Depuis fin 2023, le collectif marseillais Le Nuage Ă©tait sous nos pieds enquĂȘte, analyse et lutte contre les impacts sociaux, Ă©cologiques et politiques des infrastructures du numĂ©rique Ă Marseille, en particulier des cĂąbles sous-marins et des data centers. Ce collectif est composĂ© dâhabitant·es de Marseille, affilié·es Ă au moins trois entitĂ©s : le collectif des Gammares, collectif marseillais dâĂ©ducation populaire sur les enjeux de lâeau, Technopolice Marseille, qui analyse et lutte contre les technologies de surveillance policiĂšre et La Quadrature du Net, association de dĂ©fense des libertĂ©s fondamentales dans lâenvironnement numĂ©rique. Dans cet article, nous restituons une partie de lâenquĂȘte menĂ©e par le collectif sur les infrastructures numĂ©riques Ă Marseille, leur impact socio-environnemental et le monde dĂ©lĂ©tĂšre quâelles reprĂ©sentent, enquĂȘte que nous Ă©largissons au delĂ du territoire marseillais, inspiré·es notamment par les Ă©changes lors du festival « Le nuage Ă©tait sous nos pieds » qui a eu lieu les 8, 9 et 10 novembre dernier Ă Marseille.
Arrivent Ă Marseille aujourdâhui environ seize cĂąbles sous-marins intercontinentaux qui atterrissent, transitent et relient lâEurope et la MĂ©diterranĂ©e Ă lâAsie, au Moyen Orient, Ă lâAfrique, aux Ătats-Unis. Ce sont ces cĂąbles intercontinentaux qui permettent Ă lâinformation numĂ©rique de circuler, en particulier sur le rĂ©seau Internet, et aux services numĂ©riques dĂ©ployĂ©s dans ce quâon appelle « le cloud », dâapparaĂźtre sur nos Ă©crans : mails, rĂ©seaux sociaux, vidĂ©os et films en streaming. Au point de croisement de ces « autoroutes de lâinformation » : les data centers. Ces mĂ©ga-ordinateurs bĂ©tonnĂ©s en surchauffe renferment des milliers de serveurs qui rendent possible le technocapitalisme et ses donnĂ©es numĂ©riques invisibles : la collecte massive de donnĂ©es personnelles, servant Ă lâanalyse de nos comportements constamment traquĂ©s et traitĂ©s Ă des fins marketing, la publicitĂ© numĂ©rique qui pollue nos cerveaux, la vidĂ©o-surveillance policiĂšre et plus largement la gouvernance et la surveillance algorithmiques dopĂ©es Ă lâintelligence artificielle qui discriminent et sapent nos libertĂ©s fondamentales. DerriĂšre ces infrastructures, ce sont Ă©galement lâaccaparement des terres et des ressources en eau, mais aussi la pollution de lâair, la bĂ©tonisation de nos villes rĂ©chauffĂ©es, et les rĂ©alitĂ©s tachĂ©es du sang de lâextractivisme numĂ©rique colonial que les puces des serveurs qui peuplent ces data centers renferment. Et ce sont encore une fois des industries peu scrupuleuses qui, aidĂ©es par des politiques honteuses, sâaccaparent nos territoires et nos vies.
Data centers et cĂąbles sous-marins transcontinentaux
Carte des cĂąbles sous-marins transcontinentaux arrivant aujourdâhui Ă Marseille. Source : Telegeography, Submarine Cable Map.
La prĂ©sence de ces 16 cĂąbles sous-marins intercontinentaux attire Ă Marseille les gestionnaires de data centers, ces entrepĂŽts gĂ©ants oĂč sâempilent des serveurs par milliers, appartenant en grande majoritĂ© Ă Google, Amazon, Microsoft, Meta, Netflix, Disney+, Capgemini, ThalĂšs, etc. Des serveurs qui stockent et font transiter des donnĂ©es, des serveurs qui rendent possibles les services numĂ©riques et les Ă©changes de donnĂ©es dĂ©crits plus haut. Depuis une dizaine dâannĂ©es, et de façon accĂ©lĂ©rĂ©e depuis 2020, une douzaine de data centers ont Ă©tĂ© construits un peu partout dans Marseille intra muros, et plusieurs nouveaux sont en chantier ou annoncĂ©s dans la ville et aux alentours. On y trouve ainsi cinq data centers de Digital Realty, un gĂ©ant amĂ©ricain dâinvestissement immobilier cotĂ© en bourse, spĂ©cialisĂ© en gestion de data centers dits neutres ou de colocation. Cette entreprise construit, amĂ©nage et gĂšre le fonctionnement du bĂątiment, et loue ensuite les emplacements de serveurs Ă dâautres sociĂ©tĂ©s, telles Microsoft, Amazon, Google, Netflix ou dâautres. Ces data centers de colocation sont bien implantĂ©s en France, mais dans dâautres pays et territoires, Amazon, Microsoft, Google et autres gĂ©ants du numĂ©rique construisent leurs propres bĂątiments de data centers et toute lâinfrastructure nĂ©cessaire Ă leur fonctionnement : postes Ă©lectriques de transformation du courant, rĂ©seaux fibrĂ©s terrestres, cĂąbles sous-marins transcontinentaux, etc.
Ă Marseille, le gĂ©ant Digital Realty, un des trois leaders mondiaux de data centers de colocation, possĂšde quatre data centers MRS1, MRS2, MRS3, MRS4 et est en train dâen construire un cinquiĂšme, MRS5, tous sauf MRS1 situĂ©s dans lâenceinte du Grand Port Maritime de Marseille (GPMM). Les autres data centers marseillais sont souvent situĂ©s dans le nord de la ville. Dans le quartier de Saint-Henri notamment, oĂč un data center de colocation de Free Pro est actuellement en cours dâagrandissement pour doubler de taille, se partageant lâespace avec un data center de Telehouse. Dans le quartier de Saint-AndrĂ©, un projet de data center surdimensionnĂ© de Segro viens dâĂȘtre annoncĂ©. Tandis quâĂ la Belle-de-Mai un data center de Phocea DC est en construction. Il y a mĂȘme un projet de data center flottant dans le Grand Port, par lâentreprise Nautilus ! Hors des limites municipales, Ă Bouc-Bel-Air, Digital Realty a Ă©galement un projet de construction dâun sixiĂšme data center, bien plus grand que les prĂ©cĂ©dents, baptisĂ© MRS6.
Vue sur les data centers MRS2, MRS3 et MRS4 de Digital Realty dans le Grand Port Maritime de Marseille, depuis le cap Janet, quartier de la Calade. Photo prise pendant la balade du festival Le nuage Ă©tait sous nos pieds, 9 novembre 2024.
Marseille nâest pas la seule ville concernĂ©e. La France, avec ses plus de 300 data centers, se situe aujourdâhui au 6Ăšme rang mondial des pays en accueillant le plus, aprĂšs les Ătats-Unis, lâAllemagne, le Royaume-Uni, la Chine et le Canada. En Ăle-de-France, premier territoire dâimplantation française avec 95 data centers, juste devant Lyon (18), puis Marseille (12), Digital Realty y possĂšde 2 hubs dâun total de 17 data centers (et plusieurs autres en construction), concentrĂ©s pour la plupart en Seine-Saint-Denis. Equinix, autre gĂ©ant du top 3 mondial des data centers de colocation en possĂšde 10, tandis que Data4, Scaleway ou Free Pro, OVH, Telehouse, Verizon, Zayo et autres acteurs se partagent les 72 restants.
Carte des data centers en Ăle-de-France rĂ©pertoriĂ©s sur OpenStreetMap, utilisant la requĂȘte Overpass https://overpass-turbo.eu/s/1Ulj.
Les seize cĂąbles sous-marins intercontinentaux qui arrivent aujourdâhui Ă Marseille sont rĂ©pertoriĂ©s par Telegeography, une entitĂ© qui maintient Submarine Cable Map, une des cartes mondiales de rĂ©fĂ©rence de ce type de cĂąbles. Ils sont construits et dĂ©ployĂ©s au sein de consortiums internationaux regroupant plusieurs entreprises et multinationales du numĂ©rique. On y retrouve en premier lieu les gĂ©ants du numĂ©rique â Google, Facebook/Meta, Microsoft et Amazon â qui sont dĂ©sormais les premiers financeurs et les acteurs principaux des projets de dĂ©ploiement de ces cĂąbles sous-marins intercontinentaux. On y retrouve Ă©galement des entreprises de tĂ©lĂ©communications telle que Orange, mais aussi des opĂ©rateurs internationaux, qui seront souvent en charge de lâatterrissement des cĂąbles sur les plages, ainsi que des stations ou centres dâatterrissement de ces cĂąbles, permettant la transition entre les infrastructures sous-marines et le rĂ©seau cĂąblĂ© terrestre. On y retrouve Ă©galement des entreprises qui fabriquent et dĂ©ploient ces cĂąbles en mer, comme Alcatel Submarine Networks qui vient dâĂȘtre rachetĂ© par lâĂtat français, et qui est un des trois leaders mondiaux dans ce domaine avec TE SubCom (Suisse) et NEC Corporation (Japon).
Carte des cĂąbles sous-marins transcontinentaux depuis Marseille. Source : Telegeography Submarine Cable Map 2024.
Mainmise des géants du numérique
Ces cĂąbles sous-marins et leurs centres dâatterrissements sont aujourdâhui des infrastructures stratĂ©giques, avec des enjeux gĂ©opolitiques mondiaux importants, mais oĂč la domination des gĂ©ants numĂ©riques est, lĂ aussi, en passe de devenir la norme. Ainsi Ă Marseille, la plupart des nouveaux cĂąbles sous-marins construits ou en cours de construction ces derniĂšres annĂ©es ont pour principal acteur Facebook (2Africa), Google (Blue), et Microsoft (SeaMeWe-6). Parmi les opĂ©rateurs tĂ©lĂ©coms et fournisseurs dâaccĂšs Ă Internet du monde entier que la prĂ©sence de cĂąbles sous-marins intercontinentaux attire Ă©galement Ă Marseille, on retrouve la multinationale française Orange, qui possĂšde dans la ville au moins un data center pour ses propres besoins et plusieurs centres dâatterrissements de cĂąbles sous-marins. On retrouve aussi Verizon, opĂ©rateur amĂ©ricain de tĂ©lĂ©communications avec un data center couplĂ© Ă un centre dâatterrissement de cĂąbles sous-marins, Omantel, la compagnie nationale de tĂ©lĂ©communications dâOman qui en possĂšde Ă©galement un â pour ne citer que les opĂ©rateurs identifiĂ©s par le travail dâenquĂȘte et de cartographie des infrastructures numĂ©riques Ă Marseille rĂ©alisĂ© par le collectif Le Nuage Ă©tait sous nos pieds. Vous pouvez retrouver ce travail de cartographie menĂ© sur le terrain, sur la carte libre et collaborative OpenStreetMap, et de façon condensĂ©e sur cette carte Ă©laborĂ©e lors de cette enquĂȘte.
