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VSA et biométrie : la CNIL démissionnaire

Par : noemie
4 décembre 2024 à 09:36

Particulièrement défaillante sur les sujets liés à la surveillance d’État, la CNIL a encore manqué une occasion de s’affirmer comme véritable contre-pouvoir et, au passage, d’assurer la défense des droits humains. À l’occasion de l’examen de la proposition de loi sur la sécurité dans les transports, elle a ainsi plongé tête la première pour venir au secours des institutions policières et justifier leur utilisation d’un logiciel de vidéosurveillance algorithmique dite « a posteriori », telle que celle commercialisée par la société Briefcam. Si nous avions de moins en moins d’attentes envers la CNIL, nous ne pouvons aujourd’hui qu’acter ce constat : l’autorité se pense chaque jour davantage comme une institution d’accompagnement de l’« innovation » au service des start-ups et du pouvoir plutôt qu’une autorité de défense des droits.

Après la loi sur les Jeux Olympiques de 2023 qui légitimait la vidéosurveillance algorithmique (VSA) en temps réel, la VSA dite « a posteriori » s’est récemment retrouvée à l’agenda législatif. Nous vous en avons déjà parlé : ce type de logiciel permet de faire des analyses et recherches dans les enregistrements vidéo après la survenue d’un événement (et non en direct comme la VSA en temps réel ) sur la base d’attributs physiques et biométriques. Un texte déposé par la droite sénatoriale proposait ainsi une nouvelle expérimentation de ce type de VSA dans les transports, jusqu’en 2027, sur les vidéos réquisitionnées par la police lors de ses enquêtes auprès de la SNCF et la RATP. Passée à la trappe suite à la dissolution de l’Assemblée, cette proposition de loi revenait mercredi dernier en commission des lois.

Explication de texte

Concrètement, sans même recourir aux empreintes faciales des individus (reconnaissance faciale), ces méthodes de VSA permettent de suivre une personne précise à mesure qu’elle évolue dans l’espace urbain et passe dans le champ de vision de différentes caméras – grâce à la combinaison d’informations sur son apparence, par exemple, la couleur de ses vêtements ou des signes distinctifs comme la taille, la couleur et la coupe de cheveux, ou d’autres caractéristiques déduites à partir de l’identité de genre. En nous appuyant sur l’état du droit, il est très clair pour nous que, dès lors que les algorithmes de VSA permettent de retrouver une personne parmi d’autres, à partir des données physiques ou comportementales qui lui sont propres, il s’agit d’une identification biométrique. Or, en droit des données personnelles, les traitements biométriques sont strictement encadrés et en conséquence, l’utilisation de ces logiciels en l’absence de tout cadre juridique spécifique doit être considérée comme illégale.

Pourtant, la proposition de loi relative à la sécurité dans les transports prétendait échapper à cette catégorie, évoquant des « logiciels de traitement de données non biométriques pour extraire et exporter les images […] réquisitionnées » par la police. Si les logiciels visés sont bien ceux de Briefcam et consorts, une telle affirmation est donc incohérente, voire mensongère. Elle a uniquement pour but de minimiser l’impact de ces logiciels, tant d’un point vue technique que juridique. Nous avons donc envoyé une note détaillée (disponible ici) aux membres de la commission des lois afin de leur expliquer le fonctionnement de cette technologie ainsi que les conséquences juridiques qu’ils et elles devaient en tirer.

Puis, coup de théâtre lors de l’examen du texte : l’article est retiré. Mais si le rapporteur du texte, Guillaume Gouffier Valente, a voulu supprimer cet article, ce n’est non pas au motif que la VSA serait effectivement trop dangereuse pour les droits et libertés, mais parce que la CNIL, lors de son audition sur cette proposition de loi, aurait expressément affirmé qu’une telle loi n’était pas nécessaire et que ces logiciels étaient de toute façon d’ores et déjà utilisés. ll s’agirait donc de la part de la CNIL d’un renoncement à faire appliquer le droit qu’elle est pourtant censée connaître. Nous avons envoyé aux services de la CNIL une demande de rendez-vous pour en savoir plus et comprendre précisément la position de l’autorité dans ce dossier. Mais celle-ci est restée à ce jour sans réponse.

Protéger les pratiques policières

La position de la CNIL s’explique sans doute par sa volonté de justifier sa propre défaillance dans le dossier de la VSA. En effet, la solution d’analyse vidéo de Briefcam est déjà utilisée dans plus de 200 villes en France d’après un article du Monde Diplomatique et a été acquise par la police nationale en 2015 puis par la gendarmerie nationale en 2017. Autant d’usages illégaux qui auraient dû faire l’objet de sanctions fermes de sa part. Il n’en a rien été.

Après la révélation du média Disclose concernant le recours au logiciel Briefcam par la police et la gendarmerie nationale, le ministre de l’Intérieur avait commandé à l’Inspection générale de l’administration, l’Inspection générale de la gendarmerie nationale et l’Inspection générale de la police nationale un rapport d’évaluation, récemment publié, faisant état de l’utilisation de ce logiciel. Si on lit dans ce document différentes justifications et contorsions hasardeuses pour expliquer l’usage la fonction de reconnaissance faciale, ces institutions assument par contre totalement l’utilisation de Briefcam pour les autres fonctionnalités de reconnaissance biométrique.

Un exemple est même donné page 35, expliquant qu’un homme a pu être identifié grâce à la fonction de « similitude d’apparence » du logiciel, notamment parce qu’il portait un T-shirt très reconnaissable. Juridiquement, il s’agit donc d’un traitement de données biométriques. On apprend dans ce même rapport d’inspection que, désormais, pour sauver les meubles, la police et la gendarmerie qualifieraient cette solution de « logiciel de rapprochement judiciaire », une catégorie juridique spécifique qui n’est pas du tout adaptée à ces logiciels, comme nous l’expliquions ici.

À quoi bon la CNIL ?

À l’occasion de ce débat sur la proposition de loi sur les transports, la CNIL aurait donc pu se positionner fermement sur ce sujet, taper du poing sur la table et enfin mettre un coup d’arrêt à toutes ces justifications juridiques farfelues. Elle aurait pu poser une doctrine sur le sujet qui, aujourd’hui, manque cruellement, et ce, malgré nos appels du pied et les interprétations claires du monde universitaire sur la nature biométrique de ce type de technologies1 Voir par exemple le livre blanc « Surveiller les foules » de Caroline Lequesne, maîtresse de conférences en droit public à l’Université Côte d’Azur, ou encore les articles sur la « technopolice administrative » publiés dans la Revue des Droits de l’Homme par Robin Médard Inghilterra, maître de conférence à l’Université Paris I, accessibles en ligne ici et ici.. À l’inverse, elle a préféré acter sa démission totale devant les député⋅es.

Le laisser-faire coupable de la CNIL s’inscrit dans la continuité de ses prises de positions antérieures sur le sujet. En 2022 déjà, lorsque la CNIL avait adopté pour la première fois une position sur la VSA, elle avait fini par expressément exclure de son analyse – et sans explication – les usages « a posteriori » de la technologie, pourtant tout aussi dangereux que les usages en temps réel. Faute de « lignes directrices » sur le sujet, ces usages « a posteriori » ne sont donc couverts par aucune position de l’autorité administrative. Cela n’a pas empêché la CNIL d’intervenir lors d’actions en justice pour dédouaner la communauté de communes de Coeur Cote Fleurie de son utilisation de Briefcam.

Nous continuons donc d’assister au lent déclin de la CNIL en tant que contre-pouvoir étatique. Préférant se consacrer à l’accompagnement des entreprises (même techno-sécuritaires) et à la régulation du secteur économique, elle semble manquer de courage pour tenir tête aux ardeurs sécuritaires des pouvoirs publics, ce qui a logiquement et inexorablement mené à une inflation de textes autorisant les administrations à utiliser tout un tas de techniques de surveillance. Ce positionnement sur la VSA ressemble aujourd’hui à une capitulation complète. En refusant de rappeler le droit et en validant des interprétations hasardeuses et favorables aux intérêts policiers et industriels, elle semble aujourd’hui se satisfaire d’être une simple caution visant à valider des formes de surveillance illégales, reléguant les libertés publiques derrière les demandes du « terrain ».

Un réveil nécessaire

Quel est alors censé être le rôle de cette institution dans un supposé État de droit, si elle ne rappelle pas les exigences de proportionnalité à des agents demandant toujours plus de pouvoirs de contrôle sur la population ? À quoi sert l’expertise accumulée depuis plus de 45 ans si elle n’est pas mise au service des libertés des habitant·es, à l’heure où la France s’enfonce dans une course à la surveillance avec des pays comme les États-Unis, Israël ou la Chine ? Que faire lorsqu’on réalise que la CNIL est désormais davantage à l’écoute des administrations policières que des expert⋅es universitaires ou de la société civile ?

Face à ces dérives qui participent de la dérive autoritaire de l’État, nous appelons les commissaires et agent·es de la CNIL au sursaut. Si rien n’est fait pour contrecarrer ces tendances, le laisser-faire qui tient lieu de politique de la CNIL dans la plupart des dossiers technopoliciers de ces dernières années conduira à la disqualification définitive de l’autorité de protection des droits, ne lui laissant pour seule fonction que la régulation d’un marché de la surveillance désormais dopée par la prolifération des systèmes d’intelligence artificielle.

Du côté de La Quadrature du Net, nous ne nous résignons pas. En lien avec la mobilisation populaire, nous souhaitons tenter d’activer les contre-pouvoirs institutionnels qui peuvent encore l’être pour barrer la route à la légalisation programmée de la VSA et à la banalisation de ses usages policiers. Pour nous aider, rendez-vous sur notre page de campagne, et si vous le pouvez sur notre page de dons pour nous soutenir dans nos prochaines actions sur ce dossier.

References[+]

References
1 Voir par exemple le livre blanc « Surveiller les foules » de Caroline Lequesne, maîtresse de conférences en droit public à l’Université Côte d’Azur, ou encore les articles sur la « technopolice administrative » publiés dans la Revue des Droits de l’Homme par Robin Médard Inghilterra, maître de conférence à l’Université Paris I, accessibles en ligne ici et ici.

Assaut contre la vidéosurveillance algorithmique dans nos villes

Par : noemie
31 octobre 2024 à 07:58

La question de pérenniser ou non l’expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique (VSA) fait actuellement beaucoup de bruit dans le débat public. Si l’on entend principalement les ministres et préfets au niveau national, c’est aussi – et surtout – à l’échelle locale que ces enjeux se cristallisent. Profitant de l’engouement des Jeux Olympiques et du cadre législatif créé à l’occasion de cet évènement, de nombreuses communes tentent de légitimer et normaliser leurs usages de cette technologie, qui reste pourtant totalement illégaux. Ces manœuvres, qui doivent être révélées et dénoncées, constituent aussi pour les habitant⋅es un levier d’action majeur pour faire entendre leurs voix et exiger l’interdiction de la VSA dans nos villes.

Lorsque nous avons lancé notre campagne contre la VSA au printemps dernier, nous l’affirmions haut et fort : ce qui se joue avec la loi sur les Jeux Olympiques est une grande hypocrisie. La vidéosurveillance algorithmique s’est déployée depuis quasiment une dizaine d’années en toute illégalité dans les villes et les collectivités locales, qui ont acheté des logiciels de VSA à des entreprises de surveillance en quête de profit. Marseille, Reims, Vannes ou encore Moirans… nous avons documenté au fil des mois comment les villes se dotaient de ces outils de surveillance en toute illégalité. La loi JO vient donc légitimer une pratique existante en masquant l’étendue de cette réalité. En effet, le périmètre prévu par la loi ne prévoit la détection que de huit types d’analyses d’images. Or, les entreprises de VSA n’ont jamais caché qu’elles savaient déjà faire bien plus : reconnaissance d’émotions, reconnaissance faciale ou encore suivi et identification des personnes au travers d’attributs physiques… Le rôle de la loi JO apparaît alors comme évident : il s’agissait surtout de créer une première étape pour sortir cette technologie de l’illégalité et amorcer un projet plus large de surveillance de l’espace public.

Débusquer les mensonges

Ce processus de normalisation et d’instrumentalisation est déjà à l’œuvre. Ainsi, les villes n’ont pas attendu bien longtemps pour s’appuyer sur la récente loi JO – qui normalise la VSA dans un cadre précis – afin de légitimer les logiciels dont elles se seraient doté de façon illégale, dans leur coin. Par exemple, la ville de Saint-Denis a très récemment acheté un logiciel de vidéosurveillance algorithmique auprès de l’entreprise Two-I. Cette acquisition s’est faite en dehors du périmètre de la loi JO qui impose à la fois une autorisation préfectorale et l’utilisation d’un logiciel spécifique acquis par marché public (en l’occurrence celui de Wintics). Cependant, pour donner un vernis de légalité à cette initiative unilatérale, le maire socialiste de la commune, Mathieu Hanotin, a essayé de la rattacher autant que faire se peut aux Jeux Olympiques. Il prétendait ainsi que ce logiciel pourrait servir pour les Jeux Paralympiques (nous étions alors au mois d’août 2024) et que les algorithmes de détection seraient identiques aux usages prévus par la loi JO. Il s’agissait surtout d’un écran de fumée pour masquer l’illégalité de cette démarche, d’autant que celle-ci s’est faite en toute opacité, le conseil municipal de Saint-Denis n’ayant même pas été informé, si l’on en croit les informations du journal Le Parisien et du media StreetPress.

Autre exemple dans l’Oise, où la ville de Méru possède désormais un logiciel de détection des personnes déposant des « ordures sauvages » développé par la société Vizzia. Ce type d’usages a connu un essor important ces dernières années en raison de l’existence d’entreprises de VSA toujours plus nombreuses voulant surfer sur une image green, après avoir misé sur le fantasme de la smart city pendant des années, tout en jouant avec les différentes évolutions législatives. En effet, d’une part, il existe un cadre juridique pour l’installation de caméras dans les villes : le code de la sécurité intérieure prévoit une liste de finalités précises pour lesquelles une commune peut implanter des caméras dans les rues. Or, depuis des lois de 2019 et 2020 relatives à l’écologie, cette liste contient la « la prévention et la constatation des infractions relatives à l’abandon d’ordures, de déchets, de matériaux ou d’autres objets ».

D’autre part, la police est autorisée à avoir recours à de la « vidéoverbalisation » pour certaines infractions routières. C’est-à-dire qu’elle peut émettre des procès-verbaux de verbalisation uniquement sur la base d’enregistrements vidéo : concrètement, la police relève la plaque d’immatriculation sur l’image de vidéosurveillance et envoie une amende à la personne propriétaire du véhicule. Celle-ci reçoit alors le PV à domicile, sans aucun contact avec un·e agent·e. Or, cette possibilité est limitée à une liste précise de contraventions au code de la route, telle que le franchissement d’une ligne blanche ou un stationnement interdit. En dehors de cette liste, il n’est pas possible de vidéoverbaliser les personnes sur la seule base d’une image captée par une caméra de surveillance. D’ailleurs, ce marché de la vidéoverbalisation des délits routiers est un marché important pour les entreprises de VSA, qui proposent l’automatisation de la lecture des plaques (dites « LAPI »). Et le dépôt d’ordures, s’il peut légalement justifier la pose de caméras, ne figure pas dans la liste des infractions pouvant être vidéoverbalisées.

