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Du libre dans les Ă©coles belges avec NumEthic

2 octobre 2024 Ă  05:29
Aujourd’hui, nous partons Ă  la dĂ©couverte de NumEthic, une association belge qui Ɠuvre pour promouvoir le libre notamment dans les Ă©coles.

Pour commencer, pouvez-vous nous prĂ©senter NumEthic ? 

NumEthic est une association qui a pour but de promouvoir et de crĂ©er un espace de rĂ©flexions et de pratiques autour du numĂ©rique dans l’éducation et en particulier dans l’enseignement. Pour cela nous organisons et donnons des ateliers, des animations et formations autour de ce sujet. Nous voulons Ă©galement accompagner des Ă©coles dans la rĂ©flexion et la mise en place d’outils informatiques libres.

Logo de NumEthic

Vous ĂȘtes une ASBL, pouvez-vous expliquer aux non-belges ce que cela signifie ?

C’est une Association Sans But Lucratif. C’est l’équivalent d’une association loi 1901 en France. Pour faire simple, s’il y a des bĂ©nĂ©fices liĂ©s Ă  nos activitĂ©s, ils ne peuvent pas ĂȘtre distribuĂ©s aux membres de l’association. Ils doivent ĂȘtre rĂ©investis dans l’association.

NumEthic, votre nom d’association est clair. Mais, vous mettez quel sens exactement derriĂšre cette notion de « NumĂ©rique Éthique Â» ?

Parce que nous avons une dĂ©marche dĂ©mocratique et parce que nous nous sommes mal coordonnĂ©s ;-), voici ici et lĂ  deux rĂ©ponses intĂ©ressantes et qui se complĂštent.
Émilie : Nous le comprenons dans le sens dĂ©crit par Éric Sadin, Ă  savoir que l’éthique Ă  pour base de permettre « le respect inconditionnel de l’intĂ©gritĂ© et de la dignitĂ© humaine Â». Ainsi, pour ĂȘtre Ă©thique, il faut permettre Ă  toute personne d’exercer son jugement, de pouvoir dĂ©cider en conscience et sans ĂȘtre pris dans un quelconque engrenage marchand.  Notre objectif est donc clairement de provoquer une dĂ©marche de questionnement par rapport aux usages que nous avons du numĂ©rique car aucune technologie n’est neutre comme le dĂ©fendait Jacques Ellul, que du contraire. À nos yeux, un numĂ©rique Ă©thique serait un numĂ©rique respectueux de l’intĂ©gritĂ© intellectuelle, morale, psychique de tout un chacun ; un numĂ©rique sobre et responsable qui se soucie des questions environnementales, dĂ©mocratiques, citoyennes, humaines

Manu : C’est une bonne question. Nous ne pensons pas qu’il y a une rĂ©ponse simple et dĂ©finitive. D’abord, parce que notre sociĂ©tĂ© et le numĂ©rique sont complexes et en mutations constantes, s’arrĂȘter Ă  une rĂ©ponse, ce serait l’oublier. Ensuite, mĂȘme si nous partageons une culture relativement commune chaque situation, chaque relation entre une personne ou un groupe de personnes et un objet numĂ©rique est singuliĂšre. Les enjeux, les besoins et les dĂ©sirs ne sont pas les mĂȘmes. Notre volontĂ© est de mettre Ă  disposition toute une sĂ©rie de repĂšres, de grilles de lecture pour que tout un chacun puisse dĂ©terminer, avec les valeurs qui sont les leurs, ce que devrait ĂȘtre un « numĂ©rique Ă©thique Â» dans leur contexte particulier. D’ailleurs, nous ne voyons pas le logiciel libre comme une fin en soi. Pour nous, c’est non seulement un moyen d’émancipation, par la libertĂ© qu’il procure aux utilisateurs, mais aussi une maniĂšre d’expliciter, de mettre en Ă©vidence qu’il y a un intĂ©rĂȘt Ă  penser la relation que nous avons avec les logiciels, qu’il y a des enjeux philosophiques, culturels, politiques et Ă©cologiques. C’est donc une super porte d’entrĂ©e pour y rĂ©flĂ©chir.

Tout le monde n’a pas la mĂȘme vision de l’éthique ;-)

Vos actions ciblent principalement le monde de l’éducation. Pourquoi ce choix ?

Émilie : Probablement parce que les fondateurs sont tous les deux des enseignants ;-) plus sĂ©rieusement, l’école est un espace d’apprentissage et de dĂ©couverte. À l’heure oĂč elle est dĂ©sormais investie par les grandes multinationales de la tech pour rĂ©pondre Ă  la « transition numĂ©rique Â» de l’enseignement, c’est un devoir moral presque d’éveiller les Ă©lĂšves (et les adultes de l’équipe Ă©ducative) aux enjeux du numĂ©rique -tant sociĂ©taux qu’écologiques- et de leur proposer un panel d’outils plus respectueux de leurs donnĂ©es personnelles. Cela rentre dans notre dĂ©marche d’éducation AU numĂ©rique, qui souhaite donner des clefs de comprĂ©hension de la culture numĂ©rique et de son impact sur l’organisation de notre sociĂ©tĂ©.
Manu : Tous les membres actifs travaillent d’une maniĂšre ou d’une autre dans les Ă©coles que ce soit en tant qu’enseignant, en tant que technicien en informatique ou les deux. C’est donc quelque chose que nous connaissons, oĂč nous avons de l’expĂ©rience et un petit rĂ©seau. MĂȘme si la voie est libre, la route est longue, autant commencer par un chemin que nous connaissons un peu ;-).

Quel accueil reçoivent vos interventions de la part des enseignants ?

Émilie : Certains sont curieux,  intĂ©ressĂ©s voire dĂ©jĂ  convaincus. Cependant, pour la majoritĂ©, le numĂ©rique n’est pas un enjeu, seulement un outil : ils et elles prĂ©fĂšrent alors rester dans la simplicitĂ© des systĂšmes dominants bien connus. 
Manu : Ça dĂ©pend vraiment des personnes et du sujet. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, c’est difficile de ne pas faire le constat que le numĂ©rique est quasi omniprĂ©sent et qu’il transforme notre sociĂ©tĂ© en profondeur, d’oĂč le besoin d’y rĂ©flĂ©chir. Les enseignants sont assez sensibles Ă  l’aspect « manipulation Â» des GAFAM vis-Ă -vis des jeunes, mais l’effort nĂ©cessaire Ă  la mise en place d’actions ou dispositif pĂ©dagogique bloque la majoritĂ© d’entre eux. Il faut savoir qu’en Belgique francophone l’utilisation de Google ou Microsoft est encouragĂ© dans pas mal d’écoles. Le systĂšme d’enseignement belge est composĂ© de plusieurs « rĂ©seaux Â». Certains sont clairement pro-GAFAM, d’autres pas.

Et de la part des inspections (je ne sais pas si cela fonctionne comme cela en Belgique) ?

Nous avons des inspecteurs, mais ils sont lĂ  pour vĂ©rifier le travail des enseignants. J’imagine que ce n’est pas la mĂȘme fonction en France.

En France, rĂ©cemment, nous avons eu la chance de voir l’émergence de apps.education au niveau d’une branche du ministĂšre. Est-ce qu’au niveau belge, il y a une volontĂ© ministĂ©rielle de mettre en avant le libre ?

Au niveau du ministĂšre, la volontĂ© est des plus molles pour mettre en place du libre. Il y a bien un accĂšs Ă  une plateforme Moodle offerte Ă  toutes les Ă©coles ou encore une utilisation assez importante de pix.org, mais c’est malheureusement tout. Par ailleurs, il y a un dĂ©ni Ă©vident de nos politiciens vis-Ă -vis de la violation de la vie privĂ©e de la part des GAFAM. C’est donc difficile de faire bouger les lignes mĂȘme si nous ne dĂ©sespĂ©rons pas.

Arrivez-vous facilement Ă  intervenir dans les Ă©coles ?

Ce n’est pas Ă©vident. En tant qu’association, nous existons seulement depuis 2021. Pour le moment, c’est principalement par le bouche-Ă -oreilles que nous avons accĂšs Ă  des Ă©coles, et donc par des gens qui nous font dĂ©jĂ  confiance. 

Parmi vos objectifs prĂ©sents sur votre site, vous indiquez vouloir « privilĂ©gier la diversitĂ© de des outils Â». Ne craignez vous pas que pour certaines personnes, avoir trop d’outils diffĂ©rents ne soit pas un peu dĂ©stabilisant ?

Si une personne est seule face Ă  tous ces outils, c’est sĂ»r que ce sera dĂ©stabilisant. C’est pour ça que nous n’envisageons pas les outils comme des « individus Â» hors de tout contexte, mais comme faisant partie d’une dynamique sociale, d’une communautĂ© sur laquelle les personnes pourront s’appuyer pour faire face Ă  la complexitĂ© du monde numĂ©rique. Une communautĂ© qui pourra orienter les nouveaux venus qu’ils pourront intĂ©grer par la suite. Et par communautĂ©, j’entends NumEthic, Framasoft, les GULL, ceux autour d’un logiciel spĂ©cifique, etc.

C’est vous qui dĂ©marchez les Ă©tablissements ou ceux-ci vous contactent directement ?

Dans la grande majoritĂ© des cas, ce sont les Ă©tablissements qui viennent vers nous. Le peu de dĂ©marchage que nous avons fait n’a pas donnĂ© beaucoup de rĂ©sultats.

Quels sont vos souhaits, perspectives d’évolutions pour NumEthic ?

Notre premier souhait, c’est de faire plus d’ateliers, d’animations, d’accompagnements d’école et de faire grandir une communautĂ© autour du projet de NumEthic. Pour cela, nous aimerions engager quelqu’un de maniĂšre permanente. Nous espĂ©rons Ă©galement faire plus de lobbying au niveau institutionnel. Et surtout rencontrer plein de chouettes gens :-).

Et pour finir, une petit question trollesque : pourquoi choisir une licence non libre (CC-BY-NC-SA) pour la publication sur votre site qui promeut les logiciels libres ?

C’est une chouette question, parce qu’il met en Ă©vidence une certaine tension entre ce que nous dĂ©fendons en premier lieu, un numĂ©rique Ă©thique, et comment, en pratique, celui-ci prend forme avec les logiciels libres par exemple. Dans ce cas, c’est la clause non-commerciale (NC) qui pose problĂšme. Une clause qui s’attarde sur l’aspect Ă©conomique que nous ne voudrions surtout pas mettre de cĂŽtĂ© pour penser l’éthique du numĂ©rique. Nous ne voudrions d’ailleurs pas tomber dans une vision Ă©thique « absolue Â», mais plutĂŽt « politique Â», c’est-Ă -dire qui s’intĂ©resse Ă  ce que cela produit chez celles et ceux qui la pratique, l’émancipation par exemple.

Pour ĂȘtre honnĂȘte, nous n’avons pas discutĂ© du choix de la licence. En Belgique, il y a beaucoup d’acteurs commerciaux, grands ou petits. J’imagine que la clause NC nous permet juste de rĂ©sister Ă  ce contexte et de nous dĂ©marquer en tant que petit acteur.

Troll par Thodor Kittelsen (un de premiers à avoir représenté des trolls)

 

Un grand merci Ă  NumEthic d’avoir pris le temps de nous prĂ©senter leur association !

Logiciel libre et anarchisme

Par : Framatophe
9 octobre 2023 Ă  12:24

Par sa volontĂ© de dĂ©centralisation, le logiciel libre est prĂ©sentĂ© comme porteur de valeurs anarchistes, et parfois vilipendĂ© par certaines institutions pour cela. Mais pour autant que les mĂ©thodes de travail puissent ĂȘtre reliĂ©es Ă  des pratiques libertaires, voire revendiquĂ©es comme telles, peut-on rĂ©ellement considĂ©rer qu’il en adopte toutes les valeurs, les ambitions et le message politique ?

Framatophe vous propose ici de retracer un peu la façon dont les mouvements du logiciel libre et des mouvements anarchistes se sont cĂŽtoyĂ©s au fil des ans et, surtout, comment ils pourraient mieux apprendre l’un de l’autre.

Logiciel libre et anarchisme

À travers le monde et Ă  travers l’histoire, les mouvements anarchistes ont toujours subi la surveillance des communications. Interdiction des discours publics et rassemblements, arrestations d’imprimeurs, interceptions tĂ©lĂ©phoniques, surveillance numĂ©rique. Lorsque je parle ici de mouvements anarchistes, je dĂ©signe plutĂŽt tous les mouvements qui contiennent des valeurs libertaires. Bien au-delĂ  des anciennes luttes productivistes des mouvements ouvriers, anarcho-syndicalistes et autres, le fait est qu’aujourd’hui Ă©normĂ©ment de luttes solidaires et pour la justice sociale ont au moins un aspect anarchiste sans pour autant qu’elles soient issues de mouvements anarchistes « historiques Â». Et lorsqu’en vertu de ce « dĂ©jĂ -lĂ  Â» anarchiste qui les imprĂšgne les sociĂ©tĂ©s font valoir leurs libertĂ©s et leurs souhaits en se structurant en organes collectifs, les États et les organes capitalistes renforcent leurs capacitĂ©s autoritaires dont l’un des aspects reconnaissables est le contrĂŽle des outils numĂ©riques.

Cela aboutit parfois Ă  des mĂ©langes qu’on trouverait cocasses s’ils ne dĂ©montraient pas en mĂȘme temps la volontĂ© d’organiser la confusion pour mieux dĂ©nigrer l’anarchisme. Par exemple cette analyse lamentable issue de l’École de Guerre Économique, au sujet de l’emploi du chiffrement des communications, qui confond anarchisme et crypto-anarchisme comme une seule « idĂ©ologie Â» dangereuse. Or il y a bien une diffĂ©rence entre prĂ©munir les gens contre l’autoritarisme et le contrĂŽle numĂ©rique et souhaiter l’avĂšnement de nouvelles fĂ©odalitĂ©s ultra-capitalistes au nom dĂ©voyĂ© de la libertĂ©. Cette confusion est d’autant plus savamment orchestrĂ©e qu’elle cause des tragĂ©dies. En France, l’affaire dite du 8 dĂ©cembre 20201, sorte de remake de l’affaire Tarnac, relate les gardes Ă  vue et les poursuites abusives Ă  l’encontre de personnes dont le fait d’avoir utilisĂ© des protocoles de chiffrement et des logiciels libres est dĂ©clarĂ© suspect et assimilable Ă  un comportement dont le risque terroriste serait avĂ©rĂ© – en plus d’avoir lu des livres d’auteurs anarchistes comme Blanqui et Kropotkine. Avec de tels fantasmes, il va falloir construire beaucoup de prisons.

caricature suggérant qu'à travers un ordinateur des services secrets "récupÚrent" le cerveau éjecté d'un quidam qui est comme étranglé.

