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MLC44, une association et une monnaie locale en cours de libération des géants du numérique

Par : Framasoft
20 mars 2024 à 05:52

Depuis plusieurs années, nous publions régulièrement (tant que faire se peut du moins !) des articles témoignant de la dégafamisation de structures associatives ou relevant de l’économie sociale et solidaire. Dans le cadre du lancement de emancipasso.org, notre nouvelle initiative pour accompagner les associations vers un numérique plus éthique (lire l’article de lancement), nous avons eu envie de reprendre la publication de ces témoignages.

Pour ce faire, nous avons lancé un appel à participation sur nos réseaux sociaux et quelques structures nous ont répondu (vous pouvez continuer à le faire en nous contactant) ! Nous sommes donc ravis de reprendre une nouvelle série d’articles de dégafamisation avec aujourd’hui le témoignage de MLC44, qui porte la monnaie locale Moneko. Merci à Thibaut pour son témoignage riche, et bonne lecture !

Bonjour, peux-tu te présenter brièvement pour le Framablog ? Qui es-tu, ton parcours ? Ton rôle dans l’association ?

Je suis Thibaut, 41 ans. De formation ingénieur en informatique et travaillant dans une ESN spécialisée dans l’open-source au civil ;) J’ai débuté comme développeur web PHP, évolué dans le pilotage de projet et la direction d’un centre de production et suis actuellement dans des fonctions plus commerciales, toujours dans la même ESN.

Au sein de l’association MLC44, je suis bénévole : membre élu du collectif qui pilote l’association et aidant sur toutes les problématiques liées aux outils informatiques à travers la commission support (c’est un groupe de travail, rassemblant bénévoles et certains membres de l’équipe salariée, chargé de donner les moyens et outils à l’association pour remplir ses objectifs).

Tu nous parles de ton association ? Quel est son objet, les valeurs qu’elle porte ?

MLC44 est l’association qui porte Moneko, une monnaie locale et citoyenne qui circule dans le département de la Loire-Atlantique. La monnaie circule au sein d’un réseau de particuliers et de structures partenaires agréées (commerces, restaurants, producteurs, artisans, associations, professions libérales, etc.), réunis autour d’une charte de valeurs et qui intègrent des préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs activités.

Sans possibilité d’épargne et non spéculative, cette monnaie est adossée (on dit aussi complémentaire) à l’euro. Comme la plupart des monnaies locales, c’est un outil d’éducation populaire : Moneko permet aux citoyen⋅nes de se réapproprier l’usage de la monnaie, d’en découvrir les enjeux, de s’impliquer dans la gouvernance de leur monnaie, d’échanger et de partager au sein d’un réseau solidaire pour devenir acteur de la transition économique et écologique de leur territoire.

Cela a bien fonctionné avec moi, car depuis que je suis adhérent, j’ai déplacé une bonne partie de ma consommation vers des structures locales. Ça devient assez ludique quand on s’y met ;)

Le fonctionnement de Moneko. Source : site de Moneko

En termes d’organisation, combien y a-t-il de membres ? y a-t-il des salarié⋅es ? Êtes-vous localisé géographiquement ou bien un peu partout ?

Nous avons 4 salariés et 1 à 2 VSC (Volontaire en Service Civique) suivant les périodes. Les bureaux de l’association sont localisés à Nantes au sein du Solilab (super lieu réunissant plein d’énergies autour de l’ESS), mais nous avons aussi des groupes locaux dans plusieurs lieux du 44. Notre objectif est de les multiplier sur le territoire de la monnaie. L’association rassemble une cinquantaine de bénévoles et les adhérents à la monnaie sont à ce jour près de 1000 (760 particuliers et 220 pros à jour de leur cotisation).

Vous diriez que les membres de l’association sont à l’aise avec le numérique ou pas du tout ? Ou bien c’est assez disparate ?

La majorité est plutôt à l’aise et en plus volontaire pour progresser, cela aide beaucoup !

Quel a été le déclencheur de votre dégafamisation ? Qu’est-ce qui vous a motivés ?