Pour antant, cela n’empêche aucunement des entreprises de faire croire l’inverse aux municipalités pour leur vendre leur solution. Tel est le cas de la start-up Vizzia, petite dernière dans le monde de la VSA, qui affirme sans vergogne sur son site internet qu’il « est possible de vidéo-constater les dépôts sauvages ». Vizzia explique ainsi à ses potentielles villes clientes qu’il suffirait de relever la plaque du véhicule associé à un dépot d’ordure identifié par son logiciel puis de consulter le fichier SIV (Système d’Immatriculation des Véhicules, qui recense tous les véhicules et les coordonnées de leurs propriétaires) pour identifier les auteur·rices d’un dépot sauvage d’ordures. Pour se justifier, l’entreprise va même jusqu’à citer une réponse du ministère de l’Intérieur à une sénatrice … qui dit exactement le contraire de ce qu’affirme l’entreprise ! En réalité, le ministre de l’Intérieur rappelle expressément qu’« il n’est pas possible de verbaliser le titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule ayant servi au dépôt d’ordures ». Il conclut très clairement que les images de vidéosurveillance peuvent uniquement servir dans le cadre d’une procédure judiciaire et que le relevé de plaque est insuffisant pour constater le délit.

Ainsi, non seulement la ville de Méru – parmi tant d’autres1Pour savoir si Vizzia est présente dans votre commune, ses clients sont affichées sur cette page https://www.vizzia.eu/nos-references – s’est doté d’un logiciel illégal mais en plus, si l’on en croit cet article de France 3 régions, elle tente de s’appuyer sur le cadre de la loi sur les Jeux Olympiques pour faire passer la pilule. Ainsi, les responsables expliquent que le dépôt d’ordure serait identique à la détection « d’objet abandonné » autorisée par la loi JO. Cela est évidemment faux et un tel usage reste totalement contraire à la réglementation de protection des données personnelles.

Surtout, le chef de la police municipale de Méru se vante du fait que l’outil de VSA de Vizzia verbalise et remplisse tout seul les procès-verbaux à partir des plaques d’immatriculation. Son constat est clair : « L’intelligence artificielle me permet de ne pas avoir d’agent derrière une caméra tout le temps. Elle m’envoie des alertes quand elle détecte une infraction. C’est l’outil qui fait le travail et moi, je n’ai plus qu’à traiter directement les infractions. Mes agents sont dédiés à d’autres missions pendant ce temps-là. On ne cherche pas l’infraction, ça tombe dans le panier tout seul. Elle traite les infractions même quand on est fermés ». Une telle posture va à rebours du discours habituel des institutions et industriels qui tentent généralement de minimiser le rôle de l’IA et préfèrent affirmer mordicus que toute décision serait in fine prise par un humain. Ici, la volonté est clairement affichée de vouloir se diriger vers une automatisation de la répression, nécessairement induite par ces technologies – un projet que que nous dénonçons depuis longtemps.

Enfin, la ville de Cannes illustre un autre exemple de stratégie d’acceptation. Elle est à ce jour la seule commune en dehors de l’Île-de-France a avoir demandé une autorisation préfectorale pour utiliser la VSA dans le cadre de la loi JO, à l’occasion du festival de cinéma en mai dernier. Elle a par ailleurs annoncé qu’elle souhaitait l’utiliser à nouveau à cinq reprises d’ici la fin de la durée légale de l’expérimentation en mars 2025, prétendant avoir été convaincue de son utilité. Pourtant, on retrouve dès 2016 des traces d’utilisation illégale de logiciels de VSA par la ville de Cannes. Cette communication de la commune démontre surtout que la ville se sert de la loi JO pour faire passer comme légal et donc acceptable ce qu’elle pratique en violation de la loi depuis des années.

Pas de VSA dans nos villes

En parallèle des gros sabots ministériels et des manœuvres des entreprises, les collectivités locales constituent ainsi des entités motrices du déploiement de la surveillance dans nos rues. C’est donc à cette échelle là que nous pouvons repousser ce projet sécuritaire. C’est également dans ces espaces que nous serons le plus audibles. En effet, la majorité des victoires passées l’ont été au niveau des communes et des quartiers. Ainsi, des habitant·es de la ville de Saint-Étienne ont réussi en 2019 à faire annuler un projet de micros « détecteurs de bruits suspects ». À Marseille et à Nice, des parents d’élèves, aux cotés de La Quadrature, ont empêché l’installation de portiques de reconnaissance faciale devant des lycées. Tandis qu’à Montpellier, la ville a adopté une délibération s’interdisant d’utiliser de la surveillance biométrique dans la ville.

Le refus des habitant·es des villes à cette technologie de surveillance est donc essentiel pour faire pression sur les mairies. Il permet aussi de peser dans la bataille de l’« acceptabilité sociale » de la VSA et dans le débat public en général. D’autant que l’évaluation prévue par la loi JO exige que soit prise en compte la « perception du public » de l’impact de la VSA sur nos libertés. En agissant dans nos villes, nous pouvons donc combattre la VSA et nous faire entendre à deux titres : auprès des maires, mais aussi du gouvernement qui souhaite pérenniser l’expérimentation.

Pour vous aider dans cette lutte, nous avons mis à disposition de nombreuses ressources. Afin de s’informer et d’informer les autres, nous avons compilé les informations relatives au contexte, au fonctionnement et aux dangers de la vidéosurveillance algorithmique dans une brochure. Elle est à lire, imprimer et diffuser au plus grand nombre ! Pour organiser l’opposition locale, renseignez-vous sur l’existence de potentiels logiciels dans votre commune en faisant des demandes de documents administratifs ou en contactant les élu·es de votre conseil municipal. Enfin, rejoignez le mouvement « Pas de VSA dans ma ville » en demandant à votre maire de s’engager à ne jamais installer de vidéosurveillance algorithmique dans sa ville. Des affiches sont également disponibles sur la page de campagne pour visibiliser cette opposition dans l’espace public. Enfin, les futures expérimentations de la loi JO, qui auront notamment lieu lors des marchés de Noël, seront l’occasion de sensibiliser et d’organiser des actions pour faire connaître cette technologie et ses dangers au plus grand nombre.

Ensemble, nous devons contrer les manœuvres visant à faire accepter la vidéosurveillance algorithmique, et rappeler le refus populaire de cette technologie. Nous devons clamer haut et fort notre opposition à devenir les cobayes d’une surveillance menée main dans la main par la police et les entreprises. Nous devons affirmer que nous ne voulons pas d’une société où chaque comportement considéré comme une « anomalie sociale » dans la rue soit traité par un dispositif technique pour alerter la police. Par nos voix communes, nous pouvons empêcher le prolongement de l’expérimentation et préserver l’espace public d’une surveillance toujours plus oppressante, afin que celui-ci reste un lieu que nous pouvons habiter et investir librement.

References[+]

References
1 Pour savoir si Vizzia est présente dans votre commune, ses clients sont affichées sur cette page https://www.vizzia.eu/nos-references

Jeux Olympiques : fichage de masse et discrimination politique

Par : noemie
30 juillet 2024 à 05:56

Les Jeux Olympiques viennent de débuter, la surveillance et la répression y sont reines. En vue de cet évènement, l’État a mis en œuvre tous les pouvoirs sécuritaires accumulés ces dernières années : drones, QR code, périmètres de sécurité, vidéosurveillance algorithmique, assignations à résidence, présence policière intense, hélicoptères… De façon inédite, l’ensemble de ces moyens sont employés en même temps et à une échelle très importante. Au gré de cet emballement répressif, une autre mesure exceptionnelle mérite l’attention : l’utilisation hors norme des fichiers de police pour écarter des emplois liés aux JO les personnes ayant des activités militantes. Une forme de discrimination fondée sur des critères opaques et proprement inacceptable.

Fouiller le passé au nom de la sécurité

En France, l’accumulation d’informations sur la population à travers le fichage est une pratique ancienne et énormément utilisée par la police et le renseignement. Mais depuis une vingtaine d’années le nombre de fichiers a explosé, tout comme le périmètre des informations collectées et des personnes visées. En parallèle, leurs usages ont été largement facilités, avec peu de contrôle, tandis que leur légitimité est de moins en moins contestée dans la sphère politique et médiatique. Rappelons – au cas où cela aurait été oublié – que dans une logique démocratique, l’État n’a pas à connaître ce que fait ou pense sa population et que ce n’est que par exception qu’il peut garder en mémoire certaines informations concernant les faits et gestes d’individus. Cependant, et nous l’observons malheureusement pour toute forme de surveillance, ces principes théoriques sont écartés au nom de la sécurité et de « l’utilité ». Toute information disponible peut dès lors être conservée de façon préventive, peu importe la proportionnalité, la nécessité ou le fait que cela transforme chaque personne exposant des informations personnelles en potentiel suspect. Avec les Jeux Olympiques, nous avons aujourd’hui un exemple d’où cette démesure, couplée à une criminalisation croissante du militantisme, mène.

En 2016, la loi relative à la procédure pénale a créé la notion de « grand évènement ». Définie par l’article L.211-11-1 du code de la sécurité intérieure, elle recouvre des évènements exposés « par leur ampleur ou leurs circonstances particulières, à un risque exceptionnel de menace terroriste». Lorsqu’un rassemblement est désigné comme tel par décret, toute personne y travaillant de près ou loin (technicien·ne, bénévole, soignant·e, agent·e de sécurité…) doit alors faire l’objet d’une enquête administrative. À la suite de cette enquête, le « service national des enquêtes administratives de sécurité » (SNEAS) créé en 2017 délivre un avis désormais contraignant. S’il est défavorable, la personne ne pourra alors pas se rendre et travailler sur l’évènement.

Si des sommets géopolitiques ont été qualifiés de « grand évènement », c’est également le cas pour le Festival de Cannes, la Route du Rhum ou la Fête du citron à Menton. Dès 2021, les Jeux Olympiques 2024 ont ainsi été désignés comme « grand évènement », englobant par là l’ensemble des infrastructures, sites et animations associés aux Jeux. Cela a donc impliqué que des enquêtes soient effectuées sur un nombre immense de personnes, à la fois les équipes et délégations sportives mais également toute personne devant travailler autour de cet évènement. S’agissant des Jeux Olympiques, le 17 juillet dernier, le ministre de l’intérieur annonçait que 870 000 enquêtes avaient été menées conduisant à écarter « 3 922 personnes susceptibles de constituer une menace sur la sécurité de l’événement ». Gérald Darmanin se targuait ainsi que « 131 personnes fichées S » et « 167 personnes fichées à l’ultragauche » s’étaient vu refuser leur accréditation. Mais derrière cet effet d’annonce, il y a une réalité, celle d’une surveillance massive et de choix arbitraires opérés en toute opacité.

Une interconnexion massive de fichiers

Concrètement, les agents du SNEAS interrogent un système dénommé « ACCReD », créé en 2017 et qui interconnecte désormais 14 fichiers. Le système ACCReD a été créé pour faciliter ce que l’on appelle les « enquêtes administratives de sécurité ». Ce type d’enquête est encadré par l’article L.114-1 du code de la sécurité intérieure. Originellement prévu pour le recrutement d’emplois dans les secteurs sensibles, elle est aujourd’hui utilisée pour un spectre bien plus large, dont l’instruction des demandes d’acquisition de la nationalité française et la délivrance des titres de séjour. La CNIL exigeait ainsi en 2019 que soit précisé le périmètre de ces enquêtes, d’autant qu’elles « conditionnent l’adoption de décisions administratives nombreuses, très diverses et ne présentant pas toutes le même degré de sensibilité1Voir la Délibération CNIL n°2019-06, 11 juillet 2019, portant avis sur un projet de décret modifiant le décret n°2017- 1224 du 3 août 2017 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Automatisation de la consultation centralisée de renseignements et de données » (ACCReD), accessible ici ».

ACCReD interroge de nombreux fichiers2Voir la liste complète à l’article R.211-32 du code de la sécurité intérieure aux périmètres et objets très différents. Parmi eux on retrouve le fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ) qui rassemble les informations de toute personne ayant eu affaire à la police, même si celle-ci n’a pas fait l’objet de poursuite ou a été ensuite relaxée. Les personnes interpellées à l’occasion de manifestations ou d’actions politiques sont donc dans le TAJ. Contenant environ 20 millions de fiches, le TAJ est un véritable fourre-tout comprenant de nombreuses données incorrectes. Dans un rapport de 2019, des députés pourtant de droite dénonçaient même le dévoiement de sa finalité première « pour se rapprocher du rôle du casier judiciaire » et que « le fait que le TAJ contienne de nombreuses informations inexactes (erreurs diverses, absence de prise en compte de suites judiciaires favorables par l’effacement des données ou l’ajout d’une mention) [puisse] en effet avoir des conséquences extrêmement lourdes pour les personnes concernées par une enquête administrative. 3Didier Paris, Pierre Morel-À-L’Huissier, Rapport d’information sur les fichiers mis à la disposition des forces de sécurité, 17 octobre 2018, page 58, URL : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_lois/l15b1335_rapport-information.pdf»

Il y a également le fichier des personnes recherchées (FPR) contenant les célèbres fiches S compilées de manière discrétionnaire par la police, le fichier des données relatives aux objets et véhicules volés ou signalés ainsi que le fichier d’information Schengen sur les personnes recherchées dans l’Union européenne. Mais ACCReD interroge aussi d’autres fichiers de renseignement politique comme le PASP et le GIPASP, contestés il y a quelques années en justice pour leur champ extrêmement large : opinions politiques, état de santé, activités sur les réseaux sociaux ou encore convictions religieuses… Ces fichiers ayant malgré tout été validés par le Conseil d’État, la police et la gendarmerie sont donc autorisées à collecter de nombreuses informations sur les personnes « dont l’activité individuelle ou collective indique qu’elles peuvent porter atteinte à la sécurité publique ou à la sûreté de l’État ». Cette définition large et floue permet en pratique de cibler de nombreuses personnes, et notamment des militant·es.

D’autres fichiers de renseignements sont interrogés mais ceux-ci sont classés secret-défense ou font l’objet de décrets non publiés, ce qui signifie qu’il est impossible de savoir précisément ce qu’ils contiennent et qui y a accès4L’ article 1er du décret n°2007-914 du 15 mai 2007 liste l’ensemble des fichiers de renseignement qui ne font pas l’objet de publication. Il en est ainsi du fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), du fichier CRISTINA, (pour « centralisation du renseignement intérieur pour la sécurité du territoire et des intérêts nationaux ») du fichier GESTEREXT (« Gestion du terrorisme et des extrémistes à potentialité violente ») géré par la Direction du renseignement de la Préfecture de Police de Paris (DRPP). Depuis fin 2023, l’extrait B2 du casier judiciaire, deux fichiers d’Interpol ainsi que deux fichiers de renseignement non publiés ont fait leur entrée dans ACCReD, en l’occurrence le fichier SIRCID (système d’information du renseignement de contre-ingérence de la défense) et le fichier TREX de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Pour en savoir plus sur l’ensemble de ces fichiers, vous pouvez trouver des informations dans la brochure « La folle volonté de tout contrôler », qui propose également des modèles de courriers pour demander à accéder à ses données et faire supprimer des fiches.

On le comprend, à travers la consultation de ces fichiers – aussi appelé « criblage » – le SNEAS a accès a une montagne d’informations. Si le nom de la personne apparaît dans un ou plusieurs de ces fichiers, l’agent du service doit, en théorie, évaluer à partir des informations accessibles si son comportement ou ses agissements « sont de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes, à la sécurité publique ou à la sûreté de l’État ». Si tel est le cas, il délivre un avis défavorable que l’organisateur de l’évènement est obligé de suivre et doit donc refuser d’employer la personne. Mais en pratique, il n’existe aucune information sur la manière dont cette évaluation est faite ni sur les critères utilisés pour évaluer un tel « risque ». Cette appréciation se fait donc de manière opaque et arbitraire, sur la base d’une définition large et floue, et la motivation du rejet ne sera jamais communiquée.

