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À partir d’avant-hierLa Quadrature du Net

Les contenus haineux et négatifs sont rentables pour les médias sociaux publicitaires

20 janvier 2025 Ă  09:57

Ce 20 janvier, 5 personnalitĂ©s d’associations citoyennes expliquent dans cette tribune les liens, entre mĂ©dias sociaux publicitaires et les contenus haineux et nĂ©gatifs. Elles appellent Ă  aller sur des rĂ©seaux sociaux sans pub, Ă  bloquer la publicitĂ© sur internet, Ă  financer autrement les mĂ©dias et Ă  avoir des lois protĂ©geant les usager·éres d’internet de ces dĂ©rives.

Elon Musk sera nommé au gouvernement de Donald Trump ce 20 janvier.

Pour protester contre son investiture et ouvrir une rĂ©flexion sur l’impact politique des rĂ©seaux sociaux, un collectif a lancĂ© HelloQuitteX. Cette communautĂ© a pour but de donner des outils et inciter Ă  aller vers des rĂ©seaux sociaux « plus ouverts et sains Â»1.

Le rachat de Twitter par Elon Musk en 2022 avait dĂ©jĂ  allumĂ© des inquiĂ©tudes qui sont loin d’ĂȘtre calmĂ©es. Celui-ci se targue dĂ©sormais d’utiliser sa plateforme comme une arme au service des candidat·es qui lui plaisent : Donald Trump, ou rĂ©cemment le parti d’extrĂȘme droite allemand l’AfD.

HelloQuitteX et les dĂ©clarations provocatrices d’Elon Musk marquent une Ă©tape dans la reconnaissance de ce que l’on sait depuis longtemps : les plateformes et leur architecture ont un effet sur les contenus qui s’y Ă©changent, et donc les visions du monde de leurs utilisateur·ices.

Changer de rĂ©seau social ne sera pas suffisant : il faut changer leur modĂšle de financement. Car ces dĂ©rives ne sont pas uniquement liĂ©es aux personnalitĂ©s d’Elon Musk, Jeff Bezos ou Mark Zuckerberg, elles sont inscrites dans l’architecture d’Internet.

La publicitĂ© est la source principale de financement des sites Internet2. Les plateformes ont donc besoin de nous connaĂźtre, le plus intimement possible. Plus elles possĂšdent d’informations sur nous, plus elles pourront cibler les publicitĂ©s et mesurer leur efficacitĂ©, satisfaisant ainsi leurs vĂ©ritables clients : les annonceurs.

Les plateformes ont mis en place une architecture de surveillance qui n’a rien à envier à celles des pires dystopies, dans le but principal de vendre plus cher leurs espaces publicitaires3.

Les rĂ©seaux sociaux ont un intĂ©rĂȘt Ă©conomique Ă©norme Ă  nous garder devant nos Ă©crans, et rivalisent de techniques pour nous rendre « accros Â» Ă  leurs applications, malgrĂ© les effets nĂ©gatifs qu’ils entraĂźnent4.

Mais ce n’est pas tout. Pour amĂ©liorer encore l’efficacitĂ© des publicitĂ©s, ces rĂ©seaux sociaux se vantent de modifier nos Ă©motions. Les recherches internes de Facebook ont montrĂ© que l’entreprise pouvait, en modifiant le fil d’actualitĂ©s, influer sur l’humeur de ses utilisateur·ices5.

Meta propose donc aux annonceurs de cibler leurs annonces vers les moments oĂč l’internaute se sent « mal dans sa peau Â» ou « en manque de reconnaissance Â», car ses recherches ont montrĂ© que les actes d’achat venaient pallier aux souffrances du quotidien. Meta favorise donc les contenus nĂ©gatifs ou polarisants. RĂ©sultat ? Â« Plus les ados vont sur Instagram, plus leur bien-ĂȘtre gĂ©nĂ©ral, leur confiance en soi, leur satisfaction Ă  l’égard de la vie, leur humeur et l’image qu’ils ont de leur corps se dĂ©gradent Â»6. En 2016, une publication interne Ă  Facebook montrait que « 64% des entrĂ©es dans des groupes extrĂ©mistes sont dĂ»es Ă  nos outils de recommandation Â»7. Ce n’est pas du hasard, c’est parce que c’est rentable.

Ils poussent ainsi tous les acteurs du jeu politique Ă  aligner leur communication sur des contenus haineux et sans concessions. Les internautes sont enfermĂ©s dans des « bulles de filtres Â», entouré·es de contenus justifiant et radicalisant leurs opinions sans jamais les ouvrir Ă  la contradiction8.

Le dĂ©bat public et les discussions constructives entre internautes en deviennent de plus en plus difficiles, et cette sensation de diffĂ©rences irrĂ©conciliables se transfĂšre vers les discussions en chair et en os9. Le discours de haine n’est pas qu’une abstraction numĂ©rique, il peut attiser la violence, miner la cohĂ©sion sociale, et causer des blessures profondes qui vont bien au delĂ  des Ă©crans, comme de nombreux rapports d’associations et institutions l’attestent10.

Ces contenus viennent nourrir des « visions du monde Â»11 basĂ©es sur la peur et une sensation d’envahissement, venant ainsi conforter encore les tenants du « Grand Remplacement Â» et autres arguments portĂ©s par les mouvements d’extrĂȘme-droite.

Quitter X pour aller sur un autre réseau social publicitaire comme BlueSky ne réglera donc pas le problÚme. Petit à petit, les pressions financiÚres le porteront à modifier ses contenus vers plus de publicité12, et donc une emprise toujours plus grande de la manipulation13.

À ces effets structurels s’ajoute la guerre culturelle menĂ©e par certains grands milliardaires de la tech comme Elon Musk et rĂ©cemment Mark Zuckerberg, pour imposer des idĂ©es ultra-libĂ©rales et ouvertement d’extrĂȘme droite. La concentration du secteur autour de quelques entreprises monopolistiques14 permet Ă  ces hommes d’imposer leur vision du monde en utilisant les plateformes comme des porte-voix. Ils modĂšlent les rĂšgles de partage des contenus en faisant passer leur propagande pour de la libertĂ© d’expression15.

La publicité en tant que source principale de financement des réseaux sociaux est responsable de toutes ces dérives. Pour espérer les réguler, il faut prendre en compte ce mécanisme fondamental.

C’est pourquoi nous relayons l’appel Ă  quitter X, tout en questionnant nos pratiques des rĂ©seaux sociaux et services numĂ©riques basĂ©s sur la publicitĂ©.

Il existe de nombreuses alternatives libres efficaces comme les réseaux sociaux du Fediverse (Mastodon, Pixelfed,
), les suites de Framasoft pour les bureautiques partagés, ou PeerTube pour les vidéos.

Il est aussi particuliĂšrement important d’installer un bloqueur de publicitĂ©, pour plus de confort de navigation et cesser de nourrir la machine Ă  rĂ©colter les donnĂ©es. Le site bloquelapub.net prĂ©sente des tutoriels simples.

Enfin, toutes ces mesures individuelles doivent nĂ©cessairement ĂȘtre complĂ©tĂ©es par des mesures contraignantes au niveau lĂ©gislatif. Une premiĂšre Ă©tape pourrait ĂȘtre de rendre les rĂ©seaux sociaux responsables des contenus qui s’y Ă©changent. Le site de La Quadrature du Net dĂ©taille les diffĂ©rentes lois nationales et europĂ©ennes tout en donnant des pistes pour pallier aux manques16.

Il est aussi urgent de rĂ©flĂ©chir Ă  des modĂšles de financement alternatifs Ă  la fausse gratuitĂ© publicitaire. Pour cela, nous appelons les mĂ©dias et sites intĂ©ressĂ©s Ă  prendre contact avec nous pour rĂ©flĂ©chir ensemble Ă  d’autres modĂšles possibles.

Thomas Citharel, codirecteur de Framasoft

Raquel Radaut, militante et porte-parole Ă  La Quadrature du Net

Marie Youakim, co-présidente de Ritimo

Marie Cousin, co-prĂ©sidente de RĂ©sistance Ă  l’Agression Publicitaire

Tanguy Delaire, militant de RĂ©sistance Ă  l’Agression Publicitaire

1Voir le manifeste de HelloQuittX https://www.helloquitx.com/MANIFESTO-HelloQuitteX.html

2Voir Shoshanna ZUBOFF, L’Âge du capitalisme de surveillance, Zulma, 2022

3Ethan ZUCKERMAN, « The Internet’s Original Sin Â», The Atlantic, 14 aoĂ»t 2014, https://www.theatlantic.com/technology/archive/2014/08/advertising-is-the-internets-original-sin/376041/

4Voir Ă  ce sujet la mini sĂ©rie Dopamine, diffusĂ©e sur Arte : https://www.arte.tv/fr/videos/RC-017841/dopamine/

5Selon Frances Haugen, ancienne employĂ©e de Facebook, lanceuse d’alerte, citĂ©e par David CHAVALARIAS, Toxic Data, Comment les rĂ©seaux manipulent nos opinions, Flammarion, 2022, p. 100

6Christia SPEARS BROWN, « Comment plusieurs Ă©tudes montrent qu’Instagram peut nuire au bien-ĂȘtre des jeunes Â», The Conversation, 26 septembre 2021 https://theconversation.com/comment-plusieurs-etudes-montrent-quinstagram-peut-nuire-au-bien-etre-des-jeunes-168514

7Mathilde SALIOU, TechnofĂ©minisme, Comment le numĂ©rique aggrave les inĂ©galitĂ©s, Éditions Grasset & Fasquelle, 2023, p. 59

8Voir l’analyse de David Chavalarias : David CHAVALARIAS, Toxic Data, op. cit.

9Tanguy DELAIRE, « PublicitĂ© sur Internet : un terrain favorable Ă  l’extrĂȘme droite Â», Le Club de Mediapart, 13 novembre 2024

10 Voir par exemple  le constat d’Amnesty International ‘ https://www.amnesty.fr/actualites/sinformer-se-former-eduquer-et-agir-face-a-la-montee-des-discours-de-haine-et-anti-droits ou celui de la commission europĂ©enne https://www.coe.int/fr/web/combating-hate-speech/what-is-hate-speech-and-why-is-it-a-problem- ) ou encore ce que rapportait en juin 2024 le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’ONU « L’impact nĂ©gatif des discours de haine sur la paix, le dĂ©veloppement durable, les droits de l’homme et la prĂ©vention des gĂ©nocides et des crimes connexes continue d’ĂȘtre observĂ© dans le monde entier Â» ( https://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/juin-2024/la-jeunesse-au-service-de-la-lutte-contre-les-discours-dincitation-%C3%A0-la-haine ). Â»

11Voir FĂ©licien FAURY, Des Ă©lecteurs ordinaires, EnquĂȘte sur la normalisation de l’extrĂȘme droite, Ă‰ditions du Seuil, 2024

12On lit sur le site de HelloQuitteX « Ă€ noter que Bluesky a rĂ©cemment fait entrer un investisseur privĂ©, Blockchain Capital, une entreprise du monde de la blockchain et des cryptomonnaies, ce qui influencera peut-ĂȘtre Ă  l’avenir son modĂšle Ă©conomique. Â» https://helloquittex.com/Quitter-Twitter-X-Etape-2-Je-cree-un-compte-Mastodon-et-ou-Bluesky.html consultĂ© le 9 janvier 2025

13Blog de RĂ©sistance Ă  l’Agression Publicitaire, « PublicitĂ© : l’industrialisation de la manipulation Â», Le Club de Mediapart, 23 novembre 2021 https://blogs.mediapart.fr/resistance-agression-pub/blog/231121/publicite-lindustrialisation-de-la-manipulation

14Nikos SMYRNAIOS, « Les GAFAM, entre emprise structurelle et crise d’hĂ©gĂ©monie Â», Pouvoirs, N° 185(2), 19-30, https://droit.cairn.info/revue-pouvoirs-2023-2-page-19?lang=fr

15AFP, Le Nouvel Obs, « Meta met fin Ă  son programme de fact-checking aux Etats-Unis, Musk trouve ça « cool Â», Trump dit qu’il a « probablement Â» influencĂ© la dĂ©cision Â», Le Nouvel Observateur, 7 janvier 2025 https://www.nouvelobs.com/monde/20250107.OBS98735/meta-met-fin-a-son-programme-de-fact-checking-aux-etats-unis-musk-trouve-ca-cool-trump-dit-qu-il-a-probablement-influence-la-decision.html

16Voir par exemple l‘analyse du « RĂšglement IA Â» adoptĂ© par la commission europĂ©enne en mai 2024 : https://www.laquadrature.net/2024/05/22/le-reglement-ia-adopte-la-fuite-en-avant-techno-solutionniste-peut-se-poursuivre/ ou « ou les propositions en terme d’interopĂ©rabilitĂ© des rĂ©seaux sociaux : https://www.laquadrature.net/?s=interop%C3%A9rabilit%C3%A9« 

Nous quittons Twitter

Par : nono
20 janvier 2025 Ă  07:47

Nous avons pris la dĂ©cision de quitter X, anciennement Twitter, ce lundi 20 janvier 2025. Cette dĂ©cision est mĂ»rement rĂ©flĂ©chie ; Twitter encourage depuis longtemps les discours de haine et le harcĂšlement mais, ces derniers mois, il est devenu l’espace d’expression privilĂ©giĂ© de l’extrĂȘme droite.

Nous nous joignons donc, comme des milliers de personnes, Ă  l’initiative HelloQuitX afin de rĂ©amorcer la dĂ©sertion des rĂ©seaux sociaux commerciaux centralisĂ©s vers de meilleurs espaces. Elle facilite notamment le dĂ©part en Twitter en proposant un outil de migration.

En effet, le retour de Donald Trump au pouvoir marque un tournant dans l’histoire de X. Le soutien d’Elon Musk, patron de X, Ă  la candidature de D. Trump a conduit Ă  des changements significatifs dans la modĂ©ration et l’algorithme de la plateforme. Les contenus fascistes ont Ă©tĂ© fortement mis en avant, tandis que les contenus issus des luttes pour l’émancipation ont vu leur portĂ©e rĂ©duite. Nous l’avons personnellement constatĂ©, notre compte ayant une portĂ©e bien moindre qu’auparavant, ce qui nous a aussi amenĂ© Ă  rĂ©flĂ©chir Ă  la pertinence de notre prĂ©sence sur cette plateforme.

Depuis notre crĂ©ation, nous luttons contre la centralisation des plateformes numĂ©riques et ses consĂ©quences. Nous avons notamment rĂ©guliĂšrement soulignĂ© les risques d’une concentration excessive du pouvoir dans les mains d’entreprises privĂ©es. Nous reconnaissions malgrĂ© tout l’importance de l’effet de rĂ©seau dont bĂ©nĂ©ficiait Twitter et c’est pour ça que jusqu’à prĂ©sent nous y Ă©tions restĂ©.es. Il s’agissait de garder le contact avec nos sympathisant.es et les organisations qui partagent nos valeurs.

Cependant, maintenant qu’un dĂ©part collectif se met en place grĂące Ă  HelloQuitX, nous considĂ©rons qu’il est temps de prendre une dĂ©cision courageuse et de participer Ă  montrer l’exemple, en attendant que des initiatives similaires puissent bientĂŽt s’organiser contre d’autres rĂ©seaux sociaux centralisĂ©s et toxiques, Ă  commencer par ceux de Mark Zuckerberg, patron de Meta.

Des alternatives existent, et nous gĂ©rons depuis longtemps un serveur faisant partie du rĂ©seau Mastodon : mamot.fr. Mastodon est un rĂ©seau qui permet une modĂ©ration propre Ă  chaque serveur, qui soit Ă  l’image de sa communautĂ©. Avec dĂ©jĂ  plusieurs millions d’utilisateurices, nous sommes convaincu.es que Mastodon est la meilleure alternative Ă  Twitter pour nous.

BlueSky existe Ă©galement, mais nous craignons que ce rĂ©seau rĂ©pĂšte les erreurs de Twitter. La dĂ©centralisation de cette plateforme est pour l’heure limitĂ©e et nous sommes inquiet.es quant au contrĂŽle qu’une entreprise unique pourrait exercer sur elle.

Afin de vous permettre de quitter X tranquillement, nous avons aussi pris la dĂ©cision d’ouvrir temporairement les inscriptions sur Mamot.fr, notre instance Mastodon oĂč sont dĂ©jĂ  inscrites 43 000 personnes. Vous pouvez vous y faire un compte dĂšs maintenant, gratuitement. Vous pouvez aussi trouver d’autres serveurs sur joinmastodon.org . Et grĂące Ă  l’interopĂ©rabilitĂ©, vous pouvez suivre les millions d’autres personnes inscrites sur d’autres serveurs Mastodon depuis Mamot.fr, ainsi que suivre des comptes sur Peertube, Pixelfed et d’autres.

Notre compte Mastodon est sur https://mamot.fr/@LaQuadrature. Nous serons heureux de discuter avec vous sur ce rĂ©seau social fĂ©dĂ©rĂ© !

Nous vous invitons Ă  rejoindre le mouvement qui se met en place grĂące Ă  HelloQuitX. Rejoignez-nous sur Mastodon et parlez-en avec vos amis et autour de vous ! Ensemble, nous pouvons crĂ©er un avenir meilleur et des rĂ©seaux sociaux libres.

Les trous noirs dans le contrĂŽle des services de renseignement

23 décembre 2024 à 08:12

Ce texte restitue la prise de parole d’un membre de La Quadrature du Net Ă  l’occasion d’un colloque organisĂ© conjointement par la revue Études Françaises de Renseignement et de Cyber et par la CNCTR, la Commission nationale de contrĂŽle des techniques de renseignement, Ă  Paris le 14 octobre 2024.

Ces derniĂšres annĂ©es, les services de renseignement français ont connu une croissance continue de leurs pouvoirs, qu’il s’agisse des ressources budgĂ©taires et humaines dont ils disposent que des prĂ©rogatives juridiques dont ils bĂ©nĂ©ficient. Or, l’enjeu du contrĂŽle dĂ©mocratique du renseignement – historiquement faible dans ces matiĂšres relevant de la raison d’État, et ce particuliĂšrement en France â€“ est largement restĂ© secondaire. Il n’est donc pas surprenant de constater la permanence de vĂ©ritables « trous noirs Â» dans le dispositif institutionnel français.

Opacité

Avant d’en venir Ă  ces trous noirs, le premier point qu’il nous faut aborder Ă  trait l’opacitĂ© des politiques publiques du renseignement, et la façon dont ce manque de transparence empĂȘche une organisation comme La Quadrature du Net de cultiver une expertise sur le renseignement, et donc de porter une critique correctement informĂ©e, et donc perçue comme lĂ©gitime. Si c’est Ă  l’honneur des deux prĂ©sidents de la CNCTR que d’avoir acceptĂ©, Ă  l’occasion, de nous rencontrer, que dire des silences assourdissants que des parlementaires de la DĂ©lĂ©gation parlementaire au renseignement, des services eux-mĂȘmes, ont opposĂ© Ă  nos demandes rĂ©pĂ©tĂ©es de rendez-vous et d’échange ?

Ce colloque – le premier du genre â€“ est certes bienvenu. Mais il ne permet pas de remĂ©dier Ă  l’opacitĂ© systĂ©mique du champ du renseignement, la maniĂšre dont il maintient sciemment tout critique externe Ă  distance, qu’il s’agisse de celle nourrie par des journalistes d’investigation ou de groupes militants attachĂ©s Ă  la dĂ©fense des droits humains. Alors que dans l’histoire du renseignement, en France et dans d’autres pays, c’est presque toujours cette critique externe qui semble avoir permise de remĂ©dier aux abus les plus graves, de documenter les illĂ©galitĂ©s en matiĂšre de surveillance, et ce bien sĂ»r en lien avec leurs sources et autres lanceurs d’alerte issus le plus souvent des services.

Cette critique externe ne joue pas seulement un rĂŽle crucial dans le cadre des controverses qui, rĂ©guliĂšrement, se nouent autour des servies de renseignement. Elle est aussi nĂ©cessaire au travail des organes de contrĂŽle institutionnalisĂ©s, ne serait-ce que pour leur permettre d’entendre un autre son de cloche, d’autoriser une forme de pluralisme dans ces matiĂšres, et faire en sorte que ces organes puissent ĂȘtre exposĂ©s Ă  un autre d’autres points de vue. Cela est de nature Ă  Ă©viter que ces organes ne deviennent infĂ©odĂ©s aux services qu’ils sont censĂ©s contrĂŽler.

De fait, en dehors des quelques informations ayant filtrĂ© via des journalistes, et outre les rares allusions faites par les responsables du renseignement lors d’auditions parlementaires ou par la CNCTR, aucune information officielle n’est fournie en France quant Ă  la nature et le coĂ»t des technologies de surveillance dĂ©ployĂ©es par les services pour collecter, stocker et analyser les communications et autres donnĂ©es numĂ©riques. L’enjeu de leur imbrication dans les processus de production du renseignement, la nature des marchĂ©s publics et l’identitĂ© des sous-traitants privĂ©s, et mĂȘme les interprĂ©tations juridiques ayant cours au sein des services quant Ă  l’utilisation de ces systĂšme, restent Ă©galement marquĂ©s par une grande opacitĂ©.

Pour finir, rappelons que cette opacitĂ© est d’autant plus illĂ©gitime, d’autant plus dangereuse, que depuis la derniĂšre publication de la stratĂ©gie nationale du renseignement en 2019, et grĂące aux rapports de la CNCTR depuis lors, on sait que l’activitĂ© des services dans les matiĂšres les plus sensibles sur le plan dĂ©mocratique – qu’on pense Ă  la surveillance des mouvements sociaux â€”, sont en forte recrudescence. C’est notamment le cas s’agissant de groupes militants non seulement lĂ©gitimes en dĂ©mocratie mais nĂ©cessaires pour sortir nos sociĂ©tĂ©s de leur immobilisme face Ă  la crise sociale et Ă©cologique.

Techniques

Outre cette opacitĂ© systĂ©mique, le droit du renseignement français reste marquĂ© par de vĂ©ritables trous noirs dans le contrĂŽle de certaines modalitĂ©s de collecte ou d’analyse des donnĂ©es. Passons donc en revue certaines des plus graves lacune du cadre juridique français.

Le plus significatif rĂ©side sans aucun doute dans l’absence de contrĂŽle des Ă©changes de donnĂ©es avec des services de renseignement Ă©trangers. Depuis plusieurs annĂ©es, la CNCTR demande de pouvoir contrĂŽler le partage de donnĂ©es entre services français et services Ă©trangers. En France, la question est d’autant plus pressante que les flux de donnĂ©es Ă©changĂ©s entre la DGSE et la NSA ont connu une augmentation rapide suite Ă  la conclusion des accords SPINS, signĂ©s fin 2015.
Or, la loi française exclut explicitement tout contrĂŽle de la CNCTR sur ces collaborations internationales nourries par des services jouissant d’une forte autonomie.

Dans son rapport annuel publiĂ© en 2019, la CNCTR admettait que ce trou noir dans le contrĂŽle du renseignement prĂ©sentait un risque majeur, puisqu’il pourrait permettre aux services français de recevoir de leurs homologues des donnĂ©es qu’ils n’auraient pas pu se procurer lĂ©galement au travers des procĂ©dures dĂ©finies dans la loi française. Dans le langage feutrĂ© qui la caractĂ©rise, la commission estimait qu’« une rĂ©flexion devait ĂȘtre menĂ©e sur l’encadrement lĂ©gal des Ă©changes de donnĂ©es entre les services de renseignement français et leurs partenaires Ă©trangers Â». La CEDH a en effet rappelĂ© dans son arrĂȘt Big Brother Watch du 25 mai 2021 que ces Ă©changes devaient ĂȘtre encadrĂ©s par le droit national et soumis au contrĂŽle d’une autoritĂ© indĂ©pendante (§ 362). Pourtant, Ă  ce jour, la France est le dernier État membre de l’Union europĂ©enne Ă  ne disposer d’aucun cadre juridique pour encadrer ces Ă©changes internationaux.

Un autre de ces trous noirs est bien sĂ»r l’immunitĂ© pĂ©nale liĂ©e Ă  l’article 323-8 du code pĂ©nal et l’absence de tout encadrement lĂ©gislatif des activitĂ©s de piratage informatique menĂ©es par les services français sur des Ă©quipements situĂ©s hors des frontiĂšres nationales. Cette absence d’encadrement conduit Ă  ce que ces activitĂ©s soient de facto illĂ©gales. L’immunitĂ© pĂ©nale ainsi accordĂ©e apparaĂźt Ă©galement contraire Ă  l’article 32(b) de la convention de Budapest sur la cybercriminalitĂ©.

Autre forme de surveillance non couverte par la loi et donc tout aussi illĂ©gale : la surveillance dite « en source ouverte Â» (OSINT), notamment sur les rĂ©seaux sociaux comme Facebook ou X – une activitĂ© sur laquelle peu de choses ont fuitĂ© dans la presse mais dont on sait qu’elle a pris une importance croissante ces dix derniĂšres annĂ©es. L’achat de donnĂ©es aux data brokers n’est pas non plus rĂ©gulĂ© en droit français. Or rien ne permet de penser que cette activitĂ©, qui a fait la controverse aux États-Unis, ne soit pas aussi coutumiĂšre pour les services français.

Droits et garanties

Le droit français prĂ©sente aussi d’énormes lacunes du point de vue des droits apportĂ©s aux personnes surveillĂ©es.

Le droit Ă  l’information tout d’abord. Il s’agit-lĂ  d’un principe essentiel dĂ©gagĂ© par la jurisprudence europĂ©enne : les personnes ayant fait l’objet d’une mesure de surveillance secrĂšte doivent pouvoir en ĂȘtre informĂ©es, dĂšs lors qu’une telle information n’est plus susceptible d’entraver l’enquĂȘte menĂ©e Ă  leur encontre par les services. DĂšs son rapport publiĂ© en janvier 2018, la CNCTR passait en revue la jurisprudence affĂ©rente et mentionnait plusieurs exemples de lĂ©gislations Ă©trangĂšres – la loi allemande notamment – garantissant une procĂ©dure de notification des personnes surveillĂ©es, prĂ©voyant un certain nombre d’exceptions Ă©troitement limitĂ©es.

Il y a enfin l’absence de pouvoirs octroyĂ©s Ă  la CNCTR pour tenir en Ă©chec des formes de surveillance illĂ©gale, et notamment l’absence d’avis conforme. Le Conseil d’État rappelait pourtant dans son arrĂȘt du 21 avril 2021 relatif Ă  la conservation gĂ©nĂ©ralisĂ©e des donnĂ©es de connexion que ce dernier Ă©tait une exigence du point de vue du droit de l’Union europĂ©enne. Dans cette dĂ©cision qui donnait largement gain de cause au gouvernement, le Conseil d’État se fondait sur l’arrĂȘt La Quadrature du Net de la CJUE, en date d’octobre 2020, pour exiger que les avis rendus par la CNCTR sur les mesures de surveillance soient « conformes Â» (c’est-Ă -dire impĂ©ratifs pour le gouvernement) et non plus simplement consultatifs.

Ces quelques aspects, loin de donner un aperçu exhaustif de tous les problĂšmes posĂ©s par le droit français en matiĂšre de surveillance numĂ©rique conduite par les services de renseignement, suffit Ă  illustrer le fait que, en dĂ©pit des compliments reçus par la France de la part d’un certain rapporteur de l’ONU Ă  la vie privĂ©e qui restera de triste mĂ©moire, la France a encore beaucoup Ă  faire pour se hisser au niveau des standards internationaux, lesquels devraient pourtant ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un socle minimal dans tout État de droit qui se respecte.

2025 marquera les 10 ans de la loi renseignement. Pour continuer notre travail sur la surveillance d’État l’annĂ©e prochaine, nous avons besoin de votre soutien. Alors si vous le pouvez, faites un don Ă  La Quadrature du Net.