Quand j’ai rejoint l’association en 2021, le sujet était déjà dans les objectifs de l’association avec quelques premières actions en cours. Utiliser des outils libres ou open-source plutôt que les outils des GAFAM ou propriétaire est une préoccupation proche des valeurs qui guident notre association. C’est donc une voie d’évolution tout à fait naturelle pour nous et facilement compréhensible par nos membres.

En dehors donc de l’aspect valeur, une autre motivation est l’autonomie que cela peut nous apporter : nous trouverons toujours une ressource apte à maintenir/développer nos outils vs du propriétaire, et en plus cela nous rend moins dépendant d’un prestataire. Nous identifions également des bénéfices en termes de coût financier à moyen/long terme une fois l’investissement initial passé (mise en place et montée en compétence des équipes).

C’est aussi l’occasion de travailler à plus facilement fédérer/mutualiser nos usages et outils au niveau national, voire européen avec les autres monnaies locales (coucou à nos copains du mouvement SOL). C’est une des raisons pour laquelle nous avons également rejoint l’association Lokavaluto qui est un commun numérique à destination de projets de l’ESS tels que les Monnaies Locales complémentaires et Citoyennes, les Sécurités sociales de l’alimentation, les SEL, les places de marché locales, etc.

Quels sont les moyens humains mobilisés sur la démarche ? Y a-t-il une équipe dédiée au projet ? Quelles compétences ont été nécessaires ?

Il n’y a pas réellement de personne dédiée au sujet. Cette démarche restant chaque année suivie et présente dans le plan d’action de l’association, nous nous en soucions régulièrement. Pour aller dans le détail, c’est la commission support de l’association qui en a la responsabilité et qui suit l’avancement. Étant dans cette commission et par ailleurs défenseur de l’open-source, j’ai pris en main le dossier ;) Mais je suis aidé par d’autres bénévoles qui aident à la mise en place des outils et à la formation des utilisateurs, tout comme notre partenaire Lokavaluto qui met à disposition de nombreux tutoriels et formations.

Comment avez-vous organisé votre dégafamisation ? Plan stratégique machiavélique puis passage à l’opérationnel ? Ou par itérations et petit à petit, au fil de l’eau ?

Cela se passe plutôt par itération et au fil d’eau. Une première étape a été de dresser la liste des outils majeurs utilisés par tous les intervenants de l’assocation.

Nous avons ensuite cherché une alternative libre adéquate. La liste a ensuite été priorisée pour déterminer en fonction des contraintes et de la difficulté à migrer, dans quel ordre nous allions procéder. Au fur et à mesure, cela nous a construit une sorte de plan d’action sur cette démarche. Mais le plan continue d’évoluer : nous découvrons de temps en temps l’usage d’un outil qui n’avait pas été identifié mais aussi, nous restons en veille sur les solutions et pouvons donc changer quelques priorités. À titre d’exemple, lors de notre récent changement d’outil pour notre site internet, nous en avons profité pour migrer nos vidéos de Youtube vers un Peertube alors que ce n’était pas forcément prévu.

En plus de ces itérations au niveau global, nous pouvons aussi itérer au niveau de chaque outil : on ne cherche pas forcément la perfection dès le départ. L’idée c’est d’avancer. Par exemple, certain-e-s utilisateur-ices commencent à utiliser le nouvel outil et pas tous en même temps. Cela permet aussi de faciliter l’acceptation du changement et pour nous d’avoir le temps d’accompagner « tranquillement » les utilisateurs.

L’association étant en plein changement d’échelle, toute la difficulté est d’arriver à faire les changements sans trop bouleverser les habitudes des intervenant-e-s qui sont déjà bien chargé-e-s par le quotidien.

Est-ce que vous avez rencontré des résistances que vous n’aviez pas anticipées, qui vous ont pris par surprise ? Au contraire, y a-t-il eu des changements dont vous aviez peur et qui se sont passés comme sur des roulettes ?