De plus, la loi précise bien que les enquêtes administratives ne peuvent pas concerner les spectateur·ices des grands évènements. Pourtant, le préfet de police Laurent Nuñez a affirmé lors d’une conférence de presse le 25 avril dernier que la préfecture avait « la possibilité de faire un certain nombre d’enquêtes » sur les spectateur·ices de la cérémonie d’ouverture. Le média AEF indique ainsi que l’entourage de Darmanin a évoqué « un criblage par la Direction du renseignement de la Préfecture de police (DRPP) de toute personne dont on pense sérieusement qu’elle présente un problème ». En effet, puisque les spectateur·ices étaient obligé·es de s’inscrire sur une plateforme, il était possible de récupérer leurs noms et de faire une enquête via des moyens détournés. En l’occurrence, la DRPP est un service de renseignement dit du « second cercle », qui dispose de nombreuses attributions, parmi lesquelles la consultation de fichiers identiques à ceux présents dans dans le système ACCReD. Ainsi, l’article R234-4 du code de la sécurité intérieure lui permet de consulter le fichier TAJ et l’article R236-16 l’autorise à accéder au PASP, c’est à dire les deux fichiers susceptibles de contenir des informations sur les activités politiques. Au nom des Jeux Olympiques, l’État et la préfecture de police contournent la loi et jouent avec le droit pour étendre toujours plus leur contrôle.

Une discrimination politique inédite

Alors que ce « criblage » a concerné des centaines de milliers de personnes, des récits relatifs à des refus d’accréditation ont commencé à émerger ces dernières semaines. Il en ressort que la principale cause potentielle de la mise à l’écart de certaines personnes réside dans leur activité militante, à l’instar de Léon, intermittent du spectacle dont le témoignage a été publié par Mediapart. Nous avons donc lancé un appel à témoignages, et ceux-ci se sont avérés nombreux. En voici quelques-uns (tous les prénoms ont été modifiés).

Jeanne est secouriste bénévole et l’association dont elle fait partie a été sollicitée pour les JO. Jeanne s’est donc proposée pour se mobiliser une semaine. En parallèle, elle milite contre le dérèglement climatique depuis plusieurs années et a notamment participé à différentes actions de désobéissance civile au cours desquelles elle s’est fait arrêter par la police, sans jamais être poursuivie ni condamnée. Début juin, le président de l’antenne locale de son association de secourisme a reçu une lettre de refus de l’organisation des JO. Elle ne pourra pas exercer comme secouriste durant les JO, malgré la demande.

Marc est salarié d’un opérateur de transport et devait travailler pendant les JO pour les dépôts de bus des accrédités et athlètes. Mais Marc fait partie d’Extinction Rebellion. Il a été contrôlé en manifestation et a participé à des actions de désobéissance civile, ce qui l’a mené à être arrêté et gardé à vue deux fois. Il est le seul des 300 personnes de son employeur mobilisées sur ces sites à s’être vu refuser son accréditation.

Simon devait travailler pour l’accueil du public dans un stade où il y a des épreuves des JO. Il avait déjà reçu son emploi du temps lorsqu’il a reçu son refus d’accréditation le 12 juillet dernier. Par le passé, il a été reconnu coupable pour entrave à la circulation dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes, mais a été dispensé de peine. Il milite également au sein d’Extinction Rebellion et des Soulèvements de la Terre.

Juliette est une militante qui a subi quelques gardes à vue dans le cadre de manifestations. Poursuivie une fois, elle a été relaxée avec un stage de citoyenneté. Elle devait être bénévole en secourisme, mais n’a jamais reçu son autorisation, quand le reste des membres de son association l’ont eue.

Mathieu travaille depuis plusieurs années pour une chaîne de télévision comme opérateur de prise de vue. Il a milité pendant plus d’une dizaine d’années dans des associations de chômeurs avec lesquelles il a fait des actions d’occupation, ce qui l’a conduit à des interpellations et des gardes à vue il y a plus de 10 ans. Plus récemment, en 2020, il a été envoyé par une chaîne afin de filmer les militant·es d’Alternatiba lors de l’envahissement du tarmac de Roissy. Il a été arrêté avec elles et eux, et malgré sa lettre de mission et l’intervention de l’avocat de la chaîne, il a fait 12 heures de garde à vue. Depuis 2023, il se voit désormais refuser l’entrée des ministères au sein desquels il doit filmer, alors qu’il l’a fait pendant 20 ans. Pour les JO, il reçoit le même traitement de faveur : un avis défavorable du SNEAS qui l’empêche d’accéder au Paris Media Center. Même si son employeur est compréhensif, il est néanmoins beaucoup moins appelé qu’auparavant pour des missions de travail.

Camille devait travailler pendant les Jeux et animer des visites pour les touristes, via un opérateur affilié à Paris 2024. Elle participe à des activités de désobéissance civile depuis une petite année. Son identité a été relevée par les policiers au cours d’une de ces actions. Son nom a aussi été utilisé pour déclarer une manifestation dénonçant les violences sexistes et sexuelles devant une école de commerce, où étaient présents des agents des renseignements territoriaux. Elle a été prévenue la dernière semaine de juin qu’elle ne pourrait pas travailler pendant les JO. Elle n’a jamais obtenu de réponse de la part de l’adresse mail indiquée à laquelle elle a écrit pour contester.

Thomas, professionnel de l’audiovisuel, avait obtenu un contrat pour participer à la réalisation des Jeux afin d’opérer une prestation technique complexe. Début juillet, il est extrêmement surpris quand il reçoit un refus d’accréditation. Il n’a jamais eu aucune interaction avec la police à part pour une altercation en voiture, il y a longtemps. Il évolue dans un cercle amical militant et a participé il y a quelques années à des actions et réunions d’Extinction Rebellion, sans en avoir été organisateur. Il soupçonne donc être dans un fichier de renseignement.

Loris travaille pour l’hôtel de luxe du Collectionneur, dans lequel le comité international olympique réside pour les JO. Loris est délégué Syndical CGT et participe aux négociations annuelles qui ont lieu en ce moment. Mais il ne peut plus se rendre à l’hôtel – et donc négocier – depuis qu’il a reçu un avis négatif du SNEAS. Par le passé, il avait été interpellé et contrôlé par la police dans le cadre de sa participation à la défense de la cause arménienne. La CGT a publié un communiqué dénonçant cette situation inédite.

Théo, intermittent du spectacle, devait effectuer une mission de dix jours en tant que technicien afin d’installer les systèmes de sonorisation de la cérémonie d’ouverture. Il ne fait pas partie d’une association en particulier, mais a participé à un certain nombre de manifestations. Il a été interpellé l’année dernière lors des arrestations massives ayant eu lieu pendant le mouvement contre la réforme des retraites. Il est ressorti sans poursuite, mais il n’a pas pu travailler, faute d’avis favorable. Une situation très proche de celle d’Elie, également technicien son. Pour sa part, il avait fait une garde à vue après une manifestation étudiante le lendemain de l’annonce du recours au 49-3. Elie a aussi pu être arrêté – sans poursuite – au cours de free parties.

Une criminalisation aux conséquences concrètes

Au regard des situations décrites ci-dessus, il semble très probable que le SNEAS ait eu pour consigne d’écarter toute les personnes ayant un lien avec des actions militantes, sans une quelconque forme de nuance. La plupart d’entre elles se sont vu notifier abruptement cette décision, sans aucun moyen de la contester ou de faire un recours. Pour toutes ces personnes – et toutes les autres qui seraient concernées – un tel refus signifie faire une croix sur une mission, sur une activité souhaitée, et pour la majorité sur de l’argent sur lequel elles comptaient pour vivre. C’est aussi devoir se justifier et dévoiler sa vie privée à la structure qui les emploie ou celle où elles exercent, pour expliquer un tel avis défavorable, et risquer d’autres conséquences futures. Enfin, c’est comprendre qu’elles se retrouvent « marquées » comme de potentiel·les délinquant·es ou en tout cas comme une source de risques pour la sécurité.

Surtout, ces témoignages dévoilent non seulement l’ampleur de l’édifice de fichage qui s’est construit petit à petit mais également les potentielles applications concrètes de discrimination à une échelle importante. Couplée aux mécanismes « d’exception » développés en réaction aux attentats des années 2010 – dont les « grands évènements » font partie – cette accumulation d’information sur la population permet de façon bien concrète d’écarter des personnes de la société, en tant qu’« ennemis d’État ».

Au sein de La Quadrature du Net, nous avons connaissance de ces dispositifs, nous en suivons les terribles évolutions et nous en documentons les risques de potentielles utilisations liberticides. Ici c’est une application massive et plus que dangereuse qui s’est concrétisée au prétexte de sécuriser les Jeux Olympiques. Le système tentaculaire du contrôle policier et de la multiplication des fichiers de police montre une nouvelle efficacité : être en capacité – à très grande échelle – d’exclure, isoler, contraindre des individus et de les priver de leurs libertés en dehors de tout cadre judiciaire et par des décisions administratives arbitraires. Cela peut se faire en dehors de toute condamnation passée ou dans une forme de « double peine » possible à vie pour des condamnations pourtant très limitées. Loin de toute mesure supposément « ciblée » – comme le gouvernement aime le laisser entendre – il s’agit bel et bien d’une surveillance massive de la population sur laquelle est opérée un tri arbitraire et politique.

Cette discrimination politique s’accompagne de la répression et de l’invisibilisation de toute forme de critique des Jeux Olympiques. Des personnes ont été assignées à résidence, des manifestations ont été interdites sur le parcours de la flamme, des militant·es ont été arrêté·es notamment pour avoir collé des stickers dans le métro ou ont été considéré·es comme saboteurices pour des bottes de paille, tandis que des journalistes ont été placés en garde à vue pour avoir couvert une visite symbolique des dégâts causés par les Jeux en Seine-Saint-Denis, organisée par Saccage 2024. Cette répression inquiétante s’inscrit dans la continuité des discours et des volontés politiques visant à criminaliser toute forme d’activisme.

En régime représentatif, la critique du pouvoir et de ses institutions par des actions militantes est la condition de tout réel processus démocratique. Pourtant, en France, les formes de contestation – chaque jour plus essentielles au regard des urgences liées au dérèglement climatique et à la résurgence forte des idées racistes – sont de plus en plus réprimées, quels que soient leurs modes d’expression (manifestation, désobéissance civile, blocage, expression sur les réseaux sociaux…). Cette modification rapide et brutale de la manière dont sont perçues et bloquées des actions de contestation, qui étaient depuis toujours tolérées et même écoutées par les pouvoirs publics, renverse l’équilibre voulu en démocratie. Quand tout le monde ou presque peut être considéré comme une menace potentielle, quand on doit questionner ses opinions politiques pour obtenir un emploi, quand il apparaît acceptable que l’État en sache toujours plus sur sa population au nom d’un risque pour la sécurité qui est présenté comme permanent et impérieux, comment se prétendre encore du camp démocratique ?

Malgré une machine répressive lancée à pleine vitesse, malgré l’inquiétude légitime, il est néanmoins toujours plus urgent et crucial de continuer à militer, de continuer à organiser des actions pour se faire entendre. Cela demeure la meilleure méthode pour dénoncer les abus de pouvoirs et les dérives liberticides aujourd’hui amplifiées au nom de « l’esprit olympique ».

References[+]

References
1 Voir la Délibération CNIL n°2019-06, 11 juillet 2019, portant avis sur un projet de décret modifiant le décret n°2017- 1224 du 3 août 2017 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Automatisation de la consultation centralisée de renseignements et de données » (ACCReD), accessible ici
2 Voir la liste complète à l’article R.211-32 du code de la sécurité intérieure
3 Didier Paris, Pierre Morel-À-L’Huissier, Rapport d’information sur les fichiers mis à la disposition des forces de sécurité, 17 octobre 2018, page 58, URL : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_lois/l15b1335_rapport-information.pdf
4 L’ article 1er du décret n°2007-914 du 15 mai 2007 liste l’ensemble des fichiers de renseignement qui ne font pas l’objet de publication

Législatives : la surveillance sur un plateau brun

Par : noemie
28 juin 2024 à 06:14

Alors que le choix d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale au lendemain des élections européennes risque de renforcer le poids de l’extrême droite, nous partageons l’inquiétude exprimée par beaucoup face au risque important que ce tremblement de terre politique fait peser sur la démocratie et les libertés. L’idéologie du Rassemblement National, entièrement tournée vers la création de droits différenciés sur des fondements racistes et réactionnaires, ne peut exister sans une structure de pouvoir forte et centralisée. C’est pourquoi nous ne doutons pas qu’un gouvernement d’extrême droite utilisera et renforcera la surveillance de la population pour exercer son pouvoir. Il aura, par exemple, besoin du fichage pour identifier les personnes à qui retirer des droits, de l’écosystème de surveillance pour traquer les personnes qu’il veut expulser, maltraiter ou enfermer ou encore des lois de censure et coercitives pour faire taire les oppositions anti-fascistes.

Il n’a pas fallu attendre le parti lepéniste pour que la surveillance autoritaire s’installe dans notre quotidien. Cette dernière décennie, au nom de « l’efficacité », de la « crise » ou encore de « l’urgence », François Hollande puis Emmanuel Macron ont adopté – avec le soutien de la droite et l’extrême droite – de nombreuses mesures sécuritaires et multiplié les dispositifs de surveillance tout en écartant les garde-fous et contre-pouvoirs. Des gouvernements se disant modérés ont systématiquement justifié la légalisation des technologies de surveillance, au motif qu’elles étaient adoptées dans un cadre démocratique et seraient « correctement » utilisées. Il s’agit évidemment d’un aveuglement dangereux.

Par essence, les outils de surveillance ne sont jamais neutres dès lors qu’ils donnent à un État la capacité de connaître, et donc de contrôler, sa population. Dès leur création, ils portent en eux un objectif de détecter les « signaux faibles » et trouver « l’ennemi intérieur ». Les dérives discriminantes font intégralement partie de la logique de ces technologies mais sont exacerbées lorsque celles-ci sont dans les mains de l’extrême droite. Ainsi, comme nous l’avions expliqué, l’édifice du fichage policier, pensé en France dès la fin du XIXe siècle et construit petit à petit pendant plusieurs décennies, était déjà mûr lorsque le régime de Vichy a été instauré en 1940. La possibilité que ces fichiers servent à identifier et arrêter des personnes était en réalité intrinsèque à ce système et il a simplement suffit au pouvoir pétainiste d’en ajuster les usages.

Les mêmes logiques aveugles se répètent. Les gouvernements successifs ont depuis vingt ans installé et banalisé les outils qui serviront à l’extrême droite pour mettre en oeuvre le monde ségrégué, injuste et autoritaire pour lequel elle milite depuis des années.

Une administration toute puissante

Le premier point de bascule est sans aucun doute l’état d’urgence de 2015. Il a bouleversé le fonctionnement de l’État de droit en modifiant les équilibres historiques des institutions. Le rôle des juges judiciaires, censés être les seuls à pouvoir restreindre les libertés individuelles selon la Constitution, a été réduit au profit du rôle confié à l’administration, au prétexte que celle-ci pourrait agir plus vite. De nombreux abus ont été constatés lors de l’état d’urgence avec l’utilisation de mesures visant massivement des personnes musulmanes ou des activistes écologistes. Ce régime d’exception a été prolongé par la loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » (SILT) de 2017, qui l’a fait entrer dans le droit commun. Désormais, le ministre de l’intérieur peut demander des assignations à résidence ou des interdiction de paraître, au nom de la prévention du terrorisme, avec une simple information à un procureur.

Ce renforcement des pouvoirs de l’administration s’est propagé au-delà du cadre anti-terroriste. Petit à petit, depuis 2015, elle a réactivé ou obtenu de nombreux pouvoirs. Il est ainsi devenu de plus en plus fréquent que des préfets interdisent des manifestations ou des interventions au nom de l’ordre public. Depuis 2023, ils ont également la possibilité d’utiliser des drones de surveillance ou, depuis 2021 au nom de la loi Séparatisme, de priver des associations de leurs subventions. Depuis la loi sur les Jeux olympiques et paralympiques de 2023, ils peuvent également expérimenter la vidéosurveillance algorithmique. Pouvons-nous sérieusement imaginer qu’un gouvernement d’extrême droite se privera d’utiliser ces larges pouvoirs ? Assignation à résidence de militant·es de gauche, multiplication des drones au dessus des quartiers populaires ou encore interdiction d’évènements antiracistes, les préfets nommés par le RN auront de nombreux leviers répressifs à leurs disposition.