Carte des infrastructures numériques à Marseille. Travail de cartographie basé sur OpenStreetMap et des observations de terrain mené par le collectif Le nuage était sous nos pieds.
On retrouve Ă©galement Ă Marseille la prĂ©sence de plusieurs Internet Exchange Points (IXP), ou points dâĂ©change dâInternet, des infrastructures physiques oĂč opĂ©rateurs tĂ©lĂ©com, fournisseurs dâaccĂšs Ă internet (FAI) mais aussi entreprises offrant leurs services numĂ©riques, se branchent et sâĂ©changent du trafic sans coĂ»ts Ă travers des accords mutuels. Ainsi, comme lâexplique StĂ©phane Bortzmeyer dans Lâinterconnexion pour les nuls, un client de Sfr qui envoie un mail via sa connexion gĂ©rĂ©e par son opĂ©rateur, donc via des infrastructures terrestres de Sfr, peut interagir avec dâautres clients que ceux de Sfr et mĂȘme accĂ©der Ă tout internet. Cette interconnexion, qui se fait essentiellement au sein des IXP, sâappelle aussi le « peering », et constitue, selon lâArcep (AutoritĂ© de rĂ©gulation des communications Ă©lectroniques, des postes et de la distribution de la presse en France), « une relation technico-Ă©conomique au fondement de lâInternet ». Lâavantage des IXP rĂ©side dans le fait que ce sont des infrastructures souvent gĂ©rĂ©es de façon non commerciale et neutre, souvent par des structures associatives (comme FranceIX en France parmi dâautres) et qui permettent ainsi lâinterconnexion des rĂ©seaux sans surcoĂ»ts, en optimisant les coĂ»ts dâĂ©change, mais aussi la latence et la bande passante. Ces IXP sont trĂšs souvent localisĂ©s physiquement dans les data centers.
Il y a au moins 6 points de prĂ©sence IXP aujourdâhui Ă Marseille comme on peut le voir sur cette base de donnĂ©es europĂ©enne accessible librement. Les IXP marseillais semblent tous localisĂ©s dans les data centers de Digital Realty, et on peut voir pour chacun dâeux (onglet Points of Presence) la liste des acteurs numĂ©riques qui y sont branchĂ©s : TikTok, Google Cloud, Amazon Web Services, Disney+, Netflix, Zoom, la liste des gĂ©ants habituels est longue. La proximitĂ© de ces IXP avec les cĂąbles sous-marins transcontinentaux Ă Marseille permet une latence et une bande passante optimales, tandis que leur prĂ©sence au sein mĂȘme des data centers, au plus prĂšs des services numĂ©riques qui y exploitent lâespace, est Ă©galement un argument commercial supplĂ©mentaire pour ces derniers. Au niveau national, Paris, avec sa douzaine dâIXP, est avec Marseille le territoire oĂč se trouvent la plupart des IXP, devant Lyon et dâautres grandes mĂ©tropoles. On trouve les emplacements et les spĂ©cificitĂ©s des IXP dans le monde sur une carte maintenue par Telegeography.
Photo dâune chambre dâatterrissement du cĂąble sous-marin intercontinental AAE-1 Ă la plage de la Vieille Chapelle Ă Marseille, gĂ©rĂ©e par Omantel et Sipartech.
Lâensemble des cĂąbles sous-marins intercontinentaux, les points dâĂ©changes Internet et les data centers hĂ©bergeant les nombreux services numĂ©riques des entreprises dominantes mondiales du secteur font de Marseille le deuxiĂšme hub numĂ©rique français aprĂšs Paris, et le 7Ăšme au rang mondial, en passe dit-on de devenir le 5Ăšme.
Data centers : une implantation territoriale opportuniste et des politiques dâĂtat accueillantes
Vue sur le Grand Port Maritime de Marseille, avec le toit du data center MRS3 au fond. Source : photo prise pendant la balade du festival Le Nuage Ă©tait sous nos pied, le 9 novembre 2024.
Partout dans le monde, lâimplantation des data centers se fait de façon opportuniste, tirant avantage des spĂ©cificitĂ©s de chaque territoire. Ainsi, Ă Marseille câest la prĂ©sence des cĂąbles sous-marins de liaison Internet transcontinentales, ainsi que celle des grands acteurs des tĂ©lĂ©coms et des points dâĂ©change Internet. Mais câest Ă©galement une opportunitĂ© fonciĂšre peu chĂšre au sein du territoire du Grand Port Maritime de Marseille (GPMM), cet Ă©tablissement public placĂ© directement sous la tutelle de lâĂtat, ayant des missions de service public administratif et de service public Ă caractĂšre industriel et commercial. En rĂ©alitĂ© le GPMM est gĂ©rĂ© comme une entreprise, et ses dirigeants nommĂ©s directement par lâĂtat, trouvent dans ces projets dâentrepĂŽts de donnĂ©es numĂ©riques une opportunitĂ© de mutation lucrative pour son patrimoine immobilier, autrefois occupĂ© par des activitĂ©s portuaires en dĂ©clin. Comme aime Ă le souligner Christophe Castaner, prĂ©sident du conseil de surveillance du GPMM, le « French smartport de Marseille-Fos [âŠ] ouvre la voie au concept de hub maritime des donnĂ©es », et est un port entrepreneur qui « craint avant tout sa dĂ©sindustrialisation ».
En Ăle-de-France, lâimplantation des data center se fait essentiellement dans le dĂ©partement de Seine-Saint Denis, en particulier Ă La Courneuve, Aubervilliers et Saint-Denis, membres de lâĂ©tablissement public territorial de Plaine Commune, en charge de leur amĂ©nagement et dĂ©veloppement Ă©conomique, social et culturel. Autrefois territoire agricole alimentant les Halles de Paris, ces zones sont devenues progressivement industrielles dans les annĂ©es 60 â 70, se dĂ©sindustrialisant brutalement Ă partir des annĂ©es 90. Les anciennes friches industrielles, Ă bas prix malgrĂ© leur proximitĂ© immĂ©diate avec Paris, deviennent alors une opportunitĂ© fonciĂšre peu chĂšre pour de nouvelles industries telle les data centers et les opĂ©rateurs tĂ©lĂ©coms qui sây installent en masse depuis les annĂ©es 2010. On retrouve donc lĂ encore des dynamiques fonciĂšres et Ă©conomiques, poussĂ©es par des politiques dâĂtat, similaires Ă celles de Marseille.
Mais de façon gĂ©nĂ©rale, comme aime le dire lâassociation France Datacenters, la plus grande association de lobbying en la matiĂšre, la France est « la destination idĂ©ale », une vĂ©ritable « data centers nation ». En effet, dĂ©taille lâassociation dans cette vidĂ©o promotionnelle, la France possĂšde des secteurs Ă©conomiques solides et diversifiĂ©s, tels ceux du numĂ©rique et des tĂ©lĂ©communications, de la finance, de lâautomobile ou de lâaĂ©ronautique, secteurs moteurs des data centers. Le gouvernement français a, poursuit-elle, lancĂ© de nombreuses initiatives et des financements dĂ©diĂ©s Ă la numĂ©risation des industries (10 milliards dĂ©diĂ©s au secteur numĂ©rique au cours des derniĂšres annĂ©es), permettant au secteur des data centers une croissance multipliĂ©e par deux entre 2016 et 2021, avec un milliard dâeuros dâinvestissement annuel. Mais aussi et surtout, un foncier peu cher et facilement accessible, une Ă©nergie Ă©lectrique Ă bas coĂ»t (la deuxiĂšme la moins chĂšre en Europe, avec une moyenne de 84 euros le mĂ©gawattheure en 2020) et Ă faibles Ă©missions carbone (car majoritairement nuclĂ©aire). Lâinfrastructure rĂ©seau de la France, avec son rĂ©seau fibrĂ©, sa 5G et ses cĂąbles intercontinentaux, est Ă©galement prĂ©sentĂ©e comme un atout majeur Ă bas coĂ»t dâaccĂšs. Lâinfrastructure Ă©lectrique française est prĂ©sentĂ©e comme trĂšs dĂ©veloppĂ©e et solide, ayant un coĂ»t de maintenance infrastructurelle gratuit pour les data centers, car maintenue par les entreprises publiques RTE et Enedis, qui ont promis un investissement de plus de 100 milliards dâeuros dâici 2035 sur cette infrastructure. Cette vidĂ©o souligne de plus que les industries disposent en France de nombreux avantages fiscaux, et mĂȘme de financements rĂ©gionaux pour leur implantation.
Photo du bĂątiment du siĂšge social de Free Pro Ă Marseille dans le quartier nouvellement construit, dit de Smartseille. Photo prise pendant la balade du festival Le nuage Ă©tait sous nos pieds le 9 novembre 2024.
Le lobby des data centers de France peut en effet compter sur des politiques favorables. En 2018, lâAssemblĂ©e nationale a votĂ©, sur proposition du dĂ©putĂ© Bothorel, une aide fiscale pour les data centers, consistant Ă appliquer un tarif rĂ©duit Ă la taxe intĂ©rieure de consommation finale dâĂ©lectricitĂ© (TICFE), dâordinaire de 22,5 euros par mĂ©gawattheure (MWh), qui sera alors divisĂ©e par 2 pour les data centers, soit 12 euros par mĂ©gawattheure, au-delĂ du premier GWh consommĂ©. En 2019, lâancien ministre de lâĂ©conomie Bruno Le Maire, lors de lâinauguration Ă Pantin dâun data center dâEquinix hĂ©bergeant, parmi des gĂ©ants amĂ©ricains, Docaposte (groupe La Poste) et les serveurs de la SNCF, dĂ©clarait :
Notre ambition câest que la France soit la premiĂšre terre dâaccueil de data centers en Europe. [âŠ] Lâinstallation sur le territoire national de data centers est une nĂ©cessitĂ© pour accĂ©lĂ©rer lâaccĂšs des entreprises aux outils de la transformation numĂ©rique et un enjeu de souverainetĂ© pour maintenir sur le territoire national les donnĂ©es sensibles des entreprises.