QSPTAG #316 — 20 dĂ©cembre 2024

Par : robinson
20 décembre 2024 à 11:29

Campagne de soutien 2025 : C’est pas de l’IA, c’est de l’exploitation dernier cri

Pour animer notre campagne de dons de fin d’annĂ©e, nous avons choisi de traiter le thĂšme de l’IA, qui sera un de nos grands axes de travail en 2025 : au lieu de tomber dans le panneau des fantasmes inutiles — ceux d’une intelligence surhumaine qui dĂ©truira l’humanitĂ© ou qui la sauvera de ses propres errements — et si on s’intĂ©ressait plutĂŽt Ă  ses usages concrets et Ă  ses effets rĂ©els ? AprĂšs un article d’introduction accompagnĂ© d’une vidĂ©o, on s’est penchĂ© plus spĂ©cialement sur les algorithmes de « scoring Â» utilisĂ©s par les administrations sociales, en lien avec notre campagne France ContrĂŽle. La semaine suivante, on est allĂ© Ă  Marseille pour suivre le travail du collectif Le Nuage Ă©tait sous nos pieds, dont font partie des membres de La Quadrature, qui Ă©tudie l’impact des infrastructures du numĂ©rique, dĂ©multipliĂ©es par l’IA, sur les villes, les ressources et les personnes. Et cette semaine, on revient sur la place de l’IA dans les discours sĂ©curitaires et dans les dispositifs de surveillance qui se dĂ©ploient aujourd’hui, au prĂ©sent, dans nos rues. Une vidĂ©o qui rejoint Ă©videmment nos campagnes Technopolice et Pas de VSA dans ma ville. C’est pas de l’IA, c’est de la surveillance, du contrĂŽle social et beaucoup, beaucoup de discours creux qui cachent la rĂ©alitĂ© d’un numĂ©rique au service de la contrainte et de l’exploitation des ressources et des personnes. Soutenez La Quadrature en 2025, faites-nous un don si vous pouvez !

Rendez-vous sur la page de la campagne de dons : https://www.laquadrature.net/donner/
Introduction : https://www.laquadrature.net/2024/11/29/cest-pas-de-lia-cest-de-lexploitation-dernier-cri/
VidĂ©o gĂ©nĂ©rale : https://video.lqdn.fr/w/kzeD86nXj12pKnEqwZKQEF
VidĂ©o IA et contrĂŽle social : https://video.lqdn.fr/w/6Gi2v2ZhqDYWfvk3HP2MrR
VidĂ©o IA et Ă©cologie : https://video.lqdn.fr/w/48uz581ZbdNvWyXC9KV37n
VidĂ©o IA et Technopolice : https://video.lqdn.fr/w/6aMhTgir5dGpn8ByQjR87i

Attrap est public : un outil pour repĂ©rer les arrĂȘtĂ©s prĂ©fectoraux trop discrets

Depuis que l’utilisation des drones policiers a Ă©tĂ© lĂ©galisĂ©e par la loi SĂ©curitĂ© intĂ©rieure de 2022, et l’utilisation « expĂ©rimentale Â» de la vidĂ©osurveillance algorithmique (VSA) par la loi Jeux Olympiques de 2023, nous passons du temps Ă  chercher des arrĂȘtĂ©s prĂ©fectoraux en ligne. Pas pour le plaisir (encore que), mais parce que chaque sortie des drones policiers et chaque dĂ©clenchement de la VSA doit ĂȘtre autorisĂ© et prĂ©cĂ©dĂ© par un arrĂȘtĂ© du prĂ©fet, qui doit ĂȘtre rendu public. Et c’est lĂ  que ça se complique : documents publiĂ©s Ă  la derniĂšre minute (ou mĂȘme aprĂšs), documents planquĂ©s dans les arriĂšre-fonds des sites web des prĂ©fectures, documents scannĂ©s au format image donc inaccessibles aux outils de recherche de texte, processus diffĂ©rents d’une prĂ©fecture Ă  l’autre, architecture des sites prĂ©fectoraux pas du tout standardisĂ©e, etc. On pourrait presque croire que tout est fait pour que l’information soit aussi difficile Ă  trouver que possible. Le pouvoir a une habitude de secret et de discrĂ©tion, il ne faudrait quand mĂȘme pas que la population, les journalistes, les chercheur·euses ou les militant·es exercent leur droit trop facilement.

Mais comme La Quadrature est un mĂ©lange de juristes et de geeks, et parfois de juristes-geeks, on a dĂ©veloppĂ© un outil pour abattre le boulot et explorer pour nous les sites prĂ©fectoraux et rapporter les arrĂȘtĂ©s en fonction des mots clĂ©s qu’on lui donne. « On Â» s’appelle d’abord Bastien, vite rejoint par Nono et par une bande de bĂ©nĂ©voles, merci Ă  elleux, pour dĂ©chiffrer et dĂ©fricher les labyrinthes prĂ©fectoraux et perfectionner l’outil. Aucune IA n’a Ă©tĂ© maltraitĂ©e durant ce processus, seulement des militant·es motivé·es. Le logiciel s’appelle Automate de Traque de Termes et de Recherche dans les ArrĂȘtĂ©s PrĂ©fectoraux, ou Attrap pour faire plus court – et c’est Ă©galement plus facile Ă  prononcer, ça tombe quand mĂȘme drĂŽlement bien.

On utilise Attrap depuis quelques mois, avec des recherches sur les mots-clĂ©s liĂ©s aux drones et Ă  la VSA, pour alimenter un compte Mastodon nommĂ© Attrap’Surveillance et documenter la mise en Ɠuvre quasi quotidienne de ces dispositifs de surveillance qui nous paraissaient encore si effrayants et exotiques lors du confinement de mars 2020.
On avait en tĂȘte depuis le dĂ©but de rendre un jour l’outil public pour que tout le monde puisse s’en servir. C’est chose faite. Le site Attrap est en ligne depuis quelques jours, avec un article qui explique sa genĂšse et son utilitĂ©, et il fonctionne comme un moteur de recherche. On a aussi lancĂ© des exemples de suivi de certaines dĂ©cisions repĂ©rĂ©es par Attrap avec des thĂšmes prĂ©cis, ici ou lĂ  par exemple, en espĂ©rant que cela donnera envie Ă  d’autres collectifs de s’approprier l’outil. DorĂ©navant Attrap est Ă  vous : apprenez Ă  connaĂźtre votre prĂ©fecture, ce n’est pas sale !

Et si vous allez en Allemagne au Chaos Computer Congress (CCC) cette annĂ©e, vous pouvez venir ajouter de nouvelles prĂ©fectures dans le moteur de recherche, lors du hackathon Attrap organisĂ© le 27 dĂ©cembre Ă  18h au Komona. Une rumeur dit que les participant·es pourront rĂ©cupĂ©rer des oreilles de chat qui brillent dans le noir en guise de petit remerciement


Pour lire la prĂ©sentation d’Attrap : https://www.laquadrature.net/2024/12/19/contre-lopacite-de-la-surveillance-locale-attrap-tes-arretes-prefectoraux/
Le compte Mastodon de Attrap’Surveillance : https://mamot.fr/@AttrapSurveillance
Pour utiliser Attrap tout de suite : attrap.fr

Agenda

  • 27-30 dĂ©cembre : Chaos Communication Congress (38C3) Ă  Hambourg (Allemagne). La Quadrature sera prĂ©sente avec une table et des ateliers !
  • 8 janvier : RĂ©union Technopolice Paris-Banlieue, Ă  partir de 19h au Bar Commun, 135 rue des Poissonniers, Paris 18e.
  • 9 janvier : RĂ©union mensuelle du groupe Technopolice Marseille, Ă  partir de 19h au Manifesten, 59 Rue Adolphe Thiers, Marseille.
  • Retrouvez tout l’agenda en ligne.

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Divers

Contre l’opacitĂ© de la surveillance locale : Attrap tes arrĂȘtĂ©s prĂ©fectoraux !

Par : bastien
19 décembre 2024 à 08:12

Un des obstacles les plus importants dans la lutte contre la Technopolice est l’opacitĂ© persistante de l’utilisation des technologies de surveillance. Pour contrer cette difficultĂ©, La Quadrature du Net lance aujourd’hui Attrap (pour « Automate de Traque de Termes et de Recherche dans les ArrĂȘtĂ©s PrĂ©fectoraux Â»), un moteur de recherche d’arrĂȘtĂ©s prĂ©fectoraux qui contribue ainsi Ă  une plus grande transparence de l’action de l’administration. Cet outil est destinĂ© aux journalistes, militant·es, avocat·es, habitant·es qui souhaitent faire des recherches facilement et rapidement dans la masse d’arrĂȘtĂ©s prĂ©fectoraux, et ainsi pouvoir connaĂźtre quels sont les outils de surveillance et de contrĂŽle utilisĂ©s par l’État sur elles et eux.

Ces derniĂšres annĂ©es, la multiplication des outils de surveillance Ă  disposition des autoritĂ©s publiques s’est accompagnĂ©e d’une augmentation du pouvoir des prĂ©fets, Ă©manations locales de l’État. Par exemple, depuis 1995, il revient aux prĂ©fets de dĂ©partement d’autoriser les communes ou commerces Ă  mettre en place de la vidĂ©osurveillance. On retrouve ce mĂȘme mĂ©canisme d’autorisation prĂ©fectorale pour les drones depuis 2023 ou, depuis la loi sur les Jeux Olympiques, pour la vidĂ©osurveillance algorithmique dont la premiĂšre autorisation a Ă©tĂ© dĂ©livrĂ©e en avril 2024.

Les prĂ©fets sont Ă©galement dotĂ©s de pouvoirs d’interdictions ou de restrictions. Ils peuvent ainsi interdire des manifestations, crĂ©er des locaux de rĂ©tention administrative (Ă©quivalent temporaire des centres de rĂ©tention administratifs, CRA, qui servent Ă  enfermer les personnes Ă©trangĂšres avant de les expulser) ou, depuis la loi SILT (qui introduisait en 2017 dans le droit commun les mesures de l’état d’urgence), mettre en place des « pĂ©rimĂštres de sĂ©curitĂ© Â».

En thĂ©orie, toutes ces dĂ©cisions des prĂ©fets doivent ĂȘtre publiĂ©es. Mais en pratique, il est trĂšs difficile d’accĂ©der Ă  cette information. Parfois, les prĂ©fectures communiquent sur les rĂ©seaux sociaux. Mais cela reste exceptionnel et cantonnĂ© Ă  quelques grands Ă©vĂ©nements. La plupart du temps, toutes ces dĂ©cisions sont enterrĂ©es au fond des recueils des actes administratifs des prĂ©fectures.

Les recueils des actes administratifs, triste exemple d’inaccessibilitĂ©

Les recueils des actes administratifs (RAA) sont les journaux officiels des prĂ©fectures : dans un objectif trĂšs thĂ©orique de transparence, beaucoup de dĂ©cisions prises par les prĂ©fectures doivent ĂȘtre publiĂ©e dans ces RAA. Cette publicitĂ© est cependant limitĂ©e en pratique : les RAA sont dĂ©libĂ©rĂ©ment organisĂ©s de maniĂšre Ă  ĂȘtre les moins accessibles possibles.

Prenons un cas pratique pour illustrer cette inaccessibilitĂ©. De passage Ă  Antibes le week-end du 25-26 aoĂ»t 2024, vous avez constatĂ© qu’un drone survolait le centre-ville. Vous souhaitez alors connaĂźtre la dĂ©cision (en l’occurrence ici, un arrĂȘtĂ©) qui a autorisĂ© cette surveillance et voir les justifications avancĂ©es par les pouvoirs publics pour son dĂ©ploiement, la durĂ©e d’autorisation ou encore les personnes responsables.

Une recherche sur le site de la prĂ©fecture des Alpes-Maritimes ne retourne aucun rĂ©sultat. Vous devez alors rechercher par vous-mĂȘme dans les RAA. Mais ceux de la prĂ©fecture des Alpes-Maritimes sont dispersĂ©s dans une multitude de fichiers PDF, eux-mĂȘme Ă©parpillĂ©s dans de nombreuses pages et sous-pages du site de l’administration. Vous devez donc scruter l’ensemble des recueils mensuels, spĂ©ciaux et spĂ©cifiques. Mais gare Ă  vous si vous ouvrez trop rapidement plusieurs fichiers PDF : vous vous retrouverez bloqué·e par la plateforme et devrez attendre plusieurs dizaines de minutes avant de pouvoir continuer ! De plus, en utilisant la fonction Recherche de votre navigateur dans les fichiers PDF des RAA publiĂ©s autour de la date recherchĂ©e, vous ne trouvez nulle part le terme « aĂ©ronef Â» (expression lĂ©galement consacrĂ©e pour dĂ©signer les drones).

Finalement, en recherchant « drone Â», vous trouvez une petite ligne dans le sommaire du RAA spĂ©cial du 14 aoĂ»t. En vous rendant Ă  la page indiquĂ©e dans le sommaire, vous constaterez qu’il s’agit bien de l’arrĂȘtĂ© prĂ©fectoral que vous cherchez. Mais il n’est pas possible de sĂ©lectionner le texte (donc de faire une recherche dans le corps des arrĂȘtĂ©s du RAA) parce que les services de la prĂ©fecture ont publiĂ©e sa version scannĂ©e


Il ne s’agit pas du pire exemple, mĂȘme si certaines prĂ©fectures rendent leurs recueils d’actes administratifs un peu plus accessibles que celle des Alpes-Maritimes. Et, dans notre cas pratique, il s’agissait de retrouver un arrĂȘtĂ© prĂ©cis. Autant dire qu’il n’est pas possible de faire une veille efficace, et donc d’exercer un contrĂŽle sur les actes pris par les prĂ©fectures, notamment en termes de surveillance de la population.

Une interface unique pour rendre accessible les recueil des actes administratifs

Pour contourner ces obstacles pratiques, nous avons crĂ©Ă© Attrap. Il s’agit d’un moteur de recherche qui analyse automatiquement les sites des prĂ©fectures, tĂ©lĂ©charge les diffĂ©rents fichiers PDF des RAA, reconnaĂźt les caractĂšres, extrait le texte et rend tout cela disponible dans une interface web unique. À partir de cette derniĂšre, vous pouvez alors rechercher des mots-clĂ©s dans les RAA de toutes les prĂ©fectures ou certaines seulement, trier les rĂ©sultats par pertinence ou chronologiquement, ou encore faire des recherches avancĂ©es avec les mots « AND Â» ou « OR Â». Ainsi, l’arrĂȘtĂ© d’autorisation de drones de notre exemple peut se trouver en quelques instants.

Mieux ! Si vous savez coder et voulez dĂ©velopper des fonctionnalitĂ©s que n’offre pas Attrap (par exemple un systĂšme de statistiques, de veille, ou d’analyse plus poussĂ©e des arrĂȘtĂ©s prĂ©fectoraux), vous pouvez utiliser librement l’API du service. C’est grĂące Ă  celle-ci que nous avons crĂ©Ă© les robots de veille Mastodon Attrap’Surveillance (qui dĂ©tecte la vidĂ©osurveillance, la VSA et les drones), Attrap’Silt (qui dĂ©tecte les pĂ©rimĂštres de sĂ©curitĂ© de la loi Silt) et Attrap’LRA (qui dĂ©tecte les crĂ©ations de locaux de rĂ©tention administrative). Et le code source de notre robot est lui aussi libre.

Redonner du pouvoir aux individus

Attrap est un nouvel outil pour, par exemple, les groupes locaux Technopolice qui documentent et veillent sur le dĂ©veloppement des technologies de surveillance, dans nos quartiers, villes et villages. Cet outil permet ainsi de rendre visible, en alertant les habitant·es, de ce que la police voudrait invisible : la surveillance de nos rues et donc de nos vies. Il permettra Ă©galement de documenter qui seront les futurs cobayes de la vidĂ©o surveillance algorithmique (VSA) dans le cadre de la loi JO qui se poursuit jusqu’en mars 2025.

Ainsi, c’est grĂące Ă  Attrap que nous avons pu par exemple visibiliser les usages de VSA cette annĂ©e, y compris saisir la CNIL d’une plainte lorsque la prĂ©fecture de police de Paris a utilisĂ© cette technologie illĂ©galement. C’est Ă©galement grĂące Ă  cet outil que le groupe Technopolice Marseille a pu documenter les usages massifs de drones dans la citĂ© phocĂ©enne, notamment lors des « opĂ©rations place nette Â», vaste sĂ©quence mĂ©diatique de GĂ©rald Darmanin au bilan trĂšs critiquĂ©, ou pour surveiller le centre de rĂ©tention administrative du Canet (arrĂȘtĂ© qui vient d’ĂȘtre suspendu par la justice suite Ă  un recours de l’Ordre des avocats au barreau de Marseille et de La Cimade, soutenus par le Syndicat des Avocats de France, le Syndicat de la magistrature et le Gisti).

Attrap comporte encore quelques limites. Pour l’instant, seule une trentaine de prĂ©fectures de dĂ©partement et deux prĂ©fectures de rĂ©gion sont supportĂ©es. L’ajout d’une nouvelle administration nĂ©cessite du temps puisqu’il faut s’adapter Ă  la maniĂšre qu’a chaque prĂ©fecture de rĂ©pertorier en ligne ses RAA. Également, pour la plupart des prĂ©fectures, seuls les RAA de l’annĂ©e 2024 sont indexĂ©s. Mais la couverture d’Attrap s’amĂ©liorera dans les prochains mois.

Pour amĂ©liorer Attrap, nous organisons un hackathon lors du 38Ăšme Chaos Communication Congress (38C3) Ă  Hambourg en Allemagne. Si vous aimez le Python, n’hĂ©sitez pas Ă  venir ! Mais si vous n’ĂȘtes pas au 38C3, vous pouvez Ă©galement vous rendre sur notre canal Matrix dĂ©diĂ© pour commencer Ă  contribuer ! đŸ€“

À l’avenir, d’autres fonctionnalitĂ©s seront Ă©galement ajoutĂ©es. Nous prĂ©voyons notamment d’ajouter un systĂšme de veille, qui vous permettra d’ĂȘtre notifié·e par email des derniers rĂ©sultats sans avoir Ă  crĂ©er vous-mĂȘme votre propre robot de veille.

Par cet outil, nous souhaitons donner plus de pouvoirs aux personnes concernĂ©es par les dĂ©cisions prĂ©fectorales. Vous pouvez dĂšs aujourd’hui avoir un aperçu des mesures les moins acceptables que les prĂ©fectures ont tendance Ă  enterrer au fond de leurs RAA : interdictions de manifestations, vidĂ©osurveillance, drones, vidĂ©osurveillance algorithmique, interdictions de festivals de musique clandestins, mesures de police justifiĂ©es par des appels au « zbeul Â» sur les rĂ©seaux sociaux, etc.

Nous espĂ©rons qu’Attrap permettra de mieux visibiliser l’action locale (et les abus) de l’État. L’opacitĂ© entretenue par les prĂ©fectures vient de perdre un peu de terrain. Pour nous aider Ă  continuer nos actions, vous pouvez nous faire un don. Et si vous voulez contribuer Ă  Attrap, rendez-vous sur le canal Matrix dĂ©diĂ©.

QSPTAG #315 — 6 dĂ©cembre 2024

Par : robinson
6 décembre 2024 à 12:34

C’est pas de l’IA, c’est du soutien !

Jeudi dernier, le 28 novembre, nous avons lancĂ© notre campagne de dons pour 2025. Comme Ă  chaque fin d’annĂ©e, les associations font leur appel Ă  soutien pour boucler le budget de l’annĂ©e qui va commencer. La Quadrature n’y Ă©chappe pas, d’autant moins qu’elle tient principalement par vos dons et qu’elle refuse de solliciter des subventions publiques, pour des raisons d’indĂ©pendance de plus en plus Ă©videntes. Si vous le pouvez, merci de nous soutenir financiĂšrement !

Pour animer ce mois de campagne, on a dĂ©cidĂ© de parler d’un sujet qui nous intĂ©resse depuis un moment dĂ©jĂ , mais qu’on veut prendre Ă  bras le corps tant les choses s’accĂ©lĂšrent : l’IA. DerriĂšre le buzzword du moment se cachent Ă©normĂ©ment de fantasmes et des rĂ©alitĂ©s trop mal connues. Tant de croyances entourent l’IA qu’elle joue le rĂŽle d’un mythe, endossant tantĂŽt le rĂŽle du sauveur ou celui du bourreau de l’humanitĂ©. Mais elle a des rĂ©alitĂ©s concrĂštes Ă  partir desquelles il faut l’apprĂ©hender. Par oĂč commencer ?

D’abord, supprimer l’effet de fascination causĂ© par l’expression elle mĂȘme. « L’intelligence artificielle Â» n’existe pas. Ou plutĂŽt, il faut regarder de plus prĂšs ce que recouvre le mot magique. Nous avons publiĂ© un premier article accompagnĂ© d’une premiĂšre vidĂ©o pour prĂ©senter les grandes lignes de notre lecture du phĂ©nomĂšne. L’IA n’est rendue possible que par une Ă©norme concentration de moyens qui la place d’entrĂ©e entre les mains du systĂšme industriel et financier dominant, avec tous les dĂ©gĂąts sociaux et environnementaux qui s’ensuivent. Elle sert logiquement les intĂ©rĂȘts de ces dominants. Comme instrument de police avec la VSA, comme instrument de contrĂŽle social avec les algorithmes administratifs, comme instrument de l’exploitation salariale avec l’entrĂ©e de l’IA gĂ©nĂ©rative dans les entreprises
 Autant d’aspects que nous essaierons d’explorer tout au long de cette campagne et dans les mois qui viennent. Soutenez La Quadrature en 2025 !

Rendez-vous sur la page de la campagne de dons : https://www.laquadrature.net/donner/
Premier article sur l’IA : https://www.laquadrature.net/2024/11/29/cest-pas-de-lia-cest-de-lexploitation-dernier-cri/
Lien direct vers la vidĂ©o : https://video.lqdn.fr/w/kzeD86nXj12pKnEqwZKQEF

France ContrĂŽle : un algo de contrĂŽle discriminatoire Ă  l’Assurance maladie

Exemple concret des espoirs et des ambitions confiĂ©es Ă  « l’intelligence artificielle Â» (naguĂšre, on appelait ça le « big data Â») : identifier les fraudes aux prestations sociales. Nous avons publiĂ© l’annĂ©e derniĂšre les rĂ©sultats de notre travail sur l’algorithme de notation utilisĂ© par la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) pour attribuer un « score de risque Â» Ă  ses bĂ©nĂ©ficiaires. Nous avions dĂ©couvert, et montrĂ© preuve Ă  l’appui, que l’algorithme en question Ă©tait Ă©crit pour cibler plus particuliĂšrement les personnes en situation de grande prĂ©caritĂ© (solitude, charge de famille, faibles revenus, etc.). Nous publions cette semaine la suite de cette enquĂȘte.

Cette fois, c’est l’algorithme de notation utilisĂ© par la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM) qui est dĂ©cortiquĂ©. Nos conclusions sont les mĂȘmes : sous prĂ©texte de lutter contre la fraude, la CNAM accentue la pression de contrĂŽle sur les personnes les plus fragiles. Adultes handicapĂ©es, mĂšres cĂ©libataires, voilĂ  les ennemis de la solidaritĂ© sociale et les « fraudeurs Â» dĂ©signĂ©s par les responsables des services sociaux qui mettent au point ces algorithmes de contrĂŽle. Un article Ă  lire sur notre site.

Lire l’article : https://www.laquadrature.net/2024/12/05/notation-algorithmique-lassurance-maladie-surveille-les-plus-pauvres-et-harcele-les-meres-precaires/

Surveillance algorithmique : la CNIL dĂ©missionne

Autre usage de l’IA. On vous a souvent parlĂ© de Briefcam, un logiciel de VSA dotĂ© de puissantes fonctions d’identification faciale et d’analyse biomĂ©trique, achetĂ© par de nombreuses villes en France et utilisĂ© aussi par la police nationale et la gendarmerie nationale, comme l’a rĂ©vĂ©lĂ© l’an dernier le mĂ©dia Disclose.

L’outil est si puissant et si profondĂ©ment installĂ© dans le marchĂ© de la vidĂ©osurveillance algorithmique Ă  la française (VSA), qu’à la suite de l’article de Disclose, la CNIL a menĂ© une enquĂȘte sur l’usage du logiciel par la police et la gendarmerie, dont elle a publiĂ© les conclusions cette semaine (juste aprĂšs notre article qui actait sa dĂ©mission, et le moins qu’on puisse dire, c’est que les conclusions de son enquĂȘte ne sont pas de nature Ă  nous contredire).

Le logiciel Briefcam (comme ses semblables) est capable d’identifier une personne dans la foule Ă  l’aide de traits individuels caractĂ©ristiques : taille, dĂ©marche, vĂȘtements, couleur de la peau ou des cheveux, etc. Cette identification individuelle permet au logiciel de retrouver la mĂȘme personne sur toutes les images des camĂ©ras publiques de la ville, et de la suivre partout – un vĂ©ritable fantasme policier. Mais dans l’état du droit actuel, tout traitement de donnĂ©es qui permet d’identifier une personne de façon certaine, et isole l’individu au sein d’un groupe, relĂšve du traitement de donnĂ©es biomĂ©triques, dites « sensibles Â», c’est-Ă -dire encore plus protĂ©gĂ©es et encadrĂ©es par la loi. On ne fait pas ce qu’on veut avec des donnĂ©es personnelles, encore moins avec des donnĂ©es biomĂ©triques, et c’est le rĂŽle de la CNIL d’y veiller depuis sa crĂ©ation en janvier 1978.

Or, devant les parlementaires qui la consultaient sur la Loi Transports (laquelle cherchait Ă  lĂ©galiser l’usage de la VSA pour certaines enquĂȘtes pĂ©nales) comme dans les conclusions de son enquĂȘte sur Briefcam, la CNIL se dĂ©fausse. Elle se contente de rappeler l’interdiction de la reconnaissance faciale mais pour le reste des fonctions d’analyse biomĂ©triques – tout aussi dangereuses, et tout aussi illĂ©gales –, elle refuse de faire appliquer le droit et se contente des explications fournies par les institutions policiĂšres. En donnant ainsi son aval Ă  une pratique illĂ©gale de surveillance passible de sanctions pĂ©nales, la CNIL trahit sa mission de protection des droits et des libertĂ©s. Notre analyse complĂšte dans l’article.

Lire l’article : https://www.laquadrature.net/2024/12/04/vsa-et-biometrie-la-cnil-demissionnaire/

Data centers : le coĂ»t Ă©cologique du tout numĂ©rique

C’est un des pires aspects de l’IA : basĂ©e sur d’énormes puissances de calcul, elle contribue Ă  l’explosion des besoins en infrastructures, et particuliĂšrement en data centers, gourmands en Ă©nergie et en eau de refroidissement. La ville de Marseille, grand nƓud portuaire et « porte Â» du sud de la France vers la MĂ©diterranĂ©e et le reste du monde, est particuliĂšrement concernĂ©e par le sujet : placĂ©e au point d’arrivĂ©e sur le continent de nombreux cĂąbles sous-marins, elle est envahie par les data centers qui stockent et traitent les donnĂ©es en transit.

Le collectif marseillais « Le nuage Ă©tait sous nos pieds Â», dont fait partie La Quadrature, veut re-matĂ©rialiser le cloud pour montrer la rĂ©alitĂ© de nos usages numĂ©riques. Il a organisĂ© un festival informatif et militant en novembre Ă  Marseille, et publiĂ© un premier article sur le sujet en septembre dernier. Voici le deuxiĂšme article, qui analyse en dĂ©tails la situation Ă  Marseille.

Lire l’article : https://www.laquadrature.net/2024/11/20/accaparement-du-territoire-par-les-infrastructures-du-numerique/

Agenda

La Quadrature dans les médias

Data centers Ă  Marseille

Technopolice, le livre

Vidéosurveillance algorithmique

France ContrĂŽle

Notation algorithmique: l’Assurance Maladie surveille les plus pauvres et harcĂšle les mĂšres prĂ©caires

Par : bastien
5 décembre 2024 à 07:21

Depuis 2021, nous documentons via notre campagne France ContrĂŽle les algorithmes de contrĂŽle social utilisĂ©s au sein de nos administrations sociales. Dans ce cadre, nous avons en particulier analysĂ© le recours aux algorithmes de notation. AprĂšs avoir rĂ©vĂ©lĂ© que l’algorithme utilisĂ© par la CAF visait tout particuliĂšrement les plus prĂ©caires, nous dĂ©montrons, via la publication de son code1Plus prĂ©cisĂ©ment, nous avons eu accĂšs Ă  l’ensemble des odds ratio associĂ©s aux variables, ce qui nous a permis de rĂ©tro-ingĂ©niĂ©rer le code de l’algorithme., que l’Assurance Maladie utilise un algorithme similaire ciblant directement les femmes en situation de prĂ©caritĂ©.

