduisant les productions créatives à des certificats numériques d’authenticité. « J’essaie de garder l’esprit ouvert sur ces questions », concède Eno. « Des personnes que j’apprécie et en qui j’ai confiance sont convaincues que [les NFT] sont la meilleure chose depuis l’invention du pain en tranches, alors j’aimerais avoir une vision plus positive, mais pour l’instant, je vois surtout des arnaqueurs qui cherchent des pigeons. »

Pour aller plus loin

(en français)

(en anglais)

L’auteur de l’article
Josh Jones est un écrivain et musicien de Durham, NC. Son compte twitter est @jdmagness


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Les conseils de Ray Bradbury à qui veut écrire – Open Culture (4)

Dans le 4e épisode de notre mini-série de l’été, nous recueillons les conseils d’écriture de Ray Bradbury (oui, celui des Chroniques martiennes et Fahrenheit 451, entre autres) qu’il expose au fil d’une conférence résumée pour vous dans cet article d’openculture.com, un portail très riche en ressources culturelles.
Ah, au fait, profitons-en pour vous rappeler que le Ray’s Day c’est lundi 22 août : en hommage au grand Ray, c’est l’occasion de lire des tas de textes en tous genres et de faire connaître les vôtres et même de les mettre en ligne. Rendez-vous sur le nouveau site du Ray’s Day qui sert de socle à cette initiative.

 

Article original : Ray Bradbury Gives 12 Pieces of Writing Advice to Young Authors (2001)

Traduction : goofy

Ray Bradbury donne 12 conseils d’écriture aux jeunes auteur⋅e⋅s

par Colin Marshall

À l’instar de l’icône du genre Stephen King, Ray Bradbury est parvenu à toucher un public bien plus large que celui auquel il était destiné en offrant des conseils d’écriture à tous ceux qui prennent la plume. Dans ce discours prononcé en 2001 lors du symposium des écrivains organisé par l’université Point Loma Nazarene à By the Sea, Ray Bradbury raconte des anecdotes tirées de sa vie d’écrivain, qui offrent toutes des leçons pour se perfectionner dans l’art d’écrire.

La plupart d’entre elles ont trait aux pratiques quotidiennes qui constituent ce qu’il appelle « l’hygiène de l’écriture ».

 

En regardant cette conférence divertissante et pleine de digressions, vous pourriez en tirer un ensemble de points totalement différents, mais voici, sous forme de liste, comment j’interprète le programme de Bradbury :