Die Hackerbibel, Chaos Computer Club, 1998, illlustration page 15

Le logiciel libre a pourtant acquis ses lettres de noblesses. Par exemple, si Internet fonctionne aujourd’hui, c’est grĂące Ă  une foule de logiciels libres. Ces derniers sont utilisĂ©s par la plupart des entreprises aujourd’hui et il n’y a guĂšre de secteurs d’activitĂ©s qui en soient exempts. En revanche, lorsqu’on considĂšre l’ensemble des pratiques numĂ©riques basĂ©es sur l’utilisation de tels communs numĂ©riques, elles font trĂšs souvent passer les utilisateurs experts pour de dangereux hackers. Or, lorsque ces utilisations ont pour objectif de ne pas dĂ©pendre d’une multinationale pour produire des documents, de protĂ©ger l’intimitĂ© numĂ©rique sur Internet, de faire fonctionner des ordinateurs de maniĂšre optimale, ne sont-ce pas lĂ  des prĂ©occupations tout Ă  fait lĂ©gitimes ? Ces projections Ă©tablissent un lien, souvent pĂ©joratif, entre logiciel libre, activitĂ© hacker et anarchisme. Et ce lien est postulĂ© et mentionnĂ© depuis longtemps. Le seul fait de bricoler des logiciels et des machines est-il le seul rapport entre logiciel libre et anarchisme ? Que des idiots trouvent ce rapport suspect en fait-il pour autant une rĂ©alitĂ© tangible, un lien Ă©vident ?

Le logiciel libre comporte quatre libertĂ©s : celle d’utiliser comme bon nous semble le logiciel, celle de partager le code source tout en ayant accĂšs Ă  ce code, celle de le modifier, et celle de partager ces modifications. Tout cela est contractuellement formalisĂ© par les licences libres et la premiĂšre d’entre elles, la Licence Publique GĂ©nĂ©rale, sert bien souvent de point de repĂšre. L’accĂšs ouvert au code combinĂ© aux libertĂ©s d’usage et d’exploitation sont communĂ©ment considĂ©rĂ©s comme les meilleurs exemples de construction de communs numĂ©riques et de gestion collective, et reprĂ©sentent les meilleures garanties contre l’exploitation dĂ©loyale des donnĂ©es personnelles (on peut toujours savoir et expertiser ce que fait le logiciel ou le service). Quelle belle idĂ©e que de concevoir le Libre comme la traduction concrĂšte de principes anarchistes : la lutte contre l’accaparement du code, son partage collaboratif, l’autogestion de ce commun, l’horizontalitĂ© de la conception et de l’usage (par opposition Ă  la verticalitĂ© d’un pouvoir arbitraire qui dirait seul ce que vous pouvez faire du code et, par extension, de la machine). Et tout cela pourrait ĂȘtre mis au service des mouvements anarchistes pour contrecarrer la surveillance des communications et le contrĂŽle des populations, assurer la libertĂ© d’expression, bref crĂ©er de nouveaux communs, avec des outils libres et une libertĂ© de gestion.

Belle idĂ©e, partiellement concrĂ©tisĂ©e Ă  maints endroits, mais qui recĂšle une grande part d’ombre. Sur les communs que composent les logiciels libres et toutes les Ɠuvres libres (logiciels ou autres), prolifĂšre tout un Ă©cosystĂšme dont les buts sont en rĂ©alitĂ© malveillants. Il s’agit de l’accaparement de ces communs par des acteurs moins bien intentionnĂ©s et qui paradoxalement figurent parmi les plus importants contributeurs au code libre / open source. C’est que face Ă  la libertĂ© d’user et de partager, celle d’abuser et d’accaparer n’ont jamais Ă©tĂ© contraintes ni Ă©liminĂ©es : les licences libres ne sont pas moralistes, pas plus qu’elles ne peuvent lĂ©gitimer une quelconque autoritĂ© si ce n’est celle du contrat juridique qu’elles ne font que proposer. On verra que c’est lĂ  leur fragilitĂ©, nĂ©cessitant une identification claire des luttes dont ne peut se dĂ©partir le mouvement du logiciel libre.

Collaboration sans pouvoir, contribution et partage : ce qui pourrait bien s’apparenter Ă  de grands principes anarchistes fait-il pour autant des mouvements libristes des mouvements anarchistes et du logiciel libre un pur produit de l’anarchie ? Par exemple, est-il lĂ©gitime que le systĂšme d’exploitation Android de Google-Alphabet soit basĂ© sur un commun libre (le noyau Linux) tout en imposant un monopole et des contraintes d’usage, une surveillance des utilisateurs et une extraction lucrative des donnĂ©es personnelles ? En poussant un peu plus loin la rĂ©flexion, on constate que la crĂ©ation d’un objet technique et son usage ne sont pas censĂ©s vĂ©hiculer les mĂȘmes valeurs. Pourtant nous verrons que c’est bien Ă  l’anarchie que font rĂ©fĂ©rence certains acteurs du logiciel libre. Cette imprĂ©gnation trouve sa source principale dans le rejet de la propriĂ©tĂ© intellectuelle et du pouvoir qu’elle confĂšre. Mais elle laisse nĂ©anmoins l’esprit anarchiste libriste recroquevillĂ© dans la seule production technique, ouvrant la voie aux critiques, entre tentation libertarienne, techno-solutionnisme et mĂ©pris de classe. Sous certains aspects, l’éthique des hackers est en effet tout Ă  fait fongible dans le nĂ©olibĂ©ralisme. Mais il y a pourtant un potentiel libertaire dans le libre, et il ne peut s’exprimer qu’à partir d’une convergence avec les luttes anticapitalistes existantes.

Des libertés fragiles

Avant d’entrer dans une discussion sur le rapport historique entre logiciel libre et anarchie, il faut expliquer le contexte dans lequel un tel rapport peut ĂȘtre analysĂ©. Deux points de repĂšre peuvent ĂȘtre envisagĂ©s. Le premier point de repĂšre consiste Ă  prendre en compte que logiciel libre et les licences libres proposent des dĂ©veloppements et des usages qui sont seulement susceptibles de garantir nos libertĂ©s. Cette nuance a toute son importance. Le second point consiste Ă  se demander, pour chaque outil numĂ©rique utilisĂ©, dans quelle mesure il participe du capitalisme de surveillance, dans quelle mesure il ouvre une brĂšche dans nos libertĂ©s (en particulier la libertĂ© d’expression), dans quelle mesure il peut devenir un outil de contrĂŽle. C’est ce qui ouvre le dĂ©bat de l’implication des mouvements libristes dans diverses luttes pour les libertĂ©s qui dĂ©passent le seul logiciel en tant qu’objet technique, ou l’Ɠuvre intellectuelle ou encore artistique placĂ©e sous licence libre.

Ce sont des techniques


Il ne faut jamais perdre de vue que, en tant que supports de pensĂ©e, de communication et d’échanges, les logiciels (qu’ils soient libres ou non) les configurent en mĂȘme temps2. C’est la question de l’aliĂ©nation qui nous renvoie aux anciennes conceptions du rapport production-machine. D’un point de vue marxiste, la technique est d’abord un moyen d’oppression aux mains des classes dominantes (l’activitĂ© travail dominĂ©e par les machines et perte ou Ă©loignement du savoir technique). Le logiciel libre n’est pas exempt de causer cet effet de domination ne serait-ce parce que les rapports aux technologies sont rarement Ă©quilibrĂ©s. On a beau postuler l’horizontalitĂ© entre concepteur et utilisateur, ce dernier sera toujours dĂ©pendant, au moins sur le plan cognitif. Dans une Ă©conomie contributive idĂ©ale du Libre, concepteurs et utilisateurs devraient avoir les mĂȘmes compĂ©tences et le mĂȘme degrĂ© de connaissance. Mais ce n’est gĂ©nĂ©ralement pas le cas et comme disait Lawrence Lessig, « Code is law Â»3.

Le point de vue de Simondon, lui, est tout aussi acceptable. En effet l’automatisation – autonomisation de la technique (Ă©mancipation par rapport au travail) suppose aussi une forme d’aliĂ©nation des possĂ©dants vis-Ă -vis de la technique4. Le capital permet la perpĂ©tuation de la technique dans le non-sens du travail et des comportements, leur algorithmisation, ce qui explique le rĂȘve de l’usine automatisĂ©e, Ă©tendu Ă  la consommation, au-delĂ  du simple fait de se dĂ©barrasser des travailleurs (ou de la libertĂ© des individus-consommateurs). Cependant la culture technique n’équivaut pas Ă  la maĂźtrise de la technique (toujours subordonnĂ©e au capital). CensĂ© nous livrer une culture technique Ă©mancipatrice Ă  la fois du travail et du capital (la licence libre opposĂ©e Ă  la propriĂ©tĂ© intellectuelle du « bien Â» de production qu’est le logiciel), le postulat libriste de l’équilibre entre l’utilisateur et le concepteur est dans les faits rarement accompli, Ă  la fois parce que les connaissances et les compĂ©tences ne sont pas les mĂȘmes (voir paragraphe prĂ©cĂ©dent) mais aussi parce que le producteur lui-mĂȘme dĂ©pend d’un systĂšme Ă©conomique, social, technique, psychologique qui l’enferme dans un jeu de dĂ©pendances parfois pas si diffĂ©rentes de celles de l’utilisateur. L’équilibre peut alors ĂȘtre trouvĂ© en crĂ©ant des chaĂźnes de confiance, c’est-Ă -dire des efforts collectifs de crĂ©ation de communs de la connaissance (formations, entraide, vulgarisation) et des communs productifs : des organisations Ă  tendances coopĂ©ratives et associatives capables de proposer des formules d’émancipation pour tous. CrĂ©er du Libre sans proposer de solutions collectives d’émancipation revient Ă  dĂ©montrer que la libertĂ© existe Ă  des esclaves enchaĂźnĂ©s tout en les rendant responsables de leurs entraves.


Issues de la culture hacker

La culture hacker est un hĂ©ritage Ă  double tranchant. On a longtemps glorifiĂ© les communautĂ©s hackers des annĂ©es 1960 et 1970 parce qu’elles sont Ă  l’origine de l’aventure libĂ©ratrice de l’ordinateur et des programmes hors du monde hiĂ©rarchisĂ© de la DĂ©fense et de l’UniversitĂ©. Une sorte de « dĂ©mocratisation Â» de la machine. Mais ce qu’on glorifie surtout c’est le mode de production informatique, celui qui a donnĂ© lieu aux grandes histoires des communautĂ©s qui partageaient la mĂȘme Ă©thique des libertĂ©s numĂ©riques et que Steven LĂ©vy a largement popularisĂ© en dĂ©finissant les contours de cette « Ă©thique hacker Â»5. Le projet GNU de R. M. Stallman, Ă  l’origine dans les annĂ©es 1980 de la Licence Publique GĂ©nĂ©rale et de la formulation des libertĂ©s logicielles en droit, est surtout l’illustration d’une Ă©conomie logicielle qui contraint la contribution (c’est la viralitĂ© de la licence copyleft) et promeut un mode de dĂ©veloppement collectif. Ce qu’on retient aussi de la culture hacker, c’est la rĂ©action aux notions de propriĂ©tĂ© intellectuelle et d’accaparement du code. On lui doit aussi le fait qu’Internet s’est construit sur des protocoles ouverts ou encore les concepts d’ouverture des formats. Pourtant l’état de l’économie logicielle et de l’Internet des plateformes montre qu’aujourd’hui nous sommes loin d’une Ă©thique de la collaboration et du partage. Les enjeux de pouvoir existent toujours y compris dans les communautĂ©s libristes, lorsque par exemple des formats ou des protocoles sont imposĂ©s davantage par effet de nombre ou de mode que par consensus6.

 

dessin d'humour sur la couverture du magazine du Chaos Computer Club : un type à casquette à l'envers et en salopette se régale (langue tirée) devant un écran qui demande "qui est là" en allemand, une souris à antenne émet un biiiip sur son bureau. Un verre de coca avec une paille s'y trouve aussi de l'autre cÎté du clavier. Ordinateur de 1998 donc assez vintage aujourd'hui.

Die Hackerbibel, Chaos Computer Club, 1998, couverture

Comme le montre trĂšs bien SĂ©bastien Broca7, l’éthique hacker n’est pas une simple utopie contrariĂ©e. Issue de la critique antihiĂ©rarchique des sixties, elle a aussi intĂ©grĂ© le discours nĂ©omanagĂ©rial de l’accomplissement individuel qui voit le travail comme expression de soi, et non plus du collectif. Elle a aussi suivi les transformations sociales qu’a entraĂźnĂ© le capitalisme de la fin du XXe siĂšcle qui a remodelĂ© la critique artistique des sixties en solutionnisme technologique dont le fleuron est la Silicon Valley. C’est Fred Tuner qui l’écrit si bien dans un ouvrage de rĂ©fĂ©rence, Aux sources de l’utopie numĂ©rique : de la contre culture Ă  la cyberculture8. Et pour paraphraser un article rĂ©cent de ma plume Ă  son propos9 : quelle ironie de voir comment les ordinateurs sont devenus synonymes d’émancipation sociale et de rapprochements entre les groupes sociaux, alors qu’ils sont en mĂȘme temps devenus les instruments du capitalisme, du nouveau management et de la finance (ce que Detlef Hartmann appelait l’offensive technologique10), aussi bien que les instruments de la surveillance et de la « sociĂ©tĂ© du dossier Â». C’est bien en tant que « menaces sur la vie privĂ©e Â» que les dĂ©peignaient les premiers dĂ©tracteurs des bases de donnĂ©es gouvernementales et des banques Ă  l’instar d’Alan Westin11 au soir des annĂ©es 1960. Tout s’est dĂ©roulĂ© exactement comme si les signaux d’alerte ne s’étaient jamais dĂ©clenchĂ©s, alors que depuis plus de 50 ans de nombreuses lois entendent rĂ©guler l’appĂ©tit vorace des plateformes. Pourquoi ? Fred Turner y rĂ©pond : parce que la prioritĂ© avait Ă©tĂ© choisie, celle de transformer le personal is political12 en idĂ©ologie nĂ©olibĂ©rale par le biais d’une philosophie hacker elle-mĂȘme dĂ©voyĂ©e au nom de la libertĂ© et de l’accomplissement de soi.

Des communs mal compris et mal protégés

Ces communs sont mal compris parce qu’ils sont la plupart du temps invisibilisĂ©s. La majoritĂ© des serveurs sur Internet fonctionnent grĂące Ă  des logiciels libres, des protocoles parmi les plus courants sont des protocoles ouverts, des systĂšmes d’exploitation tels Android sont en fait construits sur un noyau Linux, etc. De tout cela, la plupart des utilisateurs n’ont cure
 et c’est trĂšs bien. On ne peut pas attendre d’eux une parfaite connaissance des infrastructures numĂ©riques. Cela plonge nĂ©anmoins tout le monde dans un univers d’incomprĂ©hensions.