Depuis 2018, un algorithme dĂ©veloppĂ© par l’Assurance Maladie (CNAM) attribue une note, ou score de suspicion, Ă  chaque foyer bĂ©nĂ©ficiant de la ComplĂ©mentaire SantĂ© Solidaire gratuite (C2SG), soit 6 millions de personnes parmi les plus pauvres de France2La C2S gratuite (C2SG) est une complĂ©mentaire santĂ© gratuite accordĂ©e sous conditions de revenus et de composition familiale. RĂ©servĂ©e aux foyers les plus prĂ©caires, elle bĂ©nĂ©ficiait, en 2023, Ă  5,9 millions de personnes (voir ici). Le plafond annuel de ressources de la C2SG a Ă©tĂ© fixĂ© Ă  9 719 € pour une personne seule, en mĂ©tropole, au 1er avril 2023, modulable en fonction de la composition du foyer du demandeur (voir ici). AttribuĂ©e au niveau du foyer et non au niveau individuel, elle sert Ă  couvrir tout ou partie des frais restant Ă  la charge de l’assuré·e. La C2S peut aussi ĂȘtre soumise Ă  participation financiĂšre en cas de revenus lĂ©gĂšrement supĂ©rieurs (1,5 million de personnes).. Cette note sert Ă  sĂ©lectionner les foyers devant faire l’objet d’un contrĂŽle. Plus elle est Ă©levĂ©e, plus la probabilitĂ© qu’un foyer soit contrĂŽlĂ© est grande. Suite Ă  une erreur de la CNAM, nous avons pu avoir accĂšs au code source de cet algorithme que nous rendons public avec cet article. Le constat est accablant.

L’algorithme cible dĂ©libĂ©rĂ©ment les mĂšres prĂ©caires. Ces derniĂšres, ouvertement prĂ©sentĂ©es dans des documents officiels par les responsables de la CNAM comme Ă©tant « les plus Ă  risques d’anomalies et de fraude Â»3Voir ce document de prĂ©sentation du modĂšle de datamining en « ComitĂ© de Direction Fraude Â» le 11 janvier 2020. C’est ce document qui a Ă©tĂ© mal occultĂ© par les Ă©quipes de la CNAM., reçoivent un score de suspicion plus Ă©levĂ© que le reste des assuré·es. En retour, elles subissent un plus grand nombre de contrĂŽles. Notons que les – trop rares – tĂ©moignages dont nous disposons montrent que ces contrĂŽles peuvent notamment aboutir Ă  des suspensions abusives de couverture santĂ© entraĂźnant des ruptures d’accĂšs aux soins aux consĂ©quences particuliĂšrement graves, et ce, pour l’ensemble des ayants droit du foyer dont les enfants4Si la violence des contrĂŽles organisĂ©s par la CAF sont particuliĂšrement bien documentĂ©s – voir notamment les travaux des collectifs Changer de Cap et Stop ContrĂŽles –, il n’existe pas, Ă  notre connaissance, de travail Ă©quivalent sur les contrĂŽles CNAM. Nous avons cependant pu Ă©changer avec des associations de dĂ©fense des droits des assuré·es qui ont confirmĂ© l’existence de suspensions abusives de couverture santĂ©..

Stigmatiser les femmes précaires

« PremiĂšre demande dont le demandeur est une femme de plus de 25 ans avec plus d’un majeur et au moins un mineur dans le foyer Â»5Voir ce document de prĂ©sentation du modĂšle de datamining en « ComitĂ© de Direction Fraude Â» le 11 janvier 2020. C’est ce document qui a Ă©tĂ© mal occultĂ© par les Ă©quipes de la CNAM.. Voici, mot pour mot, comment est dĂ©crit, au dĂ©tour d’une slide PowerPoint, ce que les responsables de la CNAM appellent le « profil-type du fraudeur Â»6L’expression « profil-type du fraudeur Â» est tirĂ©e du rapport 2020 de lutte contre la fraude de l’Assurance Maladie disponible ici.. C’est ce « profil-type Â» que l’algorithme est chargĂ© d’aller dĂ©tecter parmi les assuré·es. Plus une personne se rapproche de ce profil, plus son score de suspicion est Ă©levĂ© et sa probabilitĂ© d’ĂȘtre contrĂŽlĂ©e est grande.

L’analyse du code de l’algorithme vient confirmer cette description. Parmi les variables utilisĂ©es par l’algorithme et augmentant le score de suspicion, on trouve notamment le fait d’ĂȘtre une femme, d’avoir des enfants mineurs ou d’ĂȘtre Ăągé·e de plus de 25 ans7Un premier modĂšle a Ă©tĂ© utilisĂ© par l’Assurance Maladie entre 2018 et 2021. Visant Ă  prĂ©dire le risque d’indus, il est basĂ© sur une rĂ©gression logistique simple comprenant 5 variables en entrĂ©e, dont le sexe, l’ñge ou la composition du foyer. En 2021, ce modĂšle a Ă©tĂ© modifiĂ© Ă  la marge. L’entraĂźnement semble ĂȘtre rĂ©alisĂ© dans les « rĂšgles de l’art Â», Ă  partir de la sĂ©lection alĂ©atoire de plusieurs milliers de dossiers, envoyĂ©s aux Ă©quipes de contrĂŽle puis utilisĂ©s comme base d’apprentissage. Pour plus de dĂ©tails, voir l’analyse sur notre Gitlab..

Si cet algorithme ne fait pas directement apparaĂźtre de critĂšres liĂ©s Ă  la prĂ©caritĂ© Ă©conomique, c’est tout simplement que ce critĂšre est dĂ©jĂ  prĂ©sent de base dans la dĂ©finition de la population analysĂ©e. BĂ©nĂ©ficiaire de la C2SG, cette « femme de plus de 25 ans Â» fait partie des 6 millions de personnes les plus pauvres de France, dont la majoritĂ© est allocataire du RSA et/ou privĂ©e d’emploi8Pour une prĂ©sentation du public concernĂ© par la C2SG, voir notamment le rapport annuel 2023 portant sur la ComplĂ©mentaire SantĂ© Solidaire de la Direction de la SĂ©curitĂ© Sociale disponible ici..

Vers un ciblage des personnes malades ou en situation de handicap ?

En complĂ©ment du code de l’algorithme utilisĂ© depuis 2018, nous avons obtenu celui d’un modĂšle expĂ©rimental dĂ©veloppĂ© en vue d’évolutions futures. En plus de cibler les mĂšres prĂ©caires, ce modĂšle ajoute aux critĂšres venant augmenter le score de suspicion d’un·e assuré·e le fait d’ĂȘtre en situation de handicap (« bĂ©nĂ©ficier d’une pension d’invaliditĂ© Â»), d’ĂȘtre malade (ĂȘtre « consommateur de soin Â» ou avoir « perçu des indemnitĂ©s journaliĂšres Â», c’est-Ă -dire avoir Ă©tĂ© en arrĂȘt maladie) ou encore
 d’ĂȘtre « en contact avec l’Assurance Maladie Â»9Voir ce document de prĂ©sentation du modĂšle de datamining en « ComitĂ© de Direction Fraude Â» le 11 janvier 2020. C’est ce document qui a Ă©tĂ© mal occultĂ© par les Ă©quipes de la CNAM. Ajoutons qu’il est possible que les Ă©quipes de la CNAM aient rĂ©alisĂ© des traitements illĂ©gaux pour arriver Ă  ces tristes conclusions. Si le modĂšle alternatif nĂ©cessite des croisements de donnĂ©es illĂ©gaux – rappelons par ailleurs qu’il est question de donnĂ©es de santĂ© – il est lĂ©gitime de s’interroger sur la base lĂ©gale Ă  partir de laquelle son « efficience Â» a pu ĂȘtre testĂ©e..

Une prĂ©cision s’impose. Le fait que ce modĂšle expĂ©rimental n’ait pas Ă©tĂ© gĂ©nĂ©ralisĂ© n’est en rien liĂ© Ă  un sursaut de dĂ©cence de la part de la CNAM. Son « efficience Â» fut au contraire vantĂ©e dans des documents distribuĂ©s lors de sa prĂ©sentation en « ComitĂ© de direction Fraude Â» dĂ©but 202010Voir ce document de prĂ©sentation du modĂšle de datamining en « ComitĂ© de Direction Fraude Â» le 11 janvier 2020. C’est ce document qui a Ă©tĂ© mal occultĂ© par les Ă©quipes de la CNAM.. Le seul problĂšme, y expliquent les Ă©quipes de statisticien·nes de la CNAM, est que son utilisation n’est pas lĂ©gale car ce nouveau modĂšle nĂ©cessiterait un « croisement de donnĂ©es non autorisĂ© Â». Pour pouvoir le mettre en place, les Ă©quipes cherchent Ă  appĂąter les dirigeantâž±es de la CNAM afin de gagner leur appui pour obtenir le changement rĂ©glementaire nĂ©cessaire Ă  la mise en place de ce croisement de donnĂ©es11Le croisement demandĂ© semble concerner notamment la base SIAM Erasme, soit une base de donnĂ©es nominatives particuliĂšrement intrusives puisque portant sur les dĂ©penses de santĂ©. Voir ce rapport de la Cour des Comptes. L’accĂšs aux donnĂ©es des comptes bancaires semble aussi ĂȘtre au centre des « limitations rĂ©glementaires Â» empĂȘchant la CNAM de gĂ©nĂ©raliser les modĂšles expĂ©rimentaux..

Opacité et indécence

S’il est une chose cruciale que montrent les documents que nous rendons publics, c’est que les dirigeantâž±es de la CNAM sont parfaitement au courant de la violence des outils qu’ils et elles ont validĂ©. Nul besoin d’ĂȘtre expert·e en statistique pour comprendre les descriptions retranscrites ci-dessus relatives du « profil-type du fraudeur Â»12L’expression « profil-type du fraudeur Â» est tirĂ©e du rapport 2020 de lutte contre la fraude de l’Assurance Maladie disponible ici. que l’algorithme est chargĂ© de cibler.

Mais plutĂŽt que de s’y opposer, les responsables de la CNAM ont prĂ©fĂ©rĂ© utiliser l’opacitĂ© entourant son fonctionnement pour en tirer profit. Technique « Ă  la pointe de la technologie Â», « intelligence artificielle Â» permettant une « dĂ©tection proactive Â» de la fraude, outil prĂ©dictif « Ă  la Minority Report Â» : voici comment, au grĂ© de rapports officiels ou d’interventions publiques, ce type d’outil est vantĂ©13Ces citations se rĂ©fĂšrent globalement Ă  l’ensemble des algorithmes de notation utilisĂ© par la CNAM Ă  des fins de contrĂŽle, ce qui inclut tant l’algorithme de notation des bĂ©nĂ©ficiaires de la C2SG que les algorithmes utilisĂ© pour le profilage et le contrĂŽle des professionnels de santĂ©. Voir le site de l’assurance maladie, le rapport annuel 2021 de lutte contre la fraude Ă  l’assurance maladie disponible ici et l’article publiĂ© en 2022 sur Challenges, « Pour dĂ©busquer les fraudeurs, la SĂ©cu met le paquet sur l’IA et les cyber-enquĂȘteurs Â» et le 30 septembre 2022 disponible ici.. L’absence de transparence vis Ă  vis du grand public quant aux critĂšres de ciblage de l’algorithme permet de masquer la rĂ©alitĂ© des politiques de contrĂŽles. Cette situation permet alors aux dirigeant.es de l’Assurance Maladie de faire briller leurs compĂ©tences gestionnaires et leur capacitĂ© d’innovation sur le dos des plus prĂ©caires.

Au caractĂšre indĂ©cent d’une telle prĂ©sentation, ajoutons ici qu’elle est en plus mensongĂšre. Car, contrairement Ă  la maniĂšre dont il est prĂ©sentĂ©, l’algorithme n’est pas construit pour dĂ©tecter les seules situations de fraudes. La documentation technique montre qu’il est entraĂźnĂ© pour prĂ©dire le fait qu’un dossier prĂ©sente ce que l’Assurance Maladie appelle une « anomalie Â», c’est Ă  dire le fait que les revenus d’un·e assuré·e dĂ©passe le plafond de revenus de la C2S14Pour qu’une anomalie soit dĂ©clarĂ©e comme fraude, il faut que le niveau de revenu constatĂ© aprĂšs contrĂŽle soit supĂ©rieur Ă  3 fois le plafond de la C2S. Voir notamment le rapport annuel 2021 de lutte contre la fraude disponible ici.. Or seule une partie de ces « anomalies Â» – lorsque l’écart entre les revenus et le plafond dĂ©passe un certain montant – est classifiĂ©e comme fraude par l’Assurance-Maladie. Tout laisse Ă  penser que la majoritĂ© des « anomalies Â» dĂ©tectĂ©es par l’algorithme rĂ©sulte avant tout d’erreurs involontaires, liĂ©es Ă  la complexitĂ© des critĂšres d’attribution de la C2SG qui inclut notamment l’ensemble des revenus dont le foyer dispose, et ce, jusqu’aux cadeaux et dons familiaux15Si nous n’avons pu trouver de chiffres prĂ©cis quant Ă  la proportion d’« anomalies Â» liĂ©es Ă  des erreurs involontaires dans le cas de la C2SG, nous nous basons sur les Ă©tudes existantes portant sur l’origine des trop-perçus liĂ©s au Revenu de SolidaritĂ© Active (RSA) dont les conditions d’attribution – nonobstant la frĂ©quence trimestrielle ou annuelle des dĂ©clarations – sont similaires Ă  celle de la C2SG. Or, les Ă©tudes portant sur les RSA dĂ©montrent sans exception que la trĂšs grande majoritĂ© des trop-perçus sont liĂ©s Ă  des erreurs dĂ©claratives liĂ©s Ă  la complexitĂ© dĂ©clarative de cette prestation. Plusieurs de ces Ă©tudes sont citĂ©es dans cet article..

Cette communication est finalement Ă  mettre en perspective face aux enjeux financiers. En 2022, le directeur de l’Assurance Maladie annonçait que la fraude Ă  l’ensemble de la C2S Ă©tait estimĂ©e Ă  1% de son coĂ»t, soit 25 millions sur plus de 2,5 milliards d’euros16En 2022, le directeur de l’Assurance Maladie a prĂ©sentĂ© les premiĂšres estimations devant le SĂ©nat. Son audition est disponible ici. Voir aussi le rapport annuel de lutte contre la fraude de l’Assurance Maladie 2021 disponible ici. Les chiffres des montants de la C2S (gratuite et avec participation financiĂšre) gĂ©rĂ©s par la CNAM sont disponibles dans le rapport annuel 2023 de la direction de la sĂ©curitĂ© sociale.. En revanche, le taux de non-recours Ă  cette prestation sociale Ă©tait lui estimĂ© Ă  plus de 30%, soit un « gain Â» d’environ
 un milliard d’euros pour la CNAM17Voir Mathilde Caro, Morgane Carpezat, LoĂŻcka Forzy, « Le recours et le non-recours Ă  la complĂ©mentaire santĂ© solidaire. Les dossiers de la Drees 2023 Â», disponible ici.. Ces chiffres soulignent l’hypocrisie politique de l’importance de lutter contre la fraude Ă  la C2SG – et la nĂ©cessitĂ© des outils dopĂ©s Ă  l’intelligence artificielle – tout en dĂ©montrant que le recours Ă  de tels outils est avant tout une question d’image et de communication au service des dirigeant·es de l’institution.

Technique et déshumanisation

Il est une derniĂšre chose que mettent en lumiĂšre les documents que nous rendons public. RĂ©digĂ©s par les Ă©quipes de statisticien·nes de la CNAM, ils offrent un Ă©clairage particuliĂšrement cru sur l’absence flagrante de considĂ©ration Ă©thique par les Ă©quipes techniques qui dĂ©veloppent les outils numĂ©riques de contrĂŽle social. Dans ces documents, nulle part n’apparaĂźt la moindre remarque quant aux consĂ©quences humaines de leurs algorithmes. Leur construction est abordĂ©e selon des seules considĂ©rations techniques et les modĂšles uniquement comparĂ©s Ă  l’aune du sacro-saint critĂšre d’efficience.

On perçoit alors le risque que pose la numĂ©risation des politiques de contrĂŽle dans le poids qu’elle donne Ă  des Ă©quipes de data-scientists coupĂ©es des rĂ©alitĂ©s de terrain – ils et elles ne seront jamais confrontĂ©es Ă  la rĂ©alitĂ© d’un contrĂŽle et Ă  leurs consĂ©quences en termes d’accĂšs aux soins – et nourries d’une vision purement mathĂ©matique du monde.

On apprĂ©hende aussi l’intĂ©rĂȘt d’une telle approche pour les responsables des administrations sociales. Ils et elles n’ont plus Ă  faire face aux Ă©ventuelles rĂ©ticences des Ă©quipes de contrĂŽleur·ses lors de la dĂ©finition des politiques de contrĂŽle18Sur la contestation lors de l’élaboration de politiques de contrĂŽle par les Ă©quipes internes Ă  la CNAF, voir le livre ContrĂŽler les assistĂ©s. GenĂšses et usage d’un mot d’ordre, de Vincent Dubois, page 250.. Ils et elles n’ont d’ailleurs mĂȘme plus Ă  expliquer la façon dont ces politiques ont Ă©tĂ© construites aux Ă©quipes de contrĂŽleur·ses, Ă  qui il est simplement demandĂ© de contrĂŽler les dossiers les moins bien notĂ©s par un algorithme-boĂźte-noire.

Le problùme n’est pas technique mais politique

Depuis maintenant deux ans, nous documentons la gĂ©nĂ©ralisation des algorithmes de notation Ă  des fins de contrĂŽle au sein de notre systĂšme social. À l’instar de la CNAM, nous avons montrĂ© qu’ils Ă©taient aujourd’hui utilisĂ©s Ă  la Caisse Nationale des Allocations Familiales (CNAF), l’Assurance-Vieillesse ou encore la MutualitĂ© Sociale Agricole et ont Ă©tĂ© expĂ©rimentĂ©s Ă  France Travail.

Depuis deux ans, nous alertons sur les risques associĂ©s Ă  l’essor de ces techniques, tant en termes de surveillance numĂ©rique que de discriminations et de violence institutionnelle. Surtout, nous n’avons eu de cesse de rĂ©pĂ©ter que, quelques soient les institutions sociales, ces algorithmes ne servent qu’un seul objectif : faciliter l’organisation de politiques de harcĂšlement et de rĂ©pression des plus prĂ©caires, et ce grĂące Ă  l’opacitĂ© et au vernis scientifique qu’ils offrent aux responsables des administrations sociales.

C’est dĂ©sormais chose prouvĂ©e pour deux administrations. Pour la CNAM avec cet article. Mais aussi pour la CNAF, dont nous avons publiĂ© il y a tout juste un an le code de l’algorithme de notation alimentĂ© par les donnĂ©es personnelles de plus de 30 millions de personnes, et que nous avons attaquĂ© devant le Conseil d’État en octobre dernier avec 14 autres organisations en raison du ciblage des personnes en situation de prĂ©caritĂ©, de handicap ou encore les mĂšres isolĂ©es.

Nous espĂ©rons que cet article, associĂ© Ă  ceux publiĂ©s sur la CNAF, finira de dĂ©montrer qu’il n’est pas nĂ©cessaire d’accĂ©der au code de l’ensemble de ces algorithmes pour connaĂźtre leurs consĂ©quences sociales. Car le problĂšme n’est pas technique mais politique.

Vendus au nom de la soi-disant « lutte contre la fraude sociale Â», ces algorithmes sont en rĂ©alitĂ© conçus pour dĂ©tecter des trop-perçus, ou indus, dont toutes les Ă©tudes montrent qu’ils se concentrent sur les personnes prĂ©caires en trĂšs grande difficultĂ©. En effet, ces indus sont largement le fait d’erreurs dĂ©claratives involontaires consĂ©cutives Ă  deux principaux facteurs: la complexitĂ© des rĂšgles d’attribution des minima sociaux (RSA, AAH, C2SG
) et des situations personnelles de grande instabilitĂ© (personnelle, professionnelle ou administrative). Un ancien responsable de la CNAF expliquait ainsi que « Les indus s’expliquent [
] par la complexitĂ© des prestations, le grand nombre d’informations mobilisĂ©es pour dĂ©terminer les droits et l’instabilitĂ© accrue de la situation professionnelle des allocataires Â», ce qui est avant tout le cas pour les « prestations liĂ©es Ă  la prĂ©caritĂ© [
] trĂšs tributaires de la situation familiale, financiĂšre et professionnelle des bĂ©nĂ©ficiaires Â»19Voir les articles d’un directeur du service « contrĂŽle et lutte contre la fraude Â». Le premier « Du contrĂŽle des pauvres Ă  la maĂźtrise des risques Â» a Ă©tĂ© publiĂ© en 2006 et est disponible ici. Le second est intitulĂ© « Le paiement Ă  bon droit des prestations sociales des CAF Â» publiĂ© en 2013 et disponible ici..

Autrement dit, ces algorithmes ne peuvent pas ĂȘtre amĂ©liorĂ©s car ils ne sont que la traduction technique d’une politique visant Ă  harceler et rĂ©primer les plus prĂ©caires d’entre nous.

Lutter

L’hypocrisie et la violence de ces pratiques et des politiques qui les sous-tendent doivent ĂȘtre dĂ©noncĂ©es et ces algorithmes abandonnĂ©s. Quant aux responsables qui les appellent de leurs vƓux, les valident et les promeuvent, ils et elles doivent rĂ©pondre de leur responsabilitĂ©.

Pour nous aider à continuer à documenter ces abus, vous pouvez nous faire un don. Nous appelons également celles et ceux qui, bénéficiaires de la C2SG ou non, souhaitent agir contre cet algorithme et plus largement les politiques de contrÎles de la CNAM. Assuré·es, collectifs, syndicats, employé·es de la CNAM, vous pouvez nous contacter sur algos@laquadrature.net pour réfléchir collectivement aux suites à donner à cette publication.

References[+]

References
↑1 Plus prĂ©cisĂ©ment, nous avons eu accĂšs Ă  l’ensemble des odds ratio associĂ©s aux variables, ce qui nous a permis de rĂ©tro-ingĂ©niĂ©rer le code de l’algorithme.
↑2 La C2S gratuite (C2SG) est une complĂ©mentaire santĂ© gratuite accordĂ©e sous conditions de revenus et de composition familiale. RĂ©servĂ©e aux foyers les plus prĂ©caires, elle bĂ©nĂ©ficiait, en 2023, Ă  5,9 millions de personnes (voir ici). Le plafond annuel de ressources de la C2SG a Ă©tĂ© fixĂ© Ă  9 719 € pour une personne seule, en mĂ©tropole, au 1er avril 2023, modulable en fonction de la composition du foyer du demandeur (voir ici). AttribuĂ©e au niveau du foyer et non au niveau individuel, elle sert Ă  couvrir tout ou partie des frais restant Ă  la charge de l’assuré·e. La C2S peut aussi ĂȘtre soumise Ă  participation financiĂšre en cas de revenus lĂ©gĂšrement supĂ©rieurs (1,5 million de personnes).
↑3, ↑5, ↑10 Voir ce document de prĂ©sentation du modĂšle de datamining en « ComitĂ© de Direction Fraude Â» le 11 janvier 2020. C’est ce document qui a Ă©tĂ© mal occultĂ© par les Ă©quipes de la CNAM.
↑4 Si la violence des contrĂŽles organisĂ©s par la CAF sont particuliĂšrement bien documentĂ©s – voir notamment les travaux des collectifs Changer de Cap et Stop ContrĂŽles –, il n’existe pas, Ă  notre connaissance, de travail Ă©quivalent sur les contrĂŽles CNAM. Nous avons cependant pu Ă©changer avec des associations de dĂ©fense des droits des assuré·es qui ont confirmĂ© l’existence de suspensions abusives de couverture santĂ©.
↑6, ↑12 L’expression « profil-type du fraudeur Â» est tirĂ©e du rapport 2020 de lutte contre la fraude de l’Assurance Maladie disponible ici.
↑7 Un premier modĂšle a Ă©tĂ© utilisĂ© par l’Assurance Maladie entre 2018 et 2021. Visant Ă  prĂ©dire le risque d’indus, il est basĂ© sur une rĂ©gression logistique simple comprenant 5 variables en entrĂ©e, dont le sexe, l’ñge ou la composition du foyer. En 2021, ce modĂšle a Ă©tĂ© modifiĂ© Ă  la marge. L’entraĂźnement semble ĂȘtre rĂ©alisĂ© dans les « rĂšgles de l’art Â», Ă  partir de la sĂ©lection alĂ©atoire de plusieurs milliers de dossiers, envoyĂ©s aux Ă©quipes de contrĂŽle puis utilisĂ©s comme base d’apprentissage. Pour plus de dĂ©tails, voir l’analyse sur notre Gitlab.
↑8 Pour une prĂ©sentation du public concernĂ© par la C2SG, voir notamment le rapport annuel 2023 portant sur la ComplĂ©mentaire SantĂ© Solidaire de la Direction de la SĂ©curitĂ© Sociale disponible ici.
↑9 Voir ce document de prĂ©sentation du modĂšle de datamining en « ComitĂ© de Direction Fraude Â» le 11 janvier 2020. C’est ce document qui a Ă©tĂ© mal occultĂ© par les Ă©quipes de la CNAM. Ajoutons qu’il est possible que les Ă©quipes de la CNAM aient rĂ©alisĂ© des traitements illĂ©gaux pour arriver Ă  ces tristes conclusions. Si le modĂšle alternatif nĂ©cessite des croisements de donnĂ©es illĂ©gaux – rappelons par ailleurs qu’il est question de donnĂ©es de santĂ© – il est lĂ©gitime de s’interroger sur la base lĂ©gale Ă  partir de laquelle son « efficience Â» a pu ĂȘtre testĂ©e.
↑11 Le croisement demandĂ© semble concerner notamment la base SIAM Erasme, soit une base de donnĂ©es nominatives particuliĂšrement intrusives puisque portant sur les dĂ©penses de santĂ©. Voir ce rapport de la Cour des Comptes. L’accĂšs aux donnĂ©es des comptes bancaires semble aussi ĂȘtre au centre des « limitations rĂ©glementaires Â» empĂȘchant la CNAM de gĂ©nĂ©raliser les modĂšles expĂ©rimentaux.
↑13 Ces citations se rĂ©fĂšrent globalement Ă  l’ensemble des algorithmes de notation utilisĂ© par la CNAM Ă  des fins de contrĂŽle, ce qui inclut tant l’algorithme de notation des bĂ©nĂ©ficiaires de la C2SG que les algorithmes utilisĂ© pour le profilage et le contrĂŽle des professionnels de santĂ©. Voir le site de l’assurance maladie, le rapport annuel 2021 de lutte contre la fraude Ă  l’assurance maladie disponible ici et l’article publiĂ© en 2022 sur Challenges, « Pour dĂ©busquer les fraudeurs, la SĂ©cu met le paquet sur l’IA et les cyber-enquĂȘteurs Â» et le 30 septembre 2022 disponible ici.
↑14 Pour qu’une anomalie soit dĂ©clarĂ©e comme fraude, il faut que le niveau de revenu constatĂ© aprĂšs contrĂŽle soit supĂ©rieur Ă  3 fois le plafond de la C2S. Voir notamment le rapport annuel 2021 de lutte contre la fraude disponible ici.
↑15 Si nous n’avons pu trouver de chiffres prĂ©cis quant Ă  la proportion d’« anomalies Â» liĂ©es Ă  des erreurs involontaires dans le cas de la C2SG, nous nous basons sur les Ă©tudes existantes portant sur l’origine des trop-perçus liĂ©s au Revenu de SolidaritĂ© Active (RSA) dont les conditions d’attribution – nonobstant la frĂ©quence trimestrielle ou annuelle des dĂ©clarations – sont similaires Ă  celle de la C2SG. Or, les Ă©tudes portant sur les RSA dĂ©montrent sans exception que la trĂšs grande majoritĂ© des trop-perçus sont liĂ©s Ă  des erreurs dĂ©claratives liĂ©s Ă  la complexitĂ© dĂ©clarative de cette prestation. Plusieurs de ces Ă©tudes sont citĂ©es dans cet article.
↑16 En 2022, le directeur de l’Assurance Maladie a prĂ©sentĂ© les premiĂšres estimations devant le SĂ©nat. Son audition est disponible ici. Voir aussi le rapport annuel de lutte contre la fraude de l’Assurance Maladie 2021 disponible ici. Les chiffres des montants de la C2S (gratuite et avec participation financiĂšre) gĂ©rĂ©s par la CNAM sont disponibles dans le rapport annuel 2023 de la direction de la sĂ©curitĂ© sociale.
↑17 Voir Mathilde Caro, Morgane Carpezat, LoĂŻcka Forzy, « Le recours et le non-recours Ă  la complĂ©mentaire santĂ© solidaire. Les dossiers de la Drees 2023 Â», disponible ici.
↑18 Sur la contestation lors de l’élaboration de politiques de contrĂŽle par les Ă©quipes internes Ă  la CNAF, voir le livre ContrĂŽler les assistĂ©s. GenĂšses et usage d’un mot d’ordre, de Vincent Dubois, page 250.
↑19 Voir les articles d’un directeur du service « contrĂŽle et lutte contre la fraude Â». Le premier « Du contrĂŽle des pauvres Ă  la maĂźtrise des risques Â» a Ă©tĂ© publiĂ© en 2006 et est disponible ici. Le second est intitulĂ© « Le paiement Ă  bon droit des prestations sociales des CAF Â» publiĂ© en 2013 et disponible ici.