Le ministre de l’intérieur a, quant à lui, réinvesti la possibilité de dissoudre des associations. Avant même la réforme législative ouvrant une ère de dissolutions massives, le ministre de l’intérieur a commencé par des organisations musulmanes telles que le CCIF, puis il s’est attaqué aux groupes d’extrême gauche comme le Bloc lorrain ou la Défense collective à Rennes. Des dissolutions que Jordan Bardella a promis d’amplifier encore davantage.

Une justice affaiblie

L’augmentation des pouvoirs de l’administration s’est accompagnée d’une remise en cause des principes fondateurs de la justice. Avec la création de l’amende forfaitaire délictuelle, le juge judiciaire a ainsi été mis à l’écart dans un domaine qui lui était initialement réservé. Depuis 2016, le législateur peut prévoir que, pour certaines infractions, les poursuites pénales s’arrêteront automatiquement lorsque la personne poursuivie paye une amende. Autrement dit, la police peut désormais faire pression sur les personnes en leur proposant un choix cornélien : faire valoir leurs droits devant un juge ou s’acquitter de quelques centaines d’euros pour s’arrêter là. Ces dernières années, les délits concernés par l’amende forfaitaire délictuelle ont été considérablement élargis, avec par exemple la consommation de stupéfiants ou, pendant le confinement en 2020, le fait de sortir de chez soi sans attestation.

Mais c’est surtout sur internet que ce contournement du juge a été le plus assumé. Depuis 2014 et une loi portée par Bernard Cazeneuve, la police peut exiger seule que des sites internet retirent des contenus qu’elle estime être à caractère « terroriste ». Alors que nous avons toujours dénoncé les risques de censure politique et d’arbitraire de ce mécanisme confié à l’administration, en l’occurrence l’Office anti-cybercriminalité, nos craintes ont été confirmées à plusieurs reprises. Désormais, les plateformes en ligne et les réseaux sociaux vont jusqu’à collaborer activement avec le gouvernement quand celui-ci leur demande de retirer des contenus. Ainsi, lors des émeutes de l’été 2023, le ministère de l’intérieur a « convoqué » certains réseaux sociaux, et Snapchat a publiquement admis avoir retiré des contenus sur demande du gouvernement et en dehors de toute procédure légale. Pire : lorsque Gabriel Attal a pris la décision illégale de censurer le réseau social Tiktok en Nouvelle Calédonie, au motif que cette plateforme aurait joué un rôle dans les émeutes sur l’île, il a instauré un précédent inédit d’atteinte à la liberté d’expression que nos institutions ont échoué à empêcher. On pressent alors comment une censure des critiques contre l’extrême droite pourrait être facilitée par cet état des choses.

Technopolice partout

En parallèle, les capacités de surveillance de la police ont été énormément renforcées. Le nombre de fichiers (créés par simple décret) a explosé, leur accès s’est élargi et le contrôle des abus est quasi inexistant (la LOPMI de 2022 a même enlevé l’exigence formelle d’habilitation pour les consulter). La prise de signalétique (ADN, empreintes digitales et photo du visage) ainsi que la demande de code de déverrouillage du téléphone sont devenues systématiques pour faire pression sur les personnes gardées à vue, bien que cela soit généralement illégal car décorrélé de toute infraction annexe. Par ailleurs, l’exploitation de ces informations peut désormais être faite dans la rue, via des tablettes mobiles permettant aux gendarmes et policiers d’accentuer le harcèlement des personnes contrôlées.

Les technologies aussi ont évolué : la reconnaissance faciale s’est banalisée et est fréquemment utilisée dans les procédures judiciaires à travers le fichier TAJ, des logiciels d’analyse des métadonnées permettent de créer très facilement des graphes sociaux et de pister les habitudes des personnes, les logiciels espions peuvent désormais être utilisés pour activer à distance la fonction de géolocalisation d’un appareil mobile, et la police dispose de plus en plus d’outils de surveillance en source ouverte (OSINT). Par ailleurs, depuis 2016, cette dernière est autorisée à utiliser des techniques encore plus intrusives comme la sonorisation des lieux, la captation des données informatiques, les IMSI catchers, la captation d’images ou l’infiltration dans les procédures liées à la « criminalité organisée ». Cette catégorie recouvre des infractions très larges, et fut notamment invoquée pour poursuivre des militants écologistes qui ont bloqué une cimenterie Lafarge, ou pour justifier l’arrestation de militants indépendantistes kanaks en juin 2024.

Les services de renseignement ne sont pas en reste depuis la formalisation de leurs pouvoirs de surveillance par la loi Renseignement de 2015. Nous avons ainsi dénoncé le fait que cette loi légalise la possibilité d’utiliser de nombreux moyens de surveillance intrusifs, pour des finalités très larges, et notamment la surveillance des militant·es. Ces possibilités d’abus se sont concrétisées au fur et à mesure des années, au travers par exemple de la surveillance des gilets jaunes, ou de divers cas où des militant·es ont retrouvé du matériel de surveillance les visant (on pourra citer en exemple la caméra cachée devant l’espace autogéré des Tanneries à Dijon, le micro dans une librairie anarchiste à Paris, ou la balise GPS sous la voiture de Julien Le Guet du collectif Bassines Non Merci).

Dans son rapport d’activité pour l’année 2022, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) s’est d’ailleurs inquiétée de l’accroissement de la surveillance des militants. Elle a également alerté sur l’insuffisance de ses capacités de contrôle, qui l’empêche de suivre les dernières évolutions technologiques, notamment s’agissant des spywares et autres intrusions informatiques à distance.

Enfin, des précédents dangereux ont été créés avec l’élargissement continu de la justice d’exception applicable en matière de terrorisme, et l’implication grandissante des services antiterroristes dans des affaires politiques. L’affaire dite du « 8 décembre » est un triste exemple : la décision rendue fin décembre 2023 par le tribunal correctionnel de Paris confirme que des militant·es de gauche peuvent être poursuivis et condamné·es pour association de malfaiteurs à caractère terroriste sur la base de suspicions d’intention, sans projet avéré, et que protéger ses communications peut être utilisé comme une preuve de « comportement clandestin » pour justifier la condamnation.

La surveillance et la répression des mouvements militants, écologistes ou anti-autoritaires notamment, n’est plus une crainte, mais une réalité, d’autant qu’elle est accompagnée depuis plusieurs années d’un discours nourri visant à criminaliser toute forme de contestation en dehors du simple cadre électoral (actions syndicales, manifestations de rue, etc.). Elle n’en serait que pire sous une majorité RN.

Des gardes-fous illusoires

On le comprend, les dispositifs de surveillance et de répression sont déjà là et les gardes-fous institutionnels et politiques ne permettent plus de freiner les volontés politiques autoritaires. Nous le constatons avec dépit depuis des années : le droit n’empêche pas l’installation massive de technologies de surveillance sur la population. Le Conseil d’État a validé la légalité de quasiment tous les fichiers de police qui ont ont été contestés devant lui, y compris le fichage politique et religieux du PASP et du GIPASP.

Le Conseil constitutionnel, quant à lui, estime quasi systématiquement que les lois protègent suffisamment les libertés, le plus souvent en reportant le contrôle au cas par cas sur d’autres instances, comme les tribunaux administratifs, incapable de prévenir des abus systémiques dans l’usage de mesures de surveillance. Ce report du contrôle de légalité par le Conseil constitutionnel au juge administratif a également pour conséquence de faire peser la charge de la contestation légale sur la société civile ou les personnes victimes de cette recrudescence de surveillance, qui doivent aller en justice pour demander le respect des libertés. Sans grand succès, il faut bien l’admettre, vu le faible nombre de victoires.

Enfin, sur le plan matériel, les autorités administratives indépendantes comme la CNCTR ou la CNIL ne peuvent raisonnablement pas contrôler chaque action des forces de l’ordre et des services de renseignement. Concernant le cas particulier de la CNIL, on constate également chez elle une absence de courage politique qui explique son inaction, voire une volonté d’aider le gouvernement à légaliser de nouvelles mesures de surveillance comme ce fut le cas des drones ou de la VSA.

Si le constat a de quoi effrayer, il est loin d’être étonnant. Cela fait des années qu’associations, juristes, universitaires, militant·es de terrain alertent sur ce lent dépérissement de l’État de droit. Il suffit désormais au Rassemblement National de marcher dans les pas des gouvernements précédents et de se servir de l’arsenal législatif déjà existant. Son programme est profondément raciste, sexiste et LGBT-phobe et ne cache même plus son ambition de réduire les libertés et les droits individuels. Nous n’osons même pas nous figurer la facilité avec laquelle ce parti aurait à mettre en place ses mesures autoritaires et ses politiques de restriction des droits dès lors qu’il disposera des dispositifs mis en place ces dernières années.

Face à cette menace, nous appelons à la mobilisation pour ne pas voir ces outils de surveillance et de répression tomber dans les mains du Rassemblement National, ni laisser l’occasion aux « extrêmes-centristes » d’Emmanuel Macron de détruire les derniers garde-fous de l’État de droit. Nous appelons à militer et à voter massivement contre la droite et l’extrême droite aux prochaines législatives.

Faites interdire la vidéosurveillance algorithmique dans votre ville !

Par : noemie
18 juin 2024 à 09:09

Alors que les expérimentations de vidéosurveillance algorithmique (VSA) continuent d’être demandées et déployées par les préfectures – pendant le festival de Cannes ou à Roland-Garros par exemple -, nous lançons la deuxième phase de notre campagne de lutte contre l’empire de la surveillance ! Comme nous croyons que la mobilisation au niveau local est le moyen le plus pertinent et le plus puissant pour repousser l’envahissement de la surveillance, nous avons pensé de nouveaux outils pour aider les habitant·es des villes de France à se battre contre la VSA dans leur commune.

Il y a quelques semaines, nous avons annoncé notre plan de bataille visant à dénoncer l’hypocrisie derrière l’expansion de la surveillance algorithmique de l’espace public. En effet, les Jeux Olympiques sont instrumentalisés pour accélérer l’agenda politique des institutions et des instances policières qui souhaitent ajouter aux caméras des logiciels permettant d’analyser nos faits et gestes dans la rue. Les expérimentations « officielles » de cette technologies ont débuté en avril dernier. Elles ont eu lieu à l’occasion d’evenements festifs, que nous recensons sur notre outil collaboratif, le « Carré ». Pour la plupart, il s’agit d’opportunités pratiques pour tester ces technologies décorrélées de risques de sécurité concrets. En témoignent les justifications des autorisations préfectorales, qui prétendent expliquer le choix de surveiller le métro parisien dans le cadre d’un concert par une guerre à l’autre bout du monde ou un attentat ayant eu lieu il y a plusieurs années. Ces motifs sont copiées/collées au gré des arrêtés démontrant l’absence totale d’efforts des préfectures à contextualiser l’utilisation de cette technologie.

De plus, depuis que la « loi sur les Jeux Olympiques et Paralympiques » a créé un premier régime juridique de la VSA dans le droit français, les promoteurs de la surveillance n’hésitent pas à mettre en avant un soit disant « respect du cadre légal ». Il ne faut y voir rien d’autre qu’un écran de fumée puisque de très nombreux projets de surveillance continuent de prospérer en toute illégalité : qu’il s’agisse du programme Prevent PCP mis en œuvre dans des gares par la SNCF, ou des entreprises privées qui continuent de vendre leurs logiciels de VSA à des villes – telles que Thalès à Reims ou Briefcam à Brest -, ces initiatives locales multiples sont tolérées par les pouvoirs publics. Pour approfondir sur la situation actuelle, nous avons rassemblé et synthétisé dans une brochure (disponible ici) les informations nécessaires pour comprendre ce qu’est la VSA, les raisons de son déploiement et le projet politique cohérent qui se dessine derrière ses utilisations pour le moment temporaires. N’hésitez pas à la lire, l’imprimer et la diffuser !

Désormais, avec cette nouvelle phase de notre campagne, nous vous proposons de passer à l’action ! Si l’arrivée de la VSA est poussée par des instances nationales et les industriels de la surveillance, nous pouvons la contrer en nous y opposant de façon délocalisée et démultipliée à travers toute la France. La ville de Montpellier a ainsi adopté en 2022 une résolution interdisant la surveillance biométrique dans les rues, s’inscrivant dans la dynamique lancé par des villes états-uniennes telles que Boston ou Austin qui avaient également avaient refusé de surveiller leurs habitant·es avec des outils d’analyse biométrique.

Nous vous appelons donc à rejoindre cet élan et à porter le combat dans votre ville ! Pour cela, nous avons conçu et mis à disposition plusieurs outils sur cette page. Tout d’abord, vous trouverez une lettre-type à envoyer pour demander à votre maire de s’engager à ne jamais installer de vidéosurveillance algorithmique dans votre ville. Il ne s’agit que d’un modèle, vous pouvez évidemment l’adapter ou faire votre propre courrier.

Si vous tapez le nom de votre commune, vous pourrez télécharger plusieurs éléments de communication déclinés au nom de l’endroit ou vous vivez ! Nous vous proposons aussi bien un flyer à distribuer pour informer et alerter les personnes sur la VSA que des affiches à coller dans les rues pour visibiliser ce combat. Aussi, vous pourrez fabriquer un visuel à partager sur les réseaux sociaux afin de rendre visible la demande d’interdiction de la VSA que vous avez faite à votre maire ! N’hésitez pas à la faire à titre individuel ou avec un collectif de votre ville et à nous tenir au courant. Nous listerons ensuite sur notre site les communes qui auront été contactées dans le cadre de cette mobilisation !

L’objectif est simple : ensemble, nous pouvons démontrer qu’il existe une opposition populaire forte contre la surveillance de nos rues. En multipliant les actions dans les villes de France, nous pourrons battre en brèche le discours sécuritaire dominant qui présente ces technologies d’analyse de nos faits et gestes comme nécessaires et leur installation inéluctable. Au contraire, nous pouvons témoigner ensemble de notre refus collectif d’une surveillance policière constante, et défendre la ville comme espace de création, de liberté et de soin. Rejoignez la mobilisation, demandez l’interdiction de la VSA dans votre ville !

Proposition de loi « ingérences étrangères », une nouvelle étape dans l’escalade sécuritaire

Par : noemie
30 mai 2024 à 10:13

Communiqué de l’Observatoire des libertés et du numérique (OLN), Paris, le 29 mai 2024.

L’Observatoire des Libertés et du Numérique demande aux parlementaires de s’opposer à l’extension des finalités des boîtes noires de renseignement inscrite dans la proposition de loi « ingérences étrangères ».

« L’ingérence étrangère », un énième prétexte à l’extension de la surveillance de masse

La proposition de loi « Prévenir les ingérences étrangères en France» , présentée par le député Sacha Houlié avec le soutien du camp présidentiel, a été adoptée par l’Assemblée Nationale (27 mars) et le Sénat (22 mai) avec le soutien des partis Les Républicains et Rassemblement national – alliés naturels du gouvernement pour les lois sécuritaires, mais ici, avec également le soutien du PS et d’EELV.

L’objectif affiché de cette loi est de limiter les intrusions d’autres Etats via l’espionnage et les manipulations pour contraindre les intérêts géopolitiques de la France. Mais, alors que le gouvernement dispose déjà de nombreux outils pour éviter ces intrusions, ce texte fraîchement adopté ne peut qu’inquiéter. En effet, ces dispositions pourraient avoir pour conséquence de soumettre des associations d’intérêt public œuvrant pour l’intérêt collectif à des obligations de déclaration des subventions de fondations étrangères, renforçant ainsi les possibilités de contrôle gouvernemental.

Par ailleurs, dans une logique constante de solutionnisme technologique, le texte promeut l’extension d’une technique de renseignement dite de l’algorithme de détection ou « boîte noire de renseignement ».