Deux ans plus tard, en 2021, le ministre, accompagnĂ© de CĂ©dric O, alors secrĂ©taire dâĂtat chargĂ© du numĂ©rique, lançait, dans le cadre du Plan « France Relance », la stratĂ©gie nationale dâaccĂ©lĂ©ration pour le Cloud :
DotĂ© de 1,8 milliard dâeuros, dont 667 millions dâeuros de financement public, 680 millions dâeuros de cofinancements privĂ©s et 444 millions dâeuros de financements europĂ©ens, [âŠ] vise Ă renforcer le soutien Ă lâoffre de la filiĂšre industrielle de cloud française et mise sur lâinnovation et les atouts de lâĂ©cosystĂšme français du Cloud, [âŠ] accĂ©lĂ©rant le [en gras dans le texte] passage Ă lâĂ©chelle des acteurs français sur les technologies critiques trĂšs demandĂ©es, telles le big data ou le travail collaboratif [âŠ]
Ce plan a surtout servi les GAFAM et leur implantation plus profonde dans nos territoires. Ainsi, peu aprĂšs, les français OVH et Dassault Systems concluent un partenariat avec les clouds de Google et Microsoft, que le gouvernement approuve sous couvert de leur localisation dans des data centers en France, pour accueillir des donnĂ©es sensibles. Câest ce qui permettra au Health Data Hub, ce projet de privatisation des donnĂ©es de santĂ© des français, que nous dĂ©noncions en 2021, de continuer Ă ĂȘtre hĂ©bergĂ© par Microsoft en France jusquâau moins en 2025, malgrĂ© de nombreuses contestations de la sociĂ©tĂ© civile et dâassociations. Orange, quant Ă lui, a conclu dĂšs 2020 un accord avec le cloud AWS dâAmazon pour « accĂ©lĂ©rer la transformation numĂ©rique des entreprises vers le cloud AWS ». Google, suite Ă lâannonce du plan stratĂ©gique cloud en 2021, dĂ©clare alors commencer son plan dâimplantation en France, qui est dĂ©sormais terminĂ© avec succĂšs. Plus rĂ©cemment, sur le site de lâĂlysĂ©e, on peut lire lâannonce du dernier plan dâinvestissement de Microsoft (4 milliards dâeuros en France) pour Ă©tendre son infrastructure cloud dĂ©diĂ©e Ă lâIA, « le plus important Ă ce jour dans le pays, pour soutenir la croissance française dans la nouvelle Ă©conomie de lâintelligence artificielle » saluĂ© par Emmanuel Macron qui sâest dĂ©placĂ© pour lâoccasion jusquâau siĂšge français de lâentreprise. On peut y lire :
Microsoft a ainsi dĂ©voilĂ© lâextension de son infrastructure cloud et IA en France avec lâexpansion de ses sites Ă Paris et Marseille qui doteront le pays dâune capacitĂ© allant jusquâĂ 25 000 GPU de derniĂšre gĂ©nĂ©ration dâici fin 2025, et lâouverture de nouveaux sites pour hĂ©berger des centres de donnĂ©es de nouvelle gĂ©nĂ©ration dans les agglomĂ©rations de Mulhouse et de Dunkerque.
Ă Mulhouse, le data center dĂ©diĂ© IA de Microsoft a dĂ©jĂ commencĂ© Ă ĂȘtre construit Ă Petit-Landau, village de 800 habitants, qui possĂšde ironiquement, la distinction de Commune Nature, pour ses « actions orientĂ©es vers la prĂ©servation de la biodiversitĂ© et lâamĂ©lioration de la qualitĂ© des eaux du bassin Rhin-Meuse ».
Les data centers : ces mega-ordinateurs bétonnés en surchauffe aux multiples dangers environnementaux
Vue sur le data center MRS4 de Digital Realty dans le Grand Port Maritime de Marseille. Photo prise pendant la balade lors du festival Le Nuage Ă©tait sous nos pieds, le 9 novembre 2024.
Un data center, infrastructure pilier de ce quâon a appelĂ© le « cloud », nâa rien de nuageux, de lĂ©ger ou de vaporeux. Au contraire, ces grands entrepĂŽts sont des bĂątiments bĂ©tonnĂ©s de plusieurs Ă©tages, aux planchers et parois fortifiĂ©s, lourds et massifs, pour pouvoir supporter sans risques dâeffondrement le poids consĂ©quent des milliers de serveurs quâils abritent. Ces serveurs, qui tournent en permanence, utilisent de grandes quantitĂ©s dâĂ©lectricitĂ©. Ils sont dotĂ©s chacun de nombreuses puces et composants Ă©lectroniques tels des processeurs et cartes graphiques, qui gĂ©nĂšrent de la chaleur en quantitĂ©. Ces serveurs ont besoin, pour garder un fonctionnement optimal et Ă©viter les pannes, de bĂ©nĂ©ficier dâune tempĂ©rature dâair ambiant ne dĂ©passant pas les 28 degrĂ©s Celsius. Bien souvent, par prĂ©caution, les data centers ne souhaitent pas dĂ©passer les 23 â 25 degrĂ©s. Câest pourquoi ils sont toujours Ă©quipĂ©s de systĂšmes de climatisation et de refroidissement de la tempĂ©rature ambiante. Il sâagit de systĂšmes classiques basĂ©s sur lâair climatisĂ© par fluides frigorigĂšnes, ou de circuits de refroidissement utilisant la fraĂźcheur de lâeau. Parfois les deux types de systĂšmes, par air conditionnĂ© et eau, cohabitent dans un data center.
Les data centers consomment de grandes quantitĂ©s dâĂ©lectricitĂ© et dâeau. Pour satisfaire ces besoins, ils sont raccordĂ©s en France au rĂ©seau dâĂ©lectricitĂ© national, et bien souvent aux circuit dâeaux potable de la ville ou des territoires sur lesquels ils se trouvent. Câest le cas par exemple de PAR08, le data center de Digital Realty Ă la Courneuve, dont le directeur France Fabrice Coquio, surfant lui aussi sur la vague du marketing olympique, aime dire quâil a Ă©tĂ© trĂšs important Ă lâoccasion des Jeux Olympiques de Paris 2024. Construit au sein dâun complexe de quatre data centers surnommĂ© le « vaisseau spatial », avec une surface totale de 40 000 mÂČ de salles machines (correspondant Ă 7 terrains de football) et 120 Megawatt de puissance Ă©lectrique, ce data center est aujourdâhui le plus grand de France. Dans ce rapport de la Direction rĂ©gionale de lâenvironnement, de lâamĂ©nagement et du logement (DREAL) Provence-Alpes-CĂŽte dâAzur, PAR08 est pointĂ© du doigt pour son utilisation annuelle massive de 248 091 m3 dâeau, provenant directement du circuit dâeau potable de la ville de Saint-Denis, dans une zone sujette aux sĂ©cheresse rĂ©pĂ©tĂ©es depuis 2003, comme le pointait cette Ă©tude de lâOCDE (Organisation de coopĂ©ration et de dĂ©veloppement Ă©conomiques) en 2023 sur « la gestion du risque de rarĂ©faction de la ressource en eau liĂ©e au changement climatique dans lâaire urbaine fonctionnelle de Paris ». Cette eau est utilisĂ©e par le data center pour son systĂšme de refroidissement adiabatique, mais aussi pour la vaporisation des espaces qui doivent garder une hygromĂ©trie optimale. Outre le besoin excessif en eau, le rapport pointe le manque de plan dâamĂ©nagement de lâusage de lâeau en cas de crises de sĂ©cheresse, obligatoire dans de telles circonstances. Mais la prioritĂ© est encore une fois ici politique et Ă©conomique, et non pas environnementale, ce data center ayant profitĂ© du contexte liĂ© aux JOP 2024.
IntĂ©rieur dâun data center de Microsoft Bing. Robert Scoble, Half Moon Bay, USA, CC BY 2.0 https://creativecommons.org/licenses/by/2.0, via Wikimedia Commons.
Ces systĂšmes de refroidissement Ă eau sont dĂ©sormais privilĂ©giĂ©s par les constructeurs de data centers dans le monde entier. Dâabord parce que les systĂšmes de refroidissement purement Ă©lectriques, comme ceux qui opĂšrent par fluides frigorigĂšnes, sont trĂšs Ă©nergivores et ont donc un coĂ»t Ă©conomique important. Ensuite, parce que lâeau nâest pas une ressource qui rentre dans le calcul des impacts usuels des data centers sur lâenvironnement, celui-ci Ă©tant en gĂ©nĂ©ral basĂ© sur la consommation dâĂ©lectricitĂ© et le Power Usage Effectiveness (PUE), ou indicateur dâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique.
Parfois, ces systĂšmes de refroidissement, quand ils ne sont pas reliĂ©s au rĂ©seau dâeau potable du territoire les accueillant, captent directement lâeau potable de nappes phrĂ©atiques, de fleuves ou de lacs Ă proximitĂ©. Câest le cas par exemple du data center de Facebook situĂ© sur la ville espagnole de Talaveira de la Reina, dans la rĂ©gion de Castilla-La Mancha en Espagne, que le collectif Tu Nube Seca Mi Rio (« Ton nuage assĂšche ma riviĂšre ») dĂ©nonce, entre autre pour son utilisation de plus de 200 millions de litres dâeau par an, Ă©quivalent Ă la consommation de 4 181 habitantâ
es de la rĂ©gion. Il sâagĂźt ici dâun data center dit « hyperscaler », aux grandes dimensions et capacitĂ©s de stockage et de traitement des donnĂ©es, sans quâil y ait un consensus sur la dĂ©finition. Dâune puissance de 248 Megawatt, Ă©tendu sur plus de 300 000 m2 de terrain, ce data center gĂ©ant bĂ©nĂ©ficie dâun soutien politique national et local. Bien que la zone de son implantation connaisse un fort stress hydrique permanent depuis des dĂ©cennies, dâabord de par sa situation gĂ©ographique et son climat quasi dĂ©sertique, et dĂ©sormais par la crise environnementale qui lâaggrave, le coĂ»t du litre dâeau y est faible. Ici encore, lâimplantation des data centers sur le territoire est rĂ©gie par des impĂ©ratifs avant tout Ă©conomiques, et non par des critĂšres sociaux ou environnementaux, car comme le dĂ©plore Aurora Gomez du collectif « Ces entreprises extĂ©rieures sâimposent et accaparent les ressources. Câest du technocolonialisme ! [âŠ] Les autoritĂ©s restent sourdes Ă nos alertes et font semblant de ne pas nous voir. ».
Image tirĂ©e du site internet de lâassociation espagnole qui se bĂąt contre lâinstallation des data centers en Espagne, Tu Nube Seca Mi Rio : tunubesecamirio.com.