VSA et biomĂ©trie : la CNIL dĂ©missionnaire

Par : noemie
4 décembre 2024 à 09:36

ParticuliĂšrement dĂ©faillante sur les sujets liĂ©s Ă  la surveillance d’État, la CNIL a encore manquĂ© une occasion de s’affirmer comme vĂ©ritable contre-pouvoir et, au passage, d’assurer la dĂ©fense des droits humains. À l’occasion de l’examen de la proposition de loi sur la sĂ©curitĂ© dans les transports, elle a ainsi plongĂ© tĂȘte la premiĂšre pour venir au secours des institutions policiĂšres et justifier leur utilisation d’un logiciel de vidĂ©osurveillance algorithmique dite « a posteriori Â», telle que celle commercialisĂ©e par la sociĂ©tĂ© Briefcam. Si nous avions de moins en moins d’attentes envers la CNIL, nous ne pouvons aujourd’hui qu’acter ce constat : l’autoritĂ© se pense chaque jour davantage comme une institution d’accompagnement de l’« innovation Â» au service des start-ups et du pouvoir plutĂŽt qu’une autoritĂ© de dĂ©fense des droits.

AprĂšs la loi sur les Jeux Olympiques de 2023 qui lĂ©gitimait la vidĂ©osurveillance algorithmique (VSA) en temps rĂ©el, la VSA dite « a posteriori Â» s’est rĂ©cemment retrouvĂ©e Ă  l’agenda lĂ©gislatif. Nous vous en avons dĂ©jĂ  parlĂ© : ce type de logiciel permet de faire des analyses et recherches dans les enregistrements vidĂ©o aprĂšs la survenue d’un Ă©vĂ©nement (et non en direct comme la VSA en temps rĂ©el ) sur la base d’attributs physiques et biomĂ©triques. Un texte dĂ©posĂ© par la droite sĂ©natoriale proposait ainsi une nouvelle expĂ©rimentation de ce type de VSA dans les transports, jusqu’en 2027, sur les vidĂ©os rĂ©quisitionnĂ©es par la police lors de ses enquĂȘtes auprĂšs de la SNCF et la RATP. PassĂ©e Ă  la trappe suite Ă  la dissolution de l’AssemblĂ©e, cette proposition de loi revenait mercredi dernier en commission des lois.

Explication de texte

ConcrĂštement, sans mĂȘme recourir aux empreintes faciales des individus (reconnaissance faciale), ces mĂ©thodes de VSA permettent de suivre une personne prĂ©cise Ă  mesure qu’elle Ă©volue dans l’espace urbain et passe dans le champ de vision de diffĂ©rentes camĂ©ras – grĂące Ă  la combinaison d’informations sur son apparence, par exemple, la couleur de ses vĂȘtements ou des signes distinctifs comme la taille, la couleur et la coupe de cheveux, ou d’autres caractĂ©ristiques dĂ©duites Ă  partir de l’identitĂ© de genre. En nous appuyant sur l’état du droit, il est trĂšs clair pour nous que, dĂšs lors que les algorithmes de VSA permettent de retrouver une personne parmi d’autres, Ă  partir des donnĂ©es physiques ou comportementales qui lui sont propres, il s’agit d’une identification biomĂ©trique. Or, en droit des donnĂ©es personnelles, les traitements biomĂ©triques sont strictement encadrĂ©s et en consĂ©quence, l’utilisation de ces logiciels en l’absence de tout cadre juridique spĂ©cifique doit ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme illĂ©gale.

Pourtant, la proposition de loi relative Ă  la sĂ©curitĂ© dans les transports prĂ©tendait Ă©chapper Ă  cette catĂ©gorie, Ă©voquant des « logiciels de traitement de donnĂ©es non biomĂ©triques pour extraire et exporter les images [
] rĂ©quisitionnĂ©es Â» par la police. Si les logiciels visĂ©s sont bien ceux de Briefcam et consorts, une telle affirmation est donc incohĂ©rente, voire mensongĂšre. Elle a uniquement pour but de minimiser l’impact de ces logiciels, tant d’un point vue technique que juridique. Nous avons donc envoyĂ© une note dĂ©taillĂ©e (disponible ici) aux membres de la commission des lois afin de leur expliquer le fonctionnement de cette technologie ainsi que les consĂ©quences juridiques qu’ils et elles devaient en tirer.

Puis, coup de thĂ©Ăątre lors de l’examen du texte : l’article est retirĂ©. Mais si le rapporteur du texte, Guillaume Gouffier Valente, a voulu supprimer cet article, ce n’est non pas au motif que la VSA serait effectivement trop dangereuse pour les droits et libertĂ©s, mais parce que la CNIL, lors de son audition sur cette proposition de loi, aurait expressĂ©ment affirmĂ© qu’une telle loi n’était pas nĂ©cessaire et que ces logiciels Ă©taient de toute façon d’ores et dĂ©jĂ  utilisĂ©s. ll s’agirait donc de la part de la CNIL d’un renoncement Ă  faire appliquer le droit qu’elle est pourtant censĂ©e connaĂźtre. Nous avons envoyĂ© aux services de la CNIL une demande de rendez-vous pour en savoir plus et comprendre prĂ©cisĂ©ment la position de l’autoritĂ© dans ce dossier. Mais celle-ci est restĂ©e Ă  ce jour sans rĂ©ponse.

Protéger les pratiques policiÚres

La position de la CNIL s’explique sans doute par sa volontĂ© de justifier sa propre dĂ©faillance dans le dossier de la VSA. En effet, la solution d’analyse vidĂ©o de Briefcam est dĂ©jĂ  utilisĂ©e dans plus de 200 villes en France d’aprĂšs un article du Monde Diplomatique et a Ă©tĂ© acquise par la police nationale en 2015 puis par la gendarmerie nationale en 2017. Autant d’usages illĂ©gaux qui auraient dĂ» faire l’objet de sanctions fermes de sa part. Il n’en a rien Ă©tĂ©.

AprĂšs la rĂ©vĂ©lation du mĂ©dia Disclose concernant le recours au logiciel Briefcam par la police et la gendarmerie nationale, le ministre de l’IntĂ©rieur avait commandĂ© Ă  l’Inspection gĂ©nĂ©rale de l’administration, l’Inspection gĂ©nĂ©rale de la gendarmerie nationale et l’Inspection gĂ©nĂ©rale de la police nationale un rapport d’évaluation, rĂ©cemment publiĂ©, faisant Ă©tat de l’utilisation de ce logiciel. Si on lit dans ce document diffĂ©rentes justifications et contorsions hasardeuses pour expliquer l’usage la fonction de reconnaissance faciale, ces institutions assument par contre totalement l’utilisation de Briefcam pour les autres fonctionnalitĂ©s de reconnaissance biomĂ©trique.

Un exemple est mĂȘme donnĂ© page 35, expliquant qu’un homme a pu ĂȘtre identifiĂ© grĂące Ă  la fonction de « similitude d’apparence Â» du logiciel, notamment parce qu’il portait un T-shirt trĂšs reconnaissable. Juridiquement, il s’agit donc d’un traitement de donnĂ©es biomĂ©triques. On apprend dans ce mĂȘme rapport d’inspection que, dĂ©sormais, pour sauver les meubles, la police et la gendarmerie qualifieraient cette solution de « logiciel de rapprochement judiciaire Â», une catĂ©gorie juridique spĂ©cifique qui n’est pas du tout adaptĂ©e Ă  ces logiciels, comme nous l’expliquions ici.

À quoi bon la CNIL ?

À l’occasion de ce dĂ©bat sur la proposition de loi sur les transports, la CNIL aurait donc pu se positionner fermement sur ce sujet, taper du poing sur la table et enfin mettre un coup d’arrĂȘt Ă  toutes ces justifications juridiques farfelues. Elle aurait pu poser une doctrine sur le sujet qui, aujourd’hui, manque cruellement, et ce, malgrĂ© nos appels du pied et les interprĂ©tations claires du monde universitaire sur la nature biomĂ©trique de ce type de technologies1 Voir par exemple le livre blanc « Surveiller les foules Â» de Caroline Lequesne, maĂźtresse de confĂ©rences en droit public Ă  l’UniversitĂ© CĂŽte d’Azur, ou encore les articles sur la « technopolice administrative Â» publiĂ©s dans la Revue des Droits de l’Homme par Robin MĂ©dard Inghilterra, maĂźtre de confĂ©rence Ă  l’UniversitĂ© Paris I, accessibles en ligne ici et ici.. À l’inverse, elle a prĂ©fĂ©rĂ© acter sa dĂ©mission totale devant les dĂ©putĂ©â‹…es.

Le laisser-faire coupable de la CNIL s’inscrit dans la continuitĂ© de ses prises de positions antĂ©rieures sur le sujet. En 2022 dĂ©jĂ , lorsque la CNIL avait adoptĂ© pour la premiĂšre fois une position sur la VSA, elle avait fini par expressĂ©ment exclure de son analyse – et sans explication – les usages « a posteriori Â» de la technologie, pourtant tout aussi dangereux que les usages en temps rĂ©el. Faute de « lignes directrices Â» sur le sujet, ces usages « a posteriori Â» ne sont donc couverts par aucune position de l’autoritĂ© administrative. Cela n’a pas empĂȘchĂ© la CNIL d’intervenir lors d’actions en justice pour dĂ©douaner la communautĂ© de communes de Coeur Cote Fleurie de son utilisation de Briefcam.

Nous continuons donc d’assister au lent dĂ©clin de la CNIL en tant que contre-pouvoir Ă©tatique. PrĂ©fĂ©rant se consacrer Ă  l’accompagnement des entreprises (mĂȘme techno-sĂ©curitaires) et Ă  la rĂ©gulation du secteur Ă©conomique, elle semble manquer de courage pour tenir tĂȘte aux ardeurs sĂ©curitaires des pouvoirs publics, ce qui a logiquement et inexorablement menĂ© Ă  une inflation de textes autorisant les administrations Ă  utiliser tout un tas de techniques de surveillance. Ce positionnement sur la VSA ressemble aujourd’hui Ă  une capitulation complĂšte. En refusant de rappeler le droit et en validant des interprĂ©tations hasardeuses et favorables aux intĂ©rĂȘts policiers et industriels, elle semble aujourd’hui se satisfaire d’ĂȘtre une simple caution visant Ă  valider des formes de surveillance illĂ©gales, relĂ©guant les libertĂ©s publiques derriĂšre les demandes du « terrain Â».

Un réveil nécessaire

Quel est alors censĂ© ĂȘtre le rĂŽle de cette institution dans un supposĂ© État de droit, si elle ne rappelle pas les exigences de proportionnalitĂ© Ă  des agents demandant toujours plus de pouvoirs de contrĂŽle sur la population ? À quoi sert l’expertise accumulĂ©e depuis plus de 45 ans si elle n’est pas mise au service des libertĂ©s des habitant·es, Ă  l’heure oĂč la France s’enfonce dans une course Ă  la surveillance avec des pays comme les États-Unis, IsraĂ«l ou la Chine ? Que faire lorsqu’on rĂ©alise que la CNIL est dĂ©sormais davantage Ă  l’écoute des administrations policiĂšres que des expert⋅es universitaires ou de la sociĂ©tĂ© civile ?

Face Ă  ces dĂ©rives qui participent de la dĂ©rive autoritaire de l’État, nous appelons les commissaires et agent·es de la CNIL au sursaut. Si rien n’est fait pour contrecarrer ces tendances, le laisser-faire qui tient lieu de politique de la CNIL dans la plupart des dossiers technopoliciers de ces derniĂšres annĂ©es conduira Ă  la disqualification dĂ©finitive de l’autoritĂ© de protection des droits, ne lui laissant pour seule fonction que la rĂ©gulation d’un marchĂ© de la surveillance dĂ©sormais dopĂ©e par la prolifĂ©ration des systĂšmes d’intelligence artificielle.

Du cĂŽtĂ© de La Quadrature du Net, nous ne nous rĂ©signons pas. En lien avec la mobilisation populaire, nous souhaitons tenter d’activer les contre-pouvoirs institutionnels qui peuvent encore l’ĂȘtre pour barrer la route Ă  la lĂ©galisation programmĂ©e de la VSA et Ă  la banalisation de ses usages policiers. Pour nous aider, rendez-vous sur notre page de campagne, et si vous le pouvez sur notre page de dons pour nous soutenir dans nos prochaines actions sur ce dossier.

References[+]

References
↑1 Voir par exemple le livre blanc « Surveiller les foules Â» de Caroline Lequesne, maĂźtresse de confĂ©rences en droit public Ă  l’UniversitĂ© CĂŽte d’Azur, ou encore les articles sur la « technopolice administrative Â» publiĂ©s dans la Revue des Droits de l’Homme par Robin MĂ©dard Inghilterra, maĂźtre de confĂ©rence Ă  l’UniversitĂ© Paris I, accessibles en ligne ici et ici.

C’est pas de l’IA, c’est de l’exploitation dernier cri

Par : robinson
29 novembre 2024 Ă  09:39

AprĂšs deux ans passĂ©s Ă  diversifier ses champs d’action, La Quadrature du Net s’attaque dĂ©sormais Ă  un nouveau front : la lutte contre le dĂ©ferlement de l’intelligence artificielle (IA) dans tous les pans de la sociĂ©tĂ©. Pour continuer Ă  faire vivre la critique d’une politique numĂ©rique autoritaire et Ă©cocide, La Quadrature a plus que jamais besoin de votre soutien en 2025.

Depuis plusieurs annĂ©es, en lien avec d’autres collectifs en France et en Europe, nous documentons les consĂ©quences sectorielles trĂšs concrĂštes de l’adoption croissante de l’intelligence artificielle : Ă  travers les campagnes Technopolice et France ContrĂŽle, ou encore plus rĂ©cemment avec des enquĂȘtes pour documenter l’impact environnemental des data centers qui accompagnent la croissance exponentielle des capacitĂ©s de stockage et de calcul.

Une triple accumulation capitaliste

Ces derniers mois, suite Ă  la hype soudaine de l’intelligence artificielle gĂ©nĂ©rative et des produits comme ChatGPT, nous assistons Ă  une nouvelle accĂ©lĂ©ration du processus d’informatisation, sous l’égide des grandes entreprises et des États complices. Or, cette accĂ©lĂ©ration est la consĂ©quence directe de tout ce qui pose dĂ©jĂ  problĂšme dans la trajectoire numĂ©rique dominante. D’abord, une formidable accumulation de donnĂ©es depuis de nombreuses annĂ©es par les grandes multinationales de la tech comme Google, Microsoft, Meta ou Amazon, qui nous surveillent pour mieux prĂ©dire nos comportements, et qui sont dĂ©sormais capables d’indexer de gigantesques corpus de textes, de sons et d’images en s’appropriant le bien commun qu’est le Web.

Pour collecter, stocker et traiter toutes ces donnĂ©es, il faut une prodigieuse accumulation de ressources. Celle-ci transparaĂźt via les capitaux, d’abord : l’essor de la tech, dopĂ©e au capitalisme de surveillance, a su s’attirer les faveurs des marchĂ©s financiers et profiter de politiques publiques accommodantes. GrĂące Ă  ces capitaux, ces entreprises peuvent financer une croissance quasi-exponentielle de la capacitĂ© de stockage et de calcul de donnĂ©es nĂ©cessaire pour entraĂźner et faire tourner leurs modĂšles d’IA, en investissant dans des puces graphiques (GPU), des cĂąbles sous-marins et des data centers. Ces composants et infrastructures nĂ©cessitant Ă  leur tour des quantitĂ©s immenses de terres et mĂ©taux rares, d’eau et d’électricitĂ©.

Lorsqu’on a en tĂȘte cette triple accumulation â€” de donnĂ©es, de capitaux, de ressources â€”, on comprend pourquoi l’IA est le produit de tout ce qui pose dĂ©jĂ  problĂšme dans l’économie du numĂ©rique, et en quoi elle aggrave la facture. Or, le mythe marketing (et mĂ©diatique) de l’intelligence artificielle occulte dĂ©libĂ©rĂ©ment les enjeux et les limites intrinsĂšques Ă  ces systĂšmes, y compris pour les plus performants d’entre eux (biais, hallucinations, gabegie des moyens nĂ©cessaires Ă  leur fonctionnement).

L’exploitation au carrĂ©

L’emballement politico-mĂ©diatique autour de l’IA fait l’impasse sur les effets concrets de ces systĂšmes. Car bien loin de rĂ©soudre les problĂšmes actuels de l’humanitĂ© grĂące Ă  une prĂ©tendue rationalitĂ© supĂ©rieure qui Ă©mergerait de ses calculs, « l’IA Â» dans ses usages concrets amplifie toutes les injustices existantes. Dans le champ Ă©conomique, elle se traduit par l’exploitation massive et brutale des centaines de milliers de « travailleur·euses de la donnĂ©e Â» chargĂ©es d’affiner les modĂšles et de valider leurs rĂ©sultats. En aval, dans les organisations au sein desquelles ces systĂšmes sont dĂ©ployĂ©s, elle induit une nouvelle prise de pouvoir des managers sur les travailleur·euses afin d’augmenter la rentabilitĂ© des entreprises.

Certes, il existe des travailleur·euses relativement privilĂ©gié·es du secteur tertiaire ou encore des « classes crĂ©atives Â» qui y voient aujourd’hui une opportunitĂ© inespĂ©rĂ©e de « gagner du temps Â», dans une sociĂ©tĂ© malade de la course Ă  la productivitĂ©. C’est une nouvelle « dictature de la commoditĂ© Â» : Ă  l’échelle individuelle, tout nous incite Ă  ĂȘtre les complices de ces logiques de dĂ©possession collective. PlutĂŽt que de libĂ©rer les salariĂ©â‹…es, il y a fort Ă  parier que l’automatisation du travail induite par le recours croissant Ă  l’IA contribuera, en rĂ©alitĂ©, Ă  accĂ©lĂ©rer davantage les cadences de travail. Comme ce fut le cas lors des prĂ©cĂ©dentes vagues d’informatisation, il est probable que l’IA s’accompagne Ă©galement d’une dĂ©possession des savoirs et d’une dĂ©qualification des mĂ©tiers qu’elle touche, tout en contribuant Ă  la rĂ©duction des salaires, Ă  la dĂ©gradation des conditions de travail et Ă  des destructions massives d’emploi qualifiĂ©s â€” aggravant du mĂȘme coup la prĂ©caritĂ© de pans entiers de la population.

Dans le secteur public aussi, l’IA accentue l’automatisation et l’austĂ©ritĂ© qui frappent dĂ©jĂ  les services publics, avec des consĂ©quences dĂ©lĂ©tĂšres sur le lien social et les inĂ©galitĂ©s. L’éducation nationale, oĂč sont testĂ©es depuis septembre 2024 et sans aucune Ă©valuation prĂ©alable, les IA « pĂ©dagogiques Â» d’une startup fondĂ©e par un ancien de Microsoft, apparaĂźt comme un terrain particuliĂšrement sensible oĂč ces Ă©volutions sont d’ores et dĂ©jĂ  Ă  l’Ɠuvre.

DĂ©faire le mythe

Pour soutenir le mythe de l’« intelligence artificielle Â» et minimiser ses dangers, un exemple emblĂ©matique est systĂ©matiquement mis en exergue : elle serait capable d’interprĂ©ter les images mĂ©dicales mieux qu’un Ɠil humain, et de dĂ©tecter les cancers plus vite et plus tĂŽt qu’un mĂ©decin. Elle pourrait mĂȘme lire des rĂ©sultats d’analyses pour prĂ©coniser le meilleur traitement, grĂące Ă  une mĂ©moire encyclopĂ©dique des cas existants et de leurs spĂ©cificitĂ©s. Pour l’heure, ces outils sont en dĂ©veloppement et ne viennent qu’en appoint du savoir des mĂ©decins, que ce soit dans la lecture des images ou l’aide au traitement.

Quelle que soit leur efficacitĂ© rĂ©elle, les cas d’usage « mĂ©dicaux Â» agissent dans la mythologie de l’IA comme un moment hĂ©roĂŻque et isolĂ© qui cache en rĂ©alitĂ© un tout autre programme de sociĂ©tĂ©. Une stratĂ©gie de la mystification que l’on retrouve aussi dans d’autres domaines. Ainsi, pour justifier la surveillance des communications, les gouvernements brandissent depuis plus de vingt ans la nĂ©cessitĂ© de lutter contre la pĂ©docriminalitĂ©, ou celle de lutter contre le terrorisme. Dans la mythologie de la vidĂ©osurveillance algorithmique policiĂšre (VSA), c’est l’exemple de la petite fille perdue dans la ville, et retrouvĂ©e en quelques minutes grĂące au camĂ©ras et Ă  la reconnaissance faciale, qui est systĂ©matiquement utilisĂ© pour convaincre du bien fondĂ© d’une vidĂ©osurveillance totale de nos rues.

Il faut Ă©carter le paravent de l’exemple vertueux pour montrer les usages inavouables qu’on a prĂ©fĂ©rĂ© cacher derriĂšre, au prix de la rĂ©duction pernicieuse des libertĂ©s et des droits. Il faut se rendre compte qu’en tant que paradigme industriel, l’IA dĂ©cuple les mĂ©faits et la violence du capitalisme contemporain et aggrave les exploitations qui nous asservissent. Qu’elle dĂ©multiplie la violence d’État, ainsi que l’illustre la place croissante accordĂ©e Ă  ces dispositifs au sein des appareils militaires, comme Ă  Gaza oĂč l’armĂ©e israĂ©lienne l’utilise pour accĂ©lĂ©rer la dĂ©signation des cibles de ses bombardements.

Tracer des alternatives

Au lieu de lutter contre l’IA et ses mĂ©faits, les politiques publiques menĂ©es aujourd’hui en France et en Europe semblent essentiellement conçues pour conforter l’hĂ©gĂ©monie de la tech. C’est notamment le cas du AI Act ou « rĂšglement IA Â», pourtant prĂ©sentĂ© Ă  l’envi comme un rempart face aux dangers de « dĂ©rives Â» alors qu’il cherche Ă  dĂ©rĂ©guler un marchĂ© en plein essor. C’est qu’à l’ùre de la Startup Nation et des louanges absurdes Ă  l’innovation, l’IA apparaĂźt aux yeux de la plupart des dirigeants comme une planche de salut, un Graal qui serait seul capable de sauver l’Europe d’un naufrage Ă©conomique.

Encore et toujours, c’est l’argument de la compĂ©tition gĂ©opolitique qui est mobilisĂ© pour faire taire les critiques : que ce soit dans le rapport du ComitĂ© gouvernemental dĂ©diĂ© Ă  l’IA gĂ©nĂ©rative ou dans celui de Mario Draghi, il s’agit d’inonder les multinationales et les start-ups de capitaux, pour permettre Ă  l’Europe de rester dans la course face aux États-Unis et Ă  la Chine. Ou comment soigner le mal par le mal, en reproduisant les erreurs dĂ©jĂ  commises depuis plus de quinze ans : toujours plus d’« argent magique Â» pour la tech, tandis que les services publics et autres communs sont astreints Ă  l’austĂ©ritĂ©. C’est le choix d’un recul des protections apportĂ©es aux droits et libertĂ©s pour mieux faire prolifĂ©rer l’IA partout dans la sociĂ©tĂ©.

Ces politiques sont absurdes, puisque tout laisse Ă  penser que le retard industriel de l’Europe en matiĂšre d’IA ne pourra pas ĂȘtre rattrapĂ©, et que cette course est donc perdue d’avance. Surtout, ces politiques sont dangereuses dans la mesure oĂč, loin de la technologie salvatrice souvent mise en exergue, l’IA accĂ©lĂšre au contraire le dĂ©sastre Ă©cologique, amplifie les discriminations et accroĂźt de nombreuses formes de dominations. Le paradigme actuel nous enferme non seulement dans une fuite en avant insoutenable, mais il nous empĂȘche aussi d’inventer une trajectoire politique Ă©mancipatrice en phase avec les limites planĂ©taires.

L’IA a beau ĂȘtre prĂ©sentĂ©e comme inĂ©luctable, nous ne voulons pas nous rĂ©signer. Face au consensus mou qui conforte un systĂšme capitaliste dĂ©vastateur, nous voulons contribuer Ă  organiser la rĂ©sistance et Ă  esquisser des alternatives. Mais pour continuer notre action en 2025, nous avons besoin de votre soutien. Alors si vous le pouvez, rendez-vous sur www.laquadrature.net/donner !

C’EST PAS DE L’IA

Par : marne
28 novembre 2024 Ă  12:27

Quand on entend parler d’intelligence artificielle, c’est l’histoire d’un mythe moderne qui nous est racontĂ©e. Celui d’une IA miraculeuse qui doit sauver le monde, ou d’une l’IA douĂ©e de volontĂ© qui voudrait le dĂ©truire. Pourtant derriĂšre cette « IA Â» fantasmĂ©e se trouve une rĂ©alitĂ© matĂ©rielle avec de vraies consĂ©quences. Cette thĂ©matique sera centrale dans notre travail en 2025, voilĂ  pourquoi nous commençons par dĂ©construire ces fantasmes : non, ce n’est pas de l’IA, c’est l’exploitation de la nature, l’exploitation des humains, et c’est l’ordonnancement de nos vies Ă  des fins autoritaires ciblant toujours les personnes les plus vulnĂ©rables.

Pour faire vivre notre combat contre le numĂ©rique autoritaire, capitaliste et Ă©cocide, et poursuivre notre travail de proposition positive pour un numĂ©rique libre, Ă©mancipateur et fĂ©dĂ©rateur, nous avons besoin de votre soutien !

C’est pas de l’IA, c’est de l’exploitation dernier cri

L’IA est le prolongement direct des logiques d’exploitation capitalistes. Si cette technologie a pu Ă©merger, c’est du fait de l’accaparement de nombreuses ressources par le secteur de la tech : d’abord nos donnĂ©es personnelles, puis d’immenses capitaux financiers et enfin les ressources naturelles, extraites en reposant sur le colonialisme ainsi que sur le travail humain nĂ©cessaires Ă  l’entraĂźnement des modĂšles d’IA. Une fois dĂ©ployĂ©e dans le monde professionnel et le secteur public, l’IA aggrave la prĂ©carisation et la dĂ©qualification des personnes au nom d’une course effrĂ©nĂ©e Ă  la productivitĂ©.

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C’est pas de l’IA, c’est une immense infrastructure Ă©cocide

L’essor de l’IA repose sur l’extraction de minerais rares afin de fabriquer les puces Ă©lectroniques indispensables Ă  ses calculs. Elle conduit aussi Ă  la multiplication des data centers par les multinationales de la tech, des Ă©quipements gigantesques et coĂ»teux en Ă©nergie qu’il faut en permanence refroidir. Partout sur la planĂšte, des communautĂ©s humaines se voient ainsi spoliĂ©es de leur eau, tandis qu’on rallume des centrales Ă  charbons pour produire l’électricitĂ© nĂ©cessaire Ă  leur fonctionnement. DerriĂšre les discours de greenwashing des entreprises, les infrastructures matĂ©rielles de l’IA gĂ©nĂšrent une augmentation effrayante de leurs Ă©missions de gaz Ă  effet de serre.

