Ăchirolles libĂ©rĂ©e ! La dĂ©googlisation (5)
Voici aujourdâhui le 5e et dernier article que Nicolas Vivant consacre Ă la dĂ©googlisation de la ville dâĂchirolles (si vous avez ratĂ© les Ă©pisodes prĂ©cĂ©dents). Maintenant que les outils sont en place, il est temps dâenvisager comment la mutualisation et la dĂ©centralisation conjuguĂ©es pourraient ouvrir de nouvelles perspectives aux citoyens et citoyennes de lâagglomĂ©ration.
Le grand absent de ce rĂ©cit est le travail important entamĂ© sur la rĂ©duction de lâimpact environnemental du numĂ©rique. Câest un fil conducteur permanent pour notre action. De nombreuses choses sont faites, mais dâautres dĂ©crivent beaucoup mieux que nous les enjeux, les outils et ce quâil convient de faire pour avancer. Leur travail nous sert de guide. Jây reviendrai dans un article (modeste et) dĂ©diĂ©.
Voir plus loin pour viser juste
Une vision pour lâavenir, ce nâest pas une prĂ©diction, ni mĂȘme une prĂ©vision. Câest simplement un axe, une direction. Câest ce qui permet, quand deux chemins existent, de faire un choix. Ce nâest Ă©videmment pas une garantie que ce choix soit le bon mais si, Ă chaque carrefour, une direction existe qui aide Ă se dĂ©terminer, alors nous gagnons en cohĂ©rence, en rapiditĂ© de dĂ©cision et, finalement, en efficacitĂ©.
Dans un monde oĂč la dĂ©googlisation serait une rĂ©alitĂ©, oĂč les logiciels libres seraient dominants et oĂč transparence et partage des donnĂ©es sâimposeraient comme une Ă©vidence, quel pourrait ĂȘtre lâĂ©tape suivante ? Et quelles pierres poser, dĂšs aujourdâhui, qui tendraient vers cet objectif et pourraient orienter notre action ?
La décentralisation comme facteur de résilience
Historiquement, lâinternet public est une architecture dĂ©centralisĂ©e. Câest mĂȘme lâune des raisons de sa crĂ©ation : lâinterconnexion de rĂ©seaux divers, dans un but de coopĂ©ration. MĂȘme si le rĂ©cit dâun internet construit comme un rĂ©seau permettant de rĂ©sister Ă une attaque nuclĂ©aire est une lĂ©gende urbaine, les Ă©vĂ©nements rĂ©cents ont permis de vĂ©rifier que la dĂ©centralisation Ă©tait bien lâune des clĂ©s de la rĂ©silience des systĂšmes dâinformation.
En France, la plupart des accĂšs rĂ©sidentiels reposent sur Orange, Free, Bouygues et SFR. Quatre infrastructures qui, si elles Ă©taient attaquĂ©es, affecteraient durablement nos communications. Une Ă©tude du RIPE a montrĂ© comment lâinternet ukrainien rĂ©sistait au black-out gĂ©nĂ©ral malgrĂ© les nombreuses dĂ©gradations de l »infrastructure. Le secret ? Une structure distribuĂ©e, dĂ©centralisĂ©e, et des fournisseurs dâaccĂšs locaux partout dans le pays.
Lâexemple le plus connu (et lâun des plus anciens) dâun systĂšme fĂ©dĂ©rĂ© est la messagerie Ă©lectronique. Les fournisseurs dâadresses e-mail sont innombrables mais, parce quâils ont choisi dâutiliser des protocoles standard, interopĂ©rables, chaque utilisateur peut Ă©changer des messages avec tous les autres. Si lâun des prestataires techniques disparaĂźt (câest arrivĂ© plusieurs fois), il ne met pas en danger lâintĂ©gralitĂ© du systĂšme. La domination dâun acteur, en revanche, parce quâelle repose sur la centralisation des ressources (pensons Ă Gmail), peut fragiliser cette construction.
Mais lâangle de la rĂ©silience nâest pas le seul quâil est intĂ©ressant dâinterroger.
DĂ©centralisation et mutualisation
Dans lâesprit de la plupart de nos dĂ©cideurs, mutualisation et centralisation vont de pair, lâun des objectifs dâun effort de mise en commun des moyens Ă©tant de rĂ©aliser des Ă©conomies dâĂ©chelle. Pour un certain nombre dâapplications centrales, cette promesse est tenue. Cependant, quelques inconvĂ©nients sont associĂ©s Ă ce type de projet :
- éloignement des organes de décision
- perte dâautonomie dans les choix techniques ou politiques
- moindre connaissance de lâenvironnement des utilisateurs
- moindre rĂ©activitĂ© dans la mise en Ćuvre des projets
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Comment articuler coopĂ©ration (pour une plus grande efficacitĂ© dans les projets transversaux) et autonomie (pour conserver une certaine libertĂ© de choix et dâaction) ?