Pour assurer une Ă©lectrification continue des serveurs, les data centers disposent dâune triple alimentation en Ă©nergie. En plus dâĂȘtre raccordĂ©s au rĂ©seau Ă©lectrique, ils disposent Ă©galement de groupes Ă©lectrogĂšnes et de leurs cuves de fioul prĂȘts Ă prendre la relĂšve en cas de coupure dâĂ©lectricitĂ©, et de batteries et accumulateurs dâĂ©nergie censĂ©s assurer les quelques secondes de passage entre rĂ©seau Ă©lectrique et groupes Ă©lectrogĂšnes. Lâensemble de ces dispositifs (serveurs, refroidissement, cuves de fioul, batteries) est potentiellement dangereux pour lâenvironnement et les riverain·es : fluides frigorigĂšnes qui sont susceptibles de polluer lâair en cas de fuites, mais aussi nuisances sonores, que ce soit Ă lâintĂ©rieur du bĂątiment, du fait des milliers de serveurs qui tournent en permanence avec chacun plusieurs ventilateurs, mais aussi du bruit extĂ©rieur et des vibrations causĂ©es respectivement par les systĂšmes rĂ©frigĂ©rants placĂ©s sur les toits ou par les sous-stations de transformations Ă©lectriques et les systĂšmes de gĂ©nĂ©rateurs au fioul qui sont testĂ©s plusieurs heures par mois. Ces nuisances sonores sont rĂ©glementĂ©es en France, et les data centers classĂ©s ICPE sont toujours concernĂ©s et font lâobjet dâobligations et de contrĂŽles en la matiĂšre, et ont par le passĂ© fait lâobjet de plaintes de riverains.
Une autre source de nuisances environnementales sont les cuves de fioul et les locaux Ă batteries lithium qui constituent des risques de pollution des nappes phrĂ©atiques pour le premier, et des risques dâincendies dans les deux cas. En particulier, les feux de ces batteries au lithium ne sont pas des feux ordinaires : ils sont bien plus difficiles Ă Ă©teindre et ont une durĂ©e bien plus longue, comme lâexplique cet article de Reporterre qui relate lâeffort dĂ©multipliĂ© des pompiers pour Ă©teindre ce type de feu, ou comme lâillustre lâincendie rĂ©cent dâun data center de Digital Realty Ă Singapour, lequel rappelle Ă©galement lâincendie de deux data centers dâOVH Ă Strasbourg en 2021.
Câest en raison de tous ces risques que les data centers sont le plus souvent qualifiĂ©s dâ« Installation classĂ©e pour la protection de lâenvironnement » (ICPE). DâaprĂšs le site du ministĂšre de la Transition Ă©cologique, de lâĂnergie, du Climat et de la PrĂ©vention des risques, ce label ICPE recense les Ă©tablissements « susceptibles de crĂ©er des risques pour les tiers-riverains et/ou de provoquer des pollutions ou nuisances vis-Ă -vis de lâenvironnement ». Du fait de ce classement, les data centers sont rĂ©glementairement soumis Ă un certain nombre dâobligations et de contrĂŽles de la part du ministĂšre, entre autres Ă travers les services dĂ©concentrĂ©s que sont les DREAL, Direction rĂ©gionale de lâenvironnement, de lâamĂ©nagement et du logement, placĂ©es sous lâautoritĂ© du prĂ©fet de rĂ©gion et des prĂ©fets de dĂ©partements.
Data centers de Digital Realty : fuites répétées de gaz fluorés à fort potentiel de réchauffement climatique
Vue sur le data center MRS3 dans le Grand Port Maritime de Marseille. Il sâagĂźt du bĂątiment dit de la grande Martha, un ancien bunker nazi de la seconde guerre mondiale rachetĂ© par Digital Realty en 2020. Photo prise lors de la balade du festival le Nuage Ă©tait sous nos pieds le 9 novembre 2024.
De nombreuses irrĂ©gularitĂ©s ont Ă©tĂ© observĂ©es par les inspections de la DREAL de Provence-Alpes-CĂŽte dâAzur sâagissant des data centers MRS2, MRS3 et MRS4 de Digital Realty Ă Marseille. Ces Ă©lĂ©ments passĂ©s sous les radars, rĂ©vĂ©lĂ©s rĂ©cemment par le journal indĂ©pendant Marsactu, sont pourtant documentĂ©s dans les rapports dâinspections consultables sur la base de donnĂ©es GĂ©orisques.
LâirrĂ©gularitĂ© la plus prĂ©occupante concerne le data center MRS3 : depuis 2021, ce dernier fait lâobjet de fuites rĂ©pĂ©tĂ©es de gaz fluorĂ©s, ainsi rejetĂ©s dans lâatmosphĂšre. Les services de lâinspection de la DREAL ont demandĂ© Ă plusieurs reprises au gĂ©ant amĂ©ricain de prendre les mesures nĂ©cessaires pour arrĂȘter ces fuites. Faute de rĂ©action, cela a abouti en octobre 2023, trois ans aprĂšs les premiers constats de fuites, Ă une mise en demeure de la sociĂ©tĂ© Digital Realty (ex-Interxion) par un arrĂȘtĂ© prĂ©fectoral n°2023-215-MED. Voici un extrait de cette mise en demeure (consultable en intĂ©gralitĂ© ici) :
« Considérant que la société Interxion France [ancien nom de Digital Realty] est autorisée à exploiter un data center, dénommé MRS3, situé sur la commune de Marseille ;
ConsidĂ©rant que lors de la visite du site en date du 3 mars 2023, lâinspecteur de lâenvironnement a constatĂ© que les Ă©quipements ne sont pas Ă©quipĂ©s dâun dispositif de dĂ©tection de fuite fonctionnel ;
ConsidĂ©rant que ce constat constitue un manquement aux dispositions de lâarticle 5 du rĂšglement europĂ©en n°517/2014 du 16 avril 2014 relatif aux gaz Ă effet de serre fluorĂ©s ;
ConsidĂ©rant que lors de cette visite il a Ă©galement Ă©tĂ© constatĂ© que les dispositions prises par lâexploitant sont insuffisantes pour Ă©viter la survenue de fuites rĂ©currentes de gaz dans lâenvironnement depuis 2021, ce qui constitue un manquement aux dispositions de lâarticle 3.2 du RĂšglement europĂ©en n°517/2014 prĂ©citĂ© ;
ConsidĂ©rant que les installations de production du froid du site MRS3 ont dĂ» ĂȘtre rechargĂ©es, du fait de fuites, par 745 kg de fluide frigorigĂšne R134A depuis 2021, ce qui correspond en Ă©quivalent CO2 Ă une distance de prĂšs de 9 millions de kilomĂštres effectuĂ©e avec un vĂ©hicule thermique sans malus ni bonus Ă©cologique (Ă©missions de CO2 dâenviron 120g/km) ;
[âŠ]
ConsidĂ©rant de plus que, compte tenu de lâabsence de systĂšme de dĂ©tection de fuite sur lâĂ©quipement, qui rĂ©glementairement alerte lâexploitant ou une sociĂ©tĂ© assurant lâentretien lorsquâune fuite entraĂźne la perte dâau moins 10% de la charge de fluide contenu dans lâĂ©quipement, ne permettant pas Ă lâexploitant de mettre en Ćuvre les actions correctives limitant lâĂ©mission de gaz Ă effet de serre dans lâatmosphĂšre, il convient dâimposer Ă lâexploitant les mesures nĂ©cessaires pour prĂ©venir les dangers graves et imminents pour la santĂ©, la sĂ©curitĂ© publique ou lâenvironnement, conformĂ©ment Ă lâarticle L.171-8 du code de lâenvironnement ; »
Le fluide frigorigĂšne R-134A dont il est ici question, autrement nommĂ© HFC-134A, est un gaz fluorĂ© qui contribue grandement Ă lâeffet de serre, avec un Potentiel de RĂ©chauffement Global sur 100 ans (PRG100 ou GWP100 en anglais) de 1430. Ces fluides frigorigĂšnes fluorĂ©s et leurs effets sur lâenvironnement sont connus depuis les annĂ©es 1990, puisquâĂ lâĂ©poque ils ont Ă©tĂ© reconnus comme principale cause du trou et de lâamincissement de la couche dâozone. Certains types de gaz frigorigĂšnes, dont ceux responsables de ce trou, ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© interdits Ă la circulation. Dâautres, dont celui utilisĂ© ici par MSR3, font aujourdâhui lâobjet, aprĂšs les conventions de Kyoto et de Paris sur le climat, de rĂ©glementations contraignantes de lâUnion EuropĂ©enne (rĂ©gulations dites F-Gas I, II et III). Celles-ci visent Ă interdire progressivement mais entiĂšrement dâici 2030 ces gaz fluorĂ©s polluants, alors que de nouveaux types de gaz fluorĂ©s non polluants sans effet de serre sont dĂ©jĂ largement commercialisĂ©s depuis plusieurs annĂ©es.
En partant du calcul de la DREAL ci-dessus, qui fait correspondre ces fuites rĂ©pĂ©tĂ©es depuis 2021 Ă un Ă©quivalent CO2 rejetĂ© dans lâatmosphĂšre de 9 millions de km effectuĂ©s en voiture thermique, nous estimons que cela correspond Ă©galement Ă (9M * 0,120 kgCO2eq) 1 080 tonnes Ă©quivalent CO2 Ă©mises depuis 2021. Nous pourrions continuer les calculs dâĂ©quivalence et ramener cette quantitĂ© Ă lâĂ©mission par nombre dâhabitants, par nombre de piscines au par nombre de vols Paris-New-York que cela reprĂ©sente. Mais ce qui nous prĂ©occupe ici, câest le fait que ce gĂ©ant amĂ©ricain, tout en se permettant de polluer, multiplie les dĂ©clarations de greenwashing dans la presse, en bĂ©nĂ©ficiant de surcroĂźt dâun climat politico-mĂ©diatique fait de louanges et de connivences de la part des prĂ©fets, Ă©lus de la ville et dirigeants de la rĂ©gion, alors mĂȘme que les services de lâĂtat alertent sur ces pollutions. Ainsi, la prĂ©sidente de la mĂ©tropole Aix-Marseille, Martine Vassal, adressait ses voeux de nouvelle annĂ©e en janvier 2023 depuis MRS3, le data center mis en demeure peu de temps aprĂšs. Plus rĂ©cemment, lâadjoint au numĂ©rique responsable de la ville de Marseille, Christophe Hugon (Parti Pirate), accompagnĂ© de reprĂ©sentants du prĂ©fet de rĂ©gion, de la prĂ©sidente de la mĂ©tropole et du prĂ©sident de la RĂ©gion Sud, tenaient pour leur part des discours Ă©logieux Ă lâĂ©gard de Digital Realty, prenant la pose ensemble lors de lâĂ©vĂšnement presse organisĂ© par lâentreprise au palais du Pharo pour cĂ©lĂ©brer le dixiĂšme anniversaire de sa prĂ©sence sur Marseille.