C’est pas de l’IA, c’est l’automatisation de l’État policier

Que ce soit au travers de la police prĂ©dictive ou de la vidĂ©osurveillance algorithmique, l’IA amplifie la brutalitĂ© policiĂšre et renforce les discriminations structurelles. DerriĂšre un vernis prĂ©tendument scientifique, ces technologies arment la rĂ©pression des classes populaires et des militant·es politiques. Elles rendent possible une surveillance systĂ©matique de l’espace public urbain et, ce faisant, participent Ă  l’avĂšnement d’un monde oĂč le moindre Ă©cart Ă  la norme peut ĂȘtre dĂ©tectĂ© puis puni par l’État.

C’est pas de l’IA, c’est la chasse aux pauvres informatisĂ©e

Sous couvert de « rationalisation Â», l’IA envahit les administrations sociales Ă  travers le dĂ©veloppement d’algorithmes auto-apprenants visant Ă  dĂ©tecter de potentiels fraudeurs. Allocations Familiales, Assurance Maladie, Assurance Vieillesse, MutualitĂ© Sociale Agricole : ces systĂšmes sont aujourd’hui dĂ©ployĂ©s dans les principales administrations de l’« Ă‰tat providence Â». Associant un « score de suspicion Â» Ă  chacune d’entre nous pour sĂ©lectionner les personnes Ă  contrĂŽler, nos recherches montrent qu’ils ciblent dĂ©libĂ©rĂ©ment les personnes les plus prĂ©caires .

C’est pas de l’IA, c’est la mise aux enchùres de notre temps de cerveau disponible

L’accaparement de nos donnĂ©es personnelles permet de nourrir les IA de profilage publicitaire, qui associent en temps rĂ©el des publicitĂ©s Ă  nos « profils Â» vendus aux plus offrants. Cette marchandisation de notre attention a aussi pour effet de façonner les rĂ©seaux sociaux centralisĂ©s, rĂ©gulĂ©s par des IA de recommandation de contenus qui les transforment en lieux de radicalisation binaire des camps politiques. Enfin, pour dĂ©velopper des produits comme ChatGPT, les entreprises du secteur doivent amasser d’immenses corpus de textes, de sons et d’images, s’appropriant pour ce faire le bien commun qu’est le Web.

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Pour vous donner une idĂ©e, quand on ventile nos dĂ©penses de 2024 (salaires inclus) sur nos campagnes, en fonction du temps passĂ© par chacun·e sur les sujets de nos luttes, ça ressemble Ă  ça :
Algos : 13 %, Technopolice : 10 %, VSA : 11 %, Chiffrement : 3,45 %, GAFAM : 3 %, IA : 5 %, Surveillance & fichage : 4 %, Surveillance des militants : 4 %, NumĂ©rique & Ă©cologie : 6 %, Plateformes : 4 %, CommunautĂ© : 20% (relations avec d’autres associations, rencontres publiques, week-ends de travail avec des bĂ©nĂ©voles, participation Ă  des festivals et au chos communication Camp (CCC)), Vie de l’association : 17,44 % (rĂ©unions internes, AG, temps de rĂ©flexion stratĂ©gique, coordination de l’association, campagne de dons, achat et envoi des contreparties)

Quelles sont nos sources de financement ?

L’association ne touche aucun argent public, mais reçoit des soutiens, Ă  hauteur de 40 % de son budget, de la part de diverses fondations philanthropiques : la Fondation pour le progrĂšs de l’Homme, la fondation Un monde par tous, Open Society Foundations, la Limelight Foundation et le Digital Freedom Fund.
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EnquĂȘte : Ă  Marseille comme ailleurs, l’accaparement du territoire par les infrastructures du numĂ©rique

Par : edaa
20 novembre 2024 Ă  06:27

Depuis fin 2023, le collectif marseillais Le Nuage Ă©tait sous nos pieds enquĂȘte, analyse et lutte contre les impacts sociaux, Ă©cologiques et politiques des infrastructures du numĂ©rique Ă  Marseille, en particulier des cĂąbles sous-marins et des data centers. Ce collectif est composĂ© d’habitant·es de Marseille, affilié·es Ă  au moins trois entitĂ©s : le collectif des Gammares, collectif marseillais d’éducation populaire sur les enjeux de l’eau, Technopolice Marseille, qui analyse et lutte contre les technologies de surveillance policiĂšre et La Quadrature du Net, association de dĂ©fense des libertĂ©s fondamentales dans l’environnement numĂ©rique. Dans cet article, nous restituons une partie de l’enquĂȘte menĂ©e par le collectif sur les infrastructures numĂ©riques Ă  Marseille, leur impact socio-environnemental et le monde dĂ©lĂ©tĂšre qu’elles reprĂ©sentent, enquĂȘte que nous Ă©largissons au delĂ  du territoire marseillais, inspiré·es notamment par les Ă©changes lors du festival « Le nuage Ă©tait sous nos pieds Â» qui a eu lieu les 8, 9 et 10 novembre dernier Ă  Marseille.

Arrivent Ă  Marseille aujourd’hui environ seize cĂąbles sous-marins intercontinentaux qui atterrissent, transitent et relient l’Europe et la MĂ©diterranĂ©e Ă  l’Asie, au Moyen Orient, Ă  l’Afrique, aux États-Unis. Ce sont ces cĂąbles intercontinentaux qui permettent Ă  l’information numĂ©rique de circuler, en particulier sur le rĂ©seau Internet, et aux services numĂ©riques dĂ©ployĂ©s dans ce qu’on appelle « le cloud Â», d’apparaĂźtre sur nos Ă©crans : mails, rĂ©seaux sociaux, vidĂ©os et films en streaming. Au point de croisement de ces « autoroutes de l’information Â» : les data centers. Ces mĂ©ga-ordinateurs bĂ©tonnĂ©s en surchauffe renferment des milliers de serveurs qui rendent possible le technocapitalisme et ses donnĂ©es numĂ©riques invisibles : la collecte massive de donnĂ©es personnelles, servant Ă  l’analyse de nos comportements constamment traquĂ©s et traitĂ©s Ă  des fins marketing, la publicitĂ© numĂ©rique qui pollue nos cerveaux, la vidĂ©o-surveillance policiĂšre et plus largement la gouvernance et la surveillance algorithmiques dopĂ©es Ă  l’intelligence artificielle qui discriminent et sapent nos libertĂ©s fondamentales. DerriĂšre ces infrastructures, ce sont Ă©galement l’accaparement des terres et des ressources en eau, mais aussi la pollution de l’air, la bĂ©tonisation de nos villes rĂ©chauffĂ©es, et les rĂ©alitĂ©s tachĂ©es du sang de l’extractivisme numĂ©rique colonial que les puces des serveurs qui peuplent ces data centers renferment. Et ce sont encore une fois des industries peu scrupuleuses qui, aidĂ©es par des politiques honteuses, s’accaparent nos territoires et nos vies.

Data centers et cĂąbles sous-marins transcontinentaux

Carte des cĂąbles sous-marins transcontinentaux arrivant aujourd'hui Ă  Marseille. Source : Telegeography, Submarine Cable Map.
Carte des cĂąbles sous-marins transcontinentaux arrivant aujourd’hui Ă  Marseille. Source : Telegeography, Submarine Cable Map.

La prĂ©sence de ces 16 cĂąbles sous-marins intercontinentaux attire Ă  Marseille les gestionnaires de data centers, ces entrepĂŽts gĂ©ants oĂč s’empilent des serveurs par milliers, appartenant en grande majoritĂ© Ă  Google, Amazon, Microsoft, Meta, Netflix, Disney+, Capgemini, ThalĂšs, etc. Des serveurs qui stockent et font transiter des donnĂ©es, des serveurs qui rendent possibles les services numĂ©riques et les Ă©changes de donnĂ©es dĂ©crits plus haut. Depuis une dizaine d’annĂ©es, et de façon accĂ©lĂ©rĂ©e depuis 2020, une douzaine de data centers ont Ă©tĂ© construits un peu partout dans Marseille intra muros, et plusieurs nouveaux sont en chantier ou annoncĂ©s dans la ville et aux alentours. On y trouve ainsi cinq data centers de Digital Realty, un gĂ©ant amĂ©ricain d’investissement immobilier cotĂ© en bourse, spĂ©cialisĂ© en gestion de data centers dits neutres ou de colocation. Cette entreprise construit, amĂ©nage et gĂšre le fonctionnement du bĂątiment, et loue ensuite les emplacements de serveurs Ă  d’autres sociĂ©tĂ©s, telles Microsoft, Amazon, Google, Netflix ou d’autres. Ces data centers de colocation sont bien implantĂ©s en France, mais dans d’autres pays et territoires, Amazon, Microsoft, Google et autres gĂ©ants du numĂ©rique construisent leurs propres bĂątiments de data centers et toute l’infrastructure nĂ©cessaire Ă  leur fonctionnement : postes Ă©lectriques de transformation du courant, rĂ©seaux fibrĂ©s terrestres, cĂąbles sous-marins transcontinentaux, etc.

À Marseille, le gĂ©ant Digital Realty, un des trois leaders mondiaux de data centers de colocation, possĂšde quatre data centers MRS1, MRS2, MRS3, MRS4 et est en train d’en construire un cinquiĂšme, MRS5, tous sauf MRS1 situĂ©s dans l’enceinte du Grand Port Maritime de Marseille (GPMM). Les autres data centers marseillais sont souvent situĂ©s dans le nord de la ville. Dans le quartier de Saint-Henri notamment, oĂč un data center de colocation de Free Pro est actuellement en cours d’agrandissement pour doubler de taille, se partageant l’espace avec un data center de Telehouse. Dans le quartier de Saint-AndrĂ©, un projet de data center surdimensionnĂ© de Segro viens d’ĂȘtre annoncĂ©. Tandis qu’à la Belle-de-Mai un data center de Phocea DC est en construction. Il y a mĂȘme un projet de data center flottant dans le Grand Port, par l’entreprise Nautilus ! Hors des limites municipales, Ă  Bouc-Bel-Air, Digital Realty a Ă©galement un projet de construction d’un sixiĂšme data center, bien plus grand que les prĂ©cĂ©dents, baptisĂ© MRS6.

Vue sur les data centers MRS2, MRS3 et MRS4 de Digital Realty dans le Grand Port Maritime de Marseille, depuis le cap Janet, quartier de la Calade. Photo prise pendant la balade du festival Le nuage Ă©tait sous nos pieds, 9 novembre 2024.
Vue sur les data centers MRS2, MRS3 et MRS4 de Digital Realty dans le Grand Port Maritime de Marseille, depuis le cap Janet, quartier de la Calade. Photo prise pendant la balade du festival Le nuage Ă©tait sous nos pieds, 9 novembre 2024.

Marseille n’est pas la seule ville concernĂ©e. La France, avec ses plus de 300 data centers, se situe aujourd’hui au 6Ăšme rang mondial des pays en accueillant le plus, aprĂšs les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Chine et le Canada. En Île-de-France, premier territoire d’implantation française avec 95 data centers, juste devant Lyon (18), puis Marseille (12), Digital Realty y possĂšde 2 hubs d’un total de 17 data centers (et plusieurs autres en construction), concentrĂ©s pour la plupart en Seine-Saint-Denis. Equinix, autre gĂ©ant du top 3 mondial des data centers de colocation en possĂšde 10, tandis que Data4, Scaleway ou Free Pro, OVH, Telehouse, Verizon, Zayo et autres acteurs se partagent les 72 restants.

Carte des data centers en Île-de-France rĂ©pertoriĂ©s sur OpenStreetMap, utilisant la requĂȘte Overpass https://overpass-turbo.eu/s/1Ulj.
Carte des data centers en Île-de-France rĂ©pertoriĂ©s sur OpenStreetMap, utilisant la requĂȘte Overpass https://overpass-turbo.eu/s/1Ulj.

Les seize cĂąbles sous-marins intercontinentaux qui arrivent aujourd’hui Ă  Marseille sont rĂ©pertoriĂ©s par Telegeography, une entitĂ© qui maintient Submarine Cable Map, une des cartes mondiales de rĂ©fĂ©rence de ce type de cĂąbles. Ils sont construits et dĂ©ployĂ©s au sein de consortiums internationaux regroupant plusieurs entreprises et multinationales du numĂ©rique. On y retrouve en premier lieu les gĂ©ants du numĂ©rique — Google, Facebook/Meta, Microsoft et Amazon — qui sont dĂ©sormais les premiers financeurs et les acteurs principaux des projets de dĂ©ploiement de ces cĂąbles sous-marins intercontinentaux. On y retrouve Ă©galement des entreprises de tĂ©lĂ©communications telle que Orange, mais aussi des opĂ©rateurs internationaux, qui seront souvent en charge de l’atterrissement des cĂąbles sur les plages, ainsi que des stations ou centres d’atterrissement de ces cĂąbles, permettant la transition entre les infrastructures sous-marines et le rĂ©seau cĂąblĂ© terrestre. On y retrouve Ă©galement des entreprises qui fabriquent et dĂ©ploient ces cĂąbles en mer, comme Alcatel Submarine Networks qui vient d’ĂȘtre rachetĂ© par l’État français, et qui est un des trois leaders mondiaux dans ce domaine avec TE SubCom (Suisse) et NEC Corporation (Japon).

Carte des cĂąbles sous-marins transcontinentaux depuis Marseille. Source : Telegeography Submarine Cable Map 2024.
Carte des cĂąbles sous-marins transcontinentaux depuis Marseille. Source : Telegeography Submarine Cable Map 2024.

Mainmise des géants du numérique

Ces cĂąbles sous-marins et leurs centres d’atterrissements sont aujourd’hui des infrastructures stratĂ©giques, avec des enjeux gĂ©opolitiques mondiaux importants, mais oĂč la domination des gĂ©ants numĂ©riques est, lĂ  aussi, en passe de devenir la norme. Ainsi Ă  Marseille, la plupart des nouveaux cĂąbles sous-marins construits ou en cours de construction ces derniĂšres annĂ©es ont pour principal acteur Facebook (2Africa), Google (Blue), et Microsoft (SeaMeWe-6). Parmi les opĂ©rateurs tĂ©lĂ©coms et fournisseurs d’accĂšs Ă  Internet du monde entier que la prĂ©sence de cĂąbles sous-marins intercontinentaux attire Ă©galement Ă  Marseille, on retrouve la multinationale française Orange, qui possĂšde dans la ville au moins un data center pour ses propres besoins et plusieurs centres d’atterrissements de cĂąbles sous-marins. On retrouve aussi Verizon, opĂ©rateur amĂ©ricain de tĂ©lĂ©communications avec un data center couplĂ© Ă  un centre d’atterrissement de cĂąbles sous-marins, Omantel, la compagnie nationale de tĂ©lĂ©communications d’Oman qui en possĂšde Ă©galement un — pour ne citer que les opĂ©rateurs identifiĂ©s par le travail d’enquĂȘte et de cartographie des infrastructures numĂ©riques Ă  Marseille rĂ©alisĂ© par le collectif Le Nuage Ă©tait sous nos pieds. Vous pouvez retrouver ce travail de cartographie menĂ© sur le terrain, sur la carte libre et collaborative OpenStreetMap, et de façon condensĂ©e sur cette carte Ă©laborĂ©e lors de cette enquĂȘte.

Carte des infrastructures numériques à Marseille. Travail de cartographie basé sur OpenStreetMap et des observations de terrain mené par le collectif Le nuage était sous nos pieds.
Carte des infrastructures numériques à Marseille. Travail de cartographie basé sur OpenStreetMap et des observations de terrain mené par le collectif Le nuage était sous nos pieds.

On retrouve Ă©galement Ă  Marseille la prĂ©sence de plusieurs Internet Exchange Points (IXP), ou points d’échange d’Internet, des infrastructures physiques oĂč opĂ©rateurs tĂ©lĂ©com, fournisseurs d’accĂšs Ă  internet (FAI) mais aussi entreprises offrant leurs services numĂ©riques, se branchent et s’échangent du trafic sans coĂ»ts Ă  travers des accords mutuels. Ainsi, comme l’explique StĂ©phane Bortzmeyer dans L’interconnexion pour les nuls, un client de Sfr qui envoie un mail via sa connexion gĂ©rĂ©e par son opĂ©rateur, donc via des infrastructures terrestres de Sfr, peut interagir avec d’autres clients que ceux de Sfr et mĂȘme accĂ©der Ă  tout internet. Cette interconnexion, qui se fait essentiellement au sein des IXP, s’appelle aussi le « peering Â», et constitue, selon l’Arcep (AutoritĂ© de rĂ©gulation des communications Ă©lectroniques, des postes et de la distribution de la presse en France), « une relation technico-Ă©conomique au fondement de l’Internet Â». L’avantage des IXP rĂ©side dans le fait que ce sont des infrastructures souvent gĂ©rĂ©es de façon non commerciale et neutre, souvent par des structures associatives (comme FranceIX en France parmi d’autres) et qui permettent ainsi l’interconnexion des rĂ©seaux sans surcoĂ»ts, en optimisant les coĂ»ts d’échange, mais aussi la latence et la bande passante. Ces IXP sont trĂšs souvent localisĂ©s physiquement dans les data centers.

Il y a au moins 6 points de prĂ©sence IXP aujourd’hui Ă  Marseille comme on peut le voir sur cette base de donnĂ©es europĂ©enne accessible librement. Les IXP marseillais semblent tous localisĂ©s dans les data centers de Digital Realty, et on peut voir pour chacun d’eux (onglet Points of Presence) la liste des acteurs numĂ©riques qui y sont branchĂ©s : TikTok, Google Cloud, Amazon Web Services, Disney+, Netflix, Zoom, la liste des gĂ©ants habituels est longue. La proximitĂ© de ces IXP avec les cĂąbles sous-marins transcontinentaux Ă  Marseille permet une latence et une bande passante optimales, tandis que leur prĂ©sence au sein mĂȘme des data centers, au plus prĂšs des services numĂ©riques qui y exploitent l’espace, est Ă©galement un argument commercial supplĂ©mentaire pour ces derniers. Au niveau national, Paris, avec sa douzaine d’IXP, est avec Marseille le territoire oĂč se trouvent la plupart des IXP, devant Lyon et d’autres grandes mĂ©tropoles. On trouve les emplacements et les spĂ©cificitĂ©s des IXP dans le monde sur une carte maintenue par Telegeography.

Photo d'une chambre d'atterrissement du cùble sous-marin intercontinental AAE-1 à la plage de la Vieille Chapelle à Marseille, gérée par Omantel et Sipartech.
Photo d’une chambre d’atterrissement du cĂąble sous-marin intercontinental AAE-1 Ă  la plage de la Vieille Chapelle Ă  Marseille, gĂ©rĂ©e par Omantel et Sipartech.

L’ensemble des cĂąbles sous-marins intercontinentaux, les points d’échanges Internet et les data centers hĂ©bergeant les nombreux services numĂ©riques des entreprises dominantes mondiales du secteur font de Marseille le deuxiĂšme hub numĂ©rique français aprĂšs Paris, et le 7Ăšme au rang mondial, en passe dit-on de devenir le 5Ăšme.

Data centers : une implantation territoriale opportuniste et des politiques d’État accueillantes

Vue sur le Grand Port Maritime de Marseille, avec le toit du data center MRS3 au fond. Source : photo prise pendant la balade du festival Le Nuage Ă©tait sous nos pied, le 9 novembre 2024.
Vue sur le Grand Port Maritime de Marseille, avec le toit du data center MRS3 au fond. Source : photo prise pendant la balade du festival Le Nuage Ă©tait sous nos pied, le 9 novembre 2024.

Partout dans le monde, l’implantation des data centers se fait de façon opportuniste, tirant avantage des spĂ©cificitĂ©s de chaque territoire. Ainsi, Ă  Marseille c’est la prĂ©sence des cĂąbles sous-marins de liaison Internet transcontinentales, ainsi que celle des grands acteurs des tĂ©lĂ©coms et des points d’échange Internet. Mais c’est Ă©galement une opportunitĂ© fonciĂšre peu chĂšre au sein du territoire du Grand Port Maritime de Marseille (GPMM), cet Ă©tablissement public placĂ© directement sous la tutelle de l’État, ayant des missions de service public administratif et de service public Ă  caractĂšre industriel et commercial. En rĂ©alitĂ© le GPMM est gĂ©rĂ© comme une entreprise, et ses dirigeants nommĂ©s directement par l’État, trouvent dans ces projets d’entrepĂŽts de donnĂ©es numĂ©riques une opportunitĂ© de mutation lucrative pour son patrimoine immobilier, autrefois occupĂ© par des activitĂ©s portuaires en dĂ©clin. Comme aime Ă  le souligner Christophe Castaner, prĂ©sident du conseil de surveillance du GPMM, le « French smartport de Marseille-Fos [
] ouvre la voie au concept de hub maritime des donnĂ©es », et est un port entrepreneur qui « craint avant tout sa dĂ©sindustrialisation Â».

En Île-de-France, l’implantation des data center se fait essentiellement dans le dĂ©partement de Seine-Saint Denis, en particulier Ă  La Courneuve, Aubervilliers et Saint-Denis, membres de l’établissement public territorial de Plaine Commune, en charge de leur amĂ©nagement et dĂ©veloppement Ă©conomique, social et culturel. Autrefois territoire agricole alimentant les Halles de Paris, ces zones sont devenues progressivement industrielles dans les annĂ©es 60 – 70, se dĂ©sindustrialisant brutalement Ă  partir des annĂ©es 90. Les anciennes friches industrielles, Ă  bas prix malgrĂ© leur proximitĂ© immĂ©diate avec Paris, deviennent alors une opportunitĂ© fonciĂšre peu chĂšre pour de nouvelles industries telle les data centers et les opĂ©rateurs tĂ©lĂ©coms qui s’y installent en masse depuis les annĂ©es 2010. On retrouve donc lĂ  encore des dynamiques fonciĂšres et Ă©conomiques, poussĂ©es par des politiques d’État, similaires Ă  celles de Marseille.

Mais de façon gĂ©nĂ©rale, comme aime le dire l’association France Datacenters, la plus grande association de lobbying en la matiĂšre, la France est « la destination idĂ©ale Â», une vĂ©ritable « data centers nation Â». En effet, dĂ©taille l’association dans cette vidĂ©o promotionnelle, la France possĂšde des secteurs Ă©conomiques solides et diversifiĂ©s, tels ceux du numĂ©rique et des tĂ©lĂ©communications, de la finance, de l’automobile ou de l’aĂ©ronautique, secteurs moteurs des data centers. Le gouvernement français a, poursuit-elle, lancĂ© de nombreuses initiatives et des financements dĂ©diĂ©s Ă  la numĂ©risation des industries (10 milliards dĂ©diĂ©s au secteur numĂ©rique au cours des derniĂšres annĂ©es), permettant au secteur des data centers une croissance multipliĂ©e par deux entre 2016 et 2021, avec un milliard d’euros d’investissement annuel. Mais aussi et surtout, un foncier peu cher et facilement accessible, une Ă©nergie Ă©lectrique Ă  bas coĂ»t (la deuxiĂšme la moins chĂšre en Europe, avec une moyenne de 84 euros le mĂ©gawattheure en 2020) et Ă  faibles Ă©missions carbone (car majoritairement nuclĂ©aire). L’infrastructure rĂ©seau de la France, avec son rĂ©seau fibrĂ©, sa 5G et ses cĂąbles intercontinentaux, est Ă©galement prĂ©sentĂ©e comme un atout majeur Ă  bas coĂ»t d’accĂšs. L’infrastructure Ă©lectrique française est prĂ©sentĂ©e comme trĂšs dĂ©veloppĂ©e et solide, ayant un coĂ»t de maintenance infrastructurelle gratuit pour les data centers, car maintenue par les entreprises publiques RTE et Enedis, qui ont promis un investissement de plus de 100 milliards d’euros d’ici 2035 sur cette infrastructure. Cette vidĂ©o souligne de plus que les industries disposent en France de nombreux avantages fiscaux, et mĂȘme de financements rĂ©gionaux pour leur implantation.

Photo du bĂątiment du siĂšge social de Free Pro Ă  Marseille dans le quartier nouvellement construit, dit de Smartseille. Photo prise pendant la balade du festival Le nuage Ă©tait sous nos pieds le 9 novembre 2024.
Photo du bĂątiment du siĂšge social de Free Pro Ă  Marseille dans le quartier nouvellement construit, dit de Smartseille. Photo prise pendant la balade du festival Le nuage Ă©tait sous nos pieds le 9 novembre 2024.

Le lobby des data centers de France peut en effet compter sur des politiques favorables. En 2018, l’AssemblĂ©e nationale a votĂ©, sur proposition du dĂ©putĂ© Bothorel, une aide fiscale pour les data centers, consistant Ă  appliquer un tarif rĂ©duit Ă  la taxe intĂ©rieure de consommation finale d’électricitĂ© (TICFE), d’ordinaire de 22,5 euros par mĂ©gawattheure (MWh), qui sera alors divisĂ©e par 2 pour les data centers, soit 12 euros par mĂ©gawattheure, au-delĂ  du premier GWh consommĂ©. En 2019, l’ancien ministre de l’économie Bruno Le Maire, lors de l’inauguration Ă  Pantin d’un data center d’Equinix hĂ©bergeant, parmi des gĂ©ants amĂ©ricains, Docaposte (groupe La Poste) et les serveurs de la SNCF, dĂ©clarait :

Notre ambition c’est que la France soit la premiĂšre terre d’accueil de data centers en Europe. [
] L’installation sur le territoire national de data centers est une nĂ©cessitĂ© pour accĂ©lĂ©rer l’accĂšs des entreprises aux outils de la transformation numĂ©rique et un enjeu de souverainetĂ© pour maintenir sur le territoire national les donnĂ©es sensibles des entreprises.

Deux ans plus tard, en 2021, le ministre, accompagnĂ© de CĂ©dric O, alors secrĂ©taire d’État chargĂ© du numĂ©rique, lançait, dans le cadre du Plan « France Relance Â», la stratĂ©gie nationale d’accĂ©lĂ©ration pour le Cloud :

DotĂ© de 1,8 milliard d’euros, dont 667 millions d’euros de financement public, 680 millions d’euros de cofinancements privĂ©s et 444 millions d’euros de financements europĂ©ens, [
] vise Ă  renforcer le soutien Ă  l’offre de la filiĂšre industrielle de cloud française et mise sur l’innovation et les atouts de l’écosystĂšme français du Cloud, [
] accĂ©lĂ©rant le [en gras dans le texte] passage Ă  l’échelle des acteurs français sur les technologies critiques trĂšs demandĂ©es, telles le big data ou le travail collaboratif [
]

Ce plan a surtout servi les GAFAM et leur implantation plus profonde dans nos territoires. Ainsi, peu aprĂšs, les français OVH et Dassault Systems concluent un partenariat avec les clouds de Google et Microsoft, que le gouvernement approuve sous couvert de leur localisation dans des data centers en France, pour accueillir des donnĂ©es sensibles. C’est ce qui permettra au Health Data Hub, ce projet de privatisation des donnĂ©es de santĂ© des français, que nous dĂ©noncions en 2021, de continuer Ă  ĂȘtre hĂ©bergĂ© par Microsoft en France jusqu’au moins en 2025, malgrĂ© de nombreuses contestations de la sociĂ©tĂ© civile et d’associations. Orange, quant Ă  lui, a conclu dĂšs 2020 un accord avec le cloud AWS d’Amazon pour « accĂ©lĂ©rer la transformation numĂ©rique des entreprises vers le cloud AWS Â». Google, suite Ă  l’annonce du plan stratĂ©gique cloud en 2021, dĂ©clare alors commencer son plan d’implantation en France, qui est dĂ©sormais terminĂ© avec succĂšs. Plus rĂ©cemment, sur le site de l’ÉlysĂ©e, on peut lire l’annonce du dernier plan d’investissement de Microsoft (4 milliards d’euros en France) pour Ă©tendre son infrastructure cloud dĂ©diĂ©e Ă  l’IA, « le plus important Ă  ce jour dans le pays, pour soutenir la croissance française dans la nouvelle Ă©conomie de l’intelligence artificielle Â» saluĂ© par Emmanuel Macron qui s’est dĂ©placĂ© pour l’occasion jusqu’au siĂšge français de l’entreprise. On peut y lire :

Microsoft a ainsi dĂ©voilĂ© l’extension de son infrastructure cloud et IA en France avec l’expansion de ses sites Ă  Paris et Marseille qui doteront le pays d’une capacitĂ© allant jusqu’à 25 000 GPU de derniĂšre gĂ©nĂ©ration d’ici fin 2025, et l’ouverture de nouveaux sites pour hĂ©berger des centres de donnĂ©es de nouvelle gĂ©nĂ©ration dans les agglomĂ©rations de Mulhouse et de Dunkerque.