Je dirais qu’il faut être vigilant si certains de vos prestataires sentent le vent tourner. L’idée est de bien faire maintenir le niveau de service attendu jusqu’au bout.

Un autre point d’attention également, c’est d’être vigilant lors de l’arrivée de nouvelles personnes (ce qui peut arriver fréquemment dans une association). Le nouvel arrivant doit prendre les bonnes habitudes, et éventuellement perdre ses mauvais réflexes perso/pro d’utilisation d’outil Gafam ;) Cela peut être un peu délicat, car la personne arrive avec de l’envie et de l’énergie pour faire progresser l’association, il faut donc bien expliquer la démarche, le pourquoi et généralement ça se passe bien !

Autre vigilance à avoir : lorsque de nouveaux besoins sont exprimés, l’équipe doit avoir le réflexe de d’abord chercher des solutions libres/open-source, il faut parfois le rappeler.

Enfin, il faut globalement rester un peu souple : notre objectif est d’avant tout de faire progresser l’usage de notre monnaie locale Moneko. Nous ne devons donc pas être sectaires et interdire l’usage d’outil propriétaire ou GAFAM quand l’alternative n’apporte pas un service suffisant où est trop coûteuse (temps/argent) à mettre en œuvre pour le moment. (Mais on le garde dans nos radars pour une future voie d’amélioration !)

Parlons maintenant outils ! À ce jour, on en est où ? Quels outils ou services avez-vous remplacé, et par quoi, sur quels critères ?

Certains outils sont migrés, d’autres en cours et d’autres sont encore dans la TODO list ;) Voici un état des lieux :

  • Partage de fichiers : Google Drive vers Nextcloud : en cours/partiel, ici la stratégie a été d’abord de migrer nos documents publics (cela permet d’évangéliser notre public) avant tout l’interne qui demande un gros boulot de tri.
  • Suite bureautique : Google => Onlyoffice : en test, ici aussi la marche est importante car il y a beaucoup d’historique et c’est un outil du quotidien pour l’équipe. Nous allons y aller au fur et à mesure.
  • Mesure du trafic web : Google Analytics => Matomo, terminé : cela a été facile à faire à l’occasion de la refonte de notre site web.
  • Fichiers tableurs pour gérer l’asso : Excel => Odoo, en finalisation, nous avons migré toute la gestion de nos membres en 2023 et avons pu automatiser les relances de début 2024 avec le nouvel outil. Un gain de temps assuré au final.
  • Gestion des mails : Gmail => Thunderbird (bureau) + Roundcube (web), en cours/partiel : seuls quelques membres ont franchi le pas, il y a pas mal d’accompagnements à faire.
  • Système d’exploitation : Windows => Ubuntu, à commencer : l’idée est d’abord d’installer un poste à l’occasion d’un nouvel arrivant pour ensuite proposer la migration à ceux qui le veulent. Cela se fera sur un temps long.
  • Messagerie instantanée : Whatsapp => Rocketchat, en cours : l’usage de Whatsapp est de moins en moins fréquent, mais l’usage de Rocketchat a encore du mal à prendre.
  • Conférence audio et vidéo : Zoom => Big Blue Button, terminé : la bascule s’est faite assez rapidement d’autant plus que cela nous a permis d’économiser quelques dizaines d’euros par mois !
  • Carte géographique : Google Maps => Gogocarto, en cours : la migration des données prend un peu de temps, mais ça ne va pas tarder
  • Hébergement vidéo : Youtube => PeerTube, terminé : cela a été facile à faire à l’occasion de la refonte de notre site web.

Pour répondre à ta question sur les critères majeurs c’est : réponse au besoin, ergonomie de la solution, pérennité de l’outil.

Comment avez-vous choisi s’il y avait plusieurs alternatives ?

Beaucoup de choix se sont faits en discutant avec notre écosystème (Lokavaluto, SOL, autres monnaies, autres structures du Solilab, etc.) et en observant leur usage. Nous tenons aussi compte de notre capacité à avoir de la compétence interne pour accompagner les utilisateurs fonctionnellement. La pérennité de l’outil et la capacité à trouver facilement des ressources techniques pour maintenir/corriger un bug compte aussi.