D’un cĂŽtĂ©, il y a l’ignorance du public (et bien souvent aussi des politiques publiques) du fait que la majeure partie des infrastructures numĂ©riques d’aujourd’hui reposent sur des communs, comme l’a montrĂ© N. Egbhal13. Ce fait crĂ©e deux effets pervers : le ticket d’entrĂ©e dans la « nouvelle Ă©conomie Â», pour une start-up dont le modĂšle repose sur l’exploitation d’un systĂšme d’information logiciel, nĂ©cessite bien moins de ressources d’infrastructure que dans les annĂ©es 1990 au point que la quasi-exclusivitĂ© de la valeur ajoutĂ©e repose sur l’exploitation de l’information et non la crĂ©ation logicielle. Il en rĂ©sulte un appauvrissement des communs (on les exploite mais on ne les enrichit pas14) et un accroissement de l’économie de plateforme au dĂ©triment des infrastructures elles-mĂȘmes : pour amoindrir encore les coĂ»ts, on s’en remet toujours plus aux entreprises monopolistes qui s’occupent de l’infrastructure matĂ©rielle (les cĂąbles, les datacenter). D’un autre cĂŽtĂ©, il y a le fait que beaucoup d’organisations n’envisagent ces communs numĂ©riques qu’à l’aune de la rentabilitĂ© et de la compromission avec la propriĂ©tĂ© productive, ce qui a donnĂ© son grain Ă  moudre Ă  l’Open Source Initiative et sa postĂ©ritĂ©, relĂ©guant les libristes dans la catĂ©gorie des doux utopistes. Mais l’utopie elle-mĂȘme a ses limites : ce n’est pas parce qu’un service est rendu par des logiciels libres qu’il est sĂ©curisĂ©, durable ou protĂšge pour autant les utilisateurs de l’exploitation lucrative de leurs donnĂ©es personnelles. Tout dĂ©pend de qui exploite ces communs. Cela relĂšve en rĂ©alitĂ© du degrĂ© de confiance qu’on est capable de prĂȘter aux personnes et aux organisations qui rendent le service possible.

Les licences libres elles-mĂȘmes sont mal comprises, souvent vĂ©cues comme un abandon de l’Ɠuvre et un manque Ă  gagner tant les concepts de la « propriĂ©tĂ© intellectuelle Â» imprĂšgnent jusqu’à la derniĂšre fibre le tissu Ă©conomique dans lequel nous sommes plus ou moins contraints d’opĂ©rer. Cela est valable pour les logiciels comme pour les productions intellectuelles de tous ordres, et cela empĂȘche aussi le partage lĂ  oĂč il pourrait ĂȘtre le plus bĂ©nĂ©fique pour tous, par exemple dans le domaine de la recherche mĂ©dicale.

Au lieu de cela, on assiste Ă  un pillage des communs15, un phĂ©nomĂšne bien identifiĂ© et qui connaĂźt depuis les annĂ©es 2000 une levĂ©e en force d’organisations de lutte contre ce pillage, qu’il s’agisse des biens communs matĂ©riels (comme l’eau, les ressources cultivables, le code gĂ©nĂ©tique
) ou immatĂ©riels (l’art, la connaissance, les logiciels
). C’est la raison pour laquelle la dĂ©centralisation et l’autogestion deviennent bien plus que de simples possibilitĂ©s Ă  opposer Ă  l’accaparement gĂ©nĂ©ral des communs, mais elles sont aussi autant de voies Ă  envisager par la jonction mĂ©thodologique et conceptuelle des organisations libristes, de l’économie solidaire et des mouvements durabilistes16.

Le libre et ses luttes, le besoin d’une convergence

Alors si le Libre n’est ni l’alpha ni l’omĂ©ga, si le mouvement pour le logiciel Libre a besoin de rĂ©viser sa copie pour mieux intĂ©grer les modĂšles de dĂ©veloppement solidaires et Ă©mancipateurs, c’est parce qu’on ne peut manifestement pas les dĂ©corrĂ©ler de quatre autres luttes qui structurent ou devraient structurer les mouvements libristes aujourd’hui.

Une lutte pour imposer de nouveaux Ă©quilibres en droit

Les licences libres et leurs domaines d’application, en particulier dans les communs immatĂ©riels, ont besoin de compĂ©tences et d’alliances pour ne plus servir d’épouvantail, de libre-washing ou, pire, ĂȘtre dĂ©tournĂ©s au profit d’une lucrativitĂ© de l’accĂšs ouvert (comme c’est le cas dans le monde des revues scientifiques). Elles ont aussi besoin de compĂ©tences et d’alliances pour ĂȘtre mieux dĂ©fendues : mĂȘme si beaucoup de juristes s’en sont fait une spĂ©cialitĂ©, leur travail est rendu excessivement difficile tant le cadre du droit est rigide et fonctionne en rĂ©fĂ©rence au modĂšle Ă©conomique dominant.

Une lutte pour imposer de nouveaux Ă©quilibres en Ă©conomie

Pouvons-nous sciemment continuer Ă  fermer les yeux sur l’usage d’une soi-disant Ă©thique hacker au nom de la libertĂ© Ă©conomique sachant qu’une grande part des modĂšles Ă©conomiques qui reposent sur des communs immatĂ©riels ont un intĂ©rĂȘt public extrĂȘmement faible en proportion des capacitĂ©s d’exploitation lucrative et de la prolĂ©tarisation17 qu’ils entraĂźnent. Cela explique par exemple que des multinationales telles Intel et IBM ou Google et Microsoft figurent parmi les grands contributeurs au Logiciel libre et open source18 : ils ont besoin de ces communs19. Et en mĂȘme temps, on crĂ©e des inĂ©galitĂ©s sociales et Ă©conomiques : l’exploitation de main-d’Ɠuvre bon marchĂ© (comme les travailleurs du clic20) dont se gavent les entreprises du numĂ©rique repose elle aussi sur des infrastructures numĂ©riques libres et open source. Les communs numĂ©riques ne devraient plus ĂȘtre les supports de ce capitalisme21.

Une lutte pour un rééquilibrage infrastructurel

Parce que crĂ©er du code libre ne suffit pas, encore faut-il s’assurer de la protection des libertĂ©s que la licence implique. En particulier la libertĂ© d’usage. À quoi sert un code libre si je ne peux l’utiliser que sur une plateforme non libre ? Ă  quoi sert un protocole ouvert si son utilisation est accaparĂ©e par des systĂšmes d’information non libres ? À dĂ©faut de pouvoir rendre collectifs les cĂąbles sous-marins (eux-mĂȘmes soumis Ă  des contraintes gĂ©opolitiques), il est toutefois possible de dĂ©velopper des protocoles et des logiciels dont la conception elle-mĂȘme empĂȘche ces effets d’accaparement. Dans une certaine mesure c’est ce qui a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© avec les applications du Fediverse22. Ce dernier montre que la crĂ©ation logicielle n’est rien si les organisations libristes ne se mobilisent pas autour d’un projet commun et imaginent un monde numĂ©rique solidaire.

Une lutte contre les effets sociaux du capitalisme de surveillance

Qu’il s’agisse du conformisme des subjectivitĂ©s engendrĂ© par l’extraction et l’exploitation des informations comportementales (ce qui dure depuis trĂšs longtemps23) ou du contrĂŽle des populations rendu possible par ces mĂȘmes infrastructures numĂ©riques dont la technopolice se sert (entre autres), les communautĂ©s libristes s’impliquent de plus en plus dans la lutte anti-surveillance et anti-autoritaire. C’est une tradition, assurĂ©ment, mais ce qu’il manque cruellement encore, c’est la multiplication de points de contact avec les autres organisations impliquĂ©es dans les mĂȘmes luttes et qui, bien souvent, se situent sur la question bien plus vaste des biens communs matĂ©riels. Combien d’organisations et de collectifs en lutte dans les domaines durabilistes comme l’écologie, le partage de l’eau, les enjeux climatiques, en sont encore Ă  communiquer sur des services tels Whatsapp alors qu’il existe des canaux bien plus protĂ©gĂ©s24 ? RĂ©ciproquement combien d’associations libristes capables de dĂ©ployer des solutions et de les vulgariser ne parlent jamais aux durabilistes ou autres ? Or, penser les organisations libristes sur un mode solidaire et anti-capitaliste revient Ă  participer concrĂštement aux luttes en faveur des biens communs matĂ©riels, crĂ©er des alliances de compĂ©tences et de connaissances pour rendre ces luttes plus efficaces.

Le (mauvais) calcul anarchiste

Il y a toute une littĂ©rature qui traite du rapport entre librisme et anarchisme. Bien qu’elle ne soit pas toujours issue de recherches acadĂ©miques, cela n’enlĂšve rien Ă  la pertinence et la profondeur des textes qui ont toujours le mĂ©rite d’identifier les valeurs communes tels l’anti-autoritarisme de l’éthique hacker, le copyleft conçu comme une lutte contre la propriĂ©tĂ© privĂ©e, le partage, ou encore les libertĂ©s d’usage. Et ces valeurs se retrouvent dans de nombreuses autres sphĂšres inspirĂ©es du modĂšle libriste25 et toutes anticapitalistes. Pour autant, l’éthique hacker ou l’utopie « concrĂšte Â» du logiciel libre, parce qu’elles sont d’abord et avant tout des formes de pratiques technologiques, ne portent pas per se ces valeurs. Comme je l’ai mentionnĂ© plus haut, l’éthique hacker et les utopies plus ou moins issues de la tradition hippie des annĂ©es 1960 et 1970 sont aussi dĂ©positaires du capitalisme techno-solutionniste exprimĂ©, pour les besoins de la cause, par l’idĂ©ologie de la Silicon Valley.

C’est ce point de tension qui a tendance aujourd’hui Ă  causer la diffusion d’une conception binaire du lien entre anarchisme et philosophie hacker. Elle repose sur l’idĂ©e selon laquelle c’est l’anarchisme amĂ©ricain qui donne une part fondatrice Ă  la philosophie hacker et qui crĂ©e en quelque sorte une opposition interne entre une faction « de gauche Â» attachĂ©e aux combats contre la propriĂ©tĂ© et une faction « de droite Â» fongible dans le capitalisme dans la mesure oĂč c’est l’efficacitĂ© dans l’innovation qui emporte le reste, c’est-Ă -dire un anarchisme rĂ©duit Ă  ĂȘtre un mode d’organisation de la production et un faire-valoir d’une libertĂ© de lucrativitĂ© « dĂ©complexĂ©e Â».

C’est caricatural, mais la premiĂšre partie n’est pas inexacte. En effet, nous parlons pour l’essentiel d’un mouvement nĂ© aux États-Unis et, qui plus est, dans une pĂ©riode oĂč s’est structurĂ©e la Nouvelle Gauche AmĂ©ricaine en phase avec des mouvements libertaires et/ou utopistes issus de la gĂ©nĂ©ration anti-guerre des annĂ©es 1950. SimultanĂ©ment, les ordinateurs mainframe ont commencĂ© Ă  ĂȘtre plus accessibles dans les milieux universitaires et les entreprises, favorisant la naissance des communautĂ©s hackers dans un mouvement d’apprentissage, de partage de connaissances et de pratiques. Par la suite ces communautĂ©s se structurĂšrent grĂące aux communications numĂ©riques, en particulier Internet, et s’agrandirent avec l’apparition de la microinformatique.

Se reconnaissent-elles dans l’anarchisme ? MĂȘme si ses pratiques sont anarchistes, un collectif n’a nul besoin de se reconnaĂźtre en tant que tel. Il peut mĂȘme ne pas en avoir conscience. C’est donc du cĂŽtĂ© des pratiques et in situ qu’il faut envisager les choses. Les communautĂ©s hacker sont issues d’une conjonction historique classique entre la cristallisation des idĂ©es hippies et libertaires et l’avĂšnement des innovations techniques qui transforment alors radicalement l’économie (les systĂšmes d’information numĂ©riques). Cela crĂ©e par effet rĂ©troactif des communautĂ©s qui gĂ©nĂšrent elles-mĂȘmes des objets techniques en se rĂ©appropriant ces innovations, et en changeant Ă  leur tour le paysage Ă©conomique en proposant d’autres innovations. On pense par exemple aux Bulletin Board Systems (par exemple le projet Community Memory, premier forum Ă©lectronique gĂ©ant et collaboratif), aux systĂšmes d’exploitation (comment Unix fut crĂ©Ă©, ou comment Linux devint l’un des plus grands projets collaboratifs au monde), Ă  des logiciels (le projet GNU), etc. Toutes ces pratiques remettent en cause la structure autoritaire (souvent acadĂ©mique) de l’accĂšs aux machines, provoquent une dĂ©mocratisation des usages informatiques, incarnent des systĂšmes de collaboration fondĂ©s sur le partage du code et des connaissances, permettent l’adoption de pratiques de prise de dĂ©cision collective, souvent consensuelles. Couronnant le tout, l’apparition de la Licence Publique GĂ©nĂ©rale initiĂ©e par Richard M. Stallman et Eben Moglen avec la Free Software Foundation propose une remise en question radicale de la propriĂ©tĂ© intellectuelle et du pouvoir qu’elle confĂšre.

Le rapport avec l’anarchisme est de ce point de vue exprimĂ© Ă  maintes reprises dans l’histoire des communautĂ©s hacker. On y croise trĂšs souvent des rĂ©fĂ©rences. Dans la biographie de Richard M. Stallman26, par exemple, le AI Lab qui devient le haut lieu de la « Commune Emacs Â», est dĂ©crit ainsi : « La culture hacker qui y rĂ©gnait et sa politique d’anarchie allaient confĂ©rer au lieu l’aura d’éternel rebelle Â». Plus loin dans le mĂȘme livre, E. Moglen se remĂ©more sa rencontre avec R. M. Stallman qu’il dĂ©crit comme la rencontre de deux anarchistes. Inversement, R. M. Stallman ne s’est jamais dĂ©fini comme un anarchiste. Il va mĂȘme jusqu’à soutenir que le logiciel libre est un mĂ©lange de communisme (au sens d’appropriation collective de la production), de capitalisme « Ă©thique Â» (pouvoir en tirer des avantages lucratifs tant qu’on respecte les libertĂ©s des autres), et d’anarchisme (rĂ©duit Ă  la libertĂ© de contribuer ou non et d’user comme on veut)27.

Une approche fondĂ©e sur une enquĂȘte plus solide montre nĂ©anmoins que les principes anarchistes ne sont pas considĂ©rĂ©s comme de simples Ă©tiquettes dans les communautĂ©s hacker d’aujourd’hui. MenĂ©e au cƓur des communautĂ©s libristes californiennnes, l’enquĂȘte de Michel Lallement dans L’ñge du faire28 montre une typologie intĂ©ressante chez les hackers entre les « pur jus Â», parmi les plus anciens le plus souvent des hommes au charisme de leader ou de gourous et qui se rĂ©clament d’un certain radicalisme anarchiste (sur lequel je vais revenir plus loin) et la masse plus diffuse, plus ou moins concernĂ©e par l’aspect politique. Majoritaires sont cependant ceux qui ont tendance Ă  la compromission, jusqu’au point oĂč parfois le travail Ă  l’intĂ©rieur de la communautĂ© est valorisĂ© dans l’exercice mĂȘme de la rĂ©ussite capitaliste Ă  l’extĂ©rieur. J’irais mĂȘme jusqu’à dire, pour en avoir cĂŽtoyĂ©, que certains voient dans le hacking et l’éthique hacker une sorte d’exutoire de la vie professionnelle Ă©touffĂ©e par l’économie capitaliste.