À Mulhouse, le data center dĂ©diĂ© IA de Microsoft a dĂ©jĂ  commencĂ© Ă  ĂȘtre construit Ă  Petit-Landau, village de 800 habitants, qui possĂšde ironiquement, la distinction de Commune Nature, pour ses « actions orientĂ©es vers la prĂ©servation de la biodiversitĂ© et l’amĂ©lioration de la qualitĂ© des eaux du bassin Rhin-Meuse Â».


Les data centers : ces mega-ordinateurs bĂ©tonnĂ©s en surchauffe aux multiples dangers environnementaux

Vue sur le data center MRS4 de Digital Realty dans le Grand Port Maritime de Marseille. Photo prise pendant la balade lors du festival Le Nuage Ă©tait sous nos pieds, le 9 novembre 2024.
Vue sur le data center MRS4 de Digital Realty dans le Grand Port Maritime de Marseille. Photo prise pendant la balade lors du festival Le Nuage Ă©tait sous nos pieds, le 9 novembre 2024.

Un data center, infrastructure pilier de ce qu’on a appelĂ© le « cloud Â», n’a rien de nuageux, de lĂ©ger ou de vaporeux. Au contraire, ces grands entrepĂŽts sont des bĂątiments bĂ©tonnĂ©s de plusieurs Ă©tages, aux planchers et parois fortifiĂ©s, lourds et massifs, pour pouvoir supporter sans risques d’effondrement le poids consĂ©quent des milliers de serveurs qu’ils abritent. Ces serveurs, qui tournent en permanence, utilisent de grandes quantitĂ©s d’électricitĂ©. Ils sont dotĂ©s chacun de nombreuses puces et composants Ă©lectroniques tels des processeurs et cartes graphiques, qui gĂ©nĂšrent de la chaleur en quantitĂ©. Ces serveurs ont besoin, pour garder un fonctionnement optimal et Ă©viter les pannes, de bĂ©nĂ©ficier d’une tempĂ©rature d’air ambiant ne dĂ©passant pas les 28 degrĂ©s Celsius. Bien souvent, par prĂ©caution, les data centers ne souhaitent pas dĂ©passer les 23 – 25 degrĂ©s. C’est pourquoi ils sont toujours Ă©quipĂ©s de systĂšmes de climatisation et de refroidissement de la tempĂ©rature ambiante. Il s’agit de systĂšmes classiques basĂ©s sur l’air climatisĂ© par fluides frigorigĂšnes, ou de circuits de refroidissement utilisant la fraĂźcheur de l’eau. Parfois les deux types de systĂšmes, par air conditionnĂ© et eau, cohabitent dans un data center.

Les data centers consomment de grandes quantitĂ©s d’électricitĂ© et d’eau. Pour satisfaire ces besoins, ils sont raccordĂ©s en France au rĂ©seau d’électricitĂ© national, et bien souvent aux circuit d’eaux potable de la ville ou des territoires sur lesquels ils se trouvent. C’est le cas par exemple de PAR08, le data center de Digital Realty Ă  la Courneuve, dont le directeur France Fabrice Coquio, surfant lui aussi sur la vague du marketing olympique, aime dire qu’il a Ă©tĂ© trĂšs important Ă  l’occasion des Jeux Olympiques de Paris 2024. Construit au sein d’un complexe de quatre data centers surnommĂ© le « vaisseau spatial Â», avec une surface totale de 40 000 mÂČ de salles machines (correspondant Ă  7 terrains de football) et 120 Megawatt de puissance Ă©lectrique, ce data center est aujourd’hui le plus grand de France. Dans ce rapport de la Direction rĂ©gionale de l’environnement, de l’amĂ©nagement et du logement (DREAL) Provence-Alpes-CĂŽte d’Azur, PAR08 est pointĂ© du doigt pour son utilisation annuelle massive de 248 091 m3 d’eau, provenant directement du circuit d’eau potable de la ville de Saint-Denis, dans une zone sujette aux sĂ©cheresse rĂ©pĂ©tĂ©es depuis 2003, comme le pointait cette Ă©tude de l’OCDE (Organisation de coopĂ©ration et de dĂ©veloppement Ă©conomiques) en 2023 sur « la gestion du risque de rarĂ©faction de la ressource en eau liĂ©e au changement climatique dans l’aire urbaine fonctionnelle de Paris Â». Cette eau est utilisĂ©e par le data center pour son systĂšme de refroidissement adiabatique, mais aussi pour la vaporisation des espaces qui doivent garder une hygromĂ©trie optimale. Outre le besoin excessif en eau, le rapport pointe le manque de plan d’amĂ©nagement de l’usage de l’eau en cas de crises de sĂ©cheresse, obligatoire dans de telles circonstances. Mais la prioritĂ© est encore une fois ici politique et Ă©conomique, et non pas environnementale, ce data center ayant profitĂ© du contexte liĂ© aux JOP 2024.

Intérieur d'un data center de Microsoft Bing. Robert Scoble, Half Moon Bay, USA, CC BY 2.0 https://creativecommons.org/licenses/by/2.0, via Wikimedia Commons.
IntĂ©rieur d’un data center de Microsoft Bing. Robert Scoble, Half Moon Bay, USA, CC BY 2.0 https://creativecommons.org/licenses/by/2.0, via Wikimedia Commons.

Ces systĂšmes de refroidissement Ă  eau sont dĂ©sormais privilĂ©giĂ©s par les constructeurs de data centers dans le monde entier. D’abord parce que les systĂšmes de refroidissement purement Ă©lectriques, comme ceux qui opĂšrent par fluides frigorigĂšnes, sont trĂšs Ă©nergivores et ont donc un coĂ»t Ă©conomique important. Ensuite, parce que l’eau n’est pas une ressource qui rentre dans le calcul des impacts usuels des data centers sur l’environnement, celui-ci Ă©tant en gĂ©nĂ©ral basĂ© sur la consommation d’électricitĂ© et le Power Usage Effectiveness (PUE), ou indicateur d’efficacitĂ© Ă©nergĂ©tique.

Parfois, ces systĂšmes de refroidissement, quand ils ne sont pas reliĂ©s au rĂ©seau d’eau potable du territoire les accueillant, captent directement l’eau potable de nappes phrĂ©atiques, de fleuves ou de lacs Ă  proximitĂ©. C’est le cas par exemple du data center de Facebook situĂ© sur la ville espagnole de Talaveira de la Reina, dans la rĂ©gion de Castilla-La Mancha en Espagne, que le collectif Tu Nube Seca Mi Rio (« Ton nuage assĂšche ma riviĂšre Â») dĂ©nonce, entre autre pour son utilisation de plus de 200 millions de litres d’eau par an, Ă©quivalent Ă  la consommation de 4 181 habitant⋅es de la rĂ©gion. Il s’agĂźt ici d’un data center dit « hyperscaler Â», aux grandes dimensions et capacitĂ©s de stockage et de traitement des donnĂ©es, sans qu’il y ait un consensus sur la dĂ©finition. D’une puissance de 248 Megawatt, Ă©tendu sur plus de 300 000 m2 de terrain, ce data center gĂ©ant bĂ©nĂ©ficie d’un soutien politique national et local. Bien que la zone de son implantation connaisse un fort stress hydrique permanent depuis des dĂ©cennies, d’abord de par sa situation gĂ©ographique et son climat quasi dĂ©sertique, et dĂ©sormais par la crise environnementale qui l’aggrave, le coĂ»t du litre d’eau y est faible. Ici encore, l’implantation des data centers sur le territoire est rĂ©gie par des impĂ©ratifs avant tout Ă©conomiques, et non par des critĂšres sociaux ou environnementaux, car comme le dĂ©plore Aurora Gomez du collectif « Ces entreprises extĂ©rieures s’imposent et accaparent les ressources. C’est du technocolonialisme ! [
] Les autoritĂ©s restent sourdes Ă  nos alertes et font semblant de ne pas nous voir. Â».

Image tirĂ©e du site internet de l'association espagnole qui se bĂąt contre l'installation des data centers en Espagne, Tu Nube Seca Mi Rio : tunubesecamirio.com.
Image tirĂ©e du site internet de l’association espagnole qui se bĂąt contre l’installation des data centers en Espagne, Tu Nube Seca Mi Rio : tunubesecamirio.com.

Pour assurer une Ă©lectrification continue des serveurs, les data centers disposent d’une triple alimentation en Ă©nergie. En plus d’ĂȘtre raccordĂ©s au rĂ©seau Ă©lectrique, ils disposent Ă©galement de groupes Ă©lectrogĂšnes et de leurs cuves de fioul prĂȘts Ă  prendre la relĂšve en cas de coupure d’électricitĂ©, et de batteries et accumulateurs d’énergie censĂ©s assurer les quelques secondes de passage entre rĂ©seau Ă©lectrique et groupes Ă©lectrogĂšnes. L’ensemble de ces dispositifs (serveurs, refroidissement, cuves de fioul, batteries) est potentiellement dangereux pour l’environnement et les riverain·es : fluides frigorigĂšnes qui sont susceptibles de polluer l’air en cas de fuites, mais aussi nuisances sonores, que ce soit Ă  l’intĂ©rieur du bĂątiment, du fait des milliers de serveurs qui tournent en permanence avec chacun plusieurs ventilateurs, mais aussi du bruit extĂ©rieur et des vibrations causĂ©es respectivement par les systĂšmes rĂ©frigĂ©rants placĂ©s sur les toits ou par les sous-stations de transformations Ă©lectriques et les systĂšmes de gĂ©nĂ©rateurs au fioul qui sont testĂ©s plusieurs heures par mois. Ces nuisances sonores sont rĂ©glementĂ©es en France, et les data centers classĂ©s ICPE sont toujours concernĂ©s et font l’objet d’obligations et de contrĂŽles en la matiĂšre, et ont par le passĂ© fait l’objet de plaintes de riverains.
Une autre source de nuisances environnementales sont les cuves de fioul et les locaux Ă  batteries lithium qui constituent des risques de pollution des nappes phrĂ©atiques pour le premier, et des risques d’incendies dans les deux cas. En particulier, les feux de ces batteries au lithium ne sont pas des feux ordinaires : ils sont bien plus difficiles Ă  Ă©teindre et ont une durĂ©e bien plus longue, comme l’explique cet article de Reporterre qui relate l’effort dĂ©multipliĂ© des pompiers pour Ă©teindre ce type de feu, ou comme l’illustre l’incendie rĂ©cent d’un data center de Digital Realty Ă  Singapour, lequel rappelle Ă©galement l’incendie de deux data centers d’OVH Ă  Strasbourg en 2021.

C’est en raison de tous ces risques que les data centers sont le plus souvent qualifiĂ©s d’« Installation classĂ©e pour la protection de l’environnement Â» (ICPE). D’aprĂšs le site du ministĂšre de la Transition Ă©cologique, de l’Énergie, du Climat et de la PrĂ©vention des risques, ce label ICPE recense les Ă©tablissements « susceptibles de crĂ©er des risques pour les tiers-riverains et/ou de provoquer des pollutions ou nuisances vis-Ă -vis de l’environnement Â». Du fait de ce classement, les data centers sont rĂ©glementairement soumis Ă  un certain nombre d’obligations et de contrĂŽles de la part du ministĂšre, entre autres Ă  travers les services dĂ©concentrĂ©s que sont les DREAL, Direction rĂ©gionale de l’environnement, de l’amĂ©nagement et du logement, placĂ©es sous l’autoritĂ© du prĂ©fet de rĂ©gion et des prĂ©fets de dĂ©partements.

Data centers de Digital Realty : fuites rĂ©pĂ©tĂ©es de gaz fluorĂ©s Ă  fort potentiel de rĂ©chauffement climatique

Vue sur le data center MRS3 dans le Grand Port Maritime de Marseille. Il s'agßt du bùtiment dit de la grande Martha, un ancien bunker nazi de la seconde guerre mondiale racheté par Digital Realty en 2020. Photo prise lors de la balade du festival le Nuage était sous nos pieds le 9 novembre 2024.
Vue sur le data center MRS3 dans le Grand Port Maritime de Marseille. Il s’agĂźt du bĂątiment dit de la grande Martha, un ancien bunker nazi de la seconde guerre mondiale rachetĂ© par Digital Realty en 2020. Photo prise lors de la balade du festival le Nuage Ă©tait sous nos pieds le 9 novembre 2024.

De nombreuses irrĂ©gularitĂ©s ont Ă©tĂ© observĂ©es par les inspections de la DREAL de Provence-Alpes-CĂŽte d’Azur s’agissant des data centers MRS2, MRS3 et MRS4 de Digital Realty Ă  Marseille. Ces Ă©lĂ©ments passĂ©s sous les radars, rĂ©vĂ©lĂ©s rĂ©cemment par le journal indĂ©pendant Marsactu, sont pourtant documentĂ©s dans les rapports d’inspections consultables sur la base de donnĂ©es GĂ©orisques.

L’irrĂ©gularitĂ© la plus prĂ©occupante concerne le data center MRS3 : depuis 2021, ce dernier fait l’objet de fuites rĂ©pĂ©tĂ©es de gaz fluorĂ©s, ainsi rejetĂ©s dans l’atmosphĂšre. Les services de l’inspection de la DREAL ont demandĂ© Ă  plusieurs reprises au gĂ©ant amĂ©ricain de prendre les mesures nĂ©cessaires pour arrĂȘter ces fuites. Faute de rĂ©action, cela a abouti en octobre 2023, trois ans aprĂšs les premiers constats de fuites, Ă  une mise en demeure de la sociĂ©tĂ© Digital Realty (ex-Interxion) par un arrĂȘtĂ© prĂ©fectoral n°2023-215-MED. Voici un extrait de cette mise en demeure (consultable en intĂ©gralitĂ© ici) :

« ConsidĂ©rant que la sociĂ©tĂ© Interxion France [ancien nom de Digital Realty] est autorisĂ©e Ă  exploiter un data center, dĂ©nommĂ© MRS3, situĂ© sur la commune de Marseille ;
ConsidĂ©rant que lors de la visite du site en date du 3 mars 2023, l’inspecteur de l’environnement a constatĂ© que les Ă©quipements ne sont pas Ă©quipĂ©s d’un dispositif de dĂ©tection de fuite fonctionnel ;
ConsidĂ©rant que ce constat constitue un manquement aux dispositions de l’article 5 du rĂšglement europĂ©en n°517/2014 du 16 avril 2014 relatif aux gaz Ă  effet de serre fluorĂ©s ;
ConsidĂ©rant que lors de cette visite il a Ă©galement Ă©tĂ© constatĂ© que les dispositions prises par l’exploitant sont insuffisantes pour Ă©viter la survenue de fuites rĂ©currentes de gaz dans l’environnement depuis 2021, ce qui constitue un manquement aux dispositions de l’article 3.2 du RĂšglement europĂ©en n°517/2014 prĂ©citĂ© ;
ConsidĂ©rant que les installations de production du froid du site MRS3 ont dĂ» ĂȘtre rechargĂ©es, du fait de fuites, par 745 kg de fluide frigorigĂšne R134A depuis 2021, ce qui correspond en Ă©quivalent CO2 Ă  une distance de prĂšs de 9 millions de kilomĂštres effectuĂ©e avec un vĂ©hicule thermique sans malus ni bonus Ă©cologique (Ă©missions de CO2 d’environ 120g/km) ;
[
]
ConsidĂ©rant de plus que, compte tenu de l’absence de systĂšme de dĂ©tection de fuite sur l’équipement, qui rĂ©glementairement alerte l’exploitant ou une sociĂ©tĂ© assurant l’entretien lorsqu’une fuite entraĂźne la perte d’au moins 10% de la charge de fluide contenu dans l’équipement, ne permettant pas Ă  l’exploitant de mettre en Ɠuvre les actions correctives limitant l’émission de gaz Ă  effet de serre dans l’atmosphĂšre, il convient d’imposer Ă  l’exploitant les mesures nĂ©cessaires pour prĂ©venir les dangers graves et imminents pour la santĂ©, la sĂ©curitĂ© publique ou l’environnement, conformĂ©ment Ă  l’article L.171-8 du code de l’environnement ; Â»

Le fluide frigorigĂšne R-134A dont il est ici question, autrement nommĂ© HFC-134A, est un gaz fluorĂ© qui contribue grandement Ă  l’effet de serre, avec un Potentiel de RĂ©chauffement Global sur 100 ans (PRG100 ou GWP100 en anglais) de 1430. Ces fluides frigorigĂšnes fluorĂ©s et leurs effets sur l’environnement sont connus depuis les annĂ©es 1990, puisqu’à l’époque ils ont Ă©tĂ© reconnus comme principale cause du trou et de l’amincissement de la couche d’ozone. Certains types de gaz frigorigĂšnes, dont ceux responsables de ce trou, ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© interdits Ă  la circulation. D’autres, dont celui utilisĂ© ici par MSR3, font aujourd’hui l’objet, aprĂšs les conventions de Kyoto et de Paris sur le climat, de rĂ©glementations contraignantes de l’Union EuropĂ©enne (rĂ©gulations dites F-Gas I, II et III). Celles-ci visent Ă  interdire progressivement mais entiĂšrement d’ici 2030 ces gaz fluorĂ©s polluants, alors que de nouveaux types de gaz fluorĂ©s non polluants sans effet de serre sont dĂ©jĂ  largement commercialisĂ©s depuis plusieurs annĂ©es.

En partant du calcul de la DREAL ci-dessus, qui fait correspondre ces fuites rĂ©pĂ©tĂ©es depuis 2021 Ă  un Ă©quivalent CO2 rejetĂ© dans l’atmosphĂšre de 9 millions de km effectuĂ©s en voiture thermique, nous estimons que cela correspond Ă©galement Ă  (9M * 0,120 kgCO2eq) 1 080 tonnes Ă©quivalent CO2 Ă©mises depuis 2021. Nous pourrions continuer les calculs d’équivalence et ramener cette quantitĂ© Ă  l’émission par nombre d’habitants, par nombre de piscines au par nombre de vols Paris-New-York que cela reprĂ©sente. Mais ce qui nous prĂ©occupe ici, c’est le fait que ce gĂ©ant amĂ©ricain, tout en se permettant de polluer, multiplie les dĂ©clarations de greenwashing dans la presse, en bĂ©nĂ©ficiant de surcroĂźt d’un climat politico-mĂ©diatique fait de louanges et de connivences de la part des prĂ©fets, Ă©lus de la ville et dirigeants de la rĂ©gion, alors mĂȘme que les services de l’État alertent sur ces pollutions. Ainsi, la prĂ©sidente de la mĂ©tropole Aix-Marseille, Martine Vassal, adressait ses voeux de nouvelle annĂ©e en janvier 2023 depuis MRS3, le data center mis en demeure peu de temps aprĂšs. Plus rĂ©cemment, l’adjoint au numĂ©rique responsable de la ville de Marseille, Christophe Hugon (Parti Pirate), accompagnĂ© de reprĂ©sentants du prĂ©fet de rĂ©gion, de la prĂ©sidente de la mĂ©tropole et du prĂ©sident de la RĂ©gion Sud, tenaient pour leur part des discours Ă©logieux Ă  l’égard de Digital Realty, prenant la pose ensemble lors de l’évĂšnement presse organisĂ© par l’entreprise au palais du Pharo pour cĂ©lĂ©brer le dixiĂšme anniversaire de sa prĂ©sence sur Marseille.

Ces fuites de gaz fluorĂ© ne sont pas les seules irrĂ©gularitĂ©s constatĂ©es par les services de la DREAL au cours des diffĂ©rentes inspections portant sur les data centers de Digital Realty Ă  Marseille. Le data center MRS2, Ă  proximitĂ© immĂ©diate de MRS3 et du futur MRS5, est ainsi Ă  l’origine d’incidents de fuites de fluides frigorigĂšnes fluorĂ©s qui n’ont pas Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©es aux autoritĂ©s, alors mĂȘme que ces dĂ©clarations sont obligatoires au-delĂ  d’une certaine quantitĂ©, comme le soulĂšve le rapport d’inspection de la DREAL de mars 2023.

Par nĂ©gligence, Digital Realty est donc responsable d’émissions rĂ©pĂ©tĂ©es de gaz Ă  effet de serre. Cette nĂ©gligence aggravĂ©e, voire cette faute intentionnelle compte tenu du fait que l’exploitant a Ă©tĂ© mis au courant dĂšs 2021 et que ces fuites se sont rĂ©pĂ©tĂ©es par la suite, devrait suffire Ă  mettre un coup d’arrĂȘt aux dĂ©ploiements en cours de Digital Realty. Or, c’est le contraire qui se produit. A Marseille : le projet de construction du data center MRS5 vient d’obtenir un avis positif de la part des autoritĂ©s environnementales, de la ville et de la prĂ©fecture, et mĂȘme du commissaire en charge de l’enquĂȘte soi-disant publique, et ce malgrĂ© une trentaine d’avis nĂ©gatifs d’associations d’habitantes et habitants, d’organisations environnementales telle France Nature Environnement, d’élues et du collectif Le nuage Ă©tait sous nos pieds qui rĂ©pondaient Ă  cette enquĂȘte.

Nous sommes d’autant plus interpelĂ©es par la lecture des rapports de la DREAL que, Ă  travers la voix de son prĂ©sident en France Fabrice Coquio, Digital Realty se vante largement dans les mĂ©dias, dans la presse spĂ©cialisĂ©e et dans les confĂ©rences techniques des industriels des data centers de l’exemplaritĂ© environnementale de MRS3 (le site mis en demeure) et de MRS4. À l’en croire, ces sites industriels seraient des modĂšles du genre en termes Ă©cologiques, des « data centers verts Â» grĂące notamment au systĂšme de refroidissement dit « river cooling Â» dont ils sont dotĂ©s, mais qui n’a visiblement pas empĂȘchĂ© cette pollution considĂ©rable par gaz fluorĂ©s. Qui plus est, cette pollution a Ă©tĂ© dissimulĂ©e par F. Coquio et les autres dirigeants de Digital Realty. Un « data center vert Â» aux 1080 tonnes de CO2 de pollution en gaz fluorĂ©s Ă©mis depuis trois ans par nĂ©gligence intentionnelle, voilĂ  la rĂ©alitĂ© que Digital Realty et les pouvoir politiques locaux, cachent et habillent de greenwashing.

Le river-cooling : privatisation et accaparement de ressources en eau de qualitĂ© potable

Photo d'une des entrées de la Galerie à La Mer à Marseille. Photo prise lors de la balade du festival Le Nuage était sous nos pieds le 9 novembre 2024.
Photo d’une des entrĂ©es de la Galerie Ă  La Mer Ă  Marseille. Photo prise lors de la balade du festival Le Nuage Ă©tait sous nos pieds le 9 novembre 2024.

La « Galerie Ă  la Mer Â», construite en 1905, permet d’évacuer le trop plein d’eau des anciennes mines de charbon de la ville voisine de Gardanne, situĂ©e plus au Nord. Ce trop plein est versĂ© dans la MĂ©diterranĂ©e au niveau de Cap PinĂšde Ă  Marseille. GĂ©rĂ©e depuis 2007 par le Bureau de Recherches GĂ©ologiques et MiniĂšres (BRGM), l’autoritĂ© nationale de service gĂ©ologique, la Galerie est composĂ©e d’une partie supĂ©rieure, utilisĂ©e pour Ă©vacuer les eaux d’exhaure (ferrugineuses) de l’ancienne mine vers la mer, et d’une partie infĂ©rieure, dite « cunette Â», qui permet de collecter et Ă©vacuer les eaux de ruissellement et d’infiltrations provenant du Massif de l’Étoile Ă  proximitĂ©. D’aprĂšs les documents fournis par l’enquĂȘte publique en 2018, l’eau de la cunette est une eau « de trĂšs bonne qualitĂ© Â» et de « qualitĂ© potable Â» pouvant donc servir Ă  la population ou de rĂ©serve stratĂ©gique en cas de besoin, dans une rĂ©gion sujette aux sĂ©cheresses.

En 2018, l’entreprise Digital Realty a obtenu de la PrĂ©fecture l’autorisation de dĂ©tourner pour une durĂ©e de sept ans les eaux de la cunette de la Galerie Ă  la Mer, afin de les rĂ©cupĂ©rer pour refroidir son data center MRS3. Les eaux fraĂźches de cette cunette, qui sont Ă  15,5 degrĂ©s Celsius toute l’annĂ©e, sont ainsi captĂ©es et injectĂ©es dans un circuit de refroidissement dans le data center, pour Ă©changer leurs « frigories Â» contre des « calories Â» dans des « Ă©changeurs thermiques Â». Elles repartent ensuite, rĂ©chauffĂ©es Ă  environ 27 degrĂ©s, dans la Galerie Ă  la Mer, Ă  destination de la MĂ©diterranĂ©e au niveau de Cap PinĂšde. Ce systĂšme est appelĂ© « river-cooling Â».

Tandis que le dirigeant en France de Digital Realty, Fabrice Coquio, proclame dans une vidĂ©o promotionnelle, que le rejet d’eau chaude dans la MĂ©diterranĂ©e « n’a aucun impact sur la faune et la flore Â», les conclusions de l’enquĂȘte publique prĂ©cĂ©demment citĂ©e, soulignaient dĂšs 2018 des inquiĂ©tudes relatives aux effets du rejet de ces eaux chaudes dans le milieu marin, pointant notamment les risques d’eutrophisation (dĂ©sĂ©quilibre du milieu provoquĂ© par l’augmentation de la concentration d’azote et de phosphore) entraĂźnĂ©e par les rejets de la Galerie Ă  la mer, risques accrus en pĂ©riode estivale. Mais, d’aprĂšs l’enquĂȘte, bien d’autres impacts sont mĂ©connus Ă  ce jour, comme par exemple « l’éventuelle prolifĂ©ration des algues filamenteuses Â». Il faut par ailleurs noter que ce rapport se basait sur des estimations proposĂ©es par Digital Realty Ă  23,4 degrĂ©s, et non pas les 27 degrĂ©s effectivement constatĂ©es depuis la mise en place du systĂšme. MalgrĂ© ces alertes, le river cooling d’abord mis en place pour MRS2 et MRS3, n’a pas Ă©tĂ© mis en pause, mais au contraire Ă©tendu aux data centers MRS4 et MRS5. La question des eaux rĂ©chauffĂ©es par ces data centers et renvoyĂ©es dans le milieu marin, dans un contexte oĂč le rĂ©chauffement des mers entraĂźne des taux de mortalitĂ© importants dans les communautĂ©s biotiques sous marines, n’est pas prise en compte. Aucun suivi ni mesures sĂ©rieuses des effets de ce rejet ne sont aujourd’hui publiĂ©es, d’aprĂšs les collectifs locaux tels le collectif des Gammares ou l’association des habitants du 16Ăšme arrondissement dont nous parlerons plus bas, directement concernĂ©s par ces enjeux.