Planche de billets Moneko

À quoi ressemblerait la planche à billet Moneko ? Source : site de Moneko

Est-ce qu’il reste des outils auxquels vous n’avez pas encore pu trouver une alternative libre et pourquoi ?

Il nous reste l’outil de gestion des transactions de la monnaie (cyclos) : nous avons une piste avec Com’Chain, mais nous n’envisageons pas encore la migration car trop risquée. C’est le cœur de notre activité : l’outil est encore jeune, on surveille les évolutions de l’outil et ses avancées. Mais cela exigera aussi de notre part une maturité technique que nous n’avons pas encore.

Quels étaient vos moyens humains et financiers pour effectuer cette transition vers un numérique éthique ?

Nous n’avons pas de ressource ou temps dédié, c’est un sujet du quotidien porté par la chargée de coordination et les bénévoles « techniques ». Comme cela reste un objectif précis de l’association, les membres les plus actifs l’ont bien en tête et sont facilitateurs.

Avez-vous organisé un accompagnement de vos utilisateur⋅ices ?

Oui, nous essayons d’accompagner au mieux les utiliateur⋅ices, avec par exemple :

  • une formation régulière aux nouveaux usages (Odoo notament) : à chaque déploiement de nouveau module (ex. : facturation, gestion RH), nous formons les utilisateurs (+ tutoriel vidéo/retranscription vidéo de formations d’autres MLC mis à dispo par Lokavaluto)
  • des tutoriels sous forme de diapo pour expliquer des cas d’usage

Mais on ne peut pas le faire systématiquement. Donc on compte aussi sur la débrouillardise car comme dit plus haut, on essaye de sélectionner avant tout des outils ergonomiques et qui fonctionnent bien à l’instinct. Mais lorsqu’on nous remonte une difficulté, on passe en mode support par tchat et mails (voir téléphone pour les urgences, mais c’est rare) L’idée est que les utiliateur⋅ices aient bien une personne d’identifiée à contacter en cas de besoin.

Est-ce que votre dégafamisation a un impact direct sur votre public ou utilisez-vous des services libres uniquement en interne ? Si le public est en contact avec des solutions libres, comment y réagit-il ? Est-il informé du fait que ça soit libre ?

Cela peut avoir un impact via l’exemple. Quand on propose un document à télécharger par exemple, c’est sur nuage.moneko.org. Les utilisateurs voient que c’est du Nextcloud et non du Google Drive. On laisse les crédits des solutions qu’on utilise pour contribuer. Mais en effet, ta question m’amène à me demander si on ne pourrait pas faire une page dédiée pour montrer nos choix et notre démarche. Je le note dans la todo ;)

Quels conseils donneriez-vous à des structures comparables à la vôtre qui voudraient se dégafamiser elles aussi ? (erreurs à ne pas commettre ? Astuces et bonnes pratiques éprouvées à l’usage ?)

Quelques conseils en vrac : entourez-vous de personnes en phase avec l’objectif, ne soyez pas seul, allez-y tranquillement, montrez l’exemple par vos propres usages, itérez, essaimez, montrez les bénéfices, l’alignement des valeurs et ne vous découragez pas s’il y a quelques entorses ou petits retours en arrière, la route est longue mais… [Ndr : … la voie est libre 🙂 ] ;)

Un mot de la fin, pour donner envie de migrer vers les outils libres ?

Avancer sur cette migration peut aider à se sentir bien, cela fait partie des gestes positifs à apporter à notre société, cela aide au bien-être mental et à lutter contre la dissonance cognitive que l’on peut avoir dans nos activités quotidiennes/pro.