Sur l’aspect proprement amĂ©ricain, ce qui est surtout mis en avant, c’est l’opposition entre la bureaucratie (entendue au sens de l’action procĂ©duriĂšre et autoritaire) et l’anarchisme. À l’image des anciennes communautĂ©s hacker calquĂ©es sur l’antique Homebrew Club, ce refus de l’autoritĂ© institutionnelle s’apparente surtout Ă  une forme de potacherie corporatiste. Le point commun des communautĂ©s, nĂ©anmoins, consiste Ă  s’interroger sur les process de prise de dĂ©cision communautaire, en particulier la place faite au consensus : c’est l’efficacitĂ© qui est visĂ©e, c’est-Ă -dire la meilleure façon de donner corps Ă  une dĂ©libĂ©ration collective. C’est ce qui permet de regrouper Noisebridge, MetaLab ou le Chaos Computer Club. Certes, au point de vue du fonctionnement interne, on peut invoquer beaucoup de principes anarchistes. Une critique pointerait cependant que ces considĂ©rations restent justement internalistes. On sait que le consensus consolide le lien social, mais la technologie et les savoir-faire ont tendance Ă  concentrer la communautĂ© dans une sorte d’exclusion Ă©lective : diplĂŽmĂ©e, issue d’une classe sociale dominante et bourgeoise, en majoritĂ© masculine (bien que des efforts soient menĂ©s sur la question du genre).

Si nous restons sur le plan internaliste, on peut tenter de comprendre ce qu’est ce drĂŽle d’anarchisme. Pour certains auteurs, il s’agit de se concentrer sur l’apparente opposition entre libre et open source, c’est-Ă -dire le rapport que les communautĂ©s hacker entretiennent avec le systĂšme Ă©conomique capitaliste. On peut prendre pour repĂšres les travaux de Christian Imhorst29 et Dale A. Bradley30. Pour suivre leur analyse il faut envisager l’anarchisme amĂ©ricain comme il se prĂ©sentait Ă  la fin des annĂ©es 1970 et comment il a pu imprĂ©gner les hackers de l’époque. Le sous-entendu serait que cette imprĂ©gnation perdure jusqu’à aujourd’hui. Deux Ă©tapes dans la dĂ©monstration.

En premier lieu, la remise en cause de la propriĂ©tĂ© et de l’autoritĂ© est perçue comme un radicalisme beaucoup plus fortement qu’elle ne pouvait l’ĂȘtre en Europe au regard de l’hĂ©ritage de Proudhon et de Bakhounine. Cela tient essentiellement au fait que la structuration du radicalisme amĂ©ricain s’est Ă©tablie sur une rĂ©verbĂ©ration du bipartisme amĂ©ricain. C’est ce qu’analyse bien en 1973 la chercheuse Marie-Christine Granjon au moment de l’éveil de la Nouvelle Gauche aux États-Unis : chasser les radicaux du paysage politique en particulier du paysage ouvrier dont on maintenait un niveau de vie (de consommation) juste assez Ă©levĂ© pour cela, de maniĂšre Ă  « maintenir en place la structure monopolistique de l’économie sur laquelle repose le Welfare State — l’État des monopoles, des managers, des boss du monde syndical et de la politique —, pour protĂ©ger cette AmĂ©rique, terre de l’égalitĂ©, de la libertĂ© et de la poursuite du bonheur, oĂč les idĂ©ologies n’avaient plus de raison d’ĂȘtre, oĂč les radicaux Ă©taient vouĂ©s Ă  la marginalitĂ© et tolĂ©rĂ©s dans la mesure de leur inaction et de leur audience rĂ©duite Â»31. En d’autres termes, ĂȘtre radical c’est ĂȘtre contre l’État amĂ©ricain, donc soit contre le bien-ĂȘtre du peuple et ses libertĂ©s, soit le contraire (et chercher Ă  le dĂ©montrer), mais en tout cas, contre l’État amĂ©ricain.

En second lieu, la dichotomie entre anarchisme de droite et anarchisme de gauche pourrait se rĂ©sumer Ă  la distinction entre libertariens et communautaires anticapitalistes. Ce n’est pas le cas. Mais c’est ainsi que posent les prĂ©misses du problĂšme C. Imhorst comme D. A. Bradley et avec eux beaucoup de ceux qui rĂ©duisent la distinction open-source / librisme. Sur ce point on reprend souvent la cĂ©lĂšbre opposition entre les grandes figures des deux « camps Â», d’un cĂŽtĂ© R. M. Stallman, et de l’autre cĂŽtĂ© Eric S. Raymond, auteur de La CathĂ©drale et le bazar, Ă©vangĂ©liste du marchĂ© libre ne retenant de la pensĂ©e hacker que l’efficacitĂ© de son organisation non hiĂ©rarchique. Cette lecture binaire de l’anarchisme amĂ©ricain, entre droite et gauche, est exprimĂ©e par David DeLeon en 1978 dans son livre The American as Anarchist32, assez critiquĂ© pour son manque de rigueur Ă  sa sortie, mais plusieurs fois rĂ©Ă©ditĂ©, et citĂ© de nombreuses fois par C. Imhorst. Dans la perspective de DeLeon, l’anarchisme amĂ©ricain est essentiellement un radicalisme qui peut s’exprimer sur la droite de l’échiquier politique comme le libertarianisme, profondĂ©ment capitaliste, individualiste-propriĂ©tariste et contre l’État, comme sur la gauche, profondĂ©ment anticapitaliste, communautaire, contre la propriĂ©tĂ© et donc aussi contre l’État parce qu’il protĂšge la propriĂ©tĂ© et reste une institution autoritaire. En Ă©cho, rĂ©duire le mouvement libriste « radical Â» Ă  la figure de R. M. Stallman, et l’opposer au libertarianisme de E. S. Raymond, revient Ă  nier toutes les nuances exprimĂ©es en quarante ans de dĂ©bats et de nouveautĂ©s (prenons simplement l’exemple de l’apparition du mouvement Creative Commons).

Le but, ici, n’est pas tant de critiquer la simplicitĂ© de l’analyse, mais de remarquer une chose plus importante : si le mouvement hacker est perçu comme un radicalisme aux États-Unis dĂšs son Ă©mergence, c’est parce qu’à cette mĂȘme Ă©poque (et c’est pourquoi j’ai citĂ© deux rĂ©fĂ©rences de l’analyse politique des annĂ©es 1970) le radicalisme est conçu hors du champ politique bipartite, contre l’État, et donc renvoyĂ© Ă  l’anarchisme. En retour, les caractĂ©ristiques de l’anarchisme amĂ©ricain offrent un choix aux hackers. Ce mĂȘme choix qui est exprimĂ© par Fred Turner dans son analyse historique : comment articuler les utopies hippies de la Nouvelle Gauche avec la technologie d’un cĂŽtĂ©, et le rendement capitaliste de l’autre. Si on est libertarien, le choix est vite effectuĂ© : l’efficacitĂ© de l’organisation anarchiste dans une communautĂ© permet de s’affranchir de nombreux cadres vĂ©cus comme des freins Ă  l’innovation et dans la mesure oĂč l’individualisme peut passer pour un accomplissement de soi dans la rĂ©ussite Ă©conomique, la propriĂ©tĂ© n’a aucune raison d’ĂȘtre opposĂ©e au partage du code et ce partage n’a pas lieu de primer sur la lucrativitĂ©.

ConsidĂ©rer le mouvement pour le logiciel libre comme un mouvement radical est une maniĂšre d’exacerber deux positions antagonistes qui partent des mĂȘmes principes libertaires et qui aboutissent Ă  deux camps, les partageux qui ne font aucun compromis et les ultra-libĂ©raux prĂȘts Ă  tous les compromis avec le capitalisme. On peut nĂ©anmoins suivre D. A. Bradley sur un point : le logiciel libre propose Ă  minima la rĂ©organisation d’une composante du capitalisme qu’est l’économie numĂ©rique. Si on conçoit que la technologie n’est autre que le support de la domination capitaliste, penser le Libre comme un radicalisme reviendrait en fait Ă  une contradiction, celle de vouloir lutter contre les mĂ©faits de la technologie par la technologie, une sorte de primitivisme qui s’accommoderait d’une Ă©thique censĂ©e rendre plus supportable le techno-capitalisme. Or, les technologies ne sont pas intrinsĂšquement oppressives. Par exemple, les technologies de communication numĂ©rique, surtout lorsqu’elles sont libres, permettent la mĂ©diatisation sociale tout en favorisant l’appropriation collective de l’expression mĂ©diatisĂ©e. Leurs licences libres, leurs libertĂ©s d’usages, ne rendent pas ces technologies suffisantes, mais elles facilitent l’auto-gestion et l’émergence de collectifs Ă©mancipateurs : ouvrir une instance Mastodon, utiliser un systĂšme de messagerie sĂ©curisĂ©e, relayer les informations anonymisĂ©es de camarades qui subissent l’oppression politique, etc.

L’anarchisme
 productiviste, sĂ©rieusement ?

Le Libre n’est pas un existentialisme, pas plus que l’anarchisme ne devrait l’ĂȘtre. Il ne s’agit pas d’opposer des modes de vie oĂč le Libre serait un retour idĂ©aliste vers l’absence de technologie oppressive. Les technologies sont toujours les enfants du couple pouvoir-connaissance, mais comme disait Murray Bookchin, si on les confond avec le capitalisme pour en dĂ©noncer le caractĂšre oppresseur, cela revient Ă  «  masquer les relations sociales spĂ©cifiques, seules Ă  mĂȘme d’expliquer pourquoi certains en viennent Ă  exploiter d’autres ou Ă  les dominer hiĂ©rarchiquement Â». Il ajoutait, Ă  propos de cette maniĂšre de voir : « en laissant dans l’ombre l’accumulation du capital et l’exploitation du travail, qui sont pourtant la cause tant de la croissance que des destructions environnementales, elle ne fait ainsi que leur faciliter la tĂąche. Â» 33

Le rapport entre le libre et l’anarchisme devrait donc s’envisager sur un autre plan que l’opposition interne entre capitalistes et communistes et/ou libertaires (et/ou commonists), d’autant plus que ce type de brouillage n’a jusqu’à prĂ©sent fait qu’accrĂ©diter les arguments en faveur de la privatisation logicielle aux yeux de la majoritĂ© des acteurs de l’économie numĂ©rique34. Ce rapport devrait plutĂŽt s’envisager du point de vue Ă©mancipateur ou non par rapport au capitalisme. De ce point de vue, exit les libertariens. Mais alors, comme nous avons vu que pour l’essentiel l’anarchisme libriste est un mode de production efficace dans une Ă©conomie contributive (qui devrait ĂȘtre nĂ©anmoins plus Ă©quilibrĂ©e), a-t-il quelque chose de plus ?

Nous pouvons partir d’un autre texte cĂ©lĂšbre chez les libristes, celui d’Eben Moglen, fondateur du Software Freedom Law Center, qui intitulait puissamment son article : « L’anarchisme triomphant : le logiciel libre et la mort du copyright Â»35. Selon lui, le logiciel conçu comme une propriĂ©tĂ© crĂ©e un rapport de force dont il est extrĂȘmement difficile de sortir avec les seules bonnes intentions des licences libres. E. Moglen prend l’exemple du trĂšs long combat contre la mainmise de Microsoft sur les ordinateurs neufs grĂące Ă  la vente liĂ©e, et nous n’en sommes pas complĂštement sortis. Aujourd’hui, nous pourrions prendre bien d’autres exemples qui, tous, sont le fait d’alliances mondialisĂ©es et de consortiums sur-financiarisĂ©s de fabricants de matĂ©riel et de fournisseurs de services. Il faut donc opposer Ă  cette situation une nouvelle maniĂšre d’envisager la production et la crĂ©ativitĂ©.

Code source et commentaires dĂ©signent le couple entre fonctionnalitĂ© et expressivitĂ© des programmes. En tant que tels, ils peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme autant de preuves que le travail intellectuel nĂ©cessaire Ă  l’élaboration d’un programme n’est pas uniquement le fait de travailler sur des algorithmes mais aussi en inventer les propriĂ©tĂ©s. DĂšs lors, on peut comprendre que le copyright puisse s’appliquer Ă  plein. DĂšs l’instant que les ordinateurs ont cessĂ© d’ĂȘtre des machines centrales aux coĂ»ts extrĂȘmement Ă©levĂ©s, et que pour les faire fonctionner les logiciels ont cessĂ© d’ĂȘtre donnĂ©s (car le coĂ»t marginal de la crĂ©ation logicielle Ă©tait faible en comparaison du coĂ»t de fabrication d’une grosse machine), l’ordinateur personnel a multipliĂ© mĂ©caniquement le besoin de rĂ©aliser des plus-values sur le logiciel et enfermĂ© ce dernier dans une logique de copyright. Seulement voilĂ  : lorsqu’une entreprise (par exemple Microsoft) exerce un monopole sur le logiciel, bien qu’elle puisse embaucher des centaines de dĂ©veloppeurs, elle ne sera jamais en mesure d’adapter, tester Ă  grande Ă©chelle, proposer des variations de son logiciel en quantitĂ©s suffisantes pour qu’il puisse correspondre aux besoins qui, eux, ont tendance Ă  se multiplier au fur et Ă  mesure que les ordinateurs pĂ©nĂštrent dans les pratiques sociales et que la sociĂ©tĂ© devient un maillage en rĂ©seau. Si bien que la qualitĂ© et la flexibilitĂ© des logiciels privateurs n’est jamais au rendez-vous. Si ce dĂ©faut de qualitĂ© passe souvent inaperçu, c’est aux yeux de l’immense majoritĂ© des utilisateurs qui ne sont pas techniciens, et pour lesquels les monopoles crĂ©ent des cages d’assistanat et les empĂȘche (par la technique du FUD) d’y regarder de plus prĂšs. AprĂšs tout, chacun peut se contenter du produit et laisser de cĂŽtĂ© des dĂ©fauts dont il peut toujours (essayer de) s’accommoder.

En somme, les utilisateurs ont Ă©tĂ© sciemment Ă©cartĂ©s du processus de production logicielle. Alors qu’à l’époque plus ancienne des gros ordinateurs, on adaptait les logiciels aux besoins et usages, et on pouvait les Ă©changer et les amĂ©liorer en partant de leur utilisation. Or, l’histoire des sciences et des technologies nous apprend que l’avancement des sciences et technologies dĂ©pendent d’apprentissages par la pratique, d’appropriations collectives de l’existant, d’innovation par incrĂ©mentation et implications communautaires (c’est ce qu’ont montrĂ© David Edgerton36 et Clifford Conner37). En ce sens, le modĂšle Ă©conomique des monopoles du logiciel marche contre l’histoire.