Ces fuites de gaz fluorĂ© ne sont pas les seules irrĂ©gularitĂ©s constatĂ©es par les services de la DREAL au cours des diffĂ©rentes inspections portant sur les data centers de Digital Realty Ă Marseille. Le data center MRS2, Ă proximitĂ© immĂ©diate de MRS3 et du futur MRS5, est ainsi Ă lâorigine dâincidents de fuites de fluides frigorigĂšnes fluorĂ©s qui nâont pas Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©es aux autoritĂ©s, alors mĂȘme que ces dĂ©clarations sont obligatoires au-delĂ dâune certaine quantitĂ©, comme le soulĂšve le rapport dâinspection de la DREAL de mars 2023.
Par nĂ©gligence, Digital Realty est donc responsable dâĂ©missions rĂ©pĂ©tĂ©es de gaz Ă effet de serre. Cette nĂ©gligence aggravĂ©e, voire cette faute intentionnelle compte tenu du fait que lâexploitant a Ă©tĂ© mis au courant dĂšs 2021 et que ces fuites se sont rĂ©pĂ©tĂ©es par la suite, devrait suffire Ă mettre un coup dâarrĂȘt aux dĂ©ploiements en cours de Digital Realty. Or, câest le contraire qui se produit. A Marseille : le projet de construction du data center MRS5 vient dâobtenir un avis positif de la part des autoritĂ©s environnementales, de la ville et de la prĂ©fecture, et mĂȘme du commissaire en charge de lâenquĂȘte soi-disant publique, et ce malgrĂ© une trentaine dâavis nĂ©gatifs dâassociations dâhabitantes et habitants, dâorganisations environnementales telle France Nature Environnement, dâĂ©lues et du collectif Le nuage Ă©tait sous nos pieds qui rĂ©pondaient Ă cette enquĂȘte.
Nous sommes dâautant plus interpelĂ©es par la lecture des rapports de la DREAL que, Ă travers la voix de son prĂ©sident en France Fabrice Coquio, Digital Realty se vante largement dans les mĂ©dias, dans la presse spĂ©cialisĂ©e et dans les confĂ©rences techniques des industriels des data centers de lâexemplaritĂ© environnementale de MRS3 (le site mis en demeure) et de MRS4. Ă lâen croire, ces sites industriels seraient des modĂšles du genre en termes Ă©cologiques, des « data centers verts » grĂące notamment au systĂšme de refroidissement dit « river cooling » dont ils sont dotĂ©s, mais qui nâa visiblement pas empĂȘchĂ© cette pollution considĂ©rable par gaz fluorĂ©s. Qui plus est, cette pollution a Ă©tĂ© dissimulĂ©e par F. Coquio et les autres dirigeants de Digital Realty. Un « data center vert » aux 1080 tonnes de CO2 de pollution en gaz fluorĂ©s Ă©mis depuis trois ans par nĂ©gligence intentionnelle, voilĂ la rĂ©alitĂ© que Digital Realty et les pouvoir politiques locaux, cachent et habillent de greenwashing.
Le river-cooling : privatisation et accaparement de ressources en eau de qualité potable
Photo dâune des entrĂ©es de la Galerie Ă La Mer Ă Marseille. Photo prise lors de la balade du festival Le Nuage Ă©tait sous nos pieds le 9 novembre 2024.
La « Galerie Ă la Mer », construite en 1905, permet dâĂ©vacuer le trop plein dâeau des anciennes mines de charbon de la ville voisine de Gardanne, situĂ©e plus au Nord. Ce trop plein est versĂ© dans la MĂ©diterranĂ©e au niveau de Cap PinĂšde Ă Marseille. GĂ©rĂ©e depuis 2007 par le Bureau de Recherches GĂ©ologiques et MiniĂšres (BRGM), lâautoritĂ© nationale de service gĂ©ologique, la Galerie est composĂ©e dâune partie supĂ©rieure, utilisĂ©e pour Ă©vacuer les eaux dâexhaure (ferrugineuses) de lâancienne mine vers la mer, et dâune partie infĂ©rieure, dite « cunette », qui permet de collecter et Ă©vacuer les eaux de ruissellement et dâinfiltrations provenant du Massif de lâĂtoile Ă proximitĂ©. DâaprĂšs les documents fournis par lâenquĂȘte publique en 2018, lâeau de la cunette est une eau « de trĂšs bonne qualitĂ© » et de « qualitĂ© potable » pouvant donc servir Ă la population ou de rĂ©serve stratĂ©gique en cas de besoin, dans une rĂ©gion sujette aux sĂ©cheresses.
En 2018, lâentreprise Digital Realty a obtenu de la PrĂ©fecture lâautorisation de dĂ©tourner pour une durĂ©e de sept ans les eaux de la cunette de la Galerie Ă la Mer, afin de les rĂ©cupĂ©rer pour refroidir son data center MRS3. Les eaux fraĂźches de cette cunette, qui sont Ă 15,5 degrĂ©s Celsius toute lâannĂ©e, sont ainsi captĂ©es et injectĂ©es dans un circuit de refroidissement dans le data center, pour Ă©changer leurs « frigories » contre des « calories » dans des « Ă©changeurs thermiques ». Elles repartent ensuite, rĂ©chauffĂ©es Ă environ 27 degrĂ©s, dans la Galerie Ă la Mer, Ă destination de la MĂ©diterranĂ©e au niveau de Cap PinĂšde. Ce systĂšme est appelĂ© « river-cooling ».
Tandis que le dirigeant en France de Digital Realty, Fabrice Coquio, proclame dans une vidĂ©o promotionnelle, que le rejet dâeau chaude dans la MĂ©diterranĂ©e « nâa aucun impact sur la faune et la flore », les conclusions de lâenquĂȘte publique prĂ©cĂ©demment citĂ©e, soulignaient dĂšs 2018 des inquiĂ©tudes relatives aux effets du rejet de ces eaux chaudes dans le milieu marin, pointant notamment les risques dâeutrophisation (dĂ©sĂ©quilibre du milieu provoquĂ© par lâaugmentation de la concentration dâazote et de phosphore) entraĂźnĂ©e par les rejets de la Galerie Ă la mer, risques accrus en pĂ©riode estivale. Mais, dâaprĂšs lâenquĂȘte, bien dâautres impacts sont mĂ©connus Ă ce jour, comme par exemple « lâĂ©ventuelle prolifĂ©ration des algues filamenteuses ». Il faut par ailleurs noter que ce rapport se basait sur des estimations proposĂ©es par Digital Realty Ă 23,4 degrĂ©s, et non pas les 27 degrĂ©s effectivement constatĂ©es depuis la mise en place du systĂšme. MalgrĂ© ces alertes, le river cooling dâabord mis en place pour MRS2 et MRS3, nâa pas Ă©tĂ© mis en pause, mais au contraire Ă©tendu aux data centers MRS4 et MRS5. La question des eaux rĂ©chauffĂ©es par ces data centers et renvoyĂ©es dans le milieu marin, dans un contexte oĂč le rĂ©chauffement des mers entraĂźne des taux de mortalitĂ© importants dans les communautĂ©s biotiques sous marines, nâest pas prise en compte. Aucun suivi ni mesures sĂ©rieuses des effets de ce rejet ne sont aujourdâhui publiĂ©es, dâaprĂšs les collectifs locaux tels le collectif des Gammares ou lâassociation des habitants du 16Ăšme arrondissement dont nous parlerons plus bas, directement concernĂ©s par ces enjeux.
Ainsi, dĂšs 2018, lors de lâenquĂȘte publique relative Ă la construction du river cooling pour MRS3, plusieurs communes se situant sur le tracĂ© de la Galerie Ă la Mer entre Gardanne et Marseille avaient Ă©mis des rĂ©serves sur lâaccaparement de lâeau publique par une entreprise et proposĂ© dâautres usages pour ces eaux. Les conclusions de lâenquĂȘte allaient mĂȘme dans ce sens, pointant que lâeau potable devait en premier lieu servir lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. La commune de SeptĂšme-les-Vallons demandait par exemple que soit priorisĂ©e la possibilitĂ© de pomper une partie des eaux potables de la Galerie Ă la Mer pour le soutien de lâactivitĂ© agricole et de la biodiversitĂ© et pour le dĂ©ploiement de dispositifs de prĂ©vention des incendies (DFCI). La ville de Mimet demandait aussi Ă pouvoir utiliser cette rĂ©serve dâeau douce. Le collectif des Gammares Ă Marseille, qui analyse en profondeur les enjeux de lâeau Ă Marseille, pointe ainsi ces enjeux en septembre 2024, dans sa rĂ©ponse Ă lâenquĂȘte publique sur la construction de MRS5, qui utilisera lui aussi le river cooling :
« Alors que les hydrologues enjoignent Ă la sobriĂ©tĂ© et rĂ©gĂ©nĂ©ration des cycles naturels de lâeau, le choix de refroidir les data centers pour que des gĂ©ants du numĂ©rique puissent louer des espaces pour leurs serveurs ne nous parait pas dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral.
Dans un contexte dâaccroissement des Ă©pisodes climatiques extrĂȘmes ayant pour cause le rĂ©chauffement climatique, oĂč les sĂ©cheresses sâintensifient et se produisent de plus en plus rĂ©guliĂšrement en RĂ©gion Sud et ailleurs, mettant en cause lâapprovisionnement en eau potable ou Ă usage agro-alimentaire, il serait urgent Ă ce que soient systĂ©matisĂ©es et publiĂ©es toutes les enquĂȘtes portant sur cette ressource commune qui est lâeau et nous considĂ©rons que les eaux doivent ĂȘtre autant que possible allouĂ©es Ă des usages dâutilitĂ© publique ou pour les milieux qui en ont besoin. ».
DĂ©tourner des eaux fraiches de qualitĂ© potable pour refroidir gratuitement ses data centers et rejeter de lâeau rĂ©chauffĂ©e en mer : voici donc le river cooling de Digital Realty Ă Marseille.
Le river cooling : du greenwashing mensonger financĂ© par de lâargent public
Photo dâune des portes dâentrĂ©e de la Galerie Ă La Mer sur le Cap PinĂšde Ă Marseille. En plaçant son oreille prĂšs des trous de la grille, on peut entendre lâeau couler et sentir lâair frais Ă travers. Photo prise lors de la balade du festival Le Nuage Ă©tait sous nos pieds, le 9 novembre 2024.