Comment dégafamiser une MJC – un témoignage

Par : Framasoft
12 juin 2023 à 05:42

Nous ouvrons volontiers nos colonnes aux témoignages de dégooglisation, en particulier quand il s’agit de structures locales tournées vers le public. C’est le cas pour l’interview que nous a donnée Fabrice, qui a entrepris de « dégafamiser » au sein de son association. Il évoque ici le cheminement suivi, depuis les constats jusqu’à l’adoption progressive d’outils libres et éthiques, avec les résistances et les passages délicats à négocier, ainsi que les alternatives qui se sont progressivement imposées. Nous souhaitons que l’exemple de son action puisse donner envie et courage (il en faut, certes) à d’autres de mener à leur tour cette « migration » émancipatrice.

Bonjour, peux-tu te présenter brièvement pour le Framablog ?
Je m’appelle Fabrice, j’ai 60 ans et après avoir passé près de 30 années sur Paris en tant que DSI, je suis venu me reposer au vert, à la grande campagne… Framasoft ? Je connais depuis très longtemps… Linux ? Aussi puisque je l’ai intégré dans une grande entreprise française, y compris sur des postes de travail, il y a fort longtemps…

Ce n’est que plus tard que j’ai pris réellement conscience du pouvoir néfaste des GAFAM et que je défends désormais un numérique Libre, simple, accessible à toutes et à tous et respectueux de nos libertés individuelles. Ayant du temps désormais à accorder aux autres, j’ai intégré une association en tant que bénévole, une asso qui compte un peu moins de 10 salariés et un budget annuel avoisinant les 400 K€.

Quel a été le déclencheur de  l’opération de dégafamisation ?

En fait, quand je suis arrivé au sein de l’association le constat était un peu triste :

  • des postes de travail (PC sous Windows 7, 8, 10) poussifs, voire inutilisables, avec 2 ou 3 antivirus qui se marchaient dessus, sans compter les utilitaires en tout genre (Ccleaner, TurboMem, etc.)
  • une multitude de comptes Gmail à gérer (plus que le nb d’utilisateurs réels dans l’asso.)
  • des partages de Drive incontrôlables
  • des disques durs portables et autres clés USB qui faisaient office aussi de « solutions de partage »
  • un niveau assez faible de compréhension de toutes ces « technologies »

Il devenait donc urgent de « réparer » et j’ai proposé à l’équipe de remettre tout cela en ordre mais en utilisant des outils libres à chaque fois que cela était possible. À ce stade-là, je pense que mes interlocuteurs ne comprenaient pas exactement de quoi je parlais, ils n’étaient pas très sensibles à la cause du Libre et surtout, ils ne voyaient pas clairement en quoi les GAFAM posaient un problème…

deux mains noires tiennent une bombe de peinture verte, un index appuie sur le haut de l'objet. Plusieurs doigts ont des traces de peinture. Dans l'angle inférieur droit le logo : MJC L'aigle en blanc

Quand on lance une dégafamisation, ce n’est pas simplement pour changer la couche de peinture…

 

En amont de votre « dégafamisation », avez-vous organisé en interne des moments pour créer du consensus sur le sujet et passer collectivement à l’action (lever aussi les éventuelles résistances au changement) ? Réunions pour présenter le projet, ateliers de réflexion, autres ?

Le responsable de la structure avait compris qu’il allait y avoir du mieux – personne ne s’occupait du numérique dans l’asso auparavant – et il a dit tout simplement « banco » à la suite de quelques démos que j’ai pu faire avec l’équipe :

  • démo d’un poste de travail sous Linux (ici c’est Mint)
  • démo de LibreOffice…

Pour être très franc, je ne pense pas que ces démos aient emballé qui que ce soit…

Franchement, il était difficile d’expliquer les mises à jour de Linux Mint à un utilisateur de Windows qui ne les faisait de toutes façons jamais, d’expliquer LibreOffice Writer à une personne qui utilise MS Word comme un bloc-notes et qui met des espaces pour centrer le titre de son document…
Néanmoins, après avoir dressé le portrait peu glorieux des GAFAM, j’ai tout de même réussi à faire passer un message : les valeurs de l’association (ici une MJC) sont à l’opposé des valeurs des GAFAM ! Sous-entendu, moins on se servira des GAFAM et plus on sera en adéquation avec nos valeurs !