Des gardes fous toujours remis en cause

Cette technique a été instaurée par la loi renseignement de 2015 et nos organisations s’y étaient alors fermement opposées. Elle implique, en effet, la nécessaire surveillance de l’intégralité des éléments techniques de toutes les communications de la population (qui contacte qui ? quand ? comment ? voire pourquoi ?), qu’elles soient téléphoniques ou sur internet, tout cela pour poursuivre l’objectif de détecter automatiquement des profils effectuant un certain nombre d’actions déterminées comme étant « suspectes ». Ces profils seront ensuite ciblés et plus spécifiquement suivis par des agents du renseignement. Cette technique agit donc à la manière d’un énorme « filet de pêche », jeté sur l’ensemble des personnes résidant en France, la largeur de maille étant déterminée par le gouvernement.

En raison de son caractère hautement liberticide, cette mesure avait été limitée à la stricte lutte contre le risque terroriste et instaurée de façon expérimentale pour quelques années avec des obligations d’évaluation. Malgré des résultats qui semblent peu convaincants et des rapports d’évaluation manquants, cette technique a, depuis, été pérennisée et explicitement élargie à l’analyse des adresses web des sites Internet.

Un dévoiement des finalités

L’OLN dénonçait déjà les risques induits par l’utilisation de ce dispositif avec la finalité de « lutte contre le terrorisme », notamment en raison de l’amplitude de ce que peut recouvrir la qualification de terrorisme, notion du reste non définie dans le texte.

L’actualité vient confirmer nos craintes et l’on ne compte plus les usages particulièrement préoccupants de cette notion : désignation « d’écoterroristes » pour des actions sans atteinte aux personnes, multiples poursuites pour « apologie du terrorisme » , pour des demandes de cessez-le-feu et des propos liés à l’autodétermination du peuple palestinien, condamnations pour une préparation de projet terroriste sans qu’un projet n’ait pu être établi par l’accusation.

Cette proposition de loi élargira cette technique de l’algorithme à deux nouvelles finalités de renseignement :

1° L’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale ;

2° Les intérêts majeurs de la politique étrangère, l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère ;

Là encore, la définition des finalités est bien trop vague, sujette à de très larges interprétations, pouvant inclure les actions suivantes : militer contre des accords de libre-échange, lutter contre des projets pétroliers, soutien aux migrants, remettre en cause les ventes d’armement ou les interventions militaires de la France…

Un encadrement bien limité

Si un contrôle théorique de ses finalités doit être opéré par la Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignement (CNCTR), ses avis peuvent ne pas être suivis.

De même, si la proposition de loi est, là encore, prévue pour une phase « expérimentale » pendant 4 ans et avec des obligations de documentation, peu de doutes sont permis sur ce qu’il adviendra, au vu des précédents sur le sujet.

Un élargissement des « techniques spéciales d’enquête »

Dans le cadre de ce nouveau texte sécuritaire, le Sénat en a aussi profité pour aggraver le barème des peines et créer une nouvelle circonstance aggravante dite « générale » applicable à l’ensemble des infractions [au même titre que l’usage de la cryptologie…] permettant de monter d’un palier la peine de prison encourue (3 à 6, 5 à 7, 7 à 10…) dès que l’infraction est commise « dans le but de servir les intérêts d’une puissance étrangère, d’une entreprise ou d’une organisation étrangère, ou sous contrôle étranger ». Cette aggravation de peine permettra l’utilisation des techniques spéciales d’enquête, soit les intrusions les plus graves dans la vie privée (écoutes téléphoniques, balises GPS, la prise de contrôle d’appareil, hacking informatique…). Là où ces techniques étaient censées n’être utilisées que pour les crimes les plus graves, elles sont, texte après texte, étendues à un nombre toujours plus important d’infractions.

Quelle lutte contre quelles ingérences ?

Le Gouvernement ne ferait-il pas mieux de s’inquiéter de certaines ingérences étrangères bien réelles, telles que la captation des données de santé des Français exploitées par les autorités étasuniennes dans le cadre du Health Data Hub, d’autres captations frauduleuses par les entreprises du numérique américaines ou encore la vente de technologies de pointe par des sociétés étrangères, notamment israéliennes, comme PEGASUS, permettant de surveiller des personnalités politiques françaises au plus haut niveau ?

Des outils terrifiants au service d’un pouvoir qui continue sa fuite en avant autoritaire

Les boîtes noires comme les autres techniques d’intrusion du renseignement offrent des possibilités terrifiantes, qu’elles soient prévues par la loi ou utilisées abusivement. Cette démultiplication des capacités de surveillance participe à l’actuelle dérive autoritaire d’un pouvoir qui se crispe face aux contestations pourtant légitimes de sa politique antisociale et climaticide et devrait toutes et tous nous inquiéter alors que les idées les plus réactionnaires et de contrôle des populations s’intensifient chaque jour un peu plus.

Espérer un retour à la raison

Espérant un retour à la raison et à la primauté des libertés publiques, passant par la fin de la dérive sécuritaire et de son terrible « effet cliquet » nous appelons la Commission mixte paritaire qui aura à se prononcer sur ce texte puis les parlementaires à rejeter l’article 4 (élargissement du barème de peine et techniques spéciales d’enquête) et l’article 3 (élargissement des finalités des boites noires) de cette proposition de loi, et, a minima, à s’en tenir à une restriction d’utilisation de cette technique à des cas beaucoup plus précis et définis (par exemple au risque d’attentat causant des atteintes à la vie et les ingérences étrangères graves telles qu’envisagées aux articles 411-1 à -8 du Code pénal).

Organisations signataires membres de l’OLN : le CECIL, Globenet, Creis-Terminal, la Ligue des droits de l’Homme (LDH), le Syndicat des Avocats de France (SAF), le Syndicat de la Magistrature (SM), La Quadrature du Net (LQDN).

La Quadrature du Net attaque en justice le blocage de TikTok en Nouvelle-Calédonie

Par : noemie
17 mai 2024 à 06:16

Par un référé-liberté déposé ce jour, La Quadrature du Net demande au Conseil d’État la suspension de la décision du Premier ministre Gabriel Attal de bloquer en Nouvelle-Calédonie la plateforme TikTok. Par cette décision de blocage, le gouvernement porte un coup inédit et particulièrement grave à la liberté d’expression en ligne, que ni le contexte local ni la toxicité de la plateforme ne peuvent justifier dans un État de droit.

Les réflexes autoritaires du gouvernement

Alors que la situation en Nouvelle-Calédonie atteint un stade dramatique, après trois ans de crise, et que le dialogue politique semble rompu suite à la décision du gouvernement et du Parlement de modifier les règles d’accession au collège électoral au détriment des indépendantistes kanaks, le gouvernement a décidé de revenir à de vieux réflexes autoritaires et coloniaux. Outre l’envoi de forces armées, il a ainsi choisi de bloquer purement et simplement la plateforme TikTok sur le territoire de Nouvelle-Calédonie. Selon Numerama, le premier ministre justifie cette mesure « en raison des ingérences et de la manipulation dont fait l’objet la plateforme dont la maison mère est chinoise », ajoutant que l’application serait « utilisée en tant que support de diffusion de désinformation sur les réseaux sociaux, alimenté par des pays étrangers, et relayé par les émeutiers ».

Or, pour mettre en œuvre cette censure, quoi de mieux qu’une des lois d’exception dont le gouvernement systématise l’usage ces dernières années ? En déclarant l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie, le gouvernement s’est autorisé à expérimenter un article de la loi de 1955, ajouté en 2017 : la possibilité de bloquer les plateformes en ligne « provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie ».

Personne n’est dupe : en réalité, le blocage de TikTok n’est absolument pas justifié par une quelconque présence sur la plateforme de contenus terroristes, mais bien par le fait qu’il s’agit d’une plateforme centrale dans l’expression en ligne des personnes qui en viennent aujourd’hui à se révolter. Cette décision de s’en prendre aux moyens de communication lors de moments de contestation violente – une première dans l’Union européenne et qui paraît digne des régimes russe ou turc, régulièrement condamnés par la CEDH pour atteintes à la liberté d’expression1Très logiquement, nous nous appuyons donc dans notre recours sur les précédents jurisprudentiels de la CEDH sanctionnant ces deux pays en raison des atteintes à la liberté d’expression contraires à la Convention européenne des droits de l’homme. – a déjà été éprouvée l’année dernière, après la mort de Nahel Merzouk.

À l’été 2023, Emmanuel Macron avait exprimé son souhait de pouvoir bloquer les réseaux sociaux lors de moments de crise. Le président de la République s’était alors lancé dans une véritable course à l’échalote autoritaire contre les plateformes en ligne, blâmant les jeux vidéos, puis les réseaux sociaux qu’il voulait alors pouvoir bloquer et sur lesquels il voulait accentuer la fin généralisée de l’anonymat en ligne (déjà bien amoché en pratique). À ce moment-là, les plateformes avaient répondu présentes pour censurer les contenus relatifs aux évènements et aux violences dans les banlieues. Nous avions alors dénoncé cette collaboration entre plateformes privées et pouvoirs publics, unis pour brimer la liberté d’expression au nom du « retour de l’ordre » (voir notre analyse). Aujourd’hui le gouvernement persiste et signe dans sa volonté de mettre au pas les moyens de communications, cette fois-ci en choisissant la voie explicitement autoritaire : le blocage total.

La Nouvelle-Calédonie, terrain d’expérimentation

La décision de bloquer TikTok en Nouvelle-Calédonie constitue pour le gouvernement une première mise en pratique du programme macroniste de censure en ligne annoncé l’été dernier. L’occasion paraît idéale pour le pouvoir : d’une part du fait du relatif désintérêt des médias français pour l’archipel (il aura fallu attendre plusieurs jours, et notamment un premier mort parmi les habitant·es, pour que la presse en métropole commence à traiter de l’actualité calédonienne) et d’autre part parce que ce territoire dispose de règles juridiques différentes, notamment vis-à-vis du droit de l’Union européenne. De cette manière, le gouvernement croit pouvoir éteindre la révolte sans répondre aux griefs de manifestants, en refusant d’aborder la question du rôle de la réforme constitutionnelle sur les élections calédoniennes dans le malaise de la population kanak.

L’objectif de cette décision de censure consiste avant tout à étouffer l’expression d’une révolte. Elle constitue aussi un ballon d’essai avant une possible généralisation de ce type de mesure. De ce point de vue, le contexte politique semble favorable. Dans un récent rapport faisant suite aux révoltes urbaines de 2023, la commission des Lois du Sénat ne demandait rien d’autre que ce qui est en train d’être appliqué en Nouvelle-Calédonie : le blocage des réseaux sociaux et des sanctions plus dures contre les personnes les ayant utilisés lors des révoltes d’une partie de la jeunesse des quartiers populaires l’an dernier.

Lutter contre la surenchère autoritaire

Par notre recours en référé déposé ce jour, nous tentons donc de stopper une machine autoritaire lancée à pleine vitesse. Ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas de défendre TikTok, une plateforme dont la toxicité avérée commence à être prise en compte par le législateur. Mais les pouvoirs publics restent obnubilés par la nationalité chinoise des détenteurs des capitaux de la plateforme, alors qu’au fond pas grand-chose ne sépare le modèle de TikTok de celui d’Instagram, de Snapchat ou d’autres réseaux dominants. Au-delà de TikTok et de la tutelle exercée par le régime chinois, c’est l’ensemble de l’économie politique liée à ces réseaux sociaux centralisés, fondés sur la collecte et l’exploitation massive des données des utilisateurices, organisés autour d’algorithmes et d’interfaces toxiques, qu’il convient de démanteler. C’est notamment pour promouvoir des alternatives favorables à la liberté d’expression et protectrices des droits que nous appelons à imposer l’interopérabilité des réseaux sociaux.

Par ce recours, il s’agit de dénoncer haut et fort cette mesure autoritaire inédite dans un régime qui se prétend démocratique, mais aussi d’empêcher que ces désirs de contrôle puissent trouver une quelconque légitimité politique ou juridique à l’avenir. Alors que la loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (SREN) a été votée et promet une large remise en question de l’anonymat en ligne et une plus grande censure administrative, alors que la lutte contre le terrorisme sert plus que jamais de prétexte à étouffer l’expression en ligne et les contestations, il faut continuer à agir.

Dans ce contexte, La Quadrature a d’autant plus besoin de vous. Le recours que nous avons déposé aujourd’hui ne serait pas possible sans votre soutien. Rejoignez-nous dans nos combats, pour ne pas rester silencieux.euses face aux attaques autoritaires du gouvernement. Et si vous le pouvez, faites-nous un don sur https://www.laquadrature.net/donner/

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References
1 Très logiquement, nous nous appuyons donc dans notre recours sur les précédents jurisprudentiels de la CEDH sanctionnant ces deux pays en raison des atteintes à la liberté d’expression contraires à la Convention européenne des droits de l’homme.

VSA : l’Assemblée discute déjà son extension aux transports

Par : noemie
14 mai 2024 à 07:43

Alors que les expérimentations de vidéosurveillance algorithmique (VSA) prévues par la loi relative aux Jeux Olympiques ont à peine débuté et qu’aucune évaluation n’a encore été réalisée, le gouvernement passe déjà à la vitesse supérieure. Mercredi 15 mai, la commission des lois de l’Assemblée va discuter d’une proposition de loi visant à légaliser une nouvelle forme de VSA, en utilisant cette fois-ci comme excuse la sécurité dans les transports. Derrière ce texte passé presque inaperçu se cache une nouvelle avancée sécuritaire mais surtout un agenda politique assumé : celui de la généralisation sur le long terme des technologies de surveillance algorithmique des espaces publics. Le rapporteur Clément Beaune a refusé de nous auditionner. Pourtant nous aurions eu beaucoup à lui dire sur les dangers de cette technologie et les contradictions du gouvernement qui trahit sans scrupule les promesses formulées il n’y a même pas un an.

Vous vous souvenez de la loi Sécurité globale ? Voici sa petite sœur, la proposition de loi « relative au renforcement de la sûreté dans les transports ». Adoptée en février par le Sénat, ce texte propose les pires projets sécuritaires : captation du son dans les wagons, pérennisation des caméras-piétons pour les agent·es et extension aux chauffeur·euses de bus, autorisation donnée aux régies de transports pour traiter des données sensibles (ce qui permettrait de collecter des données liées à l’origine raciale, les données de santé ou encore les opinions religieuses et politiques) ou encore transmission directe au ministère public des procès-verbaux d’infractions commises dans les transports.

Expérimenter pour banaliser et légitimer

Mais surtout, cette proposition de loi envisage une nouvelle expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique jusqu’en 2027. Son article 9 est un quasi copié-collé de l’article 10 de la loi relative aux Jeux olympiques adoptée l’année dernière et qui prévoyait l’utilisation d’algorithmes de reconnaissance de comportements dans un cadre soit-disant « expérimental » pour tout évènement récréatif, sportif et culturel. Alors que les premiers déploiements ont à peine commencé, que des sénateur·rices ont constaté dans un récent rapport que ces dispositifs ne seront pas suffisamment opérationnels pour les JO de Paris et que l’évaluation prévue par la loi n’a pas encore été faite, ce nouveau texte discuté demain propose de rendre légal un autre type de logiciel d’analyse de flux vidéos.

En l’occurrence, il s’agirait d’autoriser des traitements de données ayant pour but d’« extraire et exporter les images » réquisitionnées par la police dans le cadre d’enquêtes pénales. Derrière cette formule floue, nous devinons qu’il s’agit en réalité des algorithmes de VSA dits « a posteriori » dont nous documentons l’usage depuis des années dans le cadre de l’initiative Technopolice.