 

mÚme en deux images. dans la premiÚre, le logiciel libre tend les bras vers l'autogestion des communs, dans la deuxiÚme qui dézoome la premiÚre, on voit qu'un gros personnage "les géants du web" retient fermement le logiciel libre qui ne peut atteindre l'autogestion des communs

C’est de ce point de vue que le logiciel libre peut ĂȘtre envisagĂ© non seulement comme la production d’un mouvement de rĂ©sistance38, mais aussi comme un mode de production conçu avant tout comme une rĂ©action Ă  la logique marchande, devant lutter sans cesse contre la « plasticitĂ© du capitalisme Â» (au sens de F. Braudel39), avec des rĂ©sultats plus ou moins tangibles. MĂȘme si la question de l’écriture collective du code source mĂ©riterait d’ĂȘtre mieux analysĂ©e pour ses valeurs performatives intrinsĂšques40.

Comme le dit Eben Moglen racontant le projet GNU de R. M. Stallman : le logiciel libre pouvait « devenir un projet auto-organisĂ©, dans lequel aucune innovation ne serait perdue Ă  travers l’exercice des droits de propriĂ©tĂ© Â». Depuis le milieu des annĂ©es 1980 jusqu’à la fin des annĂ©es 1990, non seulement des logiciels ont Ă©tĂ© produits de maniĂšre collective en dehors du copyright, mais en plus de cela, des systĂšmes d’exploitation comme GNU Linux aux logiciels de serveurs et Ă  la bureautique, leur reconnaissance par l’industrie elle-mĂȘme (normes et standards) s’est imposĂ©e Ă  une Ă©chelle si vaste que le logiciel libre a bel et bien gagnĂ© la course dans un monde oĂč la concurrence Ă©tait faussĂ©e si l’on jouait avec les mĂȘmes cartes du copyright.

C’est ce qui fait dire Ă  Eben Moglen que « lorsqu’il est question de faire de bons logiciels, l’anarchisme gagne Â». Il oppose deux choses Ă  l’industrie copyrightĂ©e du logiciel :

  • les faits : le logiciel libre est partout, il n’est pas une utopie,
  • le mode de production : l’anarchisme est selon lui la meilleure « organisation Â» de la production.

Reste Ă  voir comment il conçoit l’anarchisme. Il faut confronter ici deux pensĂ©es qui sont contemporaines, celle d’Eben Moglen et celle de Murray Bookchin. Le second Ă©crit en 1995 que le mot « anarchisme Â» allait bientĂŽt ĂȘtre employĂ© comme catĂ©gorie d’action bourgeoise41 :

«  les objectifs rĂ©volutionnaires et sociaux de l’anarchisme souffrent d’une telle dĂ©gradation que le mot « anarchie Â» fera bientĂŽt partie intĂ©grante du vocabulaire chic bourgeois du siĂšcle Ă  venir : une chose quelque peu polissonne, rebelle, insouciante, mais dĂ©licieusement inoffensive Â».

Bookchin Ă©crivait aussi « Ainsi, chez nombre d’anarchistes autoproclamĂ©s, le capitalisme disparaĂźt, remplacĂ© par une « sociĂ©tĂ© industrielle Â» abstraite. Â»

Mais d’un autre cĂŽtĂ©, Ă  peine six ans plus tard, il y a cette volontĂ© d’E. Moglen d’utiliser ce mot et d’entrer en confrontation assez directe avec ce que M. Bookchin disait de la tendance new age fĂ©rue d’individualisme et de primitivisme et qui n’avait plus de rien de socialiste. En fin de compte, si on conçoit avec E. Moglen l’anarchisme comme un mode de production du logiciel libre, alors on fait aussi une jonction entre la lutte contre le modĂšle du monopole et du copyright et la volontĂ© de produire des biens numĂ©riques, Ă  commencer par des logiciels, tout en changeant assez radicalement l’organisation sociale de la production contre une machinerie industrielle. Et cette lutte n’a alors plus rien d’abstrait. La critique de M. Bookchin, Ă©tait motivĂ©e par le fait que l’anarchisme s’est transformĂ© des annĂ©es 1970 aux annĂ©es 1990 et a fini par dĂ©voyer complĂštement les thĂ©ories classiques de l’anarchisme au profit d’une culture individualiste et d’un accomplissement de soi exclusif. Le logiciel libre, de ce point de vue, pourrait avoir le mĂ©rite de resituer l’action anarchiste dans un contexte industriel (la production de logiciels) et social (les Ă©quilibres de conception et d’usage entre utilisateurs et concepteurs).

Et l’État dans tout cela ? est-il Ă©vacuĂ© de l’équation ? Ces derniĂšres dĂ©cennies sont teintĂ©es d’un nĂ©olibĂ©ralisme qui façonne les institutions et le droit de maniĂšre Ă  crĂ©er un espace marchand oĂč les ĂȘtres humains sont transformĂ©s en agents compĂ©titifs. La production communautaire de logiciel libre ne serait-elle qu’un enfermement dans une plasticitĂ© capitaliste telle qu’elle intĂšgre elle-mĂȘme le mode de production anarchiste du libre dans une compĂ©tition dont le grand gagnant est toujours celui qui rĂ©ussit Ă  piller le mieux les communs ainsi produits ? Car si c’est le cas, alors M. Bookchin avait en partie raison : l’anarchisme n’a jamais pu rĂ©soudre la tension entre autonomie individuelle et libertĂ© sociale autrement qu’en se contentant de s’opposer Ă  l’autoritĂ© et Ă  l’État, ce qu’on retrouve dans la reductio de l’anarchisme des libertariens – et contre cela M. Bookchin propose un tout autre programme, municipaliste et environnementaliste. Or, si on suit E. Moglen, on ne perçoit certes pas d’opposition frontale contre l’État, mais dans un contexte nĂ©olibĂ©ral, les monopoles industriels ne peuvent-ils pas ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme les nouvelles figures d’opposition d’autoritĂ© et de pouvoir ?

Pour ma part, je pense que qu’État et monopoles se contractent dans le capitalisme de surveillance, un LĂ©viathan contre lequel il faut se confronter. Toute la question est de savoir Ă  quelle sociĂ©tĂ© libertaire est censĂ© nous mener le logiciel libre. J’ai bien l’impression que sur ce point les libristes old school qui s’autoproclament anarchistes se trompent : ce n’est pas parce que le mouvement du logiciel libre propose une auto-organisation de la production logicielle et culturelle, contre les monopoles mais avec une simple injonction Ă  l’émancipation, que cela peut dĂ©boucher sur un ordre social libertaire.

LĂ  oĂč le logiciel libre pourrait se rĂ©clamer de l’anarchisme, c’est dans le fait qu’il propose une trĂšs forte opposition aux institutions sociales oppressives que sont les monopoles et l’État, mais seulement Ă  partir du moment oĂč on conçoit le mouvement du logiciel libre non comme un mode de production anarchiste, mais comme un moment qui prĂ©figure42 un ordre social parce qu’il s’engage dans une lutte contre l’oppression tout en mettant en Ɠuvre un mode de production alternatif, et qu’il constitue un modĂšle qui peut s’étendre Ă  d’autres domaines d’activitĂ© (prenons l’exemple des semences paysannes). Et par consĂ©quent il devient un modĂšle anarchiste.

Si on se contente de n’y voir qu’un mode de production, le soi-disant anarchisme du logiciel libre est vouĂ© Ă  n’ĂȘtre qu’un modĂšle bourgeois (pour reprendre l’idĂ©e de M. Bookchin), c’est Ă  dire dĂ©nuĂ© de projet de lutte sociale, et qui se contente d’amĂ©liorer le modĂšle Ă©conomique capitaliste qui accapare les communs : il devient l’un des rouages de l’oppression, il n’est conçu que comme une utopie « bourgeoisement acceptable Â». C’est-Ă -dire un statut duquel on ne sort pas ou bien les pieds devant, comme un mode de production que le nĂ©omanagement a bel et bien intĂ©grĂ©. Or, s’il y a une lutte anarchiste Ă  concevoir aujourd’hui, elle ne peut pas se contenter d’opposer un modĂšle de production Ă  un autre, elle doit se confronter de maniĂšre globale au capitalisme, son mode de production mais aussi son mode d’exploitation sociale.

Les limites de l’anarchisme utopique du Libre ont Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©es depuis un moment dĂ©jĂ . L’Electronic Frontier Foundation (oĂč Eben Moglen officie) le reconnaĂźt implicitement dans un article de mai 2023 Ă©crit par Cory Doctorow et publiĂ© par l’EFF 43 :

« Alors que les rĂ©gulateurs et les lĂ©gislateurs rĂ©flĂ©chissent Ă  l’amĂ©lioration de l’internet pour les ĂȘtres humains, leur prioritĂ© absolue devrait ĂȘtre de redonner du pouvoir aux utilisateurs. La promesse d’Internet Ă©tait de supprimer les barriĂšres qui se dressaient sur notre chemin : la distance, bien sĂ»r, mais aussi les barriĂšres Ă©rigĂ©es par les grandes entreprises et les États oppressifs. Mais les entreprises ont pris pied dans cet environnement de barriĂšres abaissĂ©es, se sont retournĂ©es et ont Ă©rigĂ© de nouvelles barriĂšres de leur cĂŽtĂ©. Des milliards d’entre nous se sont ainsi retrouvĂ©s piĂ©gĂ©s sur des plateformes que beaucoup d’entre nous n’aiment pas, mais qu’ils ne peuvent pas quitter. Â»

Il faut donc des alternatives parce que les acteurs qui avaient promis de rendre les rĂ©seaux plus ouverts (le Don’t be evil de Google) ont non seulement failli mais, en plus, dĂ©ploient des stratĂ©gies juridiques et commerciales perverses pour coincer les utilisateurs sur leurs plateformes. DĂšs lors, on voit bien que le problĂšme qui se pose n’est pas d’opposer un mode de production Ă  un autre, mais de tenter de gagner les libertĂ©s que le capitalisme de surveillance contient et contraint. On voit aussi que depuis 2001, les problĂ©matiques se concentrent surtout sur les rĂ©seaux et le pouvoir des monopoles. LĂ , on commence Ă  toucher sĂ©rieusement les questions anarchistes. DĂšs lors l’EFF propose deux principes pour re-crĂ©er un Internet « d’intĂ©rĂȘt public Â» :

  • le chiffrement de bout en bout et la neutralitĂ© du Net,
  • contourner les grandes plateformes.

Faut-il pour autant, comme le propose Kristin Ross44, pratiquer une sorte d’évacuation gĂ©nĂ©rale et se replier, certes de maniĂšre constructive, sur des objets de lutte plus fondamentaux, au risque de ne concevoir de lutte pertinente que des luttes exclusives, presque limitĂ©es Ă  la paysannerie et l’économie de subsistance ? Je ne suis pas d’accord. Oui, il faut composer avec l’existant mais dans les zones urbaines, les zones rurales comme dans le cyberespace on peut prĂ©figurer des formes d’organisation autonomes et des espaces Ă  dĂ©fendre. Le repli individualiste ou collectiviste-exclusif n’est pas une posture anarchiste. PremiĂšrement parce qu’elle n’agit pas concrĂštement pour les travailleurs, deuxiĂšmement parce que cela revient Ă  abandonner ceux qui ne peuvent pas pratiquer ce repli de subsistance au risque de ce qu’on reprochait dĂ©jĂ  aux petits-bourgeois communautaires hippies des annĂ©es 1970, et troisiĂšmement enfin, parce que je ne souhaite pas vivre dans une Ă©conomie de subsistance, je veux vivre dans l’abondance culturelle, scientifique et mĂȘme technique et donc lutter pour un nouvel ordre social Ă©galitaire gĂ©nĂ©ral et pas rĂ©servĂ© Ă  ceux qui feraient un choix de retrait, individuel et (il faut le reconnaĂźtre) parfois courageux.

Alors, vers quel anarchisme se diriger ?

Le potentiel libertaire de la technologie

En 1971, Sam Dolgoff publie un article sans concession dans la petite revue Newyorkaise Libertarian Analysis. L’article fut ensuite tirĂ© Ă  part Ă  plusieurs reprises si bien que, sous le titre The Relevance of Anarchism to Modern Society45, le texte figure parmi les must read de la fin des annĂ©es 1970. Dolgoff y dĂ©crit l’état de l’anarchisme dans une sociĂ©tĂ© prise dans les contradictions de la contre-culture des annĂ©es 1960, et dont les effets se rapportent Ă  autant de conceptions erronĂ©es de l’anarchisme qui se cristallisent dans un « nĂ©o-anarchisme Â» bourgeois discutable. Ce contre quoi S. Dolgoff avance ses arguments est l’idĂ©e selon laquelle l’anarchisme « filiĂšre historique Â» serait dĂ©passĂ© Ă©tant donnĂ© la tendance mondiale vers la centralisation Ă©conomique, fruit des rĂ©cents dĂ©veloppements des sciences et des techniques, une sorte de fin de l’histoire (avant l’heure de celle de Fukuyama en 1992) contre laquelle on ne pourrait rien. Le sous-entendu met en avant la contradiction entre le positivisme dont s’inspire pourtant l’anarchisme de Proudhon Ă  Bakounine, c’est-Ă -dire le dĂ©veloppement en soi Ă©mancipateur des sciences et des techniques (Ă  condition d’une Ă©ducation populaire), et le fait que cet Ă©lan positiviste a produit une mondialisation capitaliste contre laquelle aucune alternative anarchiste n’a pu s’imposer. Le rĂ©flexe social qu’on retrouve dans le mouvement contre-culturel des annĂ©es 1960 et 1970, associĂ© Ă  ce que S. Dolgoff nomme le nĂ©o-anarchisme (bourgeois)46 (et qui sera repris en partie par M. Bookchin plus tard), amĂšne Ă  penser l’anarchisme comme une rĂ©action Ă  cette contradiction et par consĂ©quent un moment de critique de l’anarchisme classique qui n’envisagerait pas correctement la complexitĂ© sociale, c’est-Ă -dire la grande diversitĂ© des nuances entre compromission et radicalisme, dans les rapports modernes entre Ă©conomie, sciences, technologies et sociĂ©tĂ©. Ce qui donne finalement un anarchisme rĂ©actionnaire en lieu et place d’un anarchisme constructif, c’est-Ă -dire une auto-organisation fĂ©dĂ©raliste qui accepte ces nuances, en particulier lors de l’avĂšnement d’une sociĂ©tĂ© des mĂ©dias, du numĂ©rique et de leur mondialisation (en plus des inĂ©galitĂ©s entre les pays).