Comment avez-vous organisé votre dégafamisation ? Plan stratégique machiavélique puis passage à l’opérationnel ? Ou par itérations et petit à petit, au fil de l’eau ?

Pour montrer que j’avais envie de bien faire et que mon bénévolat s’installerait dans la durée, j’ai candidaté pour participer au Conseil d’Administration et j’ai été élu. J’ai présenté le projet aux membres du C.A sans véritable plan, si ce n’est de remettre tout d’équerre avec du logiciel Libre ! Là encore, les membres du C.A n’avaient pas forcément une exacte appréhension le projet mais à partir du moment où je leur proposais mieux, ils étaient partants !

Le plan (étalé sur 12 mois) :

Priorité no1 : remettre en route les postes de travail (PC portables) afin qu’ils soient utilisables dans de bonnes conditions. Certains postes de moins de 5 ans avaient été mis au rebut car ils « ramaient »…

  • choix de la distribution : Linux Mint Cinnamon ou Linux Mint XFCE pour les machines les moins puissantes
  • choix du socle logiciel : sélection des logiciels nécessaires après analyse des besoins / observations

Priorité no 2 : stopper l’utilisation de Gmail pour la messagerie et mettre en place des boites mail (avec le nom de domaine de l’asso), boites qui avaient été achetées mais jamais utilisées…

Priorité no 3 : augmenter le niveau des compétences de base sur les outils numériques

Prorité no 4 : mettre en place un cloud privé afin de stocker, partager, gérer toutes les données de l’asso (350Go) et cesser d’utiliser les clouds des GAFAM…

Est-ce que vous avez rencontré des résistances que vous n’aviez pas anticipées, qui vous ont pris par surprise ?

Bizarrement, les plus réticents à un poste de travail Libre étaient ceux qui maîtrisaient le moins l’utilisation d’un PC…
« Nan mais tu comprends, Windows c’est quand même vachement mieux… Ah bon, pourquoi ? Ben j’sais pô…c’est mieux quoi… »

* Quand on représente la plus grosse association de sa ville, il y a de nombreux échanges avec les collectivités territoriales et, on s’arrache les cheveux à la réception des docx ou pptx tout pourris… Il en est de même avec les services de l’État et l’utilisation de certains formulaires PDF qui ont un comportement étrange…
* Quand un utilisateur resté sous Windows utilise encore des solutions Google alors que nous avons désormais tout en interne pour remplacer les services Google, je ne me bats pas…
* Quand certains matériels (un Studio de podcast par exemple) requièrent l’utilisation de Windows et ne peuvent pas fonctionner sous Linux, c’est désormais à prendre en compte dans nos achats…
* Quand Il faut aussi composer avec les services civiques et autres stagiaires qui débarquent, ne jurent que par les outils d’Adobe et expliquent au directeur que sans ces outils, leur création est diminuée…

* Quand le directeur commence à douter sur le choix des logiciels libres, je lui rappelle gentiment que le véhicule de l’asso est une Dacia et non une Tesla…
* Quand on se rend compte qu’un mail provenant des serveurs Gmail est rarement considéré comme SPAM par les autres alors que nos premiers mails avec OVH et avec notre nom de domaine ont eu du mal à « passer » les premières semaines…et de temps en temps encore maintenant…

 

dessin probablement mural illustrant les activités de la MJC avec un dessin symbolique : une main noire et une blanche s'associant par le petit doigt sur fond bleu. des coulures de couleurs tombent des doigts.

 

Est-ce qu’au contraire, il y a eu des changements que vous redoutiez et qui se sont passés comme sur des roulettes ?

Rassembler toutes les données de l’asso. et de ses utilisateurs au sein de notre cloud privé (Nextcloud) était vraiment la chose qui me faisait le plus peur et qui est « passée crème » ! Peut-être tout simplement parce que certaines personnes avaient un peu « oublié » où étaient rangées leurs affaires auparavant…

… et finalement quels outils ou services avez-vous remplacés par lesquels ?

