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DĂ©couverte & premiers pas
Je raconte souvent que jâai dĂ©couvert Open Food Facts (OFF) grĂące Ă JosĂ© BovĂ©. Pas directement, certes, mais il a jouĂ© un grand rĂŽle dans mon intĂ©rĂȘt pour OFF.

JosĂ© BovĂ© nâest pas content contre le dioxyde de titane (E171)
Mars 2015 : je regarde dâun Ćil torve BFM TV et je vois un JosĂ© BovĂ© Ă©nervĂ© contre un additif : le E171 (aussi connu sous le nom «âŻdioxyde de titaneâŻÂ»). Face Ă Jean-Jacques Bourdin, il sort des paquets de M&Mâs et de chewing-gum, cite les marques et incite les tĂ©lĂ©spectateurs Ă boycotter ces produits qui contiennent ce colorant controversĂ©.
Pas forcĂ©ment renseignĂ© sur les enjeux autour de ce colorant, jâouvre la page WikipĂ©dia de celui-ci. Je lis en diagonale ce qui est marquĂ© et, en bas, je vois un lien oĂč il est indiquĂ© «âŻListe des produits contenant du E171 sur Open Food FactsâŻÂ».
Je dĂ©couvre lâinterface moche (signe de reconnaissance des projets portĂ©s par des bĂ©nĂ©voles et oĂč lâaspect visuel est souvent en bas de la liste des prioritĂ©s) de OFF et comprend trĂšs vite les grandes lignes du projet : un WikipĂ©dia des aliments qui se base sur les informations prĂ©sentes sur les emballages. Ni plus, ni moins.
En dĂ©couvrant OFF, je suis Ă©tonnĂ© que le projet nâa Ă©tĂ© lancĂ© quâen 2012. NaĂŻvement, je pensais que les donnĂ©es alimentaires Ă©taient obligatoirement partagĂ©es par les producteurs et centralisĂ©es quelque part, Ă des fins de contrĂŽle de conformitĂ© par exemple. Mais finalement non : les rares bases de donnĂ©es qui existent ne sont pas ouvertes.
Quand jâarrive sur le site, le projet vient de dĂ©passer les 30âŻ000 produits dont 90% sont français. Ă lâĂ©poque, je ne suis pas libriste (je crois que je ne connaissais pas la diffĂ©rence entre logiciel libre et logiciel propriĂ©taire), je ne contribue Ă aucun commun numĂ©rique et, ironiquement, je ne suis pas trĂšs intĂ©ressĂ© par les questions autour de lâalimentation.
Contribution(s)
Rapidement, je ne sais plus oĂč donner de la tĂȘte : il y a tant de choses Ă faire pour aider !
Au dĂ©but, jâaide Ă complĂ©ter les fiches. On parle dâune Ă©poque oĂč il nây a aucun outil de reconnaissance de caractĂšres intĂ©grĂ© au projet donc, la liste dâingrĂ©dients, il faut forcĂ©ment la remplir Ă la main. PlutĂŽt simple pour un jus de fruit, beaucoup moins pour un gĂąteau industriel.

Comparaison de deux listes dâingrĂ©dients : lâune avec beaucoup dâingrĂ©dients et lâautre avec peu
Lâajout de nouveaux produits est rapidement un rĂ©flexe que de nombreux contributeurs et contributrices de OFF ont connu : en revenant des courses, je me retrouve Ă genoux sur le sol de ma cuisine pour prendre les meilleures photos possibles dâune conserve de haricots ou dâune galette complĂšte surgelĂ©e. Je suis moins fan de prendre des photos directement en rayon : on parle dâune Ă©poque prĂ©-Yuka oĂč scanner un produit nâest pas du tout dans les habitudes du consommateur moyen (et encore moins le prendre en photo). Autre rĂ©flexe : ramasser parfois des dĂ©chets dans la rue pour voir si â au cas oĂč â ils ne sont pas dans Open Food Facts (et les mettre dans la poubelle jaune en passant, tout de mĂȘme :D ).
La question des catĂ©gories â et surtout de la taxonomie de celles-ci â devient rapidement un point central de mes contributions : pour comparer des produits dâune mĂȘme catĂ©gorie, encore faut-il que ceux-ci en aient une. La complĂ©tion des autres champs, bien quâimportante, me paraĂźt secondaire sur la mission de classer les produits le plus finement possible.
Un autre sujet qui mâintĂ©resse : les estampilles sanitaires. Ces codes qui sont obligatoires sur certains produits (notamment ceux issus dâanimaux) permettent de connaĂźtre le lieu de prĂ©paration de ceux-ci. Multipliez les fiches avec ces codes, couplez-les avec la liste, publique, des sites de productions correspondant et vous obtenez la carte «âŻCâest fabriquĂ© prĂšs de chez-moiâŻÂ». Avec cette carte, on a rapidement «âŻrepĂ©rĂ©âŻÂ» certains sites majeurs, comme lâusine dâAucy, Ă Theix (prĂšs de Vannes), qui a rapidement dĂ©passĂ© les 300 rĂ©fĂ©rences.