Ce river cooling est devenu un argument phare de la communication de Digital Realty, en France et dans le monde entier. Dans la presse gĂ©nĂ©raliste il est prĂ©sentĂ© comme une « solution innovante verte minimisant lâimpact Ă©cologique » de lâentreprise. Dans la presse spĂ©cialisĂ©e, Digital Realty se vante dâutiliser de lâeau gratuite dâune installation publique. Ce nâest pas uniquement lâeau qui est gratuite pour lâentreprise. LâĂtat français a financĂ© en partie les travaux de dĂ©tournement des eaux de la Galerie Ă la Mer vers les data centers de Digital Realty, Ă travers deux subventions publiques. Sur un total dâĂ peu prĂšs 15 millions dâeuros dâinvestissements, la RĂ©gion Sud a ainsi apportĂ© 800 000 euros, tandis que lâAgence publique de la transition Ă©cologique, lâADEME, a subventionnĂ© le projet Ă hauteur dâ1,9 millions dâeuros au nom du fond de « dĂ©carbonation de nos industries ».
Dans le dossier de maĂźtrise dâouvrage dĂ©posĂ© en 2018 par Digital Realty, on peut lire que le systĂšme de « river cooling » permettrait de rĂ©duire de 90% la consommation dâĂ©lectricitĂ© destinĂ©e au seul refroidissement de ses data centers marseillais. En septembre 2024 son dirigeant Fabrice Coquio parle dâune rĂ©duction de 30% de la consommation totale dâĂ©lectricitĂ© de lâensemble des data centers à « river cooling » grĂące Ă ce systĂšme. Or, pour son prochain data center en construction MRS5, selon les chiffres donnĂ©s par lâentreprise lors de lâenquĂȘte publique du projet, on constate que le « river cooling » permettra de rĂ©duire de seulement 4,33% la consommation totale en Ă©lectricitĂ© (calcul dâaprĂšs les donnĂ©es page 107 : (241 133 856 kWh â 230 695 705 kWh) / 241 133 856 kWh * 100) . En effet, la dĂ©pense dâĂ©nergie la plus importante dâun data center se situe au niveau des serveurs. Ces derniers occupent 79 Ă 83 % de lâĂ©nergie totale du data center MRS5 dâaprĂšs lâentreprise (page 107 du dossier prĂ©citĂ©). La dĂ©pense Ă©nergĂ©tique de ces data centers qui sâagrandissent et sâĂ©tendent sans cesse, malgrĂ© des optimisations Ă la marge via des mĂ©thodes comme le « river cooling » est globalement nettement en hausse, et câest lĂ une tendance globale. Ces optimisations sporadiques, baissent les coĂ»ts pour lâentreprise tout en lui permettant de garder un potentiel commercial constant ou grandissant, et sont donc intĂ©ressantes pour elles, mais se font toujours et encore Ă travers lâaccaparement de nouvelles ressources qui peuvent servir les habitantes et habitants.
La communication de Digital Realty laisse Ă©galement entendre que le « river cooling » serait lâunique systĂšme de refroidissement des data centers. Ce qui sâavĂšre faux Ă la lecture de ce rapport. Ce systĂšme ne remplace pas les systĂšmes de refroidissement par air conditionnĂ© Ă fluides frigorigĂšnes, qui causent les fuites de gaz fluorĂ©s mentionnĂ©es plus haut dans lâarticle, mais vient sây ajouter. Le refroidissement des data centers de lâentreprise Ă Marseille ne se fait quâen petite partie par « river cooling ». Mais le plus grave dans la communication mensongĂšre du dirigeant de Digital Realty est le fait quâil prĂ©tend que lâeau utilisĂ©e pour le river cooling serait de lâeau sale provenant des mines de Gardanne, comme il le rĂ©pĂšte dans les mĂ©dias et la vidĂ©o promotionnelle avec Jamy citĂ©e plus haut. Câest faux, comme le montre dâailleurs, cette vidĂ©o dâInterxion (ancien nom de Digital Realty) trouvĂ©e sur un compte VimĂ©o dâune employĂ©e de lâentreprise, vidĂ©o qui explique bien la construction du river-cooling et son utilisation de lâeau de la nappe phrĂ©atique rĂ©coltĂ©e dans la cunette.
De lâargent public utilisĂ© pour financer les data centers dâun gĂ©ant amĂ©ricain cĂŽtĂ© en bourse, utilisant une ressource commune prĂ©cieuse, lâeau de qualitĂ© potable, tout en rejetant des gaz fluorĂ©s Ă fort impact de rĂ©chauffement climatique, voilĂ la rĂ©alitĂ© des data centers de Digital Realty aujourdâhui Ă Marseille. Le plus ironique est que câest prĂ©cisĂ©ment ce river cooling que lâEtat a aidĂ© Ă financer, qui sert aujourdâhui dâargument de greenwashing mĂ©diatique mondial Ă cette entreprise.
Capture dâĂ©cran du site du dĂ©monstrateur du river-cooling de Digital Realty portant lâinscription : rĂ©alisĂ© avec le soutien technique et financier de lâADEME et de la RĂ©gion Sud. AccĂ©dĂ© en novembre 2024. https://river-cooling-interxion.mydigitalbuildings.com/.
Accaparement de lâĂ©nergie Ă©lectrique au dĂ©triment de projets dâintĂ©rĂȘt commun Ă urgence environnementale
Bien que lâĂ©lectricitĂ©, majoritairement issue de la filiĂšre nuclĂ©aire, soit prĂ©sentĂ©e comme « verte » en France, elle est bas carbone, mais pas neutre en carbone. En effet, lâintensitĂ© carbone de lâĂ©lectricitĂ© en France est de 32 gCO2eq par kilowatt-heure dâaprĂšs le gestionnaire du rĂ©seau de transport dâĂ©lectricitĂ© en France RTE. Nous nâallons pas ici calculer les Ă©missions CO2 dues Ă lâutilisation massive dâĂ©nergie Ă©lectrique par lâensemble des data centers marseillais. Nous nâavons aucun doute quant au fait que cette consommation est considĂ©rable, et quâelle est Ă©galement grandissante. En effet, nous constatons partout en France et dans le monde une tendance au lancement de projets de data centers de plus en plus grands et de plus en plus Ă©nergivores. Les data centers de type « hyperscaler » se multiplient partout, et les prĂ©visions ne vont quâen augmentant avec lâarrivĂ©e de lâIntelligence Artificielle, qui crĂ©e un effet de passage Ă lâĂ©chelle multiple. En effet lâIntelligence Artificielle demande des serveurs dotĂ©s de puces dĂ©diĂ©es et de cartes graphiques puissantes, consommant plus, chauffant plus, nĂ©cessitant des systĂšmes de refroidissements dĂ©diĂ©s, modifiant en profondeur les bĂątiments et la globalitĂ© de la structure dâun data center. Ce qui nous intĂ©resse ici ce sont les effets systĂ©miques de ces infrastructures et de ce numĂ©rique quâon nous impose, les effets rebonds quâils gĂ©nĂšrent sans cesse et qui ne sont jamais dĂ©battus.
Les data centers de Digital Realty Ă Marseille utilisent lâĂ©nergie Ă©lectrique disponible que les deux gestionnaires de rĂ©seau et de transport Ă©nergĂ©tiques nationaux, RTE et Enedis, sont en capacitĂ© dâacheminer Ă Marseille, avec les infrastructures Ă©lectriques actuelles. PlutĂŽt quâune simple « utilisation », il sâagit dâun vĂ©ritable accaparement. Car lâĂ©nergie Ă©lectrique nĂ©cessaire Ă ces data centers est captĂ©e au dĂ©triment de projets dâintĂ©rĂȘt commun Ă urgence environnementale de la ville. Dans leur rapport « Lâimpact spatial et Ă©nergĂ©tique des data centers sur les territoires » Fanny Lopez et CĂ©cile Diguet notaient un premier conflit dâusage en 2012, au dĂ©triment de lâĂ©lectrification des bus municipaux Ă Marseille (p. 62) :
« Pour Brigitte Loubet, conseillÚre spéciale chaleur de la DRIEE, comme pour Fabienne Dupuy, adjointe
au Directeur territorial Enedis en Seine-Saint-Denis, les demandes des data centers peuvent ĂȘtre
bloquantes pour les territoires. La commande dâĂ©lectricitĂ© se rĂ©sumant Ă : premier arrivĂ© / premier servi,
des files dâattentes se constituent sur diffĂ©rents sites. [âŠ] Câest lâexemple de Marseille, oĂč le maire Jean-Claude Gaudin a dĂ» nĂ©gocier avec Interxion pour rĂ©cupĂ©rer 7 MW « parce quâils avaient oubliĂ© de les
réserver pour leurs bus électriques » » .
Câest Ă nouveau le cas aujourdâhui pour lâĂ©lectrification des quais au Grand Port Maritime de Marseille, Ă©lectrification qui permettrait aux nombreux navires de croisiĂšre, ferrys de lignes reliant la ville Ă la Corse ou Ă dâautres villes de MĂ©diterranĂ©e, et au Chantier Naval de Marseille de se brancher Ă©lectriquement lors de leurs escales, Ă©vitant ainsi le rejet dans lâatmosphĂšre dâune pollution considĂ©rable due Ă la combustion de fioul. Cette pollution aux oxydes dâazote (NOx) et autres particules nocives a des effets immĂ©diats sur la santĂ© des habitantes et habitants les plus proches, mais aussi sur lâensemble des habitantâ
es de la ville, ville oĂč lâon comptabilise tous les ans environ 2 500 morts de pollution dâaprĂšs les autoritĂ©s de santĂ©. Cette Ă©lectrification en plusieurs Ă©tapes, entamĂ©e depuis de longues annĂ©es, est insuffisante pour accueillir la croissance du flux estival des bateaux, Marseille Ă©tant devenue une ville oĂč le tourisme pollueur par croisiĂšres nâa de cesse dâaugmenter comme le constate et dĂ©plore lâassociation Stop CroisiĂšres.
Illustration dâune campagne dĂ©nonçant le Greenwashing de lâĂ©lectrification des quais de bateaux de croisiĂšres Ă Marseille, par le collectif Stop CroisiĂšres, https://stop-croisieres.org/.