En effet, s’il est très facile d’effectuer une recherche dans un document texte, la tâche s’avère plus compliquée et chronophage lorsqu’il s’agit d’effectuer une recherche dans un flux vidéo. La VSA « a posteriori » permet d’ automatiser des recherches dans des archives vidéo. Comme nous l’expliquons dans notre brochure détaillée publiée début mai, cela consiste à lancer des requêtes de reconnaissance d’image afin de faire remonter l’ensemble des bandes vidéos correspondant à certains critères thématiques comme détecter l’ensemble des hommes portant un t-shirt jaune et un pantalon noir repérés dans une zone géographique donnée durant les dernières 24h. Concrètement, cela permet de retracer le parcours de quelqu’un dans une ville. La VSA peut également raccourcir le temps de visionnage en condensant des heures ou des jours de vidéos en quelques minutes. Le rôle de la VSA dans cet usage est de sélectionner les passages susceptibles d’intéresser la police et de faire une ellipse sur le reste du temps de vidéo. Cette technologie repose sur l’analyse et le tri des caractéristiques biométriques des personnes, ce qui la rend totalement illégale.

Le plus connu des logiciels permettant de tels usages est celui de Briefcam, une entreprise israélienne rachetée par le groupe japonais Canon. Pas moins de 200 villes françaises seraient dotées de sa technologie de VSA, qui permet aussi de faire de la reconnaissance faciale. Le manuel d’utilisation que nous avons obtenu ainsi que les vidéos promotionnelles1 Voir notamment cette vidéo à partir de 3:12 sont parlantes quant aux capacités de ces algorithmes de tri et de catégorisation des personnes, considérés comme de simples « objets ».

Comme toute technologie de VSA, elle permet à la police d’augmenter son contrôle de l’espace public, réduisant ainsi l’anonymat et les libertés que l’on y exerce. Mais la VSA étend également les logiques policières en les automatisant. Toute décision opérée sur le logiciel ne fait que refléter un choix humain, en l’occurrence celui des policiers, et généralise les habitudes qu’ils ont en matière de surveillance de l’espace public. Qu’il s’agisse des critères physiques choisis pour mettre en œuvre des filtres de tri et de repérage (par exemple, un homme vêtu d’un jogging et d’une casquette), des lieux ciblés par cette analyse (abords d’un lieu militant ou quartier populaire…) ou encore de la fonctionnalité choisie (pour retrouver le parcours de quelqu’un ou pour ne repérer qu’une certaine catégorie de personne), chacune des utilisations de cette VSA renforce des pratiques policières discriminantes et créé un risque supplémentaire de surveillance.

Une hypocrisie de plus : légaliser l’illégal

Bien que ces logiciels soient massivement utilisés par la police dans de nombreuses villes de France, et ce en toute illégalité, la proposition de loi discutée ce mercredi cantonne « l’expérimentation » aux transports pour trois ans. En pratique, seules la RATP ou la SNCF seront donc autorisées par la loi à avoir recours à ces algorithmes, et uniquement pour répondre à des réquisitions d’enregistrements dans le cadre d’enquêtes pénales. Plutôt que de condamner ces utilisations illégales et massives de VSA, le gouvernement a donc choisi de les légitimer au travers d’un texte qui semble en apparence circonscrit et proportionné. Comme pour la loi relative aux Jeux Olympiques, le gouvernement souhaite avancer par « petit pas » pour mettre en œuvre sa stratégie de légalisation, en concentrant l’attention sur un spectre réduit d’usages encadrés par des lois « expérimentales ».

Usages de la VSA

Ces cadres « expérimentaux » permettent de donner l’apparence d’un aspect éphémère et réversible pour construire l’acceptabilité sociale d’une technologie autoritaire. Mais il ne fait que peu de doute que ces dispositifs seront soit pérennisés soit étendus à de nouveaux usages L’arrivée de ce texte, un an à peine après celui de la loi JO, en est le meilleur exemple. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que les transports aient été choisis pour mettre en application cette nouvelle accélération. En effet, ceux-ci jouent un rôle moteur dans la promotion de la VSA en France. En 2022, la CNIL avait lancé une consultation publique sur le sujet et les contributions de la RATP et de la SNCF étaient éloquentes quant à leurs intentions de surveillance.

Aussi, comme l’a rappelé Mediapart, la SNCF expérimente régulièrement depuis 2017, de façon totalement illégale, plusieurs logiciels de surveillance dans les gares achetés auprès de plusieurs entreprises. Début mai, nous avons dénoncé à la CNIL un de ces programmes illégaux mis en œuvre par la SNCF, Prevent PCP, qui vise à faire de la filature automatisée de personnes dans les gares, sur la base de leurs attributs physiques et biométriques, sous prétexte de retrouver les personnes qui abandonneraient un bagage en gare. Quant à la RATP, elle a expérimenté la vidéosurveillance algorithmique dans ses rames et sur ses quais avec Evitech et Wintics. Bref, la proposition de loi apparaît taillée sur mesure pour légaliser une partie des dispositifs de VSA d’ores et déjà utilisés illégalement par la SNCF ou la RATP.

Un Parlement instrumentalisé

Qu’il s’agisse de cette proposition de loi sur les transports ou de la loi relative aux Jeux olympiques adoptée en mai 2023, l’intention qui préside à ces textes n’est pas d’engager une discussion sincère sur l’utilité de la VSA, mais d’entériner des états de fait. Le Sénat et l’Assemblée nationale apparaissent alors comme de simples chambre d’enregistrement du gouvernement, qui trahit ses engagements et multiplie les manœuvres rendant impossible un réel débat parlementaire.

En effet, celui-ci n’a pas peur de s’asseoir sur ses promesses faites l’année dernière aux député·es et sénateur·ices. Lors des débats sur la loi sur les Jeux Olympiques, aussi bien le rapporteur Guillaume Vuilletet que Gerald Darmanin assuraient mordicus aux parlementaires inquiets que de nombreuses garanties avaient été prévues, et notamment puisqu’il s’agissait d’une « expérimentation », que seul l’aboutissement d’un processus d’évaluation permettrait d’aller plus loin. Les modalités de cet examen ont été précisées par un décret du 11 octobre 2023 et un comité a été nommé pour rendre un rapport d’ici fin mars 2025. Mais ces gardes-fous, pourtant votés par la représentation nationale il y a un an, sont balayés d’un revers de main aujourd’hui : sans attendre ce rapport, le gouvernement préfère avancer, en assumant avoir menti aux parlementaires.

D’autre part, le processus législatif qui entoure ce texte sur les transports démontre que le gouvernement refuse au Parlement les conditions d’un débat serein et approfondi. Comme son nom l’indique, ce texte est une proposition de loi, c’est à dire une initiative parlementaire et non gouvernementale, déposée en l’occurrence par Philippe Tabarot, un sénateur LR. Celui-ci n’est pas sans lien avec le sujet puisqu’il a été plusieurs années à la tête de la régie des transports PACA puis vice-président de la Commission des transports de Régions de France.

Or, compte tenu du fait qu’il s’agit d’une proposition de loi de l’opposition, ce texte ne pouvait en théorie être transféré à l’Assemblée qu’au travers d’une « niche » du parti LR. C’était sans compter la volonté de l’exécutif de le mettre à l’ordre du jour de son propre chef. En outre, le gouvernement n’a pas hésité à recourir une fois de plus à l’excuse des Jeux olympiques pour déclencher une procédure accélérée pour l’examen du loi, prétextant que ce texte devait entrer en vigueur avant cet évènement en juillet. Mais ce n’est pas tout. Alors que l’année dernière, pour la loi JO, le gouvernement avait au minimum posé les conditions d’un examen parlementaire informé, ici aucune étude d’impact, aucun avis de la CNIL, aucune explication de la technologie couverte par l’article 9 n’a été publiée ou transmise aux parlementaires.

Les député·es vont donc voter un texte sans comprendre les implications techniques et les conséquences en termes de surveillance de cet usage de la VSA, qui sera très probablement minimisée et mal expliquée par le rapporteur Clément Beaune. D’ailleurs, ce dernier ne semble pas disposé à un quelconque débat : lorsque nous lui avons demandé à être auditionné afin d’en savoir plus sur le contenu de ce texte ainsi que pour alerter sur ses dangers, l’administration de l’Assemblée nationale a refusé, prétextant un « calendrier trop chargé ».

Faire passer un texte à toute vitesse, faire primer l’opportunisme politique sur la transparence démocratique et refuser d’écouter une association de défense des droits qui travaille depuis des années sur le sujet, c’est tout le jeu démocratique qui est bafoué. Une fois de plus, il n’y a aucune volonté de la part des pouvoirs publics d’examiner sincèrement l’utilité ou les dangers de la VSA, et encore moins de démanteler l’infrastructure de surveillance illégalement déployée depuis des années. En réalité, les intérêts politiques et sécuritaires priment et les garde-fous démocratiques sont réduits à de purs instruments cosmétiques.

Cette proposition de loi sur les transports constitue une étape de plus dans le déploiement de la surveillance automatisée des rues, au bénéfice de la police et des industriels de la Technopolice. Alors que le gouvernement ne s’embarrasse même plus à permettre les conditions d’un débat parlementaire, mobilisons-nous ! Interpellez votre député·e sur ce texte ou bien créez vous-même la contestation dans votre ville ou votre département. Car à coté de ces débats législatifs, la VSA continue de s’installer de façon illégale à travers le pays, souvent à l’échelon des collectivité locales. Pour dénoncer cette hypocrisie et refuser le projet de société de surveillance de l’espace public, nous avons lancé un kit de mobilisation il y a deux semaines. Vous pouvez y trouver ressources, modes d’action et des affiches pour faire valoir une opposition populaire à la VSA. Rejoignez la campagne sur www.laquadrature.net/vsa, et si vous le pouvez, faites un don sur www.laquadrature.net/donner !

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References
1 Voir notamment cette vidéo à partir de 3:12

La France crée un fichier des personnes trans

Par : noemie
30 janvier 2024 à 09:10

Révélé et dénoncé par plusieurs associations de défense des droits des personnes transgenres, un récent arrêté ministériel autorise la création d’un fichier de recensement des changements d’état civil. Accessible par la police et présenté comme une simplification administrative, ce texte aboutit en réalité à la constitution d’un fichier plus que douteux, centralisant des données très sensibles, et propice à de nombreuses dérives. Le choix de créer un tel fichier pose d’immenses problèmes aussi bien politiquement que juridiquement.

Brève histoire du RNIPP

Comme beaucoup d’actes réglementaires pris en fin d’année, l’arrêté du 19 décembre 2023 « portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « table de correspondance des noms et prénoms » » aurait pu passer inaperçu. Il est pourtant d’une sensibilité extrême.

Avant d’en détailler le contenu, revenons rapidement sur le contexte et l’origine de ce texte. Celui-ci découle d’un autre acte réglementaire : un décret-cadre de 2019 relatif à l’utilisation du Numéro d’identification au répertoire national des personnes physiques (NIR). Le NIR, c’est ce fameux numéro « de sécurité sociale » attribué à chaque personne à sa naissance sur la base d’éléments d’état civil transmis par les mairies à l’INSEE. Bien que, dans les années 1970, le projet d’utiliser le NIR pour interconnecter des fichiers d’États ait inquiété et conduit à la création de la CNIL, il est aujourd’hui largement utilisé par les administrations fiscales, dans le domaine des prestations sociales, dans l’éducation ou encore la justice, ainsi que pour le recensement. Le NIR peut également être consulté au travers du répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP).

Si, en théorie, ce numéro devrait être très encadré et contrôlé par la CNIL, son utilisation est aujourd’hui très étendue, comme le démontre ce fameux décret-cadre de 2019 qui recense la longue liste des traitements utilisant le NIR ou permettant la consultation du RNIPP. Régulièrement mis à jour pour ajouter chaque nouveau traitement lié au NIR ou RNIPP, le décret a ainsi été modifié en octobre 2023 pour autoriser une nouvelle possibilité de consultation du RNIPP lié au changement d’état civil. C’est donc cela que vient ensuite préciser l’arrêté de décembre, objet de nos critiques.

Lorsqu’on lit le décret et l’arrêté ensemble, on comprend qu’il accorde aux services de police un accès au RNIPP « pour la consultation des seules informations relatives à l’identité des personnes ayant changé de nom ou de prénom » en application du code civil, à l’exclusion du NIR, et ce « aux fins de transmission ou de mise à disposition de ces informations aux services compétents du ministère de l’intérieur et des établissements qui lui sont rattachés et de mise à jour de cette identité dans les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre par eux ». Il s’agirait du premier accès au RNIPP accordé au ministère de l’intérieur.

Un fichier de données sensibles…

Dans ce nouveau fichier, seront ainsi enregistrées pendant six ans les données liées au changement d’état civil ayant lieu après le 19 décembre 2023 : les noms de famille antérieurs et postérieurs au changement de nom, les prénoms antérieurs et postérieurs au changement de prénom, la date et le lieu de naissance, la date du changement de nom ou de prénom, le sexe et le cas échéant, la filiation.

Ces changements ne concernent pas l’utilisation d’un nom d’usage, tel que le nom de la personne avec qui l’on est marié·e, qui est le changement le plus courant. En pratique, de telles modifications d’état civil concerneraient deux principales situations : le changement de prénom lors d’une transition de genre ou le changement de nom et/ou prénom que des personnes décident de « franciser », notamment après une obtention de papiers. Si le fichier apparaît comme un instrument de simplification administrative au premier regard, il constitue également – comme l’ont dénoncé les associations de défense des droits LGBTQI+ – un fichier recensant de fait les personnes trans et une partie des personnes immigrées.

D’un point de vue juridique, notre analyse nous conduit à estimer que ce fichier contient des données dites « sensibles », car elles révéleraient « la prétendue origine raciale ou l’origine ethnique » ainsi que « des données concernant la santé ». La Cour de justice de l’Union européenne a récemment établi1Voir l’arrêt de la CJUE, gr. ch., 1er août 2022, OT c. Vyriausioji tarnybin˙es etikos komisija, aff. C-184/20 que la définition des données sensibles devait être interprétée de façon large et considère que si des données personnelles sont susceptibles de dévoiler, même de manière indirecte, des informations sensibles concernant une personne, elles doivent être considérées comme des données sensibles. Dans cette même décision, la Cour ajoute ainsi que si les données traitées ne sont pas sensibles lorsqu’elles sont prises indépendamment mais que, par recoupement avec d’autres données (fait par le traitement ou par un tiers) elles peuvent malgré tout révéler des informations sensibles sur les personnes concernées, alors elles doivent être considérées comme étant sensibles.

C’est exactement le cas ici : les noms et prénoms ne sont pas des données sensibles, mais si une personne tierce a en parallèle l’information que ceux-ci ont été modifiés, elle peut, par recoupement, en déduire des informations sur la transidentité d’une personne (qui changerait de Julia à Félix) ou son origine (qui passerait de Fayad à Fayard pour reprendre l’exemple donné par l’État). Cette table de correspondance crée donc en réalité un traitement de données sensibles. Or celles-ci sont particulièrement protégées par la loi. L’article 6 de la loi informatique et libertés de 1978 et l’article 9 du RGPD posent une interdiction de principe de traiter ces données et prévoient un nombre limité d’exceptions l’autorisant. Pourtant, dans sa délibération sur le décret, d’ailleurs particulièrement sommaire, la CNIL ne s’est pas penchée sur cette conséquence indirecte mais prévisible de création de données sensibles. Celles-ci seraient donc traitées en dehors des règles de protection des données personnelles.