Carte des sites de production centrée sur le Golfe du Morbihan
Changements notables
Le grand changement qui a rĂ©volutionnĂ© la contribution Ă OFF, ce sont les modifications semi-automatisĂ©es permises par Hunger Games. Rajouter, en quelques minutes, la marque de centaines de produits accĂ©lĂšre considĂ©rablement la contribution et permet dâavoir une base de donnĂ©e toujours plus complĂšte. Ă terme, ce projet a sĂ»rement vocation Ă devenir la Street Complete de Open Food Facts (en tout cas, je lâespĂšre :D ).

Depuis fin 2022, nous avons enfin réussi à infléchir la courbe des produits sans catégorie (qui ne faisait que monter depuis 2017)
Pour ce qui est de lâajout de nouveaux produits, il y a clairement eu un avant et un aprĂšs Yuka. Cette application se basait, Ă ses dĂ©buts en 2017, sur OFF. Elle a depuis crĂ©Ă© sa propre base mais rebascule les photos et certaines donnĂ©es sur OFF. Bien que lâajout de nouveaux produits ait tendance Ă se diversifier avec le temps (via lâarrivĂ©e dâapplications similaire dans dâautres pays notamment), Yuka a clairement donnĂ© un coup dâaccĂ©lĂ©rateur incroyable Ă OFF : Ă lâheure oĂč jâĂ©cris ces lignes, prĂšs de 60% des produits ont Ă©tĂ© ajoutĂ©s via cette application. MĂȘme si de nombreuses donnĂ©es sont ajoutĂ©es sur OFF par la suite sur ces produits, cet apport est essentiel pour la croissance de la base.

Liste des principaux contributeurs qui sont des applications pour les 15 plus importants (« kiliweb » est lâidentifiant de lâapplication Yuka dans OFF)
Des projets annexes ont vu le jour : Open Beauty Facts, Open Pet Food Facts et Open Products Facts. Ces trois projets, Ă chaque fois lancĂ©s sous forme de blague le 1á”Êł avril, sont devenus des projets sĂ©rieux qui avancent Ă leur rythme dans le sillage de OFF. Le projet de fusionner tous ces projets est en gestation depuis plusieurs annĂ©es, mais devrait se concrĂ©tiser bientĂŽt.
La refonte graphique du projet actĂ©e pour les 10 ans de OFF a Ă©tĂ© trĂšs bien mise en place. La nouvelle page dâaccueil est plus agrĂ©able, le logo est super et, surtout, les fiches produits sont trĂšs bien organisĂ©es. Il y a Ă©galement une cohĂ©rence graphique entre le site web et lâapplication smartphone.

Ancien logo vs. nouveau logo
DerniĂšre chose qui dĂ©montre la maturitĂ© du projet : la mise en place dâun groupe de travail dĂ©diĂ© Ă la qualitĂ© des donnĂ©es. Depuis sa mise en place, de nombreuses erreurs de valeurs nutritionnelles ont Ă©tĂ© corrigĂ©es en priorisant les produits les plus scannĂ©s via prĂšs de 200 contrĂŽles (ex : il y a un problĂšme si un produit est notĂ© avec «âŻ120âŻg de sucre pour 100âŻgâŻÂ»). Ce travail va dĂ©sormais porter sur la qualitĂ© des ingrĂ©dients renseignĂ©s et, lĂ , on passe Ă un autre niveau de complexitĂ©âŠ