  • Ne commencez pas par vouloir écrire des romans. Ils prennent trop de temps. Commencez plutôt votre vie d’écrivain en rédigeant « un sacré paquet de nouvelles », jusqu’à une par semaine. Prenez un an pour le faire ; il affirme qu’il est tout simplement impossible d’écrire 52 mauvaises nouvelles d’affilée. Il a attendu l’âge de 30 ans pour écrire son premier roman, Fahrenheit 451. « Ça valait le coup d’attendre, hein ? »
  • On peut les aimer, mais on ne peut pas les égaler. Gardez cela à l’esprit lorsque vous tenterez inévitablement, consciemment ou inconsciemment, d’imiter vos écrivains préférés, tout comme il a imité H.G. Wells, Jules Verne, Arthur Conan Doyle et L. Frank Baum.
  • Examinez des nouvelles « de qualité ». Il suggère Roald Dahl, Guy de Maupassant, et les moins connus Nigel Kneale et John Collier. Tout ce qui se trouve dans le New-Yorker d’aujourd’hui ne fait pas partie de ses critères, car il trouve que leurs histoires sont « dépourvues de métaphores ».
  • Bourrez-vous le crâne. Pour accumuler les blocs de construction intellectuelle de ces métaphores, il suggère un cours de lecture à l’heure du coucher : une nouvelle, un poème (mais Pope, Shakespeare et Frost, pas les « conneries » modernes) et un essai. Ces essais devraient provenir de divers domaines, dont l’archéologie, la zoologie, la biologie, la philosophie, la politique et la littérature. « Au bout de mille nuits », résume-t-il, « bon Dieu, vous saurez plein de trucs ! ».
  • Débarrassez-vous des amis qui ne croient pas en vous. Se moquent-ils de vos ambitions d’écrivain ? Il suggère de les appeler pour les « virer » sans tarder.
  • Vivez dans la bibliothèque. Ne vivez pas dans vos « maudits ordinateurs ». Il n’est peut-être pas allé à l’université, mais ses habitudes de lecture insatiables lui ont permis d’être « diplômé de la bibliothèque » à 28 ans.
  • Tombez amoureux des films. De préférence des vieux films.
  • Écrivez avec joie. Dans son esprit, « l’écriture n’est pas une affaire sérieuse ». Si une histoire commence à ressembler à du travail, mettez-la au rebut et commencez-en une qui ne l’est pas. « Je veux que vous soyez jaloux de ma joie », dit Bradbury à son public.
  • Ne prévoyez pas de gagner de l’argent. Avec son épouse, qui « a fait vœu de pauvreté pour l’épouser », Ray a atteint l’âge de 37 ans avant de pouvoir s’offrir une voiture (et il n’a toujours pas réussi à passer son permis).
  • Faites une liste de dix choses que vous aimez et de dix choses que vous détestez. Puis écrivez sur les premières, et « tuez » les secondes – également en écrivant à leur sujet. Faites de même avec vos peurs. Tapez tout ce qui vous passe par la tête. Il recommande l' »association de mots » pour lever tout blocage créatif, car « vous ne savez pas ce que vous avez en vous avant de le tester ».
  • N’oubliez pas qu’avec l’écriture, ce que vous recherchez, c’est une seule personne qui vienne vous dire : « Je vous aime pour ce que vous faites. » Ou, à défaut, vous cherchez quelqu’un qui vienne vous dire : « Vous n’êtes pas aussi fou que tout le monde le dit ».

Autres ressources

Ray Bradbury : Literature is the Safety Valve of Civilization

The Shape of A Story : Writing Tips from Kurt Vonnegut

John Steinbeck’s Six Tips for the Aspiring Writer and His Nobel Prize Speech

L’auteur de l’article

Colin Marshall produit Notebook on Cities and Culture. Pour le suivre sur Twitter : @colinmarshall.


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Des bières avec Bukowski – Open Culture (3)

Aujourd’hui notre mini-série de l’été consacrée à la culture ouverte vous emmène sur le chemin zigzaguant et génial des poèmes de Charles Bukowski : voici de sa propre voix une célébration animée de sa boisson favorite grâce à un article traduit du site openculture.com


Avertissement : l’alcoolisme, la misanthropie et la misogynie de Bukowski étant notoires, le poème et la vidéo peuvent heurter votre sensibilité. Auquel cas il vous appartient de ne pas aller plus loin sur cette page.

Article original : Watch “Beer,” a Mind-Warping Animation of Charles Bukowski’s 1971 Poem Honoring His Favorite Drink

Traduction : Goofy

Une animation hallucinante pour illustrer un poème de Charles Bukowski en hommage à sa boisson préférée…

par

 

Je ne sais pas combien de bouteilles de bière
j’ai consommées en attendant que ça se remette au beau.
je ne sais pas non plus combien de vin
et de whisky
et de bière
plutôt de la bière d’ailleurs
j’ai consommé après toutes ces ruptures
en guettant la sonnerie du téléphone,
le bruit de leurs pas,
mais c’était toujours trop tard
que le téléphone sonnait
et c’était toujours aussi trop tard
qu’elles revenaient.
Alors que j’étais sur le point
de rendre mon âme
elles arrivaient, fraîches comme des primevères :
« Mais, Grands Dieux, t’avais besoin de te
mettre dans ces états ?
maintenant il va falloir que j’attende
3 jours avant que tu me baises ! »

La femme s’use moins vite
elle vit sept ans et demi de plus
que l’homme, et elle boit très peu de bière
car elle sait le mal que ça fait à sa ligne.

Tandis que nous partons de la tronche
elles sont dehors
dansant et riant
avec des cow-boys en chaleur.