…à destination de la police

Ensuite, la raison d’être de ce fichier particulièrement sensible interroge. La finalité avancée dans l’arrêté est « la consultation de l’identité des personnes ayant changé de nom ou de prénom en application des articles 60, 61 et 61-3-1 du code civil » et « la mise à jour de cette identité dans les traitements de données à caractère personnel que [le ministre de l’intérieur] ou les établissements publics qui lui sont rattachés mettent en œuvre ». En première lecture, on pourrait imaginer qu’il s’agit de simple facilité de mise à jour administrative. Pourtant, celle-ci diffère des procédures existantes. En effet, aujourd’hui, lorsqu’une personne change de prénom et/ou de nom, la mairie ayant enregistré le changement d’état civil informe l’INSEE qui met à jour le RNIPP et prévient les organismes sociaux et fiscaux (Pôle Emploi, les impôts, la CPAM…). En parallèle, la personne concernée doit faire un certain nombre de procédures de modifications de son coté (carte d’identité, de sécurité sociale, permis de conduire…)2L’Amicale Radicale des Cafés Trans de Strasbourg a publié dans un billet de blog un récapitulatif de l’ensemble des démarches à effectuer pour changer d’état civil en France..

Aucune administration n’a donc, à aucun moment, accès à un fichier recensant les changements d’état civil puisque ces modifications sont faites de façon distribuée, soit à l’initiative de l’INSEE soit à celle de la personne concernée. Pourquoi ne pas en rester là ? La raison tient sans doute au fait qu’en réalité, ce fichier est un des instruments de surveillance de la police. La lecture des nombreux destinataires du traitement est éloquente. Il s’agit des agents habilités de la police nationale et de la gendarmerie nationale, des agents habilités des services centraux du ministère de l’Intérieur et des préfectures et sous-préfectures, des agents effectuant des enquêtes administratives (pour des emplois publics ou demandes de séjour) ou des enquêtes d’autorisation de voyage, ou encore de l’agence nationale des données de voyage, du commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire et du conseil national des activités privées de sécurité (sécurité privée qui a de plus en plus de pouvoir depuis la loi Sécurité globale…).

On le comprend alors : cette « table de correspondance » a pour unique but d’être consultée en parallèle d’autres fichiers de police, dont le nombre a explosé depuis 20 ans (il y en aurait aujourd’hui plus d’une centaine3Le dernier décompte a été fait en 2018 dans un rapport parlementaire sur le sujet ) et dont les périmètres ne cessent de s’élargir. Ainsi, par exemple, lorsqu’un agent de police contrôle l’identité d’une personne, il ne consultera plus seulement le fichier de traitement des antécédents judiciaires (ou TAJ), mais également ce fichier des personnes ayant changé de nom : le premier lui permettra alors de connaître les antécédents de la personne, et le second de savoir si elle est trans ou étrangère.

Si les deux situations soulèvent des inquiétudes sérieuses, attardons-nous sur le cas des personnes trans. Elles seront outées de fait auprès de la police qui aurait alors connaissance de leur deadname4Le lexique du site Wiki Trans définit l’outing comme la révélation « qu’une personne est trans (ou LGBTQIA+). L’outing ne doit JAMAIS se faire sans le consentement de la personne concernée. Et cela peut être considéré, dans le code pénal, comme une atteinte à la vie privée ». Le deadname est le « prénom assigné à la naissance » et peut être source de souffrance pour une personne trans.. Or de nombreux témoignages, tels que ceux recensés chaque année par SOS Homophobie dans ses rapports sur les LGBTI-phobies, démontrent qu’il existe une réelle transphobie au sein de la police. Compte tenu de ces discriminations et des violences qui peuvent y êtres associées, fournir de telles informations à la police aura non seulement pour effet de les renforcer mais peut également mettre en danger les personnes trans confrontées à la police. Ces craintes ont été partagées sur les réseaux sociaux et laissent entendre que certain·es pourraient renoncer à entamer de telles démarches de changement d’état civil face à la peur d’être présent·es dans un tel fichier. De façon générale, les personnes trans sont historiquement et statistiquement davantage victimes de violences policières.

Par ailleurs, les informations de cette « table de correspondance » pourront venir nourrir le renseignement administratif, notamment le fichier PASP qui permet de collecter un grand nombre d’informations, aussi bien les opinions politiques que l’activité des réseaux sociaux ou l’état de santé des dizaines de milliers de personne qui y sont fichées. Alors que ces capacités de surveillance prolifèrent, sans aucun réel contrôle de la CNIL (nous avons déposé une plainte collective contre le TAJ il y a plus d’un an, toujours en cours d’instruction par l’autorité à ce jour), l’arrêté de décembre dernier offre à la police toujours plus de possibilités d’en connaître davantage sur la population et de nourrir son appétit de généralisation du fichage.

Un choix dangereux en question

Au-delà de cette motivation politique, qui s’inscrit dans une extension sans limite du fichage depuis deux décennies, il faut également critiquer les implications techniques liées à la création d’un tel fichier. En centralisant des informations, au demeurant très sensibles, l’État crée un double risque. D’une part, que ces informations dès lors trop facilement accessibles soient dévoyées et fassent l’objet de détournement et autres consultations illégales de la part de policiers, comme pour bon nombre de fichiers de police au regard du recensement récemment effectué par Mediapart.

D’autre part, du fait de la centralisation induite par la création d’un fichier, les sources de vulnérabilité et de failles de sécurité sont démultipliées par rapport à un accès décentralisé à ces informations. Avec de nombreux autres acteurs, nous formulions exactement les mêmes critiques en 2016 à l’encontre d’une architecture centralisée de données sensibles au moment de l’extension du fichier TES à l’ensemble des personnes détentrices d’une carte d’identité, cela aboutissant alors à créer un fichier qui centralise les données biométriques de la quasi-totalité de la population française.

En somme, ce décret alimente des fichiers de police déjà disproportionnés, en y ajoutant des données sensibles en dérogation du cadre légal, sans contrôle approprié de la CNIL et touche principalement les personnes trans et étrangères, facilitant par là le travail de surveillance et de répression de ces catégories de personnes déjà stigmatisées par la police.

Cette initiative n’est pas unique à la France et s’inscrit dans un mouvement global inquiétant. En Allemagne, malgré l’objectif progressiste d’une loi de 2023 sur le changement de genre déclaratif, des associations telles que le TGEU ont dénoncé le fait que les modifications d’état civil soient automatiquement transférées aux services de renseignement. Aux États-Unis, différents États ont adopté des lois discriminatoires vis-à-vis des personnes trans, forçant certaines personnes à détransitionner ou bien à quitter leur État pour éviter de perdre leurs droits. Au Texas, le procureur général républicain a essayé d’établir une liste des personnes trans à partir des données relatives aux modifications de sexe dans les permis de conduire au cours des deux dernières années.

En outre, ce décret crée pour la première fois un accès pour le ministère de l’Intérieur au RNIPP, répertoire pourtant réservé aux administrations sociales et fiscales. Or, l’expérience nous montre que toute nouvelle possibilité de surveillance créé un « effet cliquet » qui ne conduit jamais à revenir en arrière mais au contraire à étendre toujours plus les pouvoirs accordés.

Nous nous associons donc aux différentes organisations ayant critiqué la création de ce fichier stigmatisant et qui participe à l’édification d’un État policier ciblant des catégories de populations déjà en proie aux discriminations structurelles. Nous espérons qu’outre ses dangers politiques, son illégalité sera dénoncée et conduira rapidement à son abrogation.

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References
1 Voir l’arrêt de la CJUE, gr. ch., 1er août 2022, OT c. Vyriausioji tarnybin˙es etikos komisija, aff. C-184/20
2 L’Amicale Radicale des Cafés Trans de Strasbourg a publié dans un billet de blog un récapitulatif de l’ensemble des démarches à effectuer pour changer d’état civil en France.
3 Le dernier décompte a été fait en 2018 dans un rapport parlementaire sur le sujet
4 Le lexique du site Wiki Trans définit l’outing comme la révélation « qu’une personne est trans (ou LGBTQIA+). L’outing ne doit JAMAIS se faire sans le consentement de la personne concernée. Et cela peut être considéré, dans le code pénal, comme une atteinte à la vie privée ». Le deadname est le « prénom assigné à la naissance » et peut être source de souffrance pour une personne trans.

VSA et Jeux Olympiques : Coup d’envoi pour les entreprises de surveillance

Par : noemie
26 janvier 2024 à 07:32

Après des mois d’attente, les entreprises chargées de mettre en place la vidéosurveillance algorithmique dans le cadre de la loi Jeux Olympiques ont été désignées. Sans grande surprise, il s’agit de sociétés s’étant insérées depuis plusieurs années dans le marché de cette technologie ou entretenant de bonnes relations avec l’État. Les « expérimentations » vont donc commencer très prochainement. Nous les attendons au tournant.

Un marché juteux

Rappelez-vous : le 17 mai 2023, le Conseil constitutionnel validait le cadre législatif permettant à la police d’utiliser la vidéosurveillance algorithmique (VSA) en temps réel, après plusieurs mois de bataille législative en plein mouvement des retraites. Depuis, que s’est-il passé ? Un appel d’offres a tout d’abord été publié dès l’été pour lancer la compétition entre les nombreuses entreprises qui ont fleuri ces dernières années dans le secteur. Ce marché public, accompagné de clauses techniques, décrit les exigences auxquelles devront se soumettre les entreprises proposant leurs services et, en premier lieu, les fameuses situations et comportements « suspects » que devront repérer les logiciels afin de déclencher une alerte. En effet, la loi avait été votée à l’aveugle sans qu’ils soient définis, ils ont ensuite été formalisés par un décret du 28 août 2023.

Comme nous le l’expliquons depuis longtemps1Pour une analyse plus approfondie de nos critiques sur la VSA, vous pouvez lire notre rapport de synthèse envoyé aux parlementaires l’année dernière ou regarder cette vidéo de vulgarisation des dangers de la VSA., ces comportements n’ont pour beaucoup rien de suspect mais sont des situations pour le moins banales : détection de personne au sol après une chute (attention à la marche), non-respect du sens de circulation commun par un véhicule ou une personne (attention à son sens de l’orientation), densité « trop importante » de personnes, mouvement de foule (argument répété sans cesse pendant les débats par Darmanin) mais aussi détection d’armes, de franchissement de zone, d’objets abandonnés ou de départs de feu. Le tout pour 8 millions d’euros d’acquisition aux frais du contribuable.

Sans surprise, ces huit cas d’usage pour les algorithmes commandés par l’État dans le cadre de cette expérimentation correspondent à l’état du marché que nous documentons depuis plusieurs années au travers de la campagne Technopolice. Ils correspondent aussi aux cas d’usage en apparence les moins problématiques sur le plan des libertés publiques (l’État se garde bien de vouloir identifier des personnes via la couleur de leurs vêtements ou la reconnaissance faciale, comme la police nationale le fait illégalement depuis des années). Et ils confirment au passage que cette « expérimentation » est surtout un terrain de jeu offert aux entreprises pour leur permettre de développer et tester leurs produits, en tâchant de convaincre leurs clients de leur intérêt.

Car depuis des années, la VSA prospérait à travers le pays en toute illégalité – ce que nous nous efforçons de dénoncer devant les tribunaux. Ces sociétés ont donc œuvré à faire évoluer la loi, par des stratégies de communication et d’influence auprès des institutions. Le déploiement de cette technologie ne répond à aucun besoin réellement documenté pour les JO2Si les Jeux Olympiques constituent sans aucun doute un moment « exceptionnel » au regard du nombre inédit de personnes qui seront au même moment dans la région parisienne, la surveillance n’est pas la réponse à apporter. Nous démontions l’année dernière l’idée selon laquelle les technologies sécuritaires auraient pu modifier le cours du « fiasco » de la finale de la Ligue des champions au Stade de France. Comme nous l’exposons, celle-ci n’était causée par rien d’autre qu’une mauvaise gestion stratégique du maintien de l’ordre. Pour pallier à ces défaillances humaines, auraient été utiles non pas la VSA ou la reconnaissance faciale mais un véritable savoir-faire humain de gestion de la foule, des compétences logistiques, des interlocuteurs parlant plusieurs langues….mais résulte uniquement d’une convergence d’intérêts (économiques pour le secteur, politiques pour les décideurs publics et autoritaires pour la police qui accroît toujours plus son pouvoir de contrôle), le tout enrobé d’un double opportunisme : l’exploitation du discours de promotion de l’innovation et l’instrumentalisation, comme dans bien d’autres pays hôtes avant la France, du caractère exceptionnel des Jeux olympiques pour imposer ces technologies.

Après plusieurs mois de tests et de mises en situation, retardées par le fait qu’une entreprise a contesté en justice les conditions du marché, celui-ci a donc été attribué au début du mois de janvier. Le marché est divisé en quatre lots géographiques. La start-up Wintics installera ses logiciels en Île-de-France quand Videtics se chargera de l’Outre-Mer et d’un ensemble de régions du Sud (Provence Alpes Cote d’Azur, Rhône-Alpes et Corse). Pour les autres régions de France, c’est Chapsvision qui a été désignée. Cette entreprise omniprésente dans les services de l’État et qui se veut le nouveau Palantir français, vient de racheter la start-up de VSA belge ACIC. Enfin, Wintics s’est également vu attribuer la surveillance des transports (comprenant gares et stations). Quant à Orange Business Service – en partenariat avec Ipsotek, filiale d’Atos (nouvellement Eviden), elle est également attributaire au 3e rang du lot des transports, c’est à dire mobilisable en cas de défaillance de Wintics. Du beau monde !

Une évaluation incertaine

Ces entreprises pourront ainsi mettre à disposition leurs algorithmes, bien au-delà des seuls Jeux olympiques puisque cette expérimentation concerne tout « évènement récréatif, sportif et culturel », et ce jusqu’au 31 mars 2025 soit bien après la fin des JO. Elle sera par la suite soumise à une « évaluation » présentée comme particulièrement innovante mais dont les modalités avaient en réalité été envisagées dès 2019 par Cédric O, alors secrétaire d’État au numérique, comme une manière de légitimer la reconnaissance faciale. Ces modalités ont été précisée par un second décret en date du 11 octobre 2023. Ainsi, un « comité d’évaluation » verra prochainement le jour et sera présidé par Christian Vigouroux, haut fonctionnaire passé par la section Intérieur du Conseil d’État. Le comité sera divisé en deux collèges distincts. Le premier réunira les « utilisateurs » de la VSA, c’est à dire la police, la gendarmerie, la SNCF, etc. Le second rassemblera des « personnalités qualifiées » telles que des experts techniques, des spécialistes du droit des données personnelles et des libertés publiques ou encore des parlementaires. Ils devront déterminer et mettre en œuvre un protocole d’évaluation qui ne sera rendu public qu’à la fin de l’expérimentation en mars 2025.

Mais il ne faut pas se leurrer. Au regard de l’agenda politique de ces entreprises et des autorités qui veulent, à long terme, légaliser ces outils et de façon générale toute forme de surveillance biométrique3Plusieurs rapports parlementaires préconisent déjà d’aller plus loin en généralisant le recours à la reconnaissance faciale en temps réel ou la VSA en temps différé, massivement utilisée de façon illégale dans les enquêtes judiciaires. Voir ainsi le rapport de 2022 des sénateurs Marc-Philippe Daubresse (LR), Arnaud de Belenet et Jérôme Durain (PS) sur « la reconnaissance biométrique dans l’espace public » et le rapport de 2023 des députés Philippe Latombe (Modem) et Philippe Gosselin (LR) « sur les enjeux de l’utilisation d’images de sécurité dans le domaine public dans une finalité de lutte contre l’insécurité ». Le gouvernement français s’est également ménagé d’importantes marges de manœuvre pour ce faire à travers son lobbying féroce autour du règlement IA, afin de tenir en échec toute limitation un tant soit peu significative de la surveillance biométrique des espaces publics., cette « expérimentation » pendant les Jeux olympiques doit être vue comme une simple étape vers la légitimation et la pérennisation de ces technologies. En évoquant un dispositif au caractère temporaire et réversible, ce concept d’« expérimentation », permet de rendre une technologie aussi controversée que la VSA plus facilement acceptable pour le public.