Ainsi, dĂšs 2018, lors de l’enquĂȘte publique relative Ă  la construction du river cooling pour MRS3, plusieurs communes se situant sur le tracĂ© de la Galerie Ă  la Mer entre Gardanne et Marseille avaient Ă©mis des rĂ©serves sur l’accaparement de l’eau publique par une entreprise et proposĂ© d’autres usages pour ces eaux. Les conclusions de l’enquĂȘte allaient mĂȘme dans ce sens, pointant que l’eau potable devait en premier lieu servir l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. La commune de SeptĂšme-les-Vallons demandait par exemple que soit priorisĂ©e la possibilitĂ© de pomper une partie des eaux potables de la Galerie Ă  la Mer pour le soutien de l’activitĂ© agricole et de la biodiversitĂ© et pour le dĂ©ploiement de dispositifs de prĂ©vention des incendies (DFCI). La ville de Mimet demandait aussi Ă  pouvoir utiliser cette rĂ©serve d’eau douce. Le collectif des Gammares Ă  Marseille, qui analyse en profondeur les enjeux de l’eau Ă  Marseille, pointe ainsi ces enjeux en septembre 2024, dans sa rĂ©ponse Ă  l’enquĂȘte publique sur la construction de MRS5, qui utilisera lui aussi le river cooling :

« Alors que les hydrologues enjoignent Ă  la sobriĂ©tĂ© et rĂ©gĂ©nĂ©ration des cycles naturels de l’eau, le choix de refroidir les data centers pour que des gĂ©ants du numĂ©rique puissent louer des espaces pour leurs serveurs ne nous parait pas d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral.
Dans un contexte d’accroissement des Ă©pisodes climatiques extrĂȘmes ayant pour cause le rĂ©chauffement climatique, oĂč les sĂ©cheresses s’intensifient et se produisent de plus en plus rĂ©guliĂšrement en RĂ©gion Sud et ailleurs, mettant en cause l’approvisionnement en eau potable ou Ă  usage agro-alimentaire, il serait urgent Ă  ce que soient systĂ©matisĂ©es et publiĂ©es toutes les enquĂȘtes portant sur cette ressource commune qui est l’eau et nous considĂ©rons que les eaux doivent ĂȘtre autant que possible allouĂ©es Ă  des usages d’utilitĂ© publique ou pour les milieux qui en ont besoin. Â».

DĂ©tourner des eaux fraiches de qualitĂ© potable pour refroidir gratuitement ses data centers et rejeter de l’eau rĂ©chauffĂ©e en mer : voici donc le river cooling de Digital Realty Ă  Marseille.

Le river cooling : du greenwashing mensonger financĂ© par de l’argent public

Photo d'une des portes d'entrée de la Galerie à La Mer sur le Cap PinÚde à Marseille. En plaçant son oreille prÚs des trous de la grille, on peut entendre l'eau couler et sentir l'air frais à travers. Photo prise lors de la balade du festival Le Nuage était sous nos pieds, le 9 novembre 2024.
Photo d’une des portes d’entrĂ©e de la Galerie Ă  La Mer sur le Cap PinĂšde Ă  Marseille. En plaçant son oreille prĂšs des trous de la grille, on peut entendre l’eau couler et sentir l’air frais Ă  travers. Photo prise lors de la balade du festival Le Nuage Ă©tait sous nos pieds, le 9 novembre 2024.

Ce river cooling est devenu un argument phare de la communication de Digital Realty, en France et dans le monde entier. Dans la presse gĂ©nĂ©raliste il est prĂ©sentĂ© comme une « solution innovante verte minimisant l’impact Ă©cologique Â» de l’entreprise. Dans la presse spĂ©cialisĂ©e, Digital Realty se vante d’utiliser de l’eau gratuite d’une installation publique. Ce n’est pas uniquement l’eau qui est gratuite pour l’entreprise. L’État français a financĂ© en partie les travaux de dĂ©tournement des eaux de la Galerie Ă  la Mer vers les data centers de Digital Realty, Ă  travers deux subventions publiques. Sur un total d’à peu prĂšs 15 millions d’euros d’investissements, la RĂ©gion Sud a ainsi apportĂ© 800 000 euros, tandis que l’Agence publique de la transition Ă©cologique, l’ADEME, a subventionnĂ© le projet Ă  hauteur d’1,9 millions d’euros au nom du fond de « dĂ©carbonation de nos industries Â».

Dans le dossier de maĂźtrise d’ouvrage dĂ©posĂ© en 2018 par Digital Realty, on peut lire que le systĂšme de « river cooling Â» permettrait de rĂ©duire de 90% la consommation d’électricitĂ© destinĂ©e au seul refroidissement de ses data centers marseillais. En septembre 2024 son dirigeant Fabrice Coquio parle d’une rĂ©duction de 30% de la consommation totale d’électricitĂ© de l’ensemble des data centers Ă  «  river cooling Â» grĂące Ă  ce systĂšme. Or, pour son prochain data center en construction MRS5, selon les chiffres donnĂ©s par l’entreprise lors de l’enquĂȘte publique du projet, on constate que le « river cooling Â» permettra de rĂ©duire de seulement 4,33% la consommation totale en Ă©lectricitĂ© (calcul d’aprĂšs les donnĂ©es page 107 : (241 133 856 kWh – 230 695 705 kWh) / 241 133 856 kWh * 100) . En effet, la dĂ©pense d’énergie la plus importante d’un data center se situe au niveau des serveurs. Ces derniers occupent 79 Ă  83 % de l’énergie totale du data center MRS5 d’aprĂšs l’entreprise (page 107 du dossier prĂ©citĂ©). La dĂ©pense Ă©nergĂ©tique de ces data centers qui s’agrandissent et s’étendent sans cesse, malgrĂ© des optimisations Ă  la marge via des mĂ©thodes comme le « river cooling Â» est globalement nettement en hausse, et c’est lĂ  une tendance globale. Ces optimisations sporadiques, baissent les coĂ»ts pour l’entreprise tout en lui permettant de garder un potentiel commercial constant ou grandissant, et sont donc intĂ©ressantes pour elles, mais se font toujours et encore Ă  travers l’accaparement de nouvelles ressources qui peuvent servir les habitantes et habitants.

La communication de Digital Realty laisse Ă©galement entendre que le « river cooling Â» serait l’unique systĂšme de refroidissement des data centers. Ce qui s’avĂšre faux Ă  la lecture de ce rapport. Ce systĂšme ne remplace pas les systĂšmes de refroidissement par air conditionnĂ© Ă  fluides frigorigĂšnes, qui causent les fuites de gaz fluorĂ©s mentionnĂ©es plus haut dans l’article, mais vient s’y ajouter. Le refroidissement des data centers de l’entreprise Ă  Marseille ne se fait qu’en petite partie par « river cooling Â». Mais le plus grave dans la communication mensongĂšre du dirigeant de Digital Realty est le fait qu’il prĂ©tend que l’eau utilisĂ©e pour le river cooling serait de l’eau sale provenant des mines de Gardanne, comme il le rĂ©pĂšte dans les mĂ©dias et la vidĂ©o promotionnelle avec Jamy citĂ©e plus haut. C’est faux, comme le montre d’ailleurs, cette vidĂ©o d’Interxion (ancien nom de Digital Realty) trouvĂ©e sur un compte VimĂ©o d’une employĂ©e de l’entreprise, vidĂ©o qui explique bien la construction du river-cooling et son utilisation de l’eau de la nappe phrĂ©atique rĂ©coltĂ©e dans la cunette.

De l’argent public utilisĂ© pour financer les data centers d’un gĂ©ant amĂ©ricain cĂŽtĂ© en bourse, utilisant une ressource commune prĂ©cieuse, l’eau de qualitĂ© potable, tout en rejetant des gaz fluorĂ©s Ă  fort impact de rĂ©chauffement climatique, voilĂ  la rĂ©alitĂ© des data centers de Digital Realty aujourd’hui Ă  Marseille. Le plus ironique est que c’est prĂ©cisĂ©ment ce river cooling que l’Etat a aidĂ© Ă  financer, qui sert aujourd’hui d’argument de greenwashing mĂ©diatique mondial Ă  cette entreprise.

Capture d'Ă©cran du site du dĂ©monstrateur du river-cooling de Digital Realty portant l'inscription : rĂ©alisĂ© avec le soutien technique et financier de l'ADEME et de la RĂ©gion Sud. AccĂ©dĂ© en novembre 2024. https://river-cooling-interxion.mydigitalbuildings.com/.
Capture d’écran du site du dĂ©monstrateur du river-cooling de Digital Realty portant l’inscription : rĂ©alisĂ© avec le soutien technique et financier de l’ADEME et de la RĂ©gion Sud. AccĂ©dĂ© en novembre 2024. https://river-cooling-interxion.mydigitalbuildings.com/.

Accaparement de l’énergie Ă©lectrique au dĂ©triment de projets d’intĂ©rĂȘt commun Ă  urgence environnementale

Bien que l’électricitĂ©, majoritairement issue de la filiĂšre nuclĂ©aire, soit prĂ©sentĂ©e comme « verte Â» en France, elle est bas carbone, mais pas neutre en carbone. En effet, l’intensitĂ© carbone de l’électricitĂ© en France est de 32 gCO2eq par kilowatt-heure d’aprĂšs le gestionnaire du rĂ©seau de transport d’électricitĂ© en France RTE. Nous n’allons pas ici calculer les Ă©missions CO2 dues Ă  l’utilisation massive d’énergie Ă©lectrique par l’ensemble des data centers marseillais. Nous n’avons aucun doute quant au fait que cette consommation est considĂ©rable, et qu’elle est Ă©galement grandissante. En effet, nous constatons partout en France et dans le monde une tendance au lancement de projets de data centers de plus en plus grands et de plus en plus Ă©nergivores. Les data centers de type « hyperscaler Â» se multiplient partout, et les prĂ©visions ne vont qu’en augmentant avec l’arrivĂ©e de l’Intelligence Artificielle, qui crĂ©e un effet de passage Ă  l’échelle multiple. En effet l’Intelligence Artificielle demande des serveurs dotĂ©s de puces dĂ©diĂ©es et de cartes graphiques puissantes, consommant plus, chauffant plus, nĂ©cessitant des systĂšmes de refroidissements dĂ©diĂ©s, modifiant en profondeur les bĂątiments et la globalitĂ© de la structure d’un data center. Ce qui nous intĂ©resse ici ce sont les effets systĂ©miques de ces infrastructures et de ce numĂ©rique qu’on nous impose, les effets rebonds qu’ils gĂ©nĂšrent sans cesse et qui ne sont jamais dĂ©battus.

Les data centers de Digital Realty Ă  Marseille utilisent l’énergie Ă©lectrique disponible que les deux gestionnaires de rĂ©seau et de transport Ă©nergĂ©tiques nationaux, RTE et Enedis, sont en capacitĂ© d’acheminer Ă  Marseille, avec les infrastructures Ă©lectriques actuelles. PlutĂŽt qu’une simple « utilisation Â», il s’agit d’un vĂ©ritable accaparement. Car l’énergie Ă©lectrique nĂ©cessaire Ă  ces data centers est captĂ©e au dĂ©triment de projets d’intĂ©rĂȘt commun Ă  urgence environnementale de la ville. Dans leur rapport « L’impact spatial et Ă©nergĂ©tique des data centers sur les territoires Â» Fanny Lopez et CĂ©cile Diguet notaient un premier conflit d’usage en 2012, au dĂ©triment de l’électrification des bus municipaux Ă  Marseille (p. 62) :

« Pour Brigitte Loubet, conseillĂšre spĂ©ciale chaleur de la DRIEE, comme pour Fabienne Dupuy, adjointe
au Directeur territorial Enedis en Seine-Saint-Denis, les demandes des data centers peuvent ĂȘtre
bloquantes pour les territoires. La commande d’électricitĂ© se rĂ©sumant Ă  : premier arrivĂ© / premier servi,
des files d’attentes se constituent sur diffĂ©rents sites. [
] C’est l’exemple de Marseille, oĂč le maire Jean-Claude Gaudin a dĂ» nĂ©gocier avec Interxion pour rĂ©cupĂ©rer 7 MW « parce qu’ils avaient oubliĂ© de les
rĂ©server pour leurs bus Ă©lectriques Â» Â» .

C’est Ă  nouveau le cas aujourd’hui pour l’électrification des quais au Grand Port Maritime de Marseille, Ă©lectrification qui permettrait aux nombreux navires de croisiĂšre, ferrys de lignes reliant la ville Ă  la Corse ou Ă  d’autres villes de MĂ©diterranĂ©e, et au Chantier Naval de Marseille de se brancher Ă©lectriquement lors de leurs escales, Ă©vitant ainsi le rejet dans l’atmosphĂšre d’une pollution considĂ©rable due Ă  la combustion de fioul. Cette pollution aux oxydes d’azote (NOx) et autres particules nocives a des effets immĂ©diats sur la santĂ© des habitantes et habitants les plus proches, mais aussi sur l’ensemble des habitant⋅es de la ville, ville oĂč l’on comptabilise tous les ans environ 2 500 morts de pollution d’aprĂšs les autoritĂ©s de santĂ©. Cette Ă©lectrification en plusieurs Ă©tapes, entamĂ©e depuis de longues annĂ©es, est insuffisante pour accueillir la croissance du flux estival des bateaux, Marseille Ă©tant devenue une ville oĂč le tourisme pollueur par croisiĂšres n’a de cesse d’augmenter comme le constate et dĂ©plore l’association Stop CroisiĂšres.

Illustration d'une campagne dénonçant le Greenwashing de l'électrification des quais de bateaux de croisiÚres à Marseille, par le collectif Stop CroisiÚres, https://stop-croisieres.org/.
Illustration d’une campagne dĂ©nonçant le Greenwashing de l’électrification des quais de bateaux de croisiĂšres Ă  Marseille, par le collectif Stop CroisiĂšres, https://stop-croisieres.org/.

De surcroĂźt, cette Ă©lectrification est sans cesse repoussĂ©e ou ralentie. Lors de sa rĂ©ponse Ă  l’enquĂȘte publique en vue de la construction de MRS5, la fĂ©dĂ©ration des ComitĂ©s d’intĂ©rĂȘts de Quartier du 16Ăšme arrondissement de Marseille qui regroupe les associations des habitantes et habitants, demandant un arrĂȘt de la construction de tous les data centers de la ville, Ă©crit :

« [
] les riverains sont confrontĂ©s aux pollutions atmosphĂ©riques des navires et aux nuisances sonores des activitĂ©s portuaires. Le directeur gĂ©nĂ©ral adjoint du GPMM a estimĂ© la puissance Ă©lectrique encore nĂ©cessaire aux activitĂ©s du port et Ă  l’électrification des quais Ă  100 Ă  120 MW. [
] La puissance totale des data centers actuels s’élĂšve Ă  77 MW, [
] la puissance totale des data centers programmĂ©s est de 107 MW. Les data centers de Digital Realty situĂ©s dans l’enceinte du GPMM sont alimentĂ©s par le poste source de Saumaty, situĂ© dans quartier de Saint-AndrĂ©. Le futur data center de Segro situĂ© Ă  Saint AndrĂ© sera lui alimentĂ© par le poste source de SeptĂšmes-les-Vallons situĂ© Ă  11 km. Le poste source de Saumaty serait-il saturĂ© ? 
 L’electrification des quais du Chantier Naval de Marseille dans le GPMM est repoussĂ©e Ă  2029. Les data centers seraient-ils servis avant le GPMM ? Â».

Ce conflit d’usage d’électricitĂ© entre data centers et Ă©lectrification des quais de navires, c’est la mairie elle-mĂȘme qui le constate dans sa dĂ©libĂ©ration au conseil municipal d’octobre 2023, votant Ă©galement la constitution d’une commission rĂ©gulatoire sur les data centers. Cette commission semble parfaitement insuffisante. C’est Ă©galement ce que pointe SĂ©bastien Barles, adjoint en charge de la transition Ă©cologique de la ville de Marseille. Ce dernier demandait un moratoire sur les data centers de la ville, moratoire qui a Ă©tĂ© Ă©cartĂ©, alors qu’il constitue une Ă©tape indispensable pour avancer vers un dĂ©but de maĂźtrise de ces infrastructures en pleine expansion. Par ailleurs, peu de choses sont aujourd’hui rĂ©vĂ©lĂ©es par la mairie autour de cette commission rĂ©gulatoire de la ville — dont feraient partie, autres autres, le dirigeant de Digital Realty et l’adjoint du Parti Pirate Ă©logieux Ă  son Ă©gard, Christophe Hugon. Ce manque de transparence n’est pas nouveau, la mairie de Marseille et en particulier C. Hugon, adjoint Ă©galement Ă  la transparence et l’Open Data de la ville, ayant dĂ©jĂ  Ă©tĂ© pointĂ© du doigt dans notre campagne Technopolice, pour son hypocrisie politique mais aussi pour son manque de transparence et son dĂ©faut de rĂ©ponse aux demandes d’accĂšs aux documents administratifs, qui sont pourtant un droit et une obligation constitutionnelle.

Îlots de chaleurs urbains

Ces data centers qui s’accumulent sur le territoire de Marseille sont de vĂ©ritables « grille-pains en surchauffe Â» pour reprendre les termes de Laurent Lhardit, adjoint Ă  la mairie de Marseille en charge du dynamisme Ă©conomique, de lÊŒemploi et du tourisme durable.

En effet, les lois de la thermodynamique font que la chaleur qu’on Ă©vacue des serveurs de ces data centers ne disparaĂźt pas, mais se retrouve rejetĂ©e dans l’air entourant les bĂątiments, dans les nuages, les vrais, ou dans l’eau de mer rĂ©chauffĂ©e par le river cooling. Dans une ville au climat chaud comme Marseille, sujette Ă  des Ă©pisodes caniculaires de plus en plus nombreux, il est inquiĂ©tant de continuer Ă  ignorer ce problĂšme qui devient vital. Les scientifiques alertent dĂ©jĂ  sur les effets que ces pics de chaleur rĂ©pĂ©tĂ©s ont sur la vie humaine, et sur le fait qu’à plus ou moins court terme, des rĂ©gions entiĂšres de notre planĂšte et de l’Europe deviendront progressivement inhabitables en raison de cette chaleur insoutenable (voir par exemple cet atlas de prĂ©visions des chaleurs mortelles Ă  venir dans le monde).

Il est grand temps de penser l’urbanisme en priorisant les espaces verts, avec des vĂ©gĂ©taux qui rafraĂźchissent et crĂ©ent de l’ombre pour rendre les villes plus habitables, moins nocives pour la santĂ©, plus soutenables face aux changements environnementaux en cours.

Photo d'un grille-pain sur le feu. Nicholas.scipioni, CC BY 4.0 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0, via Wikimedia Commons.
Photo d’un grille-pain sur le feu. Nicholas.scipioni, CC BY 4.0 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0, via Wikimedia Commons.

RĂ©cupĂ©ration de « chaleur fatale Â» ou comment faire perdurer le statu quo Ă©cocidaire

L’utilisation de la « chaleur fatale Â» consiste en la rĂ©cupĂ©ration de la chaleur Ă©mise par les data centers, qui deviendraient alors, dans un idĂ©al d’économie circulaire technomagique, des sortes de chaudiĂšres numĂ©riques capables de chauffer des immeubles ou des piscines olympiques. En rĂ©alitĂ©, ces projets de rĂ©cupĂ©ration de chaleur dite « fatale Â» (parce qu’elle est inĂ©vitable), ne sont pas toujours efficaces ni mĂȘme possibles. Pour que cela fonctionne, il faudrait que la rĂ©cupĂ©ration de chaleur se fasse au plus prĂšs de la source, donc du data center, car plus la distance augmente, plus les pertes seront significatives. Mais compte tenu du bruit et des autres nuisances atmosphĂ©riques gĂ©nĂ©rĂ©es par un data center, rĂ©chauffer des immeubles habitĂ©s ne semble pas trĂšs attrayant. Sans considĂ©rer le fait que, dans des villes aux climats chauds comme Marseille, la chaleur rĂ©cupĂ©rĂ©e ne serait utile que peu de mois dans l’annĂ©e, la chaleur dĂ©gagĂ©e par ces data centers devenant problĂ©matique la majoritĂ© du temps. Ainsi, un rapport de l’Uptime Insitute concluait en 2023 que les cas oĂč cela peut ĂȘtre efficace sont rares, non systĂ©matiques, situĂ©s dans des zones de climat froid, et peuvent mĂȘme parfois ĂȘtre contre-productifs (traduit de l’anglais) :

La possibilitĂ© de rĂ©utiliser la chaleur rĂ©siduelle des centres de donnĂ©es est gĂ©nĂ©ralement limitĂ©e aux climats plus froids et peut nĂ©cessiter des connexions Ă  des systĂšmes de chauffage urbain ou Ă  des sites de fabrication. La disponibilitĂ© de ces connexions et/ou installations est fortement concentrĂ©e en Europe du Nord. La configuration d’une installation pour la rĂ©utilisation de la chaleur perdue augmente souvent la consommation d’énergie (puisque des pompes Ă  chaleur sont nĂ©cessaires pour augmenter la tempĂ©rature de la chaleur sortante), mais peut rĂ©duire les Ă©missions globales de carbone en rĂ©duisant l’énergie qui serait autrement nĂ©cessaire pour le chauffage.

Mais le vrai problĂšme, encore une fois, n’est pas technique. Ces systĂšmes Ă©tant coĂ»teux et n’ayant aucun intĂȘrĂ©t commercial pour les data centers, ces derniers prĂ©fĂšrent largement y Ă©chapper, ou alors promettre constamment qu’ils les mettront en place dans un futur proche. C’est exactement ce que le lobby France Datacenter s’est employĂ© Ă  faire en 2022, comme le montre le registre obligatoire de dĂ©claration de leurs acivitĂ©s de lobbying auprĂšs de la Haute AutoritĂ© pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), oĂč nous pouvons lire, parmi d’autres actions de diminution de taxation ou d’échappement Ă  des obligations de pollueurs :

Liste des fiches d’activitĂ©s
[
]
Retirer un amendement au projet de loi énergies renouvelables visant à rendre obligatoire la réutilisation de chaleur fatale.

Cette activitĂ© a Ă©tĂ© un succĂšs, l’amendement rendant obligatoire la rĂ©cupĂ©ration de chaleur fatale a Ă©tĂ© retirĂ© du projet de loi Ă©nergies renouvelables, au profit de « mesures incitatives Â» qui ont consistĂ©, depuis 2015 au moins, Ă  faire financer par des fonds publics, via notamment l’ADEME, les travaux de rĂ©cupĂ©ration de chaleur fatale qu’un data center aurait l’amabilitĂ© d’entreprendre. Les quelques cas existants servent, comme dans le cas du « river cooling Â», de greenwashing montĂ© en exemple et surpublicisĂ©. Mais cela permet aux industriels de continuer Ă  profiter des territoires sans limites, en faisant croire que des solutions technomagiques sont possibles, tout en s’employant Ă  repousser les obligations rĂ©glementaires qui les contraindraient Ă  les mettre en place. Les États, quant Ă  eux, sont tout entiers Ă  leur service.

Une croissance exponentielle, un extractivisme colonial sanglant

Si l’ensemble des data centers de Digital Realty Ă  Marseille, MRS1 Ă  MRS5, ont une puissance Ă©lectrique maximale de 98 Megawatt ((16+16+24+20+22), le prochain data center de Digital Realty Ă  Bouc-Bel-Air, MRS6, aura une capacitĂ© de 50 mĂ©gawatts Ă  lui tout seul. Celui de PAR08 Ă  la Courneuve, le plus grand actuellement en France, toujours de Digital Realty, a une capacitĂ© de 120 MW. Celui qui doit ĂȘtre construit Ă  Dugny, en Seine-Saint Denis, toujours par Digital Realty et qui sera le futur plus grand data center de France, aura une capacitĂ© de 200 mĂ©gawatts, soit l’équivalent de 20% de la puissance d’un rĂ©acteur nuclĂ©aire EPR. L’empreinte du numĂ©rique Ă©tait estimĂ©e Ă  2,5% de l’empreinte carbone annuelle de la France en 2020, et les data centers reprĂ©sentaient environ 16% de cette empreinte carbone totale du numĂ©rique selon l’Ademe et l’Arcep. Cette empreinte du numĂ©rique devrait doubler d’ici 2040 et les data centers pourraient y jouer un rĂŽle majeur selon un avis d’expert de l’Ademe en octobre 2024.

À l’échelle mondiale, les data centers hyperscales constituaient dĂ©jĂ  en 2022, 37% de la capacitĂ© mondiale des data centers, et devraient en reprĂ©senter 50% en 2027, cette part augmentant rĂ©guliĂšrement. D’autre part, le besoin en eau de ces « hyperscales Â» augmente rĂ©guliĂšrement. Sous la pression des pouvoirs publics en 2023, Google rĂ©vĂ©lait que ses centres de donnĂ©es, aux Etats-Unis uniquement, utilisaient plus de 16 milliards de litres d’eau par an pour leur refroidissement. On apprenait Ă©galement rĂ©cemment que ses Ă©missions de CO2 ont grimpĂ© de 48% au cours des 5 derniĂšres annĂ©es et son usage en eau devrait augmenter de 20% encore d’ici 2030. Microsoft, quant Ă  lui, a vu l’utilisation en eau de ses data centers augmenter de 34% en 2022 seulement, Ă  cause de son usage de l’IA, et on peut voir la plĂ©thore d’annonces d’investissements dans la construction de nouveaux data centers dĂ©diĂ©s Ă  l’IA, qui laisse prĂ©sager une croissance Ă  venir encore plus forte et inquiĂ©tante.

Photo d'une carte mÚre fabriquée en Chine, designée à Taïwan, comportant de nombreux composants et puces électroniques, montrée  lors de la balade du festival le Nuage était sous nos pieds le 9 novembre 2024 à Marseille.
Photo d’une carte mĂšre fabriquĂ©e en Chine, designĂ©e Ă  TaĂŻwan, comportant de nombreux composants et puces Ă©lectroniques, montrĂ©e lors de la balade du festival le Nuage Ă©tait sous nos pieds le 9 novembre 2024 Ă  Marseille.

Mais ces calculs institutionnels ou provenant des gĂ©ants numĂ©riques, purement basĂ©s sur l’énergie Ă©lectrique et son empreinte carbone, et parfois sur la consommation d’eau pour le refroidissement, ne prennent pas en compte la totalitĂ© des conflits et des accaparements de vies et de ressources vitales que ce numĂ©rique cause pour exister et s’accroĂźtre. En commençant par la phase d’extraction des nombreux minĂ©raux qui composent les puces des processeurs et des cartes graphiques que ces data centers renferment par milliers. GĂ©nĂ©ration LumiĂšre, une association Ă©cologiste qui agit Ă  la fois en France et en RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo (RdC), dĂ©nonce depuis des annĂ©es un extractivisme sans scrupules de minĂ©raux stratĂ©giques pour nos industries numĂ©riques. En effet, la RdC renferme 70 % du cobalt mondial, utilisĂ© pour fabriquer les batteries lithium de nos voitures Ă©lectriques, de nos smartphones, et des data centers. La RdC est aussi une terre d’extraction de coltan, de cuivre, d’or, des minĂ©raux utilisĂ©s pour les puces Ă©lectroniques. Et cette extraction qui sert les industries numĂ©riques ainsi que les gĂ©ants tels Apple, Nvidia (fabricant de puces graphiques) et dĂ©sormais mĂȘme Google, Amazon et Microsoft, est dĂ©multipliĂ©e par l’arrivĂ©e de l’IA, qui s’insĂšre partout dans les appareils et les serveurs. Or, cette extraction se fait, comme le dit GĂ©nĂ©ration LumiĂšre, « avec notre sang Â», et crĂ©e en RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo, outre les prob lĂšmes dus au minage lui-mĂȘme qui se fait dans des conditions inhumaines d’exploitation des travailleurs, de nombreux conflits et massacres sur le territoire.

Affiche de l'association Génération LumiÚre, 2024.
Affiche de l’association GĂ©nĂ©ration LumiĂšre, 2024.

Ces calculs institutionnels laissent Ă©galement de cĂŽtĂ©, ou ignorent Ă  dessein, les enjeux de la fabrication des puces Ă©lectroniques, de la purification des minĂ©raux posĂ©s sur les wafers, sortes de galettes de silicium, jusqu’à leur devenir puces. L’association StopMicro, qui lutte contre l’accaparement des ressources et les nuisances causĂ©es par les industries grenobloises, et en particulier celles de la microĂ©lectronique de Soitec et de STMicroelectronics, nous rappelle ainsi que : « DerriĂšre le dĂ©rĂšglement climatique et les injustices socio-environnementales, il y a des dĂ©cisions politiques, des entreprises et des intĂ©rĂȘts Ă©conomiques qui conditionnent nos choix de sociĂ©tĂ© Â». Dans ses nombreuses brochures d’analyses et dans le livre « Toujours puce  Â» qu’elle vient de publier, l’association mĂšne une enquĂȘte technique, sociale, politique et environnementale poussĂ©e, Ă  la place des pouvoirs publics pourtant chargĂ©s de le faire. En prenant l’exemple de son territoire, elle explique comment on s’accapare et pollue de l’eau potable pour fabriquer des gourdes connectĂ©es avec les puces de STMicroelectronics ou Soitec, quand ce n’est pas pour Ă©quiper des armes qu’on exporte au service des guerres coloniales en cours.