En résumé, il y a la bière
des sacs et des sacs de bouteilles vides
et quand tu essaies d’en soulever un
le fond qui est mouillé et
qui est en papier
ne résiste pas et les bouteilles passent à travers
elles roulent sur le sol
et ça résonne partout
et en se renversant le peu de bière qui restait
se mélange à la cendre de cigarettes ;
quoi qu’il en soit, à 4 heures du matin
un sac qui crève
te procure l’unique sensation de la journée.

De la bière
des fleuves et des mers de bière
de la bière de la bière de la bière
la radio passe des chansons d’amour
et comme le téléphone reste muet
et que les murs de ta chambre
ne bougent pas
qu’y a-t-il d’autre que la bière ?

(Traduction © Gérard Guégan)

Charles Bukowski savait vraiment écrire. Et Charles Bukowski savait vraiment boire. Ces deux faits, sûrement les plus connus sur le « diplômé du caniveau », le poète et auteur de romans tels que Postier et Souvenirs d’un pas grand-chose (ainsi que de ce qu’on pourrait appeler la chronique de sa vie quotidienne, Journal d’un vieux dégueulasse), vont de pair. La boisson a fourni suffisamment de matière à sa prose et à ses vers – et, dans la vie, suffisamment de carburant pour l’existence qu’il a posée sur la page avec un art de l’évocation si brutal – que nous pouvons difficilement imaginer l’écriture de Bukowski sans sa boisson, ou sa boisson sans son écriture.

On s’attend donc naturellement à ce qu’il ait écrit une ode à la bière, l’une de ses boissons de prédilection. « La bière », qui figure dans le recueil de poésie de Bukowski de 1971, L’amour est un chien de l’enfer, rend hommage aux innombrables bouteilles que l’homme a bues « en attendant que les choses s’améliorent », « après des ruptures avec les femmes », « en attendant que le téléphone sonne », « en attendant le bruit des pas ».

La femme, écrit-il, sait qu’il ne faut pas consommer de la bière à l’excès à la manière des hommes, car « elle sait que c’est mauvais pour la silhouette ». Mais Bukowski, au mépris de sa silhouette, trouve dans cette boisson, la plus prolétaire de toutes, une sorte de réconfort.

La bière prend vie dans l’animation ci-dessus réalisée par NERDO. Quelques extraits des notes d’accompagnement :

« La composition est un manifeste du mode de vie de l’auteur, c’est pourquoi nous avons décidé de pénétrer dans l’esprit de l’auteur, et ce n’est pas un voyage sans danger […]

Un solo de cerveau sans filtre, un récit de folie ordinaire, montrant à quel point la solitude et la décadence peuvent se cacher à l’intérieur d’un esprit de génie.

Ce périple sauvage passe par ce que nous reconnaissons aujourd’hui comme de nombreux signifiants visuels de l’expérience bukowskienne : enseignes au néon, cigarettes, pâtés de maisons en décomposition, polaroïds clinquants – et, bien sûr, la bière, littéralement « des rivières et des mers de bière », que nul autre qu’Homer Simpson, autre amateur animé de la boisson, n’a un jour, tout aussi éloquemment, dépeinte comme « la cause et la solution à tous les problèmes de la vie »

Bière fait partie de notre collection de 1000 livres audio à télécharger gratuitement.

D’autres ressources (en anglais) à parcourir :

Quatre poèmes de Charles Bukowski animés

D’autres poèmes de Bukowski lus par lui-même,Tom Waits et Bono

Tom Waits lit deux poèmes de Charles Bukowski, « The Laughing Heart » et “Nirvana”.

Écoutez 130 minutes des toutes premières lectures enregistrées de Charles Bukowski (1968)

Charles Bukowski s’insurge contre les emplois de type « 9 à 5 » dans une lettre d’une brutale honnêteté (1986)

« Journal d’un vieux dégueulasse : Les caricatures perdues de Charles Bukowski dans les années 60 et 70.

L’auteur de l’article

Basé à Séoul, Colin Marshall écrit et diffuse des articles sur les villes, la langue et le style. Il travaille actuellement à la rédaction d’un livre sur Los Angeles, A Los Angeles Primer, à la série de vidéos The City in Cinema, au projet de journalisme financé par le crowdfunding Where Is the City of the Future ? et au Korea Blog de la Los Angeles Review of Books. On peut le suivre sur Twitter à @colinmarshall.