Or, S. Dolgoff oppose Ă  cette idĂ©e pessimiste le fait que la pensĂ©e anarchiste a au contraire toujours pris en compte cette complexitĂ©. Cela revient Ă  ne justement pas penser l’anarchisme comme une sĂ©rie d’alternatives simplistes au gouvernementalisme (le contrĂŽle de la majoritĂ© par quelques-uns). Il ne suffit pas de s’opposer au gouvernementalisme pour ĂȘtre anarchiste. Et c’est pourtant ce que les libertariens vont finir par faire, de maniĂšre absurde. L’anarchisme, au contraire a toujours pris en compte le fait qu’une sociĂ©tĂ© anarchiste implique une adaptation des relations toujours changeantes entre une sociĂ©tĂ© et son environnement pour crĂ©er une dynamique qui recherche Ă©quilibre et harmonie indĂ©pendamment de tout autoritarisme. DĂšs lors les sciences et techniques ont toujours Ă©tĂ© des alliĂ©es possibles. Pour preuve, cybernĂ©tique et anarchisme ont toujours fait bon mĂ©nage, comme le montre T. Swann dans un article au sujet de Stafford Beer, le concepteur du projet Cybersyn au Chili sous la prĂ©sidence S. Allende47 : un mĂ©canisme de contrĂŽle qui serait extĂ©rieur Ă  la sociĂ©tĂ© implique l’autoritarisme et un contrĂŽle toujours plus contraignant, alors qu’un mĂ©canisme inclus dans un systĂšme auto-organisĂ© implique une adaptation optimale au changement48. L’optimisation sociale implique la dĂ©centralisation, c’est ce qu’ont toujours pensĂ© les anarchistes. En ce sens, les outils numĂ©riques sont des alliĂ©s possibles.

En 1986, quinze ans aprĂšs son article de 1971, dans le premier numĂ©ro de la revue qu’il participe Ă  fonder (la Libertarian Labor Review), S. Dolgoff publie un court article intitulĂ© « Modern Technology and Anarchism Â»49. Il revient sur la question du lien entre l’anarchisme et les nouvelles technologies de communication et d’information qu’il a vu naĂźtre et s’imposer dans le mouvement d’automatisation de l’industrie et plus gĂ©nĂ©ralement dans la sociĂ©tĂ©. Les rĂ©seaux sont pour lui comme un pharmakon (au sens de B. Stiegler), ils organisent une dĂ©possession par certains aspects mais en mĂȘme temps peuvent ĂȘtre des instruments d’émancipation.

Cet article de 1986 est quelque peu redondant avec celui de 1971. On y retrouve d’ailleurs Ă  certains endroits les mĂȘmes phrases et les mĂȘmes idĂ©es. Pour les principales : il y a un dĂ©jĂ -lĂ  anarchiste, et la sociĂ©tĂ© est un rĂ©seau cohĂ©rent de travail coopĂ©ratif. Pour S. Dolgoff, la technologie moderne a rĂ©solu le problĂšme de l’accĂšs aux avantages de l’industrie moderne, mais ce faisant elle a aussi accru significativement la dĂ©centralisation dans les entreprises avec la multiplication de travailleurs hautement qualifiĂ©s capables de prendre des dĂ©cisions aux bas niveaux des organisations. S. Dolgoff cite plusieurs auteurs qui ont fait ce constat. Ce dernier est certes largement terni par le fait que cette dĂ©centralisation fait Ă©cho Ă  la mondialisation qui a transformĂ© les anciennes villes industrielles en villes fantĂŽmes, mais cette mondialisation est aussi un moment que l’anarchie ne peut pas ne pas saisir. En effet, cette mise en rĂ©seau du monde est aussi une mise en rĂ©seau des personnes. Si les technologies modernes d’information, les ordinateurs et les rĂ©seaux, permettent d’éliminer la bureaucratie et abandonner une fois pour toutes la centralisation des dĂ©cisions, alors les principes de coopĂ©ration et du dĂ©jĂ -lĂ  anarchiste pourront se dĂ©ployer. Faire circuler librement l’information est pour S. Dolgoff la condition nĂ©cessaire pour dĂ©ployer tout le « potentiel libertaire de la technologie Â». Mais lĂ  oĂč il pouvait se montrer naĂŻf quinze ans auparavant, il concĂšde que les obstacles sont de taille et sont formĂ©s par :

« Une classe croissante de bureaucraties Ă©tatiques, locales, provinciales et nationales, de scientifiques, d’ingĂ©nieurs, de techniciens et d’autres professions, qui jouissent tous d’un niveau de vie bien supĂ©rieur Ă  celui du travailleur moyen. Une classe dont le statut privilĂ©giĂ© dĂ©pend de l’acceptation et du soutien du systĂšme social rĂ©actionnaire, qui renforce considĂ©rablement les variĂ©tĂ©s « dĂ©mocratiques Â», « sociales Â» et « socialistes Â» du capitalisme. (
) Tous reprennent les slogans de l’autogestion et de la libre association, mais ils n’osent pas lever un doigt accusateur sur l’arc sacrĂ© de l’État. Ils ne montrent pas le moindre signe de comprĂ©hension du fait Ă©vident que l’élimination de l’abĂźme sĂ©parant les donneurs d’ordres des preneurs d’ordres – non seulement dans l’État mais Ă  tous les niveaux – est la condition indispensable Ă  la rĂ©alisation de l’autogestion et de la libre association : le cƓur et l’ñme mĂȘme de la sociĂ©tĂ© libre. Â»

Peu d’annĂ©es avant son dĂ©cĂšs, et aprĂšs une longue carriĂšre qui lui avait permis de prendre la mesure de l’automatisation de l’industrie et voir l’arrivĂ©e des ordinateurs dans les processus de production et de contrĂŽle, Sam Dolgoff a bien saisi la contradiction entre le « potentiel libertaire de la technologie Â» et l’apparition d’une classe sociale qui, avec l’aide de l’État et forte de subventions, rĂ©ussit le tour de force d’accaparer justement ce potentiel dans une dĂ©marche capitaliste tout en parant des meilleures intentions et des meilleurs slogans ce hold-hup sur le travail collectif et la coopĂ©ration.

C’est pourquoi il est pertinent de parler d’idĂ©ologie concernant la Silicon Valley, et c’est d’ailleurs ce que Fred Turner avait bien vu50 :

« La promesse utopique de la Valley est la suivante : Venez ici, et construisez-y l’avenir avec d’autres individus partageant les mĂȘmes idĂ©es. Immergez-vous dans le projet et ressortez-en en ayant sauvĂ© l’avenir. Â»

Les nouvelles frontiĂšres sociales des utopistes de la Silicon Valley ont Ă©tĂ© une interprĂ©tation du potentiel libertaire de la technologie, faite de nĂ©o-communautarisme et de cette Nouvelle Gauche que S. Dolgoff critiquait dĂšs 1971. Mais ces nouvelles frontiĂšres ont Ă©tĂ© transformĂ©es en mythe parce que la question est de savoir aujourd’hui qui dĂ©cide de ces nouvelles frontiĂšres, qui dĂ©cide de consommer les technologies de communication censĂ©es permettre Ă  tous d’avoir accĂšs Ă  l’innovation. Qui dĂ©cide qu’un tĂ©lĂ©phone Ă  plus de 1000€ est la meilleure chose Ă  avoir sur soi pour une meilleure intĂ©gration sociale ? Qui dĂ©cide que la nouvelle frontiĂšre repose sur la circulation de berlines sur batteries en employant une main-d’Ɠuvre bon marchĂ© ?

Ouvrir le Libre

Il est temps de rĂ©habiliter la pensĂ©e de Sam Dolgoff. Le Libre n’est pas qu’un mode de production anarchiste, il peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un instrument de libĂ©ration du potentiel libertaire de la technologie.

Scander haut et fort que les hackers sont des anarchistes ne veut rien dire, tant que le modĂšle organisationnel et Ă©conomique ne sert pas Ă  autre chose que de dĂ©velopper du code. Rester dans le positivisme hĂ©ritĂ© des anarchistes de la premiĂšre moitiĂ© du XXe siĂšcle a ce double effet : un sentiment de dĂ©passement lorsqu’on considĂšre combien le « progrĂšs Â» technologique sert Ă  nous oppresser, et un sentiment d’abandon parce que celleux qui sont en mesure de proposer des alternatives techniques d’émancipation ont tendance Ă  le faire en vase clos et reproduisent, souvent inconsciemment, une forme de domination.

Ce double sentiment a des consĂ©quences qui dĂ©passent largement la question des logiciels. Il est toujours associĂ© Ă  la tendance toujours plus grande de l’État Ă  accroĂźtre les inĂ©galitĂ©s sociales, associĂ© aux consĂ©quences climatiques du systĂšme Ă©conomique dominant qui nous conduit au dĂ©sastre Ă©cologique, associĂ© Ă  la rĂ©pression toujours plus forte par l’autoritarisme des gouvernements qui dĂ©fendent les intĂ©rĂȘts des plus riches contre les travailleurs et contre tout le reste. Il en rĂ©sulte alors un dĂ©sarmement technologique des individus lĂ  oĂč il faut se dĂ©fendre. À dĂ©faut, les solutions envisagĂ©es ont toujours petit goĂ»t pathĂ©tique : des plaidoyers qui ne sont jamais Ă©coutĂ©s et trouvent encore moins d’écho dans la reprĂ©sentation Ă©lective, ou des actions pacifiques rĂ©primĂ©es dans la violence.

les quatre vieux dans un salon doré, plus ou moins grimés. L'un dit : "bon, à partir de là, tùchez d'avoir l'air con comme des bourgeois, il s'agit de pas se faire repérer"

Les Vieux Fourneaux, Lupanu et Cauuet, extrait de la BD

 

Le potentiel libertaire du logiciel libre a cette capacitĂ© de rĂ©armement technologique des collectifs car nous Ă©voluons dans une sociĂ©tĂ© de la communication oĂč les outils que nous imposent les classes dominantes sont toujours autant d’outils de contrĂŽle et de surveillance. Il a aussi cette capacitĂ© de rĂ©armement conceptuel dans la mesure oĂč notre seule chance de salut consiste Ă  accroĂźtre et multiplier les communs, qu’ils soient numĂ©riques ou matĂ©riels. Or, la gestion collective de ces communs est un savoir-faire que les mouvements libristes possĂšdent et diffusent. Ils mettent en pratique de vieux concepts comme l’autogestion, mais savent aussi innover dans les pratiques coopĂ©ratives, collaboratives et contributives.

Occupy Wall Street, Nuit Debout, et bien d’autres Ă©vĂšnements du genre, ont Ă©tĂ© qualifiĂ©s de prĂ©figuratifs parce qu’ils opposaient de nouveaux imaginaires et de nouvelles maniĂšres de penser le monde tout en mettant en pratique les concepts mĂȘmes qu’ils proposaient. Mais ce spontanĂ©isme a tendance Ă  se montrer Ă©vanescent face Ă  des concrĂ©tisations prĂ©figuratives comme les ZAD, la Comuna de Oaxaca, le mouvement zapatiste, et des milliers d’autres concrĂ©tisations Ă  travers le monde et dont la liste serait fastidieuse. Rien qu’en matiĂšre d’autogestion, il suffit de jeter un Ɠil sur les 11 tomes ( !) de l’encyclopĂ©die de l’Association Autogestion (2019)51. Or, dans tous ces mouvements, on retrouve du logiciel libre, on retrouve des libristes, on retrouve des pratiques libristes. Et ce n’est que trĂšs rarement identifiĂ© et formalisĂ©.

Que faire ? Peut-ĂȘtre commencer par s’accorder sur quelques points, surtout entre communautĂ©s libristes et communautĂ©s libertaires :

  1. Ce n’est pas parce qu’on est libriste qu’on est anarchiste, et l’éthique hacker n’est pas un marqueur d’anarchisme. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, mieux vaut se mĂ©fier de l’autoproclamation dans ce domaine, surtout si, en pratique, il s’agit de lĂ©gitimer le pillage des communs. Par contre il y a beaucoup d’anarchistes libristes.
  2. Les pratiques anarchistes n’impliquent pas obligatoirement l’utilisation et/ou la crĂ©ation de logiciels libres ou d’autres productions libres des communs numĂ©riques. Le Libre n’a pas Ă  s’imposer. Mais dans notre monde de communication, le Libre en tant qu’outil est un puissant moteur libertaire. Il permet aux libertaires de mettre en Ɠuvre des actions de communication, de coopĂ©ration et de stratĂ©gie.
  3. Proposer le logiciel libre ou les licences libres n’est pas un acte altruiste ni solidaire s’il n’est pas accompagnĂ© de discours ou d’actes Ă©mancipateurs. Il peut mĂȘme crĂ©er l’inverse par excĂšs, submersion de connaissances et finalement exclusion. Il faut travailler de plus en plus les conditions d’adoption de solutions techniques libres dans les collectifs, mieux partager les expĂ©riences, favoriser l’inclusion dans la dĂ©cision d’adoption de telles ou telles techniques. Elles doivent apporter du sens Ă  l’action (et nous revoici dans la rĂ©flexion dĂ©jĂ  ancienne du rapport entre travailleurs et machines).
  4. Il vaut mieux privilĂ©gier l’émancipation non-numĂ©rique Ă  la noyade techno-solutionniste qui rĂ©sulte d’un manque de compĂ©tences et de connaissances.
  5. La solidaritĂ© doit ĂȘtre le pilier d’une Ă©ducation populaire au numĂ©rique. Cela ne concerne pas uniquement l’anarchisme. Mais un collectif ne peut pas seul effectuer une dĂ©marche critique sur ses usages numĂ©riques s’il n’a pas en mĂȘme temps les moyens de les changer efficacement. Les collectifs doivent donc Ă©changer et s’entraider sur ces points (combien de groupes anarchistes utilisent Facebook / Whatsapp pour s’organiser ? ce n’est pas par plaisir, sĂ»r !).