De surcroĂźt, cette Ă©lectrification est sans cesse repoussĂ©e ou ralentie. Lors de sa rĂ©ponse Ă lâenquĂȘte publique en vue de la construction de MRS5, la fĂ©dĂ©ration des ComitĂ©s dâintĂ©rĂȘts de Quartier du 16Ăšme arrondissement de Marseille qui regroupe les associations des habitantes et habitants, demandant un arrĂȘt de la construction de tous les data centers de la ville, Ă©crit :
« [âŠ] les riverains sont confrontĂ©s aux pollutions atmosphĂ©riques des navires et aux nuisances sonores des activitĂ©s portuaires. Le directeur gĂ©nĂ©ral adjoint du GPMM a estimĂ© la puissance Ă©lectrique encore nĂ©cessaire aux activitĂ©s du port et Ă lâĂ©lectrification des quais Ă 100 Ă 120 MW. [âŠ] La puissance totale des data centers actuels sâĂ©lĂšve Ă 77 MW, [âŠ] la puissance totale des data centers programmĂ©s est de 107 MW. Les data centers de Digital Realty situĂ©s dans lâenceinte du GPMM sont alimentĂ©s par le poste source de Saumaty, situĂ© dans quartier de Saint-AndrĂ©. Le futur data center de Segro situĂ© Ă Saint AndrĂ© sera lui alimentĂ© par le poste source de SeptĂšmes-les-Vallons situĂ© Ă 11 km. Le poste source de Saumaty serait-il saturĂ© ? ⊠Lâelectrification des quais du Chantier Naval de Marseille dans le GPMM est repoussĂ©e Ă 2029. Les data centers seraient-ils servis avant le GPMM ? ».
Ce conflit dâusage dâĂ©lectricitĂ© entre data centers et Ă©lectrification des quais de navires, câest la mairie elle-mĂȘme qui le constate dans sa dĂ©libĂ©ration au conseil municipal dâoctobre 2023, votant Ă©galement la constitution dâune commission rĂ©gulatoire sur les data centers. Cette commission semble parfaitement insuffisante. Câest Ă©galement ce que pointe SĂ©bastien Barles, adjoint en charge de la transition Ă©cologique de la ville de Marseille. Ce dernier demandait un moratoire sur les data centers de la ville, moratoire qui a Ă©tĂ© Ă©cartĂ©, alors quâil constitue une Ă©tape indispensable pour avancer vers un dĂ©but de maĂźtrise de ces infrastructures en pleine expansion. Par ailleurs, peu de choses sont aujourdâhui rĂ©vĂ©lĂ©es par la mairie autour de cette commission rĂ©gulatoire de la ville â dont feraient partie, autres autres, le dirigeant de Digital Realty et lâadjoint du Parti Pirate Ă©logieux Ă son Ă©gard, Christophe Hugon. Ce manque de transparence nâest pas nouveau, la mairie de Marseille et en particulier C. Hugon, adjoint Ă©galement Ă la transparence et lâOpen Data de la ville, ayant dĂ©jĂ Ă©tĂ© pointĂ© du doigt dans notre campagne Technopolice, pour son hypocrisie politique mais aussi pour son manque de transparence et son dĂ©faut de rĂ©ponse aux demandes dâaccĂšs aux documents administratifs, qui sont pourtant un droit et une obligation constitutionnelle.
Ălots de chaleurs urbains
Ces data centers qui sâaccumulent sur le territoire de Marseille sont de vĂ©ritables « grille-pains en surchauffe » pour reprendre les termes de Laurent Lhardit, adjoint Ă la mairie de Marseille en charge du dynamisme Ă©conomique, de lÊŒemploi et du tourisme durable.
En effet, les lois de la thermodynamique font que la chaleur quâon Ă©vacue des serveurs de ces data centers ne disparaĂźt pas, mais se retrouve rejetĂ©e dans lâair entourant les bĂątiments, dans les nuages, les vrais, ou dans lâeau de mer rĂ©chauffĂ©e par le river cooling. Dans une ville au climat chaud comme Marseille, sujette Ă des Ă©pisodes caniculaires de plus en plus nombreux, il est inquiĂ©tant de continuer Ă ignorer ce problĂšme qui devient vital. Les scientifiques alertent dĂ©jĂ sur les effets que ces pics de chaleur rĂ©pĂ©tĂ©s ont sur la vie humaine, et sur le fait quâĂ plus ou moins court terme, des rĂ©gions entiĂšres de notre planĂšte et de lâEurope deviendront progressivement inhabitables en raison de cette chaleur insoutenable (voir par exemple cet atlas de prĂ©visions des chaleurs mortelles Ă venir dans le monde).
Il est grand temps de penser lâurbanisme en priorisant les espaces verts, avec des vĂ©gĂ©taux qui rafraĂźchissent et crĂ©ent de lâombre pour rendre les villes plus habitables, moins nocives pour la santĂ©, plus soutenables face aux changements environnementaux en cours.
Photo dâun grille-pain sur le feu. Nicholas.scipioni, CC BY 4.0 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0, via Wikimedia Commons.
Récupération de « chaleur fatale » ou comment faire perdurer le statu quo écocidaire
Lâutilisation de la « chaleur fatale » consiste en la rĂ©cupĂ©ration de la chaleur Ă©mise par les data centers, qui deviendraient alors, dans un idĂ©al dâĂ©conomie circulaire technomagique, des sortes de chaudiĂšres numĂ©riques capables de chauffer des immeubles ou des piscines olympiques. En rĂ©alitĂ©, ces projets de rĂ©cupĂ©ration de chaleur dite « fatale » (parce quâelle est inĂ©vitable), ne sont pas toujours efficaces ni mĂȘme possibles. Pour que cela fonctionne, il faudrait que la rĂ©cupĂ©ration de chaleur se fasse au plus prĂšs de la source, donc du data center, car plus la distance augmente, plus les pertes seront significatives. Mais compte tenu du bruit et des autres nuisances atmosphĂ©riques gĂ©nĂ©rĂ©es par un data center, rĂ©chauffer des immeubles habitĂ©s ne semble pas trĂšs attrayant. Sans considĂ©rer le fait que, dans des villes aux climats chauds comme Marseille, la chaleur rĂ©cupĂ©rĂ©e ne serait utile que peu de mois dans lâannĂ©e, la chaleur dĂ©gagĂ©e par ces data centers devenant problĂ©matique la majoritĂ© du temps. Ainsi, un rapport de lâUptime Insitute concluait en 2023 que les cas oĂč cela peut ĂȘtre efficace sont rares, non systĂ©matiques, situĂ©s dans des zones de climat froid, et peuvent mĂȘme parfois ĂȘtre contre-productifs (traduit de lâanglais) :
La possibilitĂ© de rĂ©utiliser la chaleur rĂ©siduelle des centres de donnĂ©es est gĂ©nĂ©ralement limitĂ©e aux climats plus froids et peut nĂ©cessiter des connexions Ă des systĂšmes de chauffage urbain ou Ă des sites de fabrication. La disponibilitĂ© de ces connexions et/ou installations est fortement concentrĂ©e en Europe du Nord. La configuration dâune installation pour la rĂ©utilisation de la chaleur perdue augmente souvent la consommation dâĂ©nergie (puisque des pompes Ă chaleur sont nĂ©cessaires pour augmenter la tempĂ©rature de la chaleur sortante), mais peut rĂ©duire les Ă©missions globales de carbone en rĂ©duisant lâĂ©nergie qui serait autrement nĂ©cessaire pour le chauffage.
Mais le vrai problĂšme, encore une fois, nâest pas technique. Ces systĂšmes Ă©tant coĂ»teux et nâayant aucun intĂȘrĂ©t commercial pour les data centers, ces derniers prĂ©fĂšrent largement y Ă©chapper, ou alors promettre constamment quâils les mettront en place dans un futur proche. Câest exactement ce que le lobby France Datacenter sâest employĂ© Ă faire en 2022, comme le montre le registre obligatoire de dĂ©claration de leurs acivitĂ©s de lobbying auprĂšs de la Haute AutoritĂ© pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), oĂč nous pouvons lire, parmi dâautres actions de diminution de taxation ou dâĂ©chappement Ă des obligations de pollueurs :
Liste des fiches dâactivitĂ©s
[âŠ]
Retirer un amendement au projet de loi énergies renouvelables visant à rendre obligatoire la réutilisation de chaleur fatale.
Cette activitĂ© a Ă©tĂ© un succĂšs, lâamendement rendant obligatoire la rĂ©cupĂ©ration de chaleur fatale a Ă©tĂ© retirĂ© du projet de loi Ă©nergies renouvelables, au profit de « mesures incitatives » qui ont consistĂ©, depuis 2015 au moins, Ă faire financer par des fonds publics, via notamment lâADEME, les travaux de rĂ©cupĂ©ration de chaleur fatale quâun data center aurait lâamabilitĂ© dâentreprendre. Les quelques cas existants servent, comme dans le cas du « river cooling », de greenwashing montĂ© en exemple et surpublicisĂ©. Mais cela permet aux industriels de continuer Ă profiter des territoires sans limites, en faisant croire que des solutions technomagiques sont possibles, tout en sâemployant Ă repousser les obligations rĂ©glementaires qui les contraindraient Ă les mettre en place. Les Ătats, quant Ă eux, sont tout entiers Ă leur service.
Une croissance exponentielle, un extractivisme colonial sanglant
Si lâensemble des data centers de Digital Realty Ă Marseille, MRS1 Ă MRS5, ont une puissance Ă©lectrique maximale de 98 Megawatt ((16+16+24+20+22), le prochain data center de Digital Realty Ă Bouc-Bel-Air, MRS6, aura une capacitĂ© de 50 mĂ©gawatts Ă lui tout seul. Celui de PAR08 Ă la Courneuve, le plus grand actuellement en France, toujours de Digital Realty, a une capacitĂ© de 120 MW. Celui qui doit ĂȘtre construit Ă Dugny, en Seine-Saint Denis, toujours par Digital Realty et qui sera le futur plus grand data center de France, aura une capacitĂ© de 200 mĂ©gawatts, soit lâĂ©quivalent de 20% de la puissance dâun rĂ©acteur nuclĂ©aire EPR. Lâempreinte du numĂ©rique Ă©tait estimĂ©e Ă 2,5% de lâempreinte carbone annuelle de la France en 2020, et les data centers reprĂ©sentaient environ 16% de cette empreinte carbone totale du numĂ©rique selon lâAdeme et lâArcep. Cette empreinte du numĂ©rique devrait doubler dâici 2040 et les data centers pourraient y jouer un rĂŽle majeur selon un avis dâexpert de lâAdeme en octobre 2024.