 


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Les femmes du Bauhaus, punks avant l’heure ? – Open Culture (2)

Poursuivons aujourd’hui cette mini-série de l’été consacrée à la culture ouverte avec une facette souvent ignorée ou oubliée du mouvement artistique Bauhaus : l’importance des femmes artistes qui y figuraient. Ce nouvel article traduit du site openculture.com leur rend justice à travers quelques photographies…

Article original : The Women of the Bauhaus : See Hip, Avant-Garde Photographs of Female Students &amp ; Instructors at the Famous Art School

Traduction : Goofy

Les femmes du Bauhaus : découvrez les photographies avant-gardistes et branchées des étudiantes et professeures de la célèbre école d’art

par Josh Jones

Regardez les photos de Bush Tetras, un groupe de No Wave/Post-Punk composé de trois filles et d’un garçon, au début des années 1980, dans le centre de Manhattan.

 

Et maintenant, regardez la photographie ci-dessus, intitulée « Marcel Breuer et son harem », prise vers 1927 par le photographe du Bauhaus Erich Consemüller. Si l’on excepte le fait que Breuer ressemble plus à Ron Mael des Sparks sans moustache qu’au batteur Dee Pop, on pourrait confondre cette photo avec celle du groupe punk.

Cela soulève quelques questions : les étudiantes en art des Bush Tetras ont-elles regardé du côté des femmes du Bauhaus pour trouver leur style ? Ou bien les femmes du Bauhaus se sont-elles tournées vers l’avenir et ont-elles présagé le punk ? Le second scénario semble plus probable puisque les femmes du Bauhaus n’ont pas été terriblement connues, jusqu’à une époque récente.

Je me sens personnellement lésé, après avoir étudié l’art et l’histoire de l’art à l’université il y a de nombreuses années, qu’on ne me parle que maintenant de plusieurs artistes majeures de cette école allemande d’art radical fondée par Walter Gropius. Tous ses célèbres représentants et stars de l’art sont des hommes, mais il semble que le ratio hommes-femmes du Bauhaus ait été plus proche de celui de la population générale (comme l’était, dans de nombreux cas, celui des premières scènes punk et post-punk).

Mais nous avons tendance à ne pas retenir leurs noms ni à voir les œuvres de ces artistes et, dans certains cas, leurs œuvres ont même été attribuées à titre posthume à leurs collègues masculins. Nous ne connaissons pas non plus le style progressiste de chacune, qui compte pourtant dans l’approche globale du Bauhaus visant à révolutionner les arts, y compris la mode, comme moyen de libérer l’humanité des dogmes du passé.

Il est regrettable que la mémoire du Bauhaus, comme celle du punk, ait reproduit les mêmes vieilles règles que ses artistes ont brisées. L’égalité des sexes au sein de l’école était radicale, d’où le titre satirique de la photographie, qui « exprime le contraire exact de ce que la photo elle-même montre », note le site Bauhaus Kooperation :

« la modernité, l’émancipation, l’égalité, voire la supériorité, des femmes qui y figurent ». Le « Maître junior » de l’atelier de menuiserie, Breuer regarde les trois artistes à sa gauche « d’un air sceptique, les bras croisés », comme pour dire : « Ce sont vraiment « mes » femmes ? ! ». Les artistes du « harem », de gauche à droite, sont Martha Erps, la femme de Breuer, Katt Both, et la femme du photographe, Ruth Hollós, qui « semble réprimer le rire en regardant le photographe (son mari) ».

Erich Consemüller, qui enseignait l’architecture au Bauhaus, avait été chargé par Gropius de documenter l’école et sa vie. Gropius l’a associé à la photographe Lucia Moholy, épouse de László Moholy-Nagy (voir la photo d’elle ci-dessus, prise par son mari entre 1924 et 1928). Moholy prenait surtout des photos d’extérieur, comme la photo qu’elle a prise plus haut d’Erps et Hollós sur le toit de l’Atelierhaus à Dessau au milieu des années 1920.