  • Messagerie Google –> Messagerie OVH + Client Thunderbird ou Client mail de Nextcloud (pour les petits utilisateurs)
  • Gestion des Contacts Google –> Nextcloud Contacts
  • Calendrier Google –> Nextcloud Calendrier
  • MS Office –> LibreOffice
  • Drive Google, Microsoft, Apple –> Nextcloud pour les fichiers personnels et tous ceux à partager en interne comme en externe
  • Doodle –> Nextcloud Poll
  • Google Forms –> Nextcloud Forms

NB : Concernant les besoins en création graphique ou vidéo on utilise plusieurs solutions libres selon les besoins (Gimp, Krita, Inkscape, OpenShotVideo,…) et toutes les autres solutions qui étaient utilisées de manière « frauduleuse » ont été mises à la poubelle ! Nous avons néanmoins un compte payant sur canva.com

À combien estimez-vous le coût de ce changement ? Y compris les coûts indirects : perte de temps, formation, perte de données, des trucs qu’on faisait et qu’on ne peut plus faire ?

Il s’agit essentiellement de temps, que j’estime à 150 heures dont 2/3 passées en « formation/accompagnement/documentation » et 1/3 pour la mise au point des outils (postes de travail, configuration du Nextcloud).
Côté coûts directs : notre serveur Nextcloud dédié, hébergé par un CHATONS pour 360 €/an et, c’est tout, puisque les boîtes mail avaient déjà été achetées avec un hébergement web mais non utilisées…
Il n’y a eu aucune perte de données, au contraire on en a retrouvé !
À noter que les anciens mails des utilisateurs (stockés chez Google donc) n’ont pas été récupérés, à la demande des utilisateurs eux-mêmes ! Pour eux c’était l’occasion de repartir sur un truc propre !
À ma connaissance, il n’y a rien que l’on ne puisse plus faire aujourd’hui, mais nous avons conservé deux postes de travail sous Windows pour des problèmes de compatibilité matérielle.
Cerise sur le gâteau : des PC portables ont été ressuscités grâce à une distribution Linux, du coup, nous en avons trop et n’en avons pas acheté cette année !

Est-ce que votre dégafamisation a un impact direct sur votre public ou utilisez-vous des services libres uniquement en interne ? Si le public est en contact avec des solutions libres, comment y réagit-il ? Est-il informé du fait que c’est libre ?

Un impact direct ? Oui et non…

En fait, en plus de notre démarche, on invite les collectivités et autres assos à venir « voir » comment on a fait et à leur prouver que c’est possible, ce n’est pas pour autant qu’on nous a demandé de l’aide.

Pour eux, la marche peut s’avérer trop haute et ils n’ont pas forcément les compétences pour franchir le pas sans aide. Imaginez un peu, notre mairie continue de sonder la population à coups de GoogleForms alors qu’on leur a dit quantité de fois qu’il existe des alternatives plus éthiques et surtout plus légales !

Et encore oui, bien que nous utilisions essentiellement ces outils en interne le public en est informé, les « politiques » et autres collectivités qui nous soutiennent le sont aussi et ils sont toujours curieux et, de temps en temps, admiratifs ! La gestion même de nos adhérents et de nos activités se fait au travers d’une application client / serveur développée par nos soins avec LibreOffice Base. Les données personnelles de nos adhérents sont ainsi entre nos mains uniquement.

Est-ce qu’il reste des outils auxquels vous n’avez pas encore pu trouver une alternative libre et pourquoi ?
Oui… nos équipes continuent à utiliser Facebook et WhatsApp… Facebook pour promouvoir nos activités, actions et contenus auprès du grand public et WhatsApp pour discuter instantanément ensemble (en interne) ou autour d’un « projet »avec des externes. Dans ces deux cas, il y a certes de très nombreuses alternatives, mais elles sont soit incomplètes (ne couvrent pas tous les besoins), soit inconnues du grand public (donc personne n’adhère), soit trop complexes à utiliser (ex. Matrix) mais je garde un œil très attentif sur tout cela, car les usages changent vite…

photo noir/blanc de l'entrée de la MJC, chevrons jaunes pointe vers le haut pour indiquer le sens de l'entrée. on distingue le graph sur une porte : MJC Le rond-point

Entrée de la MJC

Quels conseils donneriez-vous à des structures comparables à la vôtre (MJC, Maison de quartier, centre culturel…) qui voudrait se dégafamiser aussi ? Des erreurs à ne pas commettre, des bonnes pratiques éprouvées à l’usage ?