Un mĂšme que jâavais bricolĂ© il y a quelques mois et qui illustre le chantier qui nous attend pour amĂ©liorer la qualitĂ© des ingrĂ©dients.
Limites
Selon moi, le gros point noir de OFF est son application smartphone. Celle-ci rend la contribution laborieuse. Ă tel point que jâai tendance Ă rester sur PC, mĂȘme pour lâenvoi de photos. Aussi, le dĂ©calage entre les versions disponibles sur Google Play/App Store dâun cĂŽtĂ© et F-Droid de lâautre est dommage.
Une autre limite est, selon moi, le lien que lâon a, en tant que contributeur, aux donnĂ©es que lâon ajoute.
Je mâexplique : jâai un peu contribuĂ© Ă OpenStreetMap (projet que jâai dĂ©couvert via mon implication Ă OFF, en passant). Jâai fait des modifications assez modestes, mais jâai un lien assez fort aux donnĂ©es que jâai ajoutĂ©es. Mais jâai souvent en tĂȘte ces contributions et le fait quâelles sont utiles Ă de nombreuses rĂ©-utilisations via des applications tierces. Constater ces rĂ©-utilisations crĂ©e une sorte de fiertĂ© dâavoir contribuĂ© Ă ce projet. Et une incitation Ă continuer. Christian Quest en a dâailleurs parlĂ© lors des derniers «âŻOFF DaysâŻÂ», en dĂ©cembre 2023.
Cette incitation est assez faible dans le cas de OFF. Personnellement, ce qui me pousse et mâa toujours poussĂ© Ă contribuer est de voir passer des articles scientifiques qui utilisent OFF comme source de donnĂ©es principale, notamment autour du Nutriscore.
Dâailleurs, lors des dix ans dâOFF, le docteur Chantal Julia a Ă©voquĂ© le travail lâĂ©quipe du Pr Serge Hercberg (lâinventeur du Nutriscore) et est venue parler de lâimpact dâOFF dans lâĂ©laboration de cet indicateur. Elle a prononcĂ© la phrase : «âŻLe Nutriscore nâen serait pas lĂ aujourdâhui si Open Food Facts nâexistait pasâŻÂ». Cette phrase rĂ©sume la raison de mon implication dans ce projet.

Intervention du Dr Chantal Julia pour les Open Food Facts Days 2022
Autre Ă©tonnement : la dĂ©pendance du projet Ă des outils non libres. Le fait que tout sâorganise sur Slack, par exemple, est dommage et lâutilisation de services Google lâest Ă©galement. Loin de moi lâidĂ©e de passer pour un puriste (on a tous nos contradictions Ă ce sujet) mais lorsque des alternatives existent, cela devrait ĂȘtre un rĂ©flexe pour tout projet de les utiliser en prioritĂ©. Je pense notamment aux outils portĂ©s par lâassociation Framasoft.
Le contrĂŽle des produits ajoutĂ©s serait Ă renforcer : OFF dĂ©borde de produits dont le code-barre est erronĂ©. Cela peut ĂȘtre intentionnel (vandalisme de donnĂ©es) ou non (erreur du lecteur de code-barre ou faute de frappe). La consĂ©quence : un travail de fourmi pour transfĂ©rer les photos au bon produit puis supprimer la mauvaise fiche. Heureusement, pour les produits qui nâont ni photo ni donnĂ©es, la procĂ©dure est souvent automatisĂ©e et, passĂ© un certain dĂ©lai, la fiche est supprimĂ©e. La consĂ©quence : une partie non nĂ©gligeable des produits ajoutĂ©s sur OFF sont destinĂ©s Ă ĂȘtre supprimĂ©s Ă long terme. De ce que jâai pu en constater, jâestime que cela reprĂ©sente entre 10 et 15% des produits ajoutĂ©s sur une annĂ©e (chiffre Ă prendre avec des pincettes).