Notes


  1. La Quadrature du Net, « Affaire du 8 dĂ©cembre : le chiffrement des communications assimilĂ© Ă  un comportement terroriste Â», 5 juin 2023, URL.↩
  2. On peut prendre un exemple trivial, celui du microblogage qui transforme la communication en flux d’information. Le fait de ne pouvoir s’exprimer qu’avec un nombre limitĂ© de caractĂšre et de considĂ©rer l’outil comme le support d’un rĂ©seau social (oĂč le dialogue est primordial), fait que les idĂ©es et les concepts ne peuvent que rarement ĂȘtre dĂ©veloppĂ©s et discutĂ©s, ce qui transforme l’outil en support de partage d’opinions non dĂ©veloppĂ©es, raccourcies, caricaturales. Ajoutons Ă  cela le fait que, sur un systĂšme de microblogage commercial, les algorithmes visant Ă  gĂ©nĂ©rer de la lucrativitĂ© attentionnelle, ce sont les contenus les poins pertinents pour la pensĂ©e et les plus pertinents pour le trafic qui sont mis en avant. Contrairement Ă  ce qu’annoncent les plateformes commerciales de microblogage, ce dernier ne constitue absolument pas un support d’expression libre, au contraire il rĂ©duit la pensĂ©e Ă  l’opinion (ou ne sert que de support d’annonces diverses). Un autre exemple concerne la « rĂ©daction web Â» : avec la multiplication des sites d’information, la maniĂšre d’écrire un article pour le web est indissociable de l’optimisation du rĂ©fĂ©rencement. Le rĂ©sultat est que depuis les annĂ©es 2000 les contenus sont tous plus ou moins calibrĂ©s de maniĂšre identique et les outils rĂ©dactionnels sont configurĂ©s pour cela.↩
  3. Lawrence Lessig, « Code is Law – On Liberty in Cyberspace Â», Harvard Magazine, janvier 2000. Trad. Fr sur Framablog.org, 22 mai 2010.↩
  4. AliĂ©nation de tout le monde en fait. « L’aliĂ©nation apparaĂźt au moment oĂč le travailleur n’est plus propriĂ©taire de ses moyens de production, mais elle n’apparaĂźt pas seulement Ă  cause de cette rupture du lien de propriĂ©tĂ©. Elle apparaĂźt aussi en dehors de tout rapport collectif aux moyens de production, au niveau proprement individuel, physiologique et psychologique (
) Nous voulons dire par lĂ  qu’il n’est pas besoin de supposer une dialectique du maĂźtre et de l’esclave pour rendre compte de l’existence d’une aliĂ©nation dans les classes possĂ©dantes Â». G. Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, 1989, p. 118.↩
  5. Steven Levy, Hackers. Heroes of the Computer Revolution, New York, Dell Publishing, 1994. Steven LĂ©vy, L’éthique des hackers, Paris, Globe, 2013.↩
  6. Ainsi on peut s’interroger sur la tendance du protocole ouvert ActivityPub (qui fait fonctionner Mastodon, par exemple) Ă  couvrir de nombreuses applications du Fediverse sans qu’une discussion n’ait Ă©tĂ© rĂ©ellement menĂ©e entre les collectifs sur une stratĂ©gie commune multiformats dans le Fediverse. Cela crĂ©e une brĂšche rĂ©cemment exploitĂ©e par l’intention de Meta de vouloir intĂ©grer le Fediverse avec Threads, au risque d’une stratĂ©gie de contention progressive des utilisateurs qui mettrait en danger l’utilisation mĂȘme d’ActivityPub et par extension l’ensemble du Fediverse. On peut lire Ă  ce sujet la tribune de La Quadrature du Net : « L’arrivĂ©e de Meta sur le FĂ©divers est-elle une bonne nouvelle ? Â», 09 aoĂ»t 2023, URL.↩
  7. SĂ©bastien Broca, Utopie du logiciel libre. Lyon, Éditions le Passager clandestin, 2018.↩
  8. Fred Turner, Aux sources de l’utopie numĂ©rique : De la contre culture Ă  la cyberculture. Stewart Brand, un homme d’influence, Caen, C&F Editions, 2012.↩
  9. Christophe Masutti, « Lire Fred Turner : de l’usage de l’histoire pour prĂ©figurer demain Â», dans Retour d’Utopie. De l’influence du livre de Fred Turner, Caen, Les cahiers de C&F Ă©ditions 6, juin 2023, p. 70-82.↩
  10. Detlef Hartmann, Die Alternative : Leben als Sabotage – zur Krise der technologischen Gewalt, TĂŒbingen : IVA-Verlag, 1981. Voir aussi Capulcu Kollektiv, DISRUPT ! – Widerstand gegen den technologischen Angriff, sept. 2017 (URL).↩
  11. Alan F. Westin, Privacy and Freedom, New York, Atheneum, 1967.↩
  12. C’est le ralliement des mouvements pour les droits et libertĂ©s individuels, le lien entre l’expĂ©rience personnelle (par exemple les inĂ©galitĂ©s de race ou de genre dont des individus pourraient faire l’expĂ©rience quotidienne) et les structures politiques et sociales qui sont Ă  la source des problĂšmes et dont il fallait procĂ©der Ă  la remise en question.↩
  13. Nadia Eghbal, Sur quoi reposent nos infrastructures numĂ©riques ? : Le travail invisible des faiseurs du web. Marseille, OpenEdition Press, 2017. https://doi.org/10.4000/books.oep.1797.↩
  14. Dans le cas de communs numĂ©riques, qui sont des biens non rivaux, il peut ĂȘtre difficile de comprendre cette notion d’appauvrissement. Pour un bien commun comme un champ cultivĂ©, si tout le monde se sert et en abuse et personne ne sĂšme ni n’entretient, le champ reste bien un commun mais il ne donne rien et va disparaĂźtre. Pour un bien non rival, la richesse dĂ©pend autant du processus contributif que du bien lui-mĂȘme, mĂȘme s’il peut ĂȘtre dupliquĂ© Ă  l’infini. Pour un logiciel par exemple, si personne ne propose de mise Ă  jour, si personne n’enrichit rĂ©guliĂšrement le code et/ou organise les contributions, ce logiciel aura tendance Ă  disparaĂźtre aussi.↩
  15. Pierre CrĂ©tois (dir.), L’accaparement des biens communs, Paris, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2022.↩
  16. On peut voir sur ce point le travail que rĂ©alise Laurent Marseault : https://cocotier.xyz/?ConfPompier.↩
  17. Au sens oĂč l’entendait Bernard Stiegler, c’est-Ă -dire la privation d’un sujet de ses savoirs (savoir-faire, savoir-vivre, savoir concevoir et thĂ©oriser). Voir Bernard Stiegler, États de choc : bĂȘtise et savoir au XXIe siĂšcle, Paris, France, Mille et une nuits, 2012.↩
  18. On peut voir les statistiques sur l’Open Source Contributor Index : https://opensourceindex.io/.↩
  19. Simon Butler et al., « On Company Contributions to Community Open Source Software Projects Â», IEEE Transactions on Software Engineering, 47-7, 2021, p. 1381‑1401.↩
  20. Antonio A. Casilli, En attendant les robots : enquĂȘte sur le travail du clic, Paris, France, Éditions du Seuil, 2019.↩
  21. Et ils sont souvent les dindons de la farce. En Europe, la situation est Ă©quivoque. D’un cĂŽtĂ©, un espace est ouvert grĂące aux dispositifs juridiques censĂ©s protĂ©ger l’économie europĂ©enne et les europĂ©ens contre les effets des multinationales Ă  l’encontre de la vie privĂ©e, au nom de la dĂ©fense des consommateurs, et en faveur de la souverainetĂ© numĂ©rique. Les logiciels libres y trouvent quelques dĂ©bouchĂ©s pertinents auprĂšs du public et des petites structures. Mais d’un autre cĂŽtĂ©, une grande part de la production libre et open source repose sur des individus et des petites entreprises, alors mĂȘme que les gouvernements (et c’est particuliĂšrement le cas en France) leur crĂ©ent des conditions d’accĂšs au marchĂ© trĂšs dĂ©favorables et privilĂ©gient les monopoles extra-europĂ©ens par des jeux de partenariats entre ces derniers et les intĂ©grateurs, largement subventionnĂ©s. Voir Jean-Paul Smets, « Confiance numĂ©rique ou autonomie, il faut choisir Â», in Annales des Mines, 23, La souverainetĂ© numĂ©rique : dix ans de dĂ©bat, et aprĂšs ?, Paris, 2023., p. 30-38.↩
  22. MĂȘme si le protocole ActivityPub pourrait ĂȘtre suffisamment dĂ©tournĂ© ou influencĂ© pour ne plus assurer l’interopĂ©rabilitĂ© nĂ©cessaire. La communautĂ© du Fediverse doit pour cela s’opposer en masse Ă  Thread, la solution que commence Ă  imposer l’entreprise Meta (Facebook), dans l’optique de combler le manque Ă  gagner que reprĂ©sente le Fediverse par rapport aux mĂ©dia sociaux privateurs.↩
  23. Christophe Masutti, « En passant par l’Arkansas. Ordinateurs, politique et marketing au tournant des annĂ©es 1970 Â», Zilsel, 9-2, 2021, p. 29‑70.↩
  24. On peut se reporter Ă  cette louable tentative issue de It’s Going Down, et que nous avons publiĂ©e sur le Framablog. Il s’agit d’un livret d’auto-dĂ©fense en communication numĂ©rique pour les groupes anarchistes. Bien qu’offrant un panorama complet et efficace des modes de communications et rappelant le principe de base qui consiste en fait Ă  les Ă©viter pour privilĂ©gier les rencontres physiques, on voit tout de mĂȘme qu’elle souffre d’un certain manque de clairvoyance sur les points d’achoppement techniques et complexes qu’il serait justement profitable de partager. Voir « Infrastructures numĂ©riques de communication pour les anarchistes (et tous les autres
) Â», Framablog, 14 avril 2023.↩
  25. Philippe Borrel, La bataille du Libre (documentaire), prod. Temps Noir, 2019, URL.↩
  26. Sam Williams, Richard Stallman et Christophe Masutti, Richard Stallman et la rĂ©volution du logiciel libre. Une biographie autorisĂ©e, 1re Ă©d., Eyrolles, 2010.↩
  27. Richard Stallman (interview), « Is Free Software Anarchist ? Â», vidĂ©o sur Youtube.↩
  28. Michel Lallement, L’ñge du faire : hacking, travail, anarchie, Paris, France, Éditions Points, 2018.↩
  29. Christian Imhorst, Die Anarchie der Hacker, Marburg, Tectum – Der Wissenschaftsverlag, 2011. Christian Imhorst, « Anarchie und Quellcode – Was hat die freie Software-Bewegung mit Anarchismus zu tun ? Â», in Open Source Jahrbuch 2005, Berlin, 2005.↩
  30. Dale A. Bradley, « The Divergent Anarcho-utopian Discourses of the Open Source Software Movement Â», Canadian Journal of Communication, 30-4, 2006, p. 585‑612.↩
  31. Marie-Christine Granjon, « Les radicaux amĂ©ricains et le « systĂšme Â» Â», Raison prĂ©sente, 28-1, 1973, p. 93‑112.↩
  32. David DeLeon, The American as Anarchist : Reflections on Indigenous Radicalism, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2019.↩
  33. Murray Bookchin, Changer sa vie sans changer le monde. L’anarchisme contemporain entre Ă©mancipation individuelle et rĂ©volution sociale, Marseille, Agone, 2019, pp. 61-63.↩
  34. En 2015, c’est ce qui a permis Ă  Bill Gates de caricaturer, sans les citer, des personnes comme Joseph Stiglitz et d’autres partisans pour une rĂ©forme des brevets (pas seulement logiciels) en sortes de nĂ©ocommunistes qui avanceraient masquĂ©s. Voir cet entretien, cet article de LibĂ©ration, et cette « rĂ©ponse Â» de R. M. Stallman.↩
  35. Eben Moglen, « L’anarchisme triomphant. Le logiciel libre et la mort du copyright Â», Multitudes, 5-2, 2001, p. 146‑183.↩
  36. David Edgerton, « De l’innovation aux usages. Dix thĂšses Ă©clectiques sur l’histoire des techniques Â», Annales. Histoire, sciences sociales, 53-4, 1998, p. 815‑837.↩
  37. Clifford D. Conner, Histoire populaire des sciences, Montreuil, France, Éditions L’ÉchappĂ©e, 2011.↩
  38. Amaelle Guiton, Hackers : au cƓur de la rĂ©sistance numĂ©rique, Vauvert, France, Au diable Vauvert, 2013.↩
  39. « Le capitalisme est d’essence conjoncturelle. Aujourd’hui encore, une de ses grandes forces est sa facilitĂ© d’adaptation et de reconversion Â», Fernand Braudel, La dynamique du capitalisme, Paris, Flammarion, 2018.↩
  40. StĂ©phane Couture, « L’écriture collective du code source informatique. Le cas du commit comme acte d’écriture Â», Revue d’anthropologie des connaissances, 6, 1-1, 2012, p. 21‑42.↩
  41. Murray Bookchin, Changer sa vie sans changer le monde, op. cit., p. 12 et p. 10.↩
  42. Comme je l’ai Ă©crit dans un prĂ©cĂ©dent billet de blog, plusieurs auteurs donnent des dĂ©finitions du concept de prĂ©figuration. À commencer par David Graeber, pour qui la prĂ©figuration est « l’idĂ©e selon laquelle la forme organisationnelle qu’adopte un groupe doit incarner le type de sociĂ©tĂ© qu’il veut crĂ©er Â». Un peu plus de prĂ©cision selon Darcy Leach pour qui la prĂ©figurativitĂ© est « fondĂ©e sur la prĂ©misse selon laquelle les fins qu’un mouvement social vise sont fondamentalement constituĂ©es par les moyens qu’il emploie, et que les mouvements doivent par consĂ©quent faire de leur mieux pour incarner – ou “prĂ©figurer” – le type de sociĂ©tĂ© qu’ils veulent voir advenir. Â». David Graeber, Comme si nous Ă©tions dĂ©jĂ  libres, MontrĂ©al, Canada, Lux Ă©diteur, 2014. Darcy K. Leach, « Prefigurative Politics Â», in The Wiley-Blackwell Encyclopedia of Social and Political Movements, John Wiley & Sons, Ltd, 2013.↩
  43. Cory Doctorow, « As Platforms Decay, Let’s Put Users First Â», 09 mai 2023, URL.↩
  44. Kristin Ross, La forme-Commune. La lutte comme maniĂšre d’habiter, Paris, La Fabrique Editions, 2023.↩
  45. Sam Dolgoff, The relevance of anarchism to modern society, TroisiĂšme Ă©dition., Tucson, AZ, See Sharp Press, 2001.↩
  46. Sam Dolgoff, « Le NĂ©o-anarchisme amĂ©ricain. Nouvelle gauche et gauche traditionnelle Â», Le Mouvement social, num. 83, 1973, p. 181‑99. « (
) intellectuels petits-bourgeois, des Ă©tudiants et des « hippies Â» qui constituaient l’essentiel de la nouvelle gauche Â».↩
  47. Thomas Swann, « Towards an anarchist cybernetics : Stafford Beer, self-organisation and radical social movements | Ephemeral Journal Â», Ephemera. Theory and politics in organization, 18-3, 2018, p. 427‑456.↩
  48. En thĂ©orie du moins. Si on regarde de plus prĂšs l’histoire du projet Cybersyn, c’est par la force des choses que le systĂšme a aussi Ă©tĂ© utilisĂ© comme un outil de contrĂŽle, en particulier lorsque les tensions existaient entre les difficultĂ©s d’investissement locales et les rendements attendus au niveau national. En d’autres termes, il fallait aussi surveiller et contrĂŽler les remontĂ©es des donnĂ©es, lorsqu’elles n’étaient pas en phase avec la planification. Cet aspect technocratique a vite Ă©dulcorĂ© l’idĂ©e de la prise de dĂ©cision collective locale et de la participation socialiste, et a fini par classer Cybersyn au rang des systĂšmes de surveillance. Hermann Schwember, qui Ă©tait l’un des acteurs du projet est revenu sur ces questions l’annĂ©e du coup d’État de Pinochet et peu de temps aprĂšs. Hermann Schwember, « ConvivialitĂ© et socialisme Â», Esprit, juil. 1973, vol. 426, p. 39-66. Hermann Schwember, « Cybernetics in Government : Experience With New Tools for Management in Chile 1971-1973 Â», In : Hartmut Bossel (dir.), Concepts and Tools of Computer Based Policy Analysis, Basel, BirkhĂ€user – Springer Basel AG, 1977, vol.1, p. 79-138. Pour une histoire complĂšte, voir Eden Medina, Cybernetic Revolutionaries. Technology and Politics in Allende’s Chile, Boston, MIT Press, 2011. Et une section de mon ouvrage Christophe Masutti, Affaires privĂ©es. Aux sources du capitalisme de surveillance, Caen, C&F Éditions, 2020.↩
  49. Sam Dolgoff, « Modern Technology and Anarchism Â», Libertarian Labor Review, 1, 1986, p. 7‑12.↩
  50. Fred Turner, « Ne soyez pas malveillants. Utopies, frontiĂšres et brogrammers Â», Esprit, 434, mai 2019, URL.↩
  51. Association Autogestion, Autogestion. L’encyclopĂ©die internationale, Paris, Syllepse, 2019, vol. 1-11.↩

Le logiciel libre : simple, basique.