  • Commencer par déployer une solution comme Nextcloud est une étape très fondatrice sur le thème « reprendre le contrôle de ses données » surtout dans des structures comme les nôtres où il y a une rotation de personnels assez importante (contrats courts/aidés, services civiques, volontaires européens, stagiaires, apprentis…).
  • Pour un utilisateur, le fait de retrouver ses affaires, ou les affaires des autres, dans une armoire bien rangée et bien sécurisée est un vrai bonheur. Une solution comme Nextcloud, avec ses clients de synchronisation, représente une mécanique bien huilée désormais et, accessible à chacun. L’administration de Nextcloud peut très bien être réalisée par une personne avertie (un utilisateur ++), c’est à dire une personne qui sait lire une documentation et qui est rigoureuse dans la gestion de ses utilisateurs et de leurs droits associés. Ne vous lancez pas dans l’auto-hébergement si vous n’avez pas les compétences requises ! De nombreuses structures proposent désormais « du Nextcloud » à des prix très abordables.
  • À partir du moment où ce type de solution est installée, basculez-y la gestion des contacts, la gestion des calendriers et faites la promotion, en interne, des autres outils disponibles (gestion de projets, de budget, formulaires…)
  • Fort de ce déploiement et, si votre messagerie est encore chez les GAFAM, commencez à chercher une solution ailleurs en sachant qu’il y aura des coûts, des coups et des pleurs… Cela reste un point délicat compte-tenu des problèmes exposés plus haut… Cela prend du temps mais c’est tout à fait possible ! Pour les jeunes, le mail est « ringard », pour les administratifs c’est le principal outil de communication avec le monde extérieur… Là aussi, avant de vous lancer, analysez bien les usages… Si Google vous autorise à envoyer un mail avec 50 destinataires, ce ne sera peut-être pas le cas de votre nouveau fournisseur…
  • Le poste de travail (le PC) est, de loin, un sujet sensible : c’est comme prendre la décision de jeter à la poubelle le doudou de votre enfant, doudou qui l’a endormi depuis de longues années… Commencez par recycler des matériels “obsolètes” pour Windows mais tout à fait corrects pour une distribution Linux et faites des heureux ! Montrer aux autres qu’il s’agit de systèmes non intrusifs, simple, rapides et qui disposent d’une logithèque de solutions libres et éthiques incommensurable !

Cela fait deux ans que notre asso. est dans ce mouvement et si je vous dis que l’on utilise FFMPEG pour des traitements lourds sur les médias de notre radio FM associative, traitements que l’on n’arrivait pas à faire auparavant avec un logiciel du commerce ? Si je vous dis qu’avec un simple clic-droit sur une image, un utilisateur appose le logo de notre asso en filigrane (merci nemo-action !). Si je vous dis que certains utilisateurs utilisent des scripts en ligne de commande afin de leur faciliter des traitements fastidieux sur des fichiers images, audios ou vidéos ? Elle est pas belle la vie ?

Néanmoins, cela n’empêche pas des petites remarques de-ci de-là sur l’utilisation de solutions libres plutôt que de « faire comme tout le monde » mais ça, j’en fais mon affaire et tant que je leur trouverai une solution libre et éthique pour répondre à leurs besoins alors on s’en sortira tous grandis !
Ah, j’oubliais : cela fait bien longtemps maintenant qu’il n’est plus nécessaire de mettre les mains dans le cambouis pour déployer un poste de travail sous Linux, le support est quasi proche du zéro !

Merci Fabrice d’avoir piloté cette opération et d’en avoir partagé l’expérience au lectorat du Framablog !

 

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