Le caractère expérimental permet également de sortir du cadre classique juridique d’examen de proportionnalité. Ainsi l’évaluation ne portera pas sur les critères habituels de nécessité vis à vis d’un objectif d’intérêt public ou de proportionnalité vis à vis des atteintes aux droits. Non, l’évaluation sera plutôt guidée par une approche pragmatique et opérationnelle. On peut imaginer que seront pris en compte le nombre de cas détectés ou le nombre d’interpellations, sans mesurer leur réelle utilité sur la sécurité en tant que politique publique globale, et ce, dans la lignée de la politique du chiffre conduite depuis des années par le Ministère de l’intérieur.

Surtout, on peine à voir comment l’État abandonnerait soudainement une technologie dans laquelle il a tant investi et à laquelle il a déjà cédé énormément de place dans les pratiques policières. Les exemples passés nous montrent que les projets sécuritaires censés être temporaires sont systématiquement prolongés, telles que les boites noires de la loi Renseignement ou les dispositions dérogatoires de l’état d’urgence.

L’issue du comité d’évaluation risque donc d’être surdéterminée par les enjeux politiques et économiques : si l’efficacité policière de ces technologies est jugée satisfaisante, on appellera à les pérenniser ; dans le cas contraire, on évoquera la nécessité de poursuivre les processus de développement afin que ces technologies parviennent à un stade de maturation plus avancé, ce qui justifiera de proroger le cadre expérimental jusqu’à ce que, in fine, elles aient fait leurs preuves et qu’on puisse alors établir un cadre juridique pérenne. À la fin, c’est toujours la police ou les industriels qui gagnent. Or, nous le répétons depuis des années : le choix qui devrait s’imposer à toute société qui se prétend démocratique est celui de l’interdiction pure et simple de ces technologies. Mais il est clair qu’en l’absence de pression citoyenne en ce sens, ni le gouvernement, ni la CNIL, ni la plupart des autres acteurs invités à se prononcer sur les suites à donner à l’expérimentation de la VSA ne voudront envisager de refermer la boîte de Pandore.

Le public au service du privé

Le décret du 11 octobre 2023 prévoit également la création d’un « comité de pilotage » au sein du ministère de l’Intérieur, chargé de la mise en œuvre de cette surveillance « expérimentale ». Celui-ci sera confié à Julie Mercier, cheffe de la direction des entreprises et partenariats de sécurité et des armes (Depsa). Cela est peu surprenant mais révélateur, une fois de plus, des réels intérêts en jeu ici. La Depsa est dotée d’un département « des industries et innovations de sécurité » qui est présenté comme devant assurer « l’interface et le dialogue avec les entreprises productrices de moyens de sécurité » ainsi que participer « à la veille technologique et industrielle » et « au contrôle des investissements étrangers en France et au suivi des entreprises à protéger prioritairement ». Ainsi, sa raison d’être est de stimuler et influencer le marché privé de la sécurité, voire d’aller prodiguer directement des conseils lors de réunions des lobbys de la surveillance. On pourrait être surpris de voir de tels objectifs et pratiques orientées vers le privé dans le fonctionnement d’un ministère régalien. Il s’agit pourtant d’une politique assumée et enclenchée il y a une dizaine d’années, et dont le paroxysme a été à ce jour la loi Sécurité globale consacrant le « continuum de sécurité » entre public et privé.

Lors du salon Mlilipol – grand-messe du marché de la sécurité et de la surveillance – qui s’est tenu en novembre dernier en région parisienne, et où les Jeux olympiques étaient à l’honneur, Julie Mercier expliquait ainsi vouloir « participer à la construction de la base industrielle et technologique de sécurité », car « les entreprises, et pas seulement les grands opérateurs, sont essentielles dans l’expression du besoin et dans la structuration de la filière ». Pour elle, le programme d’expérimentations mis en place en 2022 par le ministère de l’Intérieur dans la perspective des Jeux olympiques a permis d’enclencher une « dynamique vertueuse ». Ce mélange des genres démontre un des objectifs principaux de l’expérimentation : promouvoir le marché privé de la surveillance numérique, en l’associant étroitement aux politiques publiques.

Et maintenant ?

Les expérimentations devraient donc être mises en route dans les prochaines semaines. En théorie, la loi prévoyait une première étape de « conception » des algorithmes, qui nous inquiétait particulièrement. Dans le but de paramétrer les logiciels, elle autorisait de façon inédite le Ministère de l’intérieur à utiliser les images des caméras publiques afin d’améliorer les algorithmes. La CNIL s’est même inquiétée dans sa délibération de l’absence d’information des personnes qui, par leur présence sur une image, nourrirait des logiciels.

Sauf que du fait du retard du processus (l’État voulait initialement débuter les expérimentations lors de la coupe du monde de rugby) couplée à l’impatience des entreprises et de la police et au risque du fiasco si la VSA était en fin de compte remise sur l’étagère, le ministère de l’Intérieur s’est décidé à passer rapidement à la phase de mise en œuvre à travers l’acquisition de solutions toutes prêtes. Cependant, cela ne réduit aucunement les craintes à avoir. Si les logiciels sont censés répondre à un ensemble de critères techniques définis par la loi, l’opacité régnant sur ces technologies et l’absence de mécanisme de transparence empêche de facto de connaître la façon dont ils ont été conçus ou la nature des données utilisées pour l’apprentissage.

Après avoir été auditées et certifiées par une autorité tierce4D’après l’avis d’attribution de l’appel d’offre, il s’agira du Laboratoire National de Métrologie et d’Essais (LNE), inconnu au bataillon., ces solutions seront donc intégrées au plus vite aux infrastructures de vidéosurveillance dans les zones où les préfectures en feront la demande. Chaque autorisation fera l’objet d’un arrêté préfectoral rendu public, ce qui devrait permettre de connaître l’emplacement, la nature et la durée de la surveillance mise en place.

Nous les attendrons au tournant. L’expérimentation de la VSA ne doit pas rester invisible. Au contraire, il nous faudra collectivement documenter et scruter ces arrêtés préfectoraux afin de pouvoir s’opposer sur le terrain et rendre matérielle et concrète cette surveillance de masse que tant veulent minimiser. La voix des habitantes et habitants des villes, des festivalier·es, des spectateur·ices, de l’ensemble des personnes qui seront sous l’œil des caméras, sera cruciale pour rendre visible l’opposition populaire à ces technologies de contrôle. Dans les prochains mois, nous tâcherons de proposer des outils, des méthodes et des idées d’actions pour y parvenir et lutter, avec vous, contre l’expansion de la surveillance de masse dans nos rues et dans nos vies.

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References
1 Pour une analyse plus approfondie de nos critiques sur la VSA, vous pouvez lire notre rapport de synthèse envoyé aux parlementaires l’année dernière ou regarder cette vidéo de vulgarisation des dangers de la VSA.
2 Si les Jeux Olympiques constituent sans aucun doute un moment « exceptionnel » au regard du nombre inédit de personnes qui seront au même moment dans la région parisienne, la surveillance n’est pas la réponse à apporter. Nous démontions l’année dernière l’idée selon laquelle les technologies sécuritaires auraient pu modifier le cours du « fiasco » de la finale de la Ligue des champions au Stade de France. Comme nous l’exposons, celle-ci n’était causée par rien d’autre qu’une mauvaise gestion stratégique du maintien de l’ordre. Pour pallier à ces défaillances humaines, auraient été utiles non pas la VSA ou la reconnaissance faciale mais un véritable savoir-faire humain de gestion de la foule, des compétences logistiques, des interlocuteurs parlant plusieurs langues….
3 Plusieurs rapports parlementaires préconisent déjà d’aller plus loin en généralisant le recours à la reconnaissance faciale en temps réel ou la VSA en temps différé, massivement utilisée de façon illégale dans les enquêtes judiciaires. Voir ainsi le rapport de 2022 des sénateurs Marc-Philippe Daubresse (LR), Arnaud de Belenet et Jérôme Durain (PS) sur « la reconnaissance biométrique dans l’espace public » et le rapport de 2023 des députés Philippe Latombe (Modem) et Philippe Gosselin (LR) « sur les enjeux de l’utilisation d’images de sécurité dans le domaine public dans une finalité de lutte contre l’insécurité ». Le gouvernement français s’est également ménagé d’importantes marges de manœuvre pour ce faire à travers son lobbying féroce autour du règlement IA, afin de tenir en échec toute limitation un tant soit peu significative de la surveillance biométrique des espaces publics.
4 D’après l’avis d’attribution de l’appel d’offre, il s’agira du Laboratoire National de Métrologie et d’Essais (LNE), inconnu au bataillon.

Outils de chiffrement lors du procès du 8 décembre : du fantasme à la réalité

Par : noemie
14 décembre 2023 à 09:52

Durant quatre semaines, en octobre dernier, se sont tenues au tribunal de Paris les audiences du procès du « 8 décembre ». Dans cette affaire, sept personnes sont poursuivies pour « association de malfaiteurs terroristes ». Toutes contestent les faits reprochés et trois ans d’instruction n’auront pas réussi à faire émerger la moindre preuve de projet terroriste. Parmi les « preuves » avancées par le parquet et les agents de renseignement pour démontrer cette intention « terroriste », on retrouvait des éléments relatifs à l’utilisation d’outils de protection de la vie privée, censés illustrer une certaine clandestinité. Scandalisé·es, nous avions révélé et dénoncé vigoureusement cet amalgame dangereux et malhonnête. Quelle a été la place accordée à ce sujet lors de l’examen de l’affaire par le tribunal correctionnel antiterroriste ? Retour sur les audiences auxquelles nous avons assisté, en amont de l’annonce du délibéré prévue pour le 22 décembre prochain1Pour rattraper l’ensemble du contenu du procès, plusieurs médias ont fait un compte-rendu régulier des audiences, notamment le blog des comités de soutiens, Le Monde, Mediapart, lundimatin, L’Obs ou encore Libération..

Durant le procès, ont été successivement passées en revue les personnalités des prévenu·es, puis l’examen par thème des faits qui leur sont reprochés. Après la question des explosifs, de la détention d’armes, la pratique de l’« airsoft » (qualifiée d’« entraînements paramilitaires » par le parquet), la question du « numérique » a donc été examinée. Ainsi, plusieurs inculpé·es ont été questionné·es sur leur utilisation de logiciels et applications telles que Signal, Tor, Tails ou sur le chiffrement de leurs ordinateurs et disques durs. Cet interrogatoire a suivi la même ligne directrice que celle du dossier d’instruction, que nous avions révélé il y a quelques mois : à la fois une grande confusion quant à la compréhension technique de ces outils et une vision suspicieuse de la réalité de leurs usages. Trois prévenu·es ont ainsi été questionné·es sur ce qui les poussait à utiliser ces logiciels, comme s’il fallait une justification, une explication argumentée, alors qu’il s’agit d’outils sains, légaux et banals.

« Il est possible et non interdit d’avoir ces outils mais on peut se demander pourquoi dissimuler l’information » s’est ainsi interrogée la présidente. La suspicion de clandestinité couplée à une faible connaissance du sujet transparaissaient dans les questions : « Vous expliquez que l’usage de ce “genre de réseaux” [en l’occurrence Signal] était pour préserver votre vie privée, mais avez-vous peur d’être surveillée ? ». Ou encore : « Pourquoi cela vous avait paru important ou une bonne idée de découvrir ce “genre d’environnement” [cette fois-ci il s’agit du système d’exploitation Tails] ? ». Une juge assesseure n’a pas hésité à utiliser le champ lexical des armes quand elle a essayé de comprendre pourquoi un tel « arsenal complet de divers outils » a été utilisé, laissant présumer une « volonté de discrétion » de la part des prévenu·es. De l’autre coté de la barre, les inculpé·es ont répondu d’une façon simple et cohérente qui peut se résumer ainsi : « c’est ma vie privée, c’est mon droit, c’est important, il est banal d’utiliser ces outils, en particulier dans le monde militant dont on sait qu’il est de plus en plus exposé à la surveillance d’État ».

La question du refus de donner ses clés de déchiffrement a elle aussi été abordée. En l’occurrence, plusieurs prévenu·es ont refusé lors de leur arrestation de fournir aux agents de la DGSI chargés de l’enquête les codes de déverrouillage d’ordinateur, de téléphone ou encore de disque dur saisis en perquisition. En France, un tel refus peut constituer une infraction sur la base d’une disposition interprétée largement et très contestée. Face à l’incompréhension des juges — pourquoi s’exposer aussi frontalement à des poursuites pénales ? — les prévenu·es ne leur ont pas fourni les aveux attendus. Au contraire, les personnes interrogées ont amené la discussion plus loin, sur leurs libertés et droits fondamentaux, levant le voile sur la violente réalité des procédures antiterroristes. « Dans un moment de vulnérabilité telle que celui de la garde à vue, après avoir donné mon ADN, je voulais m’attacher à ce qu’il me restait d’intimité, je voulais la conserver » explique Camille, une prévenue présentée comme l’experte numérique par le procureur. Loïc, un autre inculpé renchérit : « Je savais que la DGSI allait réussir à déchiffrer mon matériel informatique et voir que je ne suis pas dangereux, c’était ma manière de montrer mon refus car ma liberté et mon intimité sont plus précieuses ».

Enfin, dans le but d’éclairer les juges sur le fonctionnement des outils mis en cause dans le dossier et la réalité de leurs usages, un membre de La Quadrature du Net, également développeur de l’application Silence, est venu témoigner au procès. Qu’il s’agisse du chiffrement, de Signal, Tor, Tails ou du système d’exploitation /e/OS, son témoignage est revenu sur la banalité des technologies derrière ces applications et leur usage généralisé et nécessaire dans la société numérisée contemporaine, loin des fantasmes de clandestinité de la DGSI et du parquet. Les magistrates ne lui ont pourtant posé que peu de questions. Le parquet, lui, s’est uniquement ému que des éléments du dossier, pourtant non couverts par le secret de l’instruction, aient pu être portés à la connaissance du témoin. Un mauvais numéro de théâtre qui laissait surtout deviner une volonté de le décrédibiliser lui ainsi que le contenu de son témoignage.

De façon générale, la place des pratiques numériques a été faible relativement à l’ampleur et la durée du procès, et bien en deça de celle qui lui était accordée dans le réquisitoire ou l’ordonnance de renvoi du juge d’Instruction. Quelle interprétation tirer à la fois du manque d’intérêt des juges et de la faible quantité de temps consacrée à ce sujet ? Difficile d’avoir des certitudes. On pourrait y voir, d’un coté, une prise de conscience des magistrates et du parquet de l’absurdité qu’il y a à reprocher l’utilisation d’outils légaux et légitimes. Rappelons que plus de 130 universitaires, journalistes, militant·es, acteur·rices du monde associatif et de l’écosystème numérique ont signé une tribune dans le journal Le Monde pour dénoncer cette instrumentalisation et défendre le droit au chiffrement. Mais d’un autre coté, cette désinvolture pourrait être le signe d’un manque de considération pour ces questions, notamment quant à l’importance du droit à la vie privée. Cela ne serait pas étonnant, dans une procédure qui se fonde sur une utilisation intensive de techniques de renseignement et sur une surveillance disproportionnée de sept personnes dont la vie a été broyée par la machine judiciaire.

La lecture du jugement est prévue pour le 22 décembre. Que le tribunal retienne le recours à des technologies protectrices de la vie privée dans la motivation de sa décision ou qu’il laisse cet enjeu de côté, le récit fictif de la police à ce sujet risque d’avoir des conséquences à long terme. Le précédent d’une inculpation anti-terroriste reposant essentiellement sur ce point existe désormais et il est difficile de croire qu’à l’heure où le chiffrement fait l’objet de nombreuses attaques, en France et en Europe, la police ne réutilisera pas cette logique de criminalisation pour justifier une surveillance toujours plus accrue de la population et des groupes militants.

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1 Pour rattraper l’ensemble du contenu du procès, plusieurs médias ont fait un compte-rendu régulier des audiences, notamment le blog des comités de soutiens, Le Monde, Mediapart, lundimatin, L’Obs ou encore Libération.
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