Par : Framasoft
9 octobre 2023 Ă  09:00

On tombe parfois, au dĂ©tour d’un pouet, sur des textes qui rĂ©sonnent particuliĂšrement en nous.

C’est le cas de celui-ci, Ă©crit par Bastien Guerry. On aime tellement qu’on ne rĂ©siste pas Ă  l’envie de vous le faire dĂ©couvrir 🙂

Luc

Le logiciel libre : simple, basique.

Le logiciel libre, tout le monde s’en fout, sauf les libristes.

Simple.

Un logiciel libre, c’est comme un orgasme : quand t’es pas sĂ»r que c’en est un, c’en est pas un.

Basique.

Les gens comptent plus que les logiciels, mĂȘme libres.

Simple.

Le logiciel libre et l’open source, c’est les mĂȘmes logiciels mais pas les mĂȘmes intentions.

Basique.

On peut multiplier les copies d’un logiciel mais pas les gens qui le dĂ©veloppent.

Simple.

Les meilleur·e·s devs aiment libĂ©rer leurs codes sources mais des fois ils prĂ©fĂšrent l’argent.

Basique.

Les impĂŽts ne financent jamais des logiciels libres, sauf quand les administrations le veulent trĂšs fort.

Simple.

Si certains logiciels libres sont moches, c’est qu’aucun designer n’y contribue.

Basique.

Certains logiciels libres sont des communs numériques, certains communs numériques sont libres.

Simple.

Ne regarde pas le driver propriĂ©taire qu’il y a chez ton voisin mais plutĂŽt le BIOS non libre que tu utilises.

Basique.

C’est pas parce que ton smartphone est sous GNU/Linux que tu regardes pas des vidĂ©os dĂ©biles.

Simple.

Les politiques ne connaissent rien au logiciel libre parce qu’ils ne connaissent rien aux logiciels.

Basique.

Si t’en as marre de contribuer au libre sans ĂȘtre payé·e, arrĂȘte.

Simple.

C’est pas en dĂ©veloppant des logiciels libres que tu vas renverser le capitalisme.

Basique.

C’est pas parce que tu fais du collaboratif que tu fais de l’inclusif.

Simple.

Le logiciel libre c’est gratuit jusqu’au prochain log4j.

Basique.

Les logiciels libres, il y a ceux qui en font, ceux qui en parlent et ceux qui en vivent.

Simple.

Un bon logiciel libre est un logiciel libre vivant.

Basique.

Le solutionnisme n’est pas la solution, mĂȘme avec des logiciels libres.

Simple.

Être cool, c’est bien, ĂȘtre libre, c’est mieux.

Basique.


Le logiciel libre : simple, basique., CC by-sa 4.0 Bastien Guerry.

Les 100 premiers jours d’une libraire Ă  la prĂ©sidence de l’April

14 mars 2023 Ă  03:26

Trois mois
 C’est fou ce que cela passe vite.

En dĂ©cembre 2022, j’ai repris la prĂ©sidence de l’April, l’association pour la promotion et la dĂ©fense du Logiciel Libre. Cette association existe depuis 1996 et compte presque 3 000 membres. N’étant ni informaticienne, ni juriste, ni politicienne, j’avais refusĂ© le poste quand un des anciens prĂ©sidents, Lionel Allorge <3, me l’avait proposĂ©, syndrome d’imposture inconscient sans doute. AprĂšs quinze ans dans l’association dont dix en tant qu’administratrice, c’était le bon moment pour se lancer.

Mais ĂȘtre prĂ©sidente de l’April, ça m’engage Ă  quoi ?

Les personnes qui se sont succĂ©dĂ© Ă  la prĂ©sidence de l’April, Fred, BenoĂźt, Tangui, Lionel, Jean-Christophe ou VĂ©ronique (maintenant vous connaissez leurs prĂ©noms1) ont Ă©tĂ© confrontĂ©es Ă  des combats, des injustices, des politiciens godillots, des messages Ă  passer et Ă  faire passer. Celles et ceux qui me connaissent savent que je suis dynamique, joviale, que j’aime aller vers les autres, travailler en Ă©quipe, rencontrer des libristes, construire ensemble, Ă  plusieurs, et surtout totalement utopiste sur la sociĂ©tĂ© dans laquelle je souhaiterais vivre. Exigeante avec moi-mĂȘme, je me suis fixĂ© plusieurs objectifs Ă  mener au sein de l’April dans l’annĂ©e Ă  venir mĂȘme si, parfois, cela me semble irrĂ©alisable lors de mes insomnies. Heureusement, j’ai la chance d’ĂȘtre entourĂ©e de personnes formidables : les membres de l’équipe salariĂ©e, du conseil d’administration (CA) et les membres de l’association.

1) Se mettre à jour sur les dossiers institutionnels de l’April.

Chaque bĂ©nĂ©vole s’intĂ©resse Ă  ses sujets prĂ©fĂ©rĂ©s, moi j’étais plutĂŽt dans la vie de l’association, la tenue de stands, la sensibilisation. Mais, devenue prĂ©sidente, j’ai dĂ» me mettre Ă  jour, m’informer et me tenir au courant des dossiers institutionnels que traite l’April : proposition de loi sur le contrĂŽle parental, l’OpenBar du ministĂšre des ArmĂ©es avec Microsoft, Pacte du Logiciel Libre, Conseil d’expertise logiciels libres, Label Territoire NumĂ©rique Libre, GAFAM-Nation un rapport Ă©clairant sur le lobbying des GAFAM en France, proposition d’évaluation des dĂ©penses de logiciels de l’État, suivi de questions Ă©crites, MinistĂšre de l’Éducation nationale
 pour ne citer qu’eux !

C’est assez chronophage de se documenter et de lire des articles sur des sujets avec lesquels on n’a que peu d’affinitĂ©s, mais tellement intĂ©ressant, finalement, de creuser, de chercher des informations, de remonter Ă  leurs sources. Pourquoi les mĂ©dias ne s’emparent-ils pas de ces problĂ©matiques ? Pourquoi ne s’offusquent-ils pas de la domination des GAFAM et de l’inaction des politiques, des mauvaises dĂ©cisions des responsables, du manque des femmes dans le numĂ©rique, du matĂ©riel propriĂ©taire, parfois inutile et que l’on impose aux Ă©lĂšves
 Arf !, je m’enflamme, dĂ©solĂ©e !

Des sujets me tiennent Ă©normĂ©ment Ă  cƓur, sur lesquels j’aimerais travailler comme la prioritĂ© au logiciel libre pour tous les logiciels utilisĂ©s par l’État et les administrations ; l’obligation d’interopĂ©rabilitĂ© partout ; la sobriĂ©tĂ© numĂ©rique car l’épuisement des matiĂšres premiĂšres nĂ©cessaires au numĂ©rique m’inquiĂšte ; l’Éducation nationale qui reste sous le joug des GAFAM, je pense qu’elle doit sensibiliser les Ă©lĂšves Ă  toutes les alternatives pour pouvoir faire des choix Ă©clairĂ©s, pourquoi les prive-t-on des logiciels libres ?

Tellement de sujets et si peu d’heures dans une journĂ©e !

2) Lister et s’abonner aux diffĂ©rents groupes de travail

Les Ă©changes et les travaux au sein des groupes de travail de l’April se font principalement au travers de listes de discussions auxquelles les membres peuvent s’inscrire. Et mĂȘme les personnes non membres de l’association, la plupart des listes Ă©tant ouvertes Ă  toute personne intĂ©ressĂ©e par le thĂšme du groupe de travail. Je pensais que la prĂ©sidente devait les suivre toutes (arf ! !). En le faisant j’ai assistĂ© Ă  des rĂ©unions passionnantes et parfois passionnĂ©es, j’ai participĂ© Ă  des Ă©changes de courriels enthousiastes ou parfois rĂ©signĂ©s.

Merci :

  • au groupe Éducation qui m’a bien accueillie, m’a expliquĂ© tous les acronymes (j’en ai encore des cauchemars). RĂ©flĂ©chir sur la doctrine numĂ©rique du MEN, ou rĂ©pondre Ă  sa stratĂ©gie a Ă©tĂ© trĂšs formateur ! PrĂ©parer un Ă©tat des lieux au sein d’un questionnaire va sĂ»rement prendre beaucoup de temps et de ressources. C’est parti !
  • au groupe Sensibilisation qui approfondit actuellement la rĂ©alisation d’un jeu de sociĂ©tĂ© (le jeu du Gnou — jeu de plateau aux multiples questions introduisant aux notions du logiciel libre et de son Ă©thique),
  • au groupe DiversitĂ© que j’essaye doucement de faire renaĂźtre de ses cendres,
  • au groupe Transcriptions que j’ai longtemps animĂ©, qui produit une quantitĂ© incroyable de textes tirĂ©s de confĂ©rences ou d’émissions de radio, il y a toujours des relectures Ă  faire (message peu subliminal).
  • Ă  l’Agenda du Libre, ma prĂ©sidence a remotivĂ© Echarp qui y incorpore une nouvelle fonctionnalitĂ©, un planet des organisations du Libre
 J’ai hĂąte de voir ce que cela va donner et je referais bien une mise Ă  jour des associations (dĂ©jĂ  en cours) !
  • au Chapril, Ă  ses animsys, Ă  ses services libres et loyaux que j’utilise au quotidien et Ă  la modĂ©ration du pouet que je rĂ©alise avec deux bĂ©nĂ©voles chaque lundi ! Merci Ă  Bastet, le chatons de Parinux, pour son lecteur de flux et Ă  Framasoft pour cette incroyable initiative. <3

DĂ©solĂ©e les groupes Admin sys, site web, Libre Association et Traductions, vous vous dĂ©brouillez trĂšs bien sans moi, je garde mon petit grain de sel. Et puis je dois reconnaĂźtre que jamais je ne pourrai tout lire :’-(.

 

Illustration rĂ©alisĂ©e avec GĂ©gĂ© – https://framalab.org/gknd-creator/

 

 

Plus je cĂŽtoie les groupes, plus je dĂ©plore notre manque de bĂ©nĂ©voles. Un peu comme dans chaque association, me direz-vous, mais imaginez tout ce que l’on pourrait faire si nous Ă©tions encore plus nombreux ! Si nous Ă©tions encore plus de bĂ©nĂ©voles !

3) Aller Ă  la rencontre des libristes

En 2012, quand je suis entrĂ©e au conseil d’administration de l’April, je voulais me rapprocher des GULL (groupe d’utilisatrices et d’utilisateurs de Logiciels Libres) et lancer l’opĂ©ration « enGULLez- vous Â», on m’en a empĂȘchĂ©e sous le prĂ©texte fallacieux que le nom prĂȘterait Ă  confusion. 😂 NĂ©anmoins l’idĂ©e me plaĂźt toujours.

L’April est souvent accusĂ©e de parisianisme : l’équipe salariĂ©e est Ă  Paris, beaucoup de rĂ©unions s’y organisent. Les diffĂ©rents confinements nous ont permis de nous Ă©quiper afin d’organiser des visioconfĂ©rences, chaque personne pouvant participer depuis chez elle. Et nous en avons bien profitĂ© !

NĂ©anmoins, cela ne me suffit pas, c’est frustrant de discuter Ă  distance. J’ai envie de renouer les liens avec les utilisatrices et utilisateurs de logiciels libres, comme lors des April Camps (rĂ©union sur plusieurs jours dans un lieu fermĂ© ou sont parfois organisĂ©s des from&pif’) Ă  Marseille ou Montpellier. Et rien de tel que d’aller Ă  leur rencontre ! J’ai donc mis en place une opĂ©ration dont le nom ne pourra pas m’ĂȘtre refusĂ© cette fois : Le Tour des GULL ! J’ai ainsi dĂ©jĂ  rendu visite Ă  Oisux (Beauvais), Ă  Actux (Rennes) et bientĂŽt Ă  Linux Nantes.

 

Illustration rĂ©alisĂ©e avec GĂ©gĂ© – https://framalab.org/gknd-creator/

 

 

Invitez-moi et je viendrai boire parler de logiciel libre avec vous ! Les festivals recommencent aussi, bientĂŽt les JDLL (JournĂ©e du Logiciel Libre) et les RPLL Ă  Lyon, Passage en Seine Ă  Choisy-le-Roi, le Capitole du Libre Ă  Toulouse, l’Open Source Experience Ă  Paris
 J’ai hĂąte d’y tenir des stands, de donner des confĂ©rences ! La prĂ©sidente est bien placĂ©e pour prĂ©senter l’April aux novices, rĂ©pondre aux questions que les membres se posent et fĂ©liciter certaines entreprises, associations ou collectivitĂ©s.

J’ai tellement hñte de m’y remettre et de revoir les personnes que je ne voyais qu’aux Rencontres Mondiales du Logiciel Libre.

Conclusion

Comme Ă©crit au dĂ©but de cet article, je n’ai pas vu passer ce trimestre ! Je suis reconnaissante aux libristes qui viennent Ă  ma rencontre lors des apĂ©ros (va falloir agrandir les lieux de rĂ©unions !), aux personnes qui m’envoient des articles de presse qui les ont choquĂ©es ou ravies, aux membres du CA et Ă  l’équipe salariĂ©e qui discutent avec moi par courriel ou par tĂ©lĂ©phone afin d’éclairer ma petite lanterne sur certains sujets.

Être prĂ©sidente de l’April, c’est une aventure qui mĂ©rite d’ĂȘtre vĂ©cue mĂȘme si ma librairie en pĂątit parfois (mes clients pardonnent mes absences du moment que je continue Ă  leur conseiller de bons livres).

Je suis Ă©puisĂ©e (comme chaque annĂ©e Ă  cette Ă©poque, les mĂ©decins appellent ça le rhume des foins — sauf qu’il n’y a pas de foin Ă  Paris !) mais Ă©panouie et je me sens toujours investie d’une mission : changer le monde (en mieux) !

Si l’aventure vous tente, vous pouvez adhĂ©rer Ă  l’April en allant sur le site de l’association ou en venant nous rencontrer lors des diffĂ©rents Ă©vĂšnements que nous organisons ou auxquels nous participons, dont les prochains : l’apĂ©ro April du vendredi 24 mars, l’assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale du samedi 25 mars, l’April Camp du dimanche 26 mars ou encore les JDLL (JournĂ©e du Logiciel Libre) des 1á”‰Êł et 2 avril Ă  Lyon


Merci d’avoir lu ce texte jusqu’au bout, je ne pensais pas qu’il serait aussi long quand j’ai commencĂ© Ă  l’écrire, mais que voulez-vous, l’enthousiasme ne se restreint pas !

 

 

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