Ă lâĂ©chelle mondiale, les data centers hyperscales constituaient dĂ©jĂ en 2022, 37% de la capacitĂ© mondiale des data centers, et devraient en reprĂ©senter 50% en 2027, cette part augmentant rĂ©guliĂšrement. Dâautre part, le besoin en eau de ces « hyperscales » augmente rĂ©guliĂšrement. Sous la pression des pouvoirs publics en 2023, Google rĂ©vĂ©lait que ses centres de donnĂ©es, aux Etats-Unis uniquement, utilisaient plus de 16 milliards de litres dâeau par an pour leur refroidissement. On apprenait Ă©galement rĂ©cemment que ses Ă©missions de CO2 ont grimpĂ© de 48% au cours des 5 derniĂšres annĂ©es et son usage en eau devrait augmenter de 20% encore dâici 2030. Microsoft, quant Ă lui, a vu lâutilisation en eau de ses data centers augmenter de 34% en 2022 seulement, Ă cause de son usage de lâIA, et on peut voir la plĂ©thore dâannonces dâinvestissements dans la construction de nouveaux data centers dĂ©diĂ©s Ă lâIA, qui laisse prĂ©sager une croissance Ă venir encore plus forte et inquiĂ©tante.
Photo dâune carte mĂšre fabriquĂ©e en Chine, designĂ©e Ă TaĂŻwan, comportant de nombreux composants et puces Ă©lectroniques, montrĂ©e lors de la balade du festival le Nuage Ă©tait sous nos pieds le 9 novembre 2024 Ă Marseille.
Mais ces calculs institutionnels ou provenant des gĂ©ants numĂ©riques, purement basĂ©s sur lâĂ©nergie Ă©lectrique et son empreinte carbone, et parfois sur la consommation dâeau pour le refroidissement, ne prennent pas en compte la totalitĂ© des conflits et des accaparements de vies et de ressources vitales que ce numĂ©rique cause pour exister et sâaccroĂźtre. En commençant par la phase dâextraction des nombreux minĂ©raux qui composent les puces des processeurs et des cartes graphiques que ces data centers renferment par milliers. GĂ©nĂ©ration LumiĂšre, une association Ă©cologiste qui agit Ă la fois en France et en RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo (RdC), dĂ©nonce depuis des annĂ©es un extractivisme sans scrupules de minĂ©raux stratĂ©giques pour nos industries numĂ©riques. En effet, la RdC renferme 70 % du cobalt mondial, utilisĂ© pour fabriquer les batteries lithium de nos voitures Ă©lectriques, de nos smartphones, et des data centers. La RdC est aussi une terre dâextraction de coltan, de cuivre, dâor, des minĂ©raux utilisĂ©s pour les puces Ă©lectroniques. Et cette extraction qui sert les industries numĂ©riques ainsi que les gĂ©ants tels Apple, Nvidia (fabricant de puces graphiques) et dĂ©sormais mĂȘme Google, Amazon et Microsoft, est dĂ©multipliĂ©e par lâarrivĂ©e de lâIA, qui sâinsĂšre partout dans les appareils et les serveurs. Or, cette extraction se fait, comme le dit GĂ©nĂ©ration LumiĂšre, « avec notre sang », et crĂ©e en RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo, outre les prob lĂšmes dus au minage lui-mĂȘme qui se fait dans des conditions inhumaines dâexploitation des travailleurs, de nombreux conflits et massacres sur le territoire.
Affiche de lâassociation GĂ©nĂ©ration LumiĂšre, 2024.
Ces calculs institutionnels laissent Ă©galement de cĂŽtĂ©, ou ignorent Ă dessein, les enjeux de la fabrication des puces Ă©lectroniques, de la purification des minĂ©raux posĂ©s sur les wafers, sortes de galettes de silicium, jusquâĂ leur devenir puces. Lâassociation StopMicro, qui lutte contre lâaccaparement des ressources et les nuisances causĂ©es par les industries grenobloises, et en particulier celles de la microĂ©lectronique de Soitec et de STMicroelectronics, nous rappelle ainsi que : « DerriĂšre le dĂ©rĂšglement climatique et les injustices socio-environnementales, il y a des dĂ©cisions politiques, des entreprises et des intĂ©rĂȘts Ă©conomiques qui conditionnent nos choix de sociĂ©tĂ© ». Dans ses nombreuses brochures dâanalyses et dans le livre « Toujours puce » quâelle vient de publier, lâassociation mĂšne une enquĂȘte technique, sociale, politique et environnementale poussĂ©e, Ă la place des pouvoirs publics pourtant chargĂ©s de le faire. En prenant lâexemple de son territoire, elle explique comment on sâaccapare et pollue de lâeau potable pour fabriquer des gourdes connectĂ©es avec les puces de STMicroelectronics ou Soitec, quand ce nâest pas pour Ă©quiper des armes quâon exporte au service des guerres coloniales en cours.
Affiche dessinĂ©e du collectif StopMicro Ă Grenoble. Source : https://stopmicro38.noblogs.org/files/2024/04/tuyauterie-2048Ă1470.jpg.
Ce numĂ©rique nâest pas le nĂŽtre
En regardant la liste des principaux clients de Digital Realty, nous retrouvons en masse des acteurs aux pratiques numĂ©riques contestables vis Ă vis des droits fondamentaux et des rĂ©glementations en vigueur. Fabrice Coquio, prĂ©sident de Digital Realty France, dĂ©clarait il y a peu « Sans nous, il nây a pas dâInternet », avant de lister une bonne partie des clients de ses data centers marseillais : Facebook, Amazon, Microsoft, Netflix, Disney+, Zoom, Oracle, Youtube⊠Le data center MRS3, oĂč se sont produits des rejets rĂ©pĂ©tĂ©s de gaz fluorĂ©s hautement polluants, abrite en son sein les services « cloud » de Microsoft dĂ©ployĂ©s dans les mairies, Ă©coles, collĂšges, lycĂ©es et universitĂ©s publiques, forçant tout Ă©lĂšve dĂšs son plus jeune Ăąge Ă la crĂ©ation de comptes Microsoft sans grand moyen de sây opposer.
Sticker « Le nuage Ă©tait sous nos pieds » collĂ© sur un poteau. Photo prise lors de la balade du festival Le Nuage Ă©tait sous nos pieds le 9 novembre 2024. Autocollant fabriquĂ© lors dâun atelier organisĂ© par le hackerspace transfĂ©ministe Fluidspace Ă Marseille.
Comme en atteste Ă©galement le travail de La Quadrature du Net depuis ses dĂ©buts il y a plus de 15 ans, Ă travers notamment sa campagne dâactions de groupe contre les GAFAM, ces acteurs ont monopolisĂ© et fait dâInternet un espace commercial gĂ©ant, oĂč rĂšgnent les violences faites aux communautĂ©s minoritaires et les discriminations en tout genre. Ces acteurs, qui utilisent en toute illĂ©galitĂ© et immoralitĂ© nos donnĂ©es personnelles pour nous imposer de la publicitĂ©, polluent nos espaces en ligne et nos cerveaux, et sâaccaparent notre attention Ă coup dâalgorithmes jouant sur nos biais cognitifs et visant Ă susciter des dĂ©pendances psychologiques. Cette publicitĂ© est aujourdâhui coupable Ă son tour de lâaggravation de la crise environnementale, de par la surconsommation et le modĂšle insoutenable quâelle engendre et quâelle alimente en permanence. CouplĂ©e Ă lâobsolescence marketĂ©e et organisĂ©e sur tout objet de consommation, quâil soit numĂ©rique ou non, aidĂ©e et rendue possible par les infrastructures industrielles numĂ©riques polluantes, cette publicitĂ© que les GAFAM et les gĂ©ants numĂ©riques contrĂŽlent en grande majoritĂ© est une des causes majeures de lâaggravation de la crise socio-environnementale et systĂ©mique en cours.
Lâargent public que lâĂtat met si facilement dans les mains de tels industriels pollueurs, comme lâillustrent le fond de « dĂ©carbonation de nos industries » mentionnĂ© plus haut de mĂȘme que les diffĂ©rents contrats publics conclus avec ces gĂ©ants numĂ©riques, est ainsi distribuĂ© au dĂ©triment de projets publics Ă intĂ©rĂȘt commun telle lâĂ©lectrification des Ă©quipements publics, la constitution de rĂ©serves dâeau, ou encore lâair que nous respirons et la ville oĂč nous habitons. Ces projets dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, parfois littĂ©ralement vitaux, sont laissĂ©s de cĂŽtĂ© car la prioritĂ© est constamment donnĂ©e Ă la croissance numĂ©rique, qui passe par lâinstallation croissante de data centers et dâautres types dâinfrastructures numĂ©riques.
Ce monde-lĂ nâest pas le nĂŽtre
Ce numĂ©rique de la domination, dont les cĂąbles et les data centers sont la colonne vertĂ©brale, imposĂ© par la vision hĂ©gĂ©monique de la Silicon Valley et par des politiques Ă©tatiques complices de gĂ©ants sans scrupules, nâest pas le nĂŽtre.
Cet Internet qui reproduit les dynamiques coloniales et qui repose sur lâaccaparement des ressources du sol, des minerais, de lâeau, de nos territoires, mais aussi de nos corps et espaces mentaux, structurĂ© autour de la collecte massive de donnĂ©es sur nos vies, source infinie de pouvoir et de profit, nâest pas le nĂŽtre. Ce numĂ©rique qui renforce les dominations et les inĂ©galitĂ©s, fondĂ© sur la normativitĂ© de nos comportements, sur la police prĂ©dictive et la prise de dĂ©cisions automatisĂ©es, destinĂ© Ă nous contrĂŽler et Ă nous surveiller, pour mieux rĂ©primer notre colĂšre lĂ©gitime, nâest pas le nĂŽtre. Ce numĂ©rique responsable Ă son tour de la crise socio-environnementale sans prĂ©cĂ©dent qui nous traverse, nâest pas le nĂŽtre. Nous devons le refuser, nous devons nous organiser pour y faire face et imaginer ensemble comment rendre possibles dâautres mondes.
Notre monde Ă nous est un monde de soin, soin pour soi-mĂȘme, pour les unes et les autres, et pour la Terre. Notre monde numĂ©rique Ă nous est celui dâun autre numĂ©rique, qui nous aide Ă nous protĂ©ger de la surveillance et des oppressions, qui nous aide Ă porter des savoirs communs et dâentraide, qui nous permet de hacker, bidouiller et crĂ©er des serveurs alternatifs, des rĂ©seaux dĂ©centralisĂ©s pour mieux sâorganiser et lutter pour que dâautres mondes soient possibles.
Photo du data center MRS4 en arriÚre-plan. Au premier plan le pied en plastique servant à accueillir des stickers fabriqués avec le Fluidspace, hackerspace transféministe à Marseille, pendant le festival Le nuage était sous nos pieds, les 8, 9 et 10 novembre 2024 à Marseille.
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