Consemüller s’est principalement concentré sur les intérieurs dans son travail, avec des exceptions expérimentales comme la série « Fantaisie mécanique » que l’on voit ici, qui utilise les vêtements, les poses et les doubles expositions pour souligner visuellement une sorte d’uniformité d’objectif, en plaçant et en joignant les artistes masculins et féminins du Bauhaus dans des arrangements presque typographiques.

En effet, presque tous les artistes du Bauhaus – comme le voulait la pratique de l’école – se sont essayés à la photographie, et beaucoup ont utilisé ce médium pour documenter, de manière à la fois occasionnelle et délibérée, l’engagement du Bauhaus en faveur de l’égalité des sexes et de la pleine inclusion des femmes artistes dans ses programmes, une déclaration que le peintre et photographe T. Lux Feininger semble souligner dans la photographie de groupe ci-dessous des tisserands de l’école sur les marches du nouveau bâtiment du Bauhaus en 1927. (Artistes présents sur la photo : Léna Bergner, Gunta Stölzl, Ljuba Monastirsky, Otti Berger, Lis Beyer, Elisabeth Mueller, Rosa Berger, Ruth Hollós et Lisbeth Oestreicher).

Les artistes du Bauhaus, hommes et femmes, ressemblaient beaucoup, à certains égards, aux premiers punks, inventant de nouvelles façons de secouer l’establishment et de sortir des rôles prescrits. Mais au lieu de proposer une alternative anodine au statu quo, ils offraient une recette pour sa transformation totale par l’art. Qui peut dire jusqu’où ce mouvement aurait progressé s’il n’avait pas été brisé par les nazis. « Ensemble, écrivait Gropius, appelons de nos vœux, concevons et créons la construction de l’avenir, comprenant tout sous une seule forme, l’architecture, la sculpture et la peinture »… et presque tout le reste de l’environnement bâti et visuel, aurait-il pu ajouter.

Photo via Barbara Hershey

Pour aller plus loin (articles en anglais)

Les pionnières du mouvement artistique du Bauhaus : Découvrez Gertrud Arndt, Marianne Brandt, Anni Albers et d’autres innovatrices oubliées.

La politique et la philosophie du mouvement de design Bauhaus : Une brève introduction

Bauhaus World, un documentaire gratuit qui célèbre le 100e anniversaire de la légendaire école allemande d’art, d’architecture et de design.

L’auteur de cet article est Josh Jones, écrivain et musicien de Durham, NC. Pour suivre son compte twitter :  @jdmagness.

 


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Dark Side of the Rainbow, un mashup – Open Culture (1)

Petite série de l’été : au gré de mes découvertes, je partagerai ici quelques-unes des nombreuses ressources disponibles sur le très riche site https://www.openculture.com/ que je vous invite à découvrir et partager à votre tour sans modération.

Aujourd’hui, premier épisode avec un mashup (disons un « collage » artistique) audiovisuel entre deux œuvres iconiques archi-célèbres : un album-culte de Pink Floyd et une comédie musicale tout aussi culte, le magicien d’Oz.

Le mashup ou collage, est un genre musical hybride. Le mashup est à l’origine une chanson créée à partir d’une ou deux autres chansons pré-enregistrées, habituellement en superposant la partie vocale d’une chanson sur la partie instrumentale d’une autre, (Source Wikipédia. Pour en savoir plus…) mais on peut lui donner une acception plus large car plusieurs domaines artistiques, et pas seulement musicaux, peuvent être combinés dans un mashup.

Ah au fait : pour vous éviter un lien vers YouTube, j’ai utilisé une instance d’invidious qui agit comme un proxy (en gros, un intermédiaire qui soustrait la pollution visuelle et prédatrice de YouTube). Si celle que j’ai choisie ne fonctionne pas, essayez une autre instance fonctionnelle en piochant dans cette liste mise à jour régulièrement.

 

article original : Dark Side of the Rainbow : Pink Floyd Meets The Wizard of Oz in One of the Earliest Mash-Ups

Traduction : Goofy

 

Dark Side of the Rainbow : Pink Floyd rencontre le Magicien d’Oz dans l’un des plus anciens mashups.

par Colin Marshall


Mec, je suis sérieux… tu mets le Magicien d’Oz, tu mets Dark Side of the Moon, et tu les démarres en même temps. Ça marche à fond. C’est trooop synchroooone ! Ça te retourne la tête, mec.