En coopĂ©rant, des structures indĂ©pendantes peuvent crĂ©er des rĂ©seaux au service de projets dâenvergure, tout en conservant leur autonomie de gestion, dâĂ©volution et dâaction. Des moyens techniques existent, et elles sont trĂšs largement implantĂ©es dans les solutions libres. ActivityPub a Ă©tĂ© officiellement publiĂ© comme recommandation du W3C le 23 janvier 2018.
Ce standard, qui permet dâinterfacer des solutions diverses, est prĂ©sent dans plusieurs des logiciels utilisĂ©s par la ville dâĂchirolles : Nextcloud (plateforme collaborative), Peertube (hĂ©bergement de vidĂ©os), Mastodon (rĂ©seau social) et WordPress (crĂ©ation de sites web). Ces quatre outils sont de plus en plus utilisĂ©s par les collectivitĂ©s territoriales, les ministĂšres et les partenaires de la ville, mais les fonctionnalitĂ©s de fĂ©dĂ©ration sont rarement mises en Ćuvre, en interne comme en externe. Pourtant, les applications pourraient ĂȘtre nombreuses : partage dâannuaires/de dossiers entre collectivitĂ©s (Nextcloud), meilleure visibilitĂ© de la communication des structures associĂ©es (Peertube), crĂ©ation de sites dans le cadre de projets intercommunaux (WordPress), mise en avant des actions dâun territoire (Mastodon), etc.
La fédération comme horizon
Au sein dâAlpes NumĂ©rique Libre, le collectif de DSI de la rĂ©gion grenobloise autour des logiciels libres, le sujet est en train de naĂźtre, sans concrĂ©tisation pour le moment. La mise en place dâune fĂ©dĂ©ration des acteurs au sein dâun mĂȘme territoire gĂ©ographique pourrait ĂȘtre une premiĂšre pierre posĂ©e, une expĂ©rience intĂ©ressante du point de vue de lâaction publique dont nous pourrions, peut-ĂȘtre, tirer des enseignements plus larges.
Les EPCI (Ă©tablissements publics de coopĂ©ration intercommunale), comme le SITPI ou Grenoble Alpes MĂ©tropole dans notre rĂ©gion, pourraient jouer un rĂŽle moteur dans ce type dâinitiative : idĂ©alement positionnĂ©s au centre des rĂ©seaux communaux, ils disposent dâune architecture parfaitement adaptĂ©e.
Lâinstance Mastodon colter.social, crĂ©Ă©e, hĂ©bergĂ©e et maintenue par le SITPI est, Ă ce titre, un prĂ©curseur intĂ©ressant de ce que pourraient ĂȘtre ces fonctionnements fĂ©dĂ©ratifs. Mise Ă disposition de lâensemble des collectivitĂ©s territoriales, sa modĂ©ration est assurĂ©e par les agents de collectivitĂ©s qui ne sont pas forcĂ©ment adhĂ©rentes du syndicat, mais qui ont choisi de coopĂ©rer. Des outils comme Zammad ou Signal (pour des instances plus importantes, pourquoi pas un serveur Matrix ?) permettent dâorganiser efficacement ce travail.
Plusieurs autres systĂšmes de mutualisation innovants pourraient ĂȘtre imaginĂ©s, alliant la mise Ă disposition de ressources pour les petites collectivitĂ©s (un serveur PeerTube partagĂ©, par exemple) et une fĂ©dĂ©ration avec les structures de taille plus importante, chacune maintenant sa propre solution.
Nous nâen sommes pas lĂ pour le moment, et nombreuses sont les collectivitĂ©s qui reposent sur des solutions hĂ©bergĂ©es (en mode SaaS), souvent chez des grands acteurs amĂ©ricains (Google, Microsoft, AmazonâŠ), parce quâelles nâont pas les compĂ©tences ou les ressources financiĂšres permettant un autre fonctionnement.
Pas toujours trÚs bien structurées, focalisées sur leur transformation numérique, choisie ou subie, ce type de projet peut paraßtre bien éloigné de leurs préoccupations quotidiennes. Mais il me semblait intéressant de faire ce travail de prospective, comme un horizon vers lequel nous pourrions, individuellement et collectivement, choisir de tendre.
â LâĂ©pisode 1 (structuration)
â LâĂ©pisode 2 (transformation)
â LâĂ©pisode 3 (solutions)
â LâĂ©pisode 4 (inclusion)
â LâĂ©pisode 5 (vous ĂȘtes ici)
- Source image : https://iseremag.fr/actualites/2020-juillet-aout/echirolles-la-cite-plurielle
- Auteur : © C. Delcrampe
- Description : Vue dâĂchirolles, immeubles rĂ©cents avec passage du tram.
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