Comparaison des produits ajoutĂ©s par annĂ©e entre le 2 janvier 2023 et le 10 fĂ©vrier 2024. Entre ces deux dates, plus de 77âŻ000 produits ont Ă©tĂ© supprimĂ©s car erronĂ©s.
Dernier regret qui, jâimagine, est partagĂ© par le reste des bĂ©nĂ©voles : nâavoir jamais pu dĂ©velopper de communautĂ©s locales de contributeurs. Je pense que câest dĂ» Ă la nature des donnĂ©es : il est plus facile de crĂ©er un groupe local lorsque celles-ci sont liĂ©es Ă lâendroit oĂč lâon rĂ©side (comme pour OpenStreetMap par exemple). Quelques «âŻscan partyâŻÂ» ont Ă©tĂ© organisĂ©es ici ou lĂ , mais je nâai pas le sentiment que ça ait initiĂ© quelque chose de concret.
Enfin, je veux terminer cette partie en clarifiant un point : jâadore OFF et jâai prĂ©vu de continuer Ă y apporter ma pierre Ă lâavenir. Cette section a uniquement pour but de souligner quelques-unes des pistes dâamĂ©lioration.
Perspectives
Les projets lancĂ©s rĂ©cemment autour des emballages, en partenariat avec lâADEME, me paraĂźt trĂšs intĂ©ressant. MĂȘme si je suis terrifiĂ© par la montagne de travail que reprĂ©sentent ces contributions, qui demandent de peser chaque Ă©lĂ©ment de lâemballage avec une balance de prĂ©cision, prendre la photo de celle-ci, lâenvoyer sur la fiche et renseigner toutes les informations.

OpĂ©ration Plein pot sur les emballages en partenariat avec lâADEME
Un autre projet plus rĂ©cent : OpenPrices. Lâambition est de suivre les prix des produits. SacrĂ© boulot en perspective vu la volatibilitĂ© de cette donnĂ©e. Reste que les premiers rĂ©sultats valent le dĂ©tour et des processus ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© Ă©laborĂ©s pour automatiser certaines contributions.

Interface du projet Open Prices
La taxonomie des ingrĂ©dients est Ă©galement prometteuse. Un peu de la mĂȘme maniĂšre que les catĂ©gories (quoique plus complexe), rĂ©fĂ©rencer les ingrĂ©dients dans une arborescence (potentiellement liĂ©e aux donnĂ©es de Wikidata) va permettre de nouvelles rĂ©utilisations. Il y a Ă©galement le projet de rĂ©aliser une taxonomie des marques.
Conclusion
Ă travers Open Food Facts, jâai mis un pied plus globalement dans le monde du libre. Parfois, la motivation baisse devant lâaspect "sisyphĂ©en" du projet : pour une fiche correctement complĂ©tĂ©e, 100 produits sont ajoutĂ©s. Mais, voir lâimpact concret de son travail, par exemple via le Nutriscore, est trĂšs gratifiant.
Entre mon arrivĂ©e et aujourdâhui, la taille de la base mondiale a Ă©tĂ© multipliĂ©e par 100 et le taux de produits français a largement diminuĂ©, preuve de lâinternationalisation du projet. MĂȘme si beaucoup reste Ă faire, OFF a dâores et dĂ©jĂ apportĂ© sa pierre Ă la transparence alimentaire.
Si jâai incitĂ© ne serait-ce que deux ou trois personnes Ă modifier une fiche ou Ă ajouter un produit, jâaurai atteint mon objectif. Mais plus que Open Food Facts, cet article a pour but de vous inciter Ă contribuer Ă un commun numĂ©rique. Je tire surtout de cette expĂ©rience des rencontres et des discussions enrichissantes avec lâĂ©quipe au cĆur du projet.

Photo de groupe aux OFF Days 2023
P.S. : Le E171 (ou dioxyde de titane), ce colorant controversĂ© par lequel je me suis intĂ©ressĂ© Ă OFF, est dĂ©sormais interdit en Europe depuis 2022 aprĂšs que la France lâait bannie des aliments lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente.
JosĂ© BovĂ© doit ĂȘtre content. :)
Liens & ressources
Ă lire
Mange et tais-toi (Serge HERCBERG, Editions humenSciences, février 2022)
Ă voir
PrĂ©sentation dâOpen Food Facts Ă lâĂ©dition 2015 de la convention Pas Sage en Seine
Une vidéo de la chaßne Projet Utopia qui parle surtout de Yuka mais aussi (un peu) de OFF
Ă Ă©couter
Manon Corneille de Open Food Facts sur le podcast Projet Libres
Un Ă©pisode de l'Ă©mission "Le Meilleur des Mondes", sur France Culture, qui aborde les applications comme Yuka et Open Food Facts