On peut se moquer gentiment de ceux qui considèrent que c’est un moyen génial d’entrer dans leur trip préféré, si l’on peut dire, et chercher des résonances entre une comédie musicale de la MGM de 1939 et le huitième album de Pink Floyd, mais on ne peut nier que le mashup Dark Side of the Rainbow, comme ils l’appellent (quand ils ne l’appellent pas Dark Side of Oz ou The Wizard of Floyd), est devenu un phénomène culturel certes modeste, mais sérieux. En réalité, comme l’enthousiasme pour lancer Dark Side of the Moon en regardant Le Magicien d’Oz remonte au moins aussi loin que les discussions sur Usenet (lien) au milieu des années 90, il se pourrait bien que ce soit le premier mash-up sur Internet. Depuis, la rumeur selon laquelle l’expérience de visionnage était étrange s’est répandue bien au-delà des profondeurs de l’underground ; même une institution aussi ostensiblement stricte que la chaîne câblée Turner Classic Movies a déjà diffusé Le Magicien d’Oz avec Dark Side of the Moon comme bande-son.Il est clair que les gens trouvent leur compte dans ce « collage » audiovisuel, quel que soit leur état d’esprit. Au minimum, ils s’amusent des coïncidences entre les sons et thèmes lyriques de l’album et les séquences du film. Dark-side-of-the-rainbow.com proposait (NdT sur un site aujourd’hui disparu) une liste très complète de ces intersections, dès le battement de cœur en fondu enchaîné qui ouvre l’album jusqu’à l’apparition du titre du film :

Dans ce concept album nous avons [symboliquement] le début de la vie humaine. De nombreux parents commencent à donner un nom à leur enfant dès qu’ils en connaissent l’existence, souvent avant même de connaître le sexe de l’enfant. Ici, nous avons le nom d’un film, qui se trouve être le nom d’un des personnages du film, juste au moment où nous prenons conscience de cette nouvelle vie.

Pour les paroles qui accompagnent l’entrée de Dorothy à Munchkinland :

« Trouve un travail mieux payé et tout ira bien » : Dorothy ne le sait pas encore, mais elle est sur le point de passer du statut de fermière à celui de tueuse de méchantes sorcières.

Pour le battement de cœur qui clôt l’album, alors que l’homme en fer blanc reçoit un cœur à lui :

Dans le concept album, ce battement de cœur qui s’éteint représente la mort. Le nouveau cœur de l’homme de fer blanc, que l’on peut entendre battre, symbolise la renaissance. Une fois de plus, ce contraste entre ce que nous voyons dans le film et ce que nous entendons dans l’album vise à créer un équilibre. Et comme c’est ainsi que se termine l’histoire, cet équilibre montre comment, à la fin, le conte de fées a effectivement surmonté la tragédie.

Les Pink Floyd eux-mêmes ont désavoué toute intention de composition délibérément synchrone (Alan Parsons, qui a réalisé l’enregistrement, qualifie même l’idée de « foutage de gueule »), et même les plus fervents amateurs de Dark Side of the Rainbow ont peu de doutes à ce sujet. Certains diront que le groupe, déjà adepte de la composition de musiques de films, a fait tout cela inconsciemment, mais pour moi, la popularité durable de ce premier mashup est la preuve de quelque chose de bien plus intéressant : la tendance ininterrompue de l’humanité – voire sa compulsion – à trouver des modèles là où il n’y en a peut-être pas.

« Lorsque les coïncidences s’accumulent de la sorte, on ne peut s’empêcher d’être impressionné par elles, car plus le nombre d’éléments d’une telle série est élevé, ou plus son caractère est inhabituel, plus cela devient invraisemblable. »

Voilà ce que Carl Jung a écrit à propos du concept psychologique de synchronicité.

Dommage qu’il n’ait pas assez vécu pour voir ça.

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Colin Marshall anime et produit Notebook on Cities and Culture et écrit des essais sur la littérature, le cinéma, les villes, l’Asie et l’esthétique. Sur Twitter, c’est @colinmarshall.


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