Affiche dessinĂ©e du collectif StopMicro Ă  Grenoble. Source : https://stopmicro38.noblogs.org/files/2024/04/tuyauterie-2048x1470.jpg.
Affiche dessinĂ©e du collectif StopMicro Ă  Grenoble. Source : https://stopmicro38.noblogs.org/files/2024/04/tuyauterie-2048×1470.jpg.

Ce numĂ©rique n’est pas le nĂŽtre

En regardant la liste des principaux clients de Digital Realty, nous retrouvons en masse des acteurs aux pratiques numĂ©riques contestables vis Ă  vis des droits fondamentaux et des rĂ©glementations en vigueur. Fabrice Coquio, prĂ©sident de Digital Realty France, dĂ©clarait il y a peu « Sans nous, il n’y a pas d’Internet Â», avant de lister une bonne partie des clients de ses data centers marseillais : Facebook, Amazon, Microsoft, Netflix, Disney+, Zoom, Oracle, Youtube
 Le data center MRS3, oĂč se sont produits des rejets rĂ©pĂ©tĂ©s de gaz fluorĂ©s hautement polluants, abrite en son sein les services « cloud Â» de Microsoft dĂ©ployĂ©s dans les mairies, Ă©coles, collĂšges, lycĂ©es et universitĂ©s publiques, forçant tout Ă©lĂšve dĂšs son plus jeune Ăąge Ă  la crĂ©ation de comptes Microsoft sans grand moyen de s’y opposer.

Sticker « Le nuage Ă©tait sous nos pieds Â» collĂ© sur un poteau. Photo prise lors de la balade du festival Le Nuage Ă©tait sous nos pieds le 9 novembre 2024. Autocollant fabriquĂ© lors d'un atelier organisĂ© par le hackerspace transfĂ©ministe Fluidspace Ă  Marseille.
Sticker « Le nuage Ă©tait sous nos pieds Â» collĂ© sur un poteau. Photo prise lors de la balade du festival Le Nuage Ă©tait sous nos pieds le 9 novembre 2024. Autocollant fabriquĂ© lors d’un atelier organisĂ© par le hackerspace transfĂ©ministe Fluidspace Ă  Marseille.

Comme en atteste Ă©galement le travail de La Quadrature du Net depuis ses dĂ©buts il y a plus de 15 ans, Ă  travers notamment sa campagne d’actions de groupe contre les GAFAM, ces acteurs ont monopolisĂ© et fait d’Internet un espace commercial gĂ©ant, oĂč rĂšgnent les violences faites aux communautĂ©s minoritaires et les discriminations en tout genre. Ces acteurs, qui utilisent en toute illĂ©galitĂ© et immoralitĂ© nos donnĂ©es personnelles pour nous imposer de la publicitĂ©, polluent nos espaces en ligne et nos cerveaux, et s’accaparent notre attention Ă  coup d’algorithmes jouant sur nos biais cognitifs et visant Ă  susciter des dĂ©pendances psychologiques. Cette publicitĂ© est aujourd’hui coupable Ă  son tour de l’aggravation de la crise environnementale, de par la surconsommation et le modĂšle insoutenable qu’elle engendre et qu’elle alimente en permanence. CouplĂ©e Ă  l’obsolescence marketĂ©e et organisĂ©e sur tout objet de consommation, qu’il soit numĂ©rique ou non, aidĂ©e et rendue possible par les infrastructures industrielles numĂ©riques polluantes, cette publicitĂ© que les GAFAM et les gĂ©ants numĂ©riques contrĂŽlent en grande majoritĂ© est une des causes majeures de l’aggravation de la crise socio-environnementale et systĂ©mique en cours.

L’argent public que l’État met si facilement dans les mains de tels industriels pollueurs, comme l’illustrent le fond de « dĂ©carbonation de nos industries Â» mentionnĂ© plus haut de mĂȘme que les diffĂ©rents contrats publics conclus avec ces gĂ©ants numĂ©riques, est ainsi distribuĂ© au dĂ©triment de projets publics Ă  intĂ©rĂȘt commun telle l’électrification des Ă©quipements publics, la constitution de rĂ©serves d’eau, ou encore l’air que nous respirons et la ville oĂč nous habitons. Ces projets d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, parfois littĂ©ralement vitaux, sont laissĂ©s de cĂŽtĂ© car la prioritĂ© est constamment donnĂ©e Ă  la croissance numĂ©rique, qui passe par l’installation croissante de data centers et d’autres types d’infrastructures numĂ©riques.

Ce monde-là n’est pas le nître

Ce numĂ©rique de la domination, dont les cĂąbles et les data centers sont la colonne vertĂ©brale, imposĂ© par la vision hĂ©gĂ©monique de la Silicon Valley et par des politiques Ă©tatiques complices de gĂ©ants sans scrupules, n’est pas le nĂŽtre.

Cet Internet qui reproduit les dynamiques coloniales et qui repose sur l’accaparement des ressources du sol, des minerais, de l’eau, de nos territoires, mais aussi de nos corps et espaces mentaux, structurĂ© autour de la collecte massive de donnĂ©es sur nos vies, source infinie de pouvoir et de profit, n’est pas le nĂŽtre. Ce numĂ©rique qui renforce les dominations et les inĂ©galitĂ©s, fondĂ© sur la normativitĂ© de nos comportements, sur la police prĂ©dictive et la prise de dĂ©cisions automatisĂ©es, destinĂ© Ă  nous contrĂŽler et Ă  nous surveiller, pour mieux rĂ©primer notre colĂšre lĂ©gitime, n’est pas le nĂŽtre. Ce numĂ©rique responsable Ă  son tour de la crise socio-environnementale sans prĂ©cĂ©dent qui nous traverse, n’est pas le nĂŽtre. Nous devons le refuser, nous devons nous organiser pour y faire face et imaginer ensemble comment rendre possibles d’autres mondes.

Notre monde Ă  nous est un monde de soin, soin pour soi-mĂȘme, pour les unes et les autres, et pour la Terre. Notre monde numĂ©rique Ă  nous est celui d’un autre numĂ©rique, qui nous aide Ă  nous protĂ©ger de la surveillance et des oppressions, qui nous aide Ă  porter des savoirs communs et d’entraide, qui nous permet de hacker, bidouiller et crĂ©er des serveurs alternatifs, des rĂ©seaux dĂ©centralisĂ©s pour mieux s’organiser et lutter pour que d’autres mondes soient possibles.

Photo du data center MRS4 en arriÚre-plan. Au premier plan le pied en plastique servant à accueillir des stickers fabriqués avec le Fluidspace, hackerspace transféministe à Marseille,  pendant le festival Le nuage était sous nos pieds, les 8, 9 et 10 novembre 2024 à Marseille.
Photo du data center MRS4 en arriÚre-plan. Au premier plan le pied en plastique servant à accueillir des stickers fabriqués avec le Fluidspace, hackerspace transféministe à Marseille, pendant le festival Le nuage était sous nos pieds, les 8, 9 et 10 novembre 2024 à Marseille.

Pour nous soutenir dans la suite de ce combat, et notamment dans notre travail autour des questions de l’écologie et du numĂ©rique, n’hĂ©sitez pas Ă  nous faire un don !

QSPTAG #314 — 8 novembre 2024

Par : robinson
8 novembre 2024 Ă  12:05

Campagne anti-GAFAM : LinkedIn enfin condamnĂ© Ă  une grosse amende

Nous avions lancĂ© notre campagne anti-GAFAM au moment de l’entrĂ©e en vigueur du RGPD, en mai 2018
 Sur la base du tout nouveau rĂšglement europĂ©en sur la protection des donnĂ©es personnelles, nous avions dĂ©cidĂ© d’attaquer les pratiques illĂ©gales des cinq plus grandes sociĂ©tĂ©s du numĂ©rique mondial : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. C’était la premiĂšre action collective en Europe — une nouveautĂ© permise par le RGPD — contre les entreprises privĂ©es qui exploitent dĂ©libĂ©rĂ©ment et en toute illĂ©galitĂ© les donnĂ©es personnelles des internautes sans leur consentement. Pour cette action collective, nous avions reçu le soutien de 12 000 personnes qui avaient dĂ©cidĂ© de nous donner leur mandat pour porter la plainte devant la CNIL. C’était chose faite le 18 mai 2018. Il y a six ans.

Le RGPD donne Ă  la CNIL le pouvoir d’instruire les plaintes concernant les entreprises dont le siĂšge europĂ©en est en France, ou n’ayant pas de siĂšge social dans un autre pays de l’Union europĂ©enne. C’était le cas de Google Ă  l’époque. La CNIL a donc traitĂ© d’abord la plainte contre Google, sans donner signe de son travail avant mai 2021, oĂč elle a soudain rendu une dĂ©cision bancale et insatisfaisante, assortie d’une amende minime de 50 millions de dollars, avant de transmettre le dossier Ă  son homologue irlandais, la DPC, Google ayant entre temps crĂ©Ă© un siĂšge europĂ©en en Irlande (plus de dĂ©tails dans cet article, dans le paragraphe « Google perdu au rebond Â»).

Les autres plaintes avaient Ă©tĂ© transmises dĂšs 2018 aux autoritĂ©s compĂ©tentes pour la protection des donnĂ©es dans les pays concernĂ©s : Facebook, Apple et Microsoft en Irlande, et Amazon au Luxembourg. C’est de lĂ  qu’est venue, contre toute attente, la deuxiĂšme condamnation, en juillet 2021 : les pratiques illĂ©gales d’Amazon Ă©taient bien reconnues, et l’entreprise condamnĂ©e Ă  une amende record de 746 millions d’euros.

MalgrĂ© la soliditĂ© juridique de nos plaintes, confirmĂ©e par deux fois, nous n’avions alors toujours aucune nouvelle des quatre dossiers traitĂ©s par la DPC irlandaise : Apple, Microsoft, Facebook (Meta) et Google. Jusqu’à ce mois d’octobre 2024, plus de 6 ans aprĂšs le dĂ©pĂŽt des plaintes. La DPC a enfin rendu sa dĂ©cision concernant LinkedIn (qui appartient Ă  Microsoft), et condamne l’entreprise Ă  une amende de 310 millions d’euros, en plus d’un obligation de mise en conformitĂ© avec la loi.

C’est bien, mais c’est peu. Pourquoi faut-il six ans pour appliquer une loi europĂ©enne ? Et plus encore pour trois autres dossiers ? On sait que l’Irlande ouvre grand les bras aux multinationales, en leur offrant un statut fiscal privilĂ©giĂ©. On sait que la DPC est surchargĂ©e de dossiers et en sous-effectif. On se doute que la balance entre l’application des lois et le bĂ©nĂ©fice Ă©conomique est un arbitrage trĂšs politique. Et on sait que les entreprises fortunĂ©es continuent d’exploiter les donnĂ©es personnelles au mĂ©pris de leurs obligations lĂ©gales. Bref, un constat de victoire teintĂ© d’amertume, Ă  lire sur notre site.

Lire l’article : https://www.laquadrature.net/2024/10/25/linkedin-condamnee-a-310-millions-deuros-suite-a-notre-plainte-collective/
La campagne anti-GAFAM : https://gafam/laquadrature.net/

« Pas de VSA dans ma ville Â», deuxiĂšme round

Alors que la pĂ©riode « d’expĂ©rimentation Â» de la VSA autorisĂ©e par la loi JO n’est mĂȘme pas terminĂ©e, et sans mĂȘme attendre les conclusions de l’expĂ©rience, le lĂ©gislateur et le gouvernement envisagent dĂ©jĂ  sa lĂ©galisation complĂšte et son dĂ©ploiement gĂ©nĂ©ralisĂ©. Nous savons que le combat au niveau lĂ©gislatif sera difficile, mĂȘme si nous le mĂšnerons. Et nous savons aussi que le point d’entrĂ©e de la VSA dans nos rues, c’est le niveau municipal. C’est aux communes que les industriels vendent leurs camĂ©ras et leurs logiciels, avec l’appui financier et idĂ©ologique de l’État. Et c’est au niveau municipal que de piĂštres politiciens dĂ©pensent l’argent public dans une surenchĂšre sĂ©curitaire dispendieuse et illĂ©gale. C’est pourquoi nous invitons chacun et chacune Ă  Ă©crire Ă  ses Ă©lus locaux pour demander l’abandon de cette technologie de surveillance.

« Pas de VSA dans ma ville Â», c’est le nom de cette campagne collective qui invite tout le monde Ă  prendre le dĂ©bat en mains et Ă  interpeller les dĂ©cideurs locaux. Nous avons besoin de vous pour faire reculer la surveillance ! Courriers, procĂ©dures, arguments, vous trouverez tout sur notre site de campagne.

Lire l’article : https://www.laquadrature.net/2024/10/31/assaut-contre-la-videosurveillance-algorithmique-dans-nos-villes/
Le site de la campagne anti-VSA : https://www.laquadrature.net/vsa/

Agenda

  • Du vendredi 8 au dimanche 10 novembre 2024 : Festival « Le nuage Ă©tait sous nos pieds Â» Ă  Marseille, tout le programme ici : https://lenuageetaitsousnospieds.org.
  • Jeudi 14 novembre 2024 : confĂ©rence « Technopolice : 5 ans de lutte contre les technologies de surveillance en France Â» lors de l’évĂšnement Ethics by Design Ă  Nantes, plus d’infos ici : https://ethicsbydesign.fr/.
  • Jeudi 14 novembre 2024 : Causerie mensuelle Technopolice Marseille, 19h, Manifesten (59 rue Adolphe Thiers, Marseille).
  • Retrouvez tout l’agenda en ligne.

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Briefcam au MinistĂšre de l’IntĂ©rieur : le rapport d’inspection tente de noyer le poisson

8 novembre 2024 Ă  07:10

L’an dernier, le mĂ©dia d’investigation Disclose rĂ©vĂ©lait que depuis des annĂ©es, en se sachant dans l’illĂ©galitĂ© la plus totale, la police nationale avait recouru au logiciel de l’entreprise israĂ©lienne Briefcam, qui permet d’automatiser l’analyse des images de vidĂ©osurveillance. Cette solution comporte une option « reconnaissance faciale Â» qui, d’aprĂšs Disclose, serait « activement utilisĂ©e Â». AprĂšs avoir tentĂ© d’étouffer l’affaire, le ministĂšre de l’IntĂ©rieur a enfin publiĂ© le rapport d’inspection commandĂ© Ă  l’époque par GĂ©rald Darmanin pour tenter d’éteindre la polĂ©mique. Ce rapport, rĂ©digĂ© par des membres de l’Inspection gĂ©nĂ©rale de l’administration, de l’Inspection gĂ©nĂ©rale de la police nationale et de l’Inspection de la Gendarmerie nationale, permet d’étayer les rĂ©vĂ©lations de Disclose. FondĂ© sur la seule bonne foi des forces de l’ordre, il s’apparente toutefois Ă  une tentative choquante de couvrir des faits passibles de sanctions pĂ©nales.

Tout au long du rapport, les auteur·rices utilisent diverses techniques de minimisation et d’euphĂ©misation – quand il ne s’agit pas tout bonnement de mauvaise foi â€“ pour justifier l’utilisation illĂ©gale du logiciel Briefcam depuis 2015 par la police et 2017 par la gendarmerie. Pour rappel, ce logiciel permet d’analyser et filtrer les attributs physiques des personnes filmĂ©es afin de les retrouver sur les enregistrements vidĂ©o. En plus de la reconnaissance faciale, il propose la reconnaissance de vĂȘtements, de genre, de taille, d’apparence ou encore la « similitude de visage Â» que les services tentent grossiĂšrement de distinguer de la reconnaissance faciale alors qu’au fond, il s’agit peu ou prou de la mĂȘme chose, Ă  savoir identifier des personnes. PlutĂŽt que de reconnaĂźtre l’usage hors-la-loi de l’ensemble de ces cas d’usages depuis quasiment dix ans, les services d’inspection multiplient les pirouettes juridiques pour mieux lĂ©gitimer ces pratiques.

Ainsi, les auteur·rices du rapport reprennent une analyse bancale dĂ©jĂ  esquissĂ©e par GĂ©rald Darmanin l’an dernier pour couvrir un usage intrinsĂšquement illĂ©gal de VSA dans le cadre d’enquĂȘtes pĂ©nales, lorsque ces dispositifs sont utilisĂ©s par les enquĂȘteurs pour analyser automatiquement des flux de vidĂ©osurveillance archivĂ©s. Reprenant l’interprĂ©tation secrĂštement proposĂ©e en interne par les services du ministĂšre de l’IntĂ©rieur pour couvrir ces activitĂ©s au plan juridique, les auteur·rices estiment que ces utilisations a posteriori (par opposition au temps rĂ©el) de logiciels de VSA constitueraient des logiciels de « rapprochement judiciaire Â» au sens de l’article 230-20 du code de procĂ©dure pĂ©nale. Pourtant, cet article du code de procĂ©dure pĂ©nale n’autorise que le « rapprochement de modes opĂ©ratoires Â» (par exemple des logiciels d’analyse de documents pour faire ressortir des numĂ©ros de tĂ©lĂ©phones liĂ©s entre eux). Cela n’a rien Ă  voir avec la VSA a posteriori, laquelle consiste Ă  rechercher des personnes sur une image en fonction de leurs attributs physiques via des techniques d’intelligence artificielle. Pour ĂȘtre licites, ces dispositifs devraient au minimum faire l’objet d’une base lĂ©gale spĂ©cifique. C’est la base en matiĂšre de droits fondamentaux. Et cette base n’a clairement pas Ă©tĂ© respectĂ©e.

L’argumentation des rapporteurs paraĂźt d’autant plus choquante que le logiciel VSA de Briefcam analyse des donnĂ©es personnelles biomĂ©triques et est donc soumis Ă  des restrictions fortes du RGPD et de la directive police-justice. Les lacunes du cadre lĂ©gal actuel pour des usages de VSA dans le cadre d’enquĂȘtes judiciaires et la nĂ©cessitĂ© d’une base lĂ©gale spĂ©cifique est d’ailleurs confortĂ©e par diffĂ©rents projets de lĂ©galisation de cette technologie qui ont pu ĂȘtre proposĂ©s : tel est le cas de la rĂ©cente proposition de loi relative Ă  la sĂ»retĂ© dans les transports, ou plus anciennement un projet de dĂ©cret de 2017 « autorisant des traitements de donnĂ©es personnelles permettant l’analyse des enregistrements vidĂ©o dans le cadre d’enquĂȘtes judiciaires Â», mentionnĂ© dans le rapport. De mĂȘme, l’autorisation par un dĂ©cret de 2012 du recours Ă  la comparaison faciale dans le fichier TAJ (« Traitement des antĂ©cĂ©dants judiciaires Â») illustre la nĂ©cessitĂ© parfois bien comprise au ministĂšre de l’IntĂ©rieur de prĂ©voir un encadrement juridique spĂ©cifique pour diffĂ©rentes technologies de surveillance mobilisĂ©e dans le cadre d’enquĂȘte pĂ©nale1.

Non content·es de couvrir des abus pourtant passibles de sanctions pĂ©nales, les auteur·ices du rapport envisagent aussi l’avenir. Iels proposent ainsi de relĂącher encore davantage la bride de la police pour lui permettre de tester de nouvelles technologies de surveillance policiĂšre. Assouplir toujours plus les modalitĂ©s de contrĂŽle, dĂ©jĂ  parfaitement dĂ©faillantes, dans la logique des « bacs Ă  sable rĂ©glementaires Â», Ă  savoir des dispositifs expĂ©rimentaux dĂ©rogeant aux rĂšgles en matiĂšre de protection des droits fondamentaux, le tout au nom de ce qu’iels dĂ©signent comme l’« innovation permanente Â». Les auteur·rices s’inscrivent en cela dans la filiation du rĂšglement IA qui encourage ces mĂȘmes bacs Ă  sable rĂ©glementaires, et du rapport Aghion-Bouverot (commission de l’intelligence artificielle) rendu au printemps dernier2. Il faut bien mesurer que ces propositions inacceptables, si elles venaient Ă  ĂȘtre effectivement mises en Ɠuvre, sonneraient le glas des promesses de la loi « informatique et libertĂ©s Â» en matiĂšre de protection des droits fondamentaux et des libertĂ©s publiques (Ă  ce sujet, on est toujours en attente de l’issue de l’autosaisine de la CNIL dans ce qu’il faut bien appeler « l’affaire Briefcam Â», un an aprĂšs son dĂ©clenchement
).

En bref, ce rapport s’inscrit dans une logique de couverture de faits passibles de peines de prison et qui constituent aussi un dĂ©tournement de fonds publics. Surtout, il contribue Ă  banaliser la vidĂ©osurveillance algorithmique, suivant en cela la politique du gouvernement Barnier. En effet, aprĂšs avoir annoncĂ© le mois dernier la pĂ©rennisation de « l’expĂ©rimentation Â» de la VSA suite aux Jeux Olympiques, le gouvernement entend Ă©galement, via le projet de loi de finances 2025, d’installer des radars routiers dopĂ©s Ă  la VSA pour dĂ©tecter trois nouvelles infractions concernant « l’inter-distance (entre les vĂ©hicules), le non-respect du port de la ceinture et le tĂ©lĂ©phone tenu en main (au volant) Â». Sans oublier la proposition de loi sur la sĂ©curitĂ© dans les transports qui fait son retour Ă  l’AssemblĂ©e d’ici la fin du mois de novembre. Tout est bon pour lĂ©gitimer cette technologie dangereuse et l’imposer Ă  la population.

Pour nous aider Ă  tenir ces manƓuvres en Ă©chec, RDV sur notre page de campagne !


  1. La police et la gendarmerie utilisent de façon trĂšs frĂ©quente la reconnaissance faciale en application de ce cadre liĂ© au fichier TAJ : en 2021, c’était 498 871 fois par la police nationale et environ 117 000 fois par la gendarmerie nationale, d’aprĂšs un rapport parlementaire. ↩
  2. Le rapport Aghion-Bouverot appelait Ă  l’assouplissement de certaines procĂ©dures d’autorisation pour utiliser des donnĂ©es personnelles, notamment dans la santĂ© ou par la police. On y lit notamment :
    « Le RGPD a renversĂ© complĂštement la logique du droit qui prĂ©valait en France depuis la loi « informatique et libertĂ© Â» de 1978 Alors que la possibilitĂ© de traiter des donnĂ©es Ă  caractĂšre personnel reposait sur des procĂ©dures d’autorisation ou de dĂ©claration prĂ©alables auprĂšs de l’administration, le RGPD a posĂ© les principes de libertĂ© et de responsabilitĂ© : les acteurs sont libres de crĂ©er et de mettre en Ɠuvre des traitements de donnĂ©es Ă  caractĂšre personnel, sous rĂ©serve de veiller eux-mĂȘmes Ă  la conformitĂ© de ces traitements aux principes et rĂšgles prĂ©vus par le rĂšglement europĂ©en Ils doivent en particulier analyser les risques spĂ©cifiques que peuvent crĂ©er les traitements les plus sensibles et prendre les mesures appropriĂ©es pour y remĂ©dier En contrepartie de cette libertĂ©, instituĂ©e dans le but prĂ©cis de favoriser l’innovation, les exigences de protection des donnĂ©es personnelles ont Ă©tĂ© renforcĂ©es, de mĂȘme que les pouvoirs de contrĂŽle et de sanction a posteriori des autoritĂ©s en charge de la protection des donnĂ©es En France, il s’agit de la Commission nationale de l’informatique et des libertĂ©s (Cnil).
    En France, cette Ă©volution n’a pas Ă©tĂ© conduite jusqu’à son terme Il demeure des procĂ©dures d’autorisation prĂ©alables non prĂ©vues par le droit europĂ©en. C’est en particulier le cas pour l’accĂšs aux donnĂ©es de santĂ© pour la recherche Une procĂ©dure simplifiĂ©e de dĂ©claration de conformitĂ© Ă  des mĂ©thodologies de rĂ©fĂ©rence existe mais elle est loin d’ĂȘtre gĂ©nĂ©ralisĂ©e En pratique, la procĂ©dure simplifiĂ©e reste l’exception par rapport Ă  la procĂ©dure d’autorisation prĂ©alable car le moindre Ă©cart par rapport Ă  ces mĂ©thodologies implique d’en passer par une autorisation prĂ©alable qui peut impliquer jusqu’à trois niveaux d’autorisation prĂ©alable On trouve des lourdeurs analogues dans les domaines de l’ordre public, de la sĂ©curitĂ© et de la justice Â». ↩

Assaut contre la vidéosurveillance algorithmique dans nos villes

Par : noemie
31 octobre 2024 Ă  07:58

La question de pĂ©renniser ou non l’expĂ©rimentation de la vidĂ©osurveillance algorithmique (VSA) fait actuellement beaucoup de bruit dans le dĂ©bat public. Si l’on entend principalement les ministres et prĂ©fets au niveau national, c’est aussi – et surtout – Ă  l’échelle locale que ces enjeux se cristallisent. Profitant de l’engouement des Jeux Olympiques et du cadre lĂ©gislatif crĂ©Ă© Ă  l’occasion de cet Ă©vĂšnement, de nombreuses communes tentent de lĂ©gitimer et normaliser leurs usages de cette technologie, qui reste pourtant totalement illĂ©gaux. Ces manƓuvres, qui doivent ĂȘtre rĂ©vĂ©lĂ©es et dĂ©noncĂ©es, constituent aussi pour les habitant⋅es un levier d’action majeur pour faire entendre leurs voix et exiger l’interdiction de la VSA dans nos villes.

Lorsque nous avons lancĂ© notre campagne contre la VSA au printemps dernier, nous l’affirmions haut et fort : ce qui se joue avec la loi sur les Jeux Olympiques est une grande hypocrisie. La vidĂ©osurveillance algorithmique s’est dĂ©ployĂ©e depuis quasiment une dizaine d’annĂ©es en toute illĂ©galitĂ© dans les villes et les collectivitĂ©s locales, qui ont achetĂ© des logiciels de VSA Ă  des entreprises de surveillance en quĂȘte de profit. Marseille, Reims, Vannes ou encore Moirans
 nous avons documentĂ© au fil des mois comment les villes se dotaient de ces outils de surveillance en toute illĂ©galitĂ©. La loi JO vient donc lĂ©gitimer une pratique existante en masquant l’étendue de cette rĂ©alitĂ©. En effet, le pĂ©rimĂštre prĂ©vu par la loi ne prĂ©voit la dĂ©tection que de huit types d’analyses d’images. Or, les entreprises de VSA n’ont jamais cachĂ© qu’elles savaient dĂ©jĂ  faire bien plus : reconnaissance d’émotions, reconnaissance faciale ou encore suivi et identification des personnes au travers d’attributs physiques
 Le rĂŽle de la loi JO apparaĂźt alors comme Ă©vident : il s’agissait surtout de crĂ©er une premiĂšre Ă©tape pour sortir cette technologie de l’illĂ©galitĂ© et amorcer un projet plus large de surveillance de l’espace public.

DĂ©busquer les mensonges

Ce processus de normalisation et d’instrumentalisation est dĂ©jĂ  Ă  l’Ɠuvre. Ainsi, les villes n’ont pas attendu bien longtemps pour s’appuyer sur la rĂ©cente loi JO – qui normalise la VSA dans un cadre prĂ©cis – afin de lĂ©gitimer les logiciels dont elles se seraient dotĂ© de façon illĂ©gale, dans leur coin. Par exemple, la ville de Saint-Denis a trĂšs rĂ©cemment achetĂ© un logiciel de vidĂ©osurveillance algorithmique auprĂšs de l’entreprise Two-I. Cette acquisition s’est faite en dehors du pĂ©rimĂštre de la loi JO qui impose Ă  la fois une autorisation prĂ©fectorale et l’utilisation d’un logiciel spĂ©cifique acquis par marchĂ© public (en l’occurrence celui de Wintics). Cependant, pour donner un vernis de lĂ©galitĂ© Ă  cette initiative unilatĂ©rale, le maire socialiste de la commune, Mathieu Hanotin, a essayĂ© de la rattacher autant que faire se peut aux Jeux Olympiques. Il prĂ©tendait ainsi que ce logiciel pourrait servir pour les Jeux Paralympiques (nous Ă©tions alors au mois d’aoĂ»t 2024) et que les algorithmes de dĂ©tection seraient identiques aux usages prĂ©vus par la loi JO. Il s’agissait surtout d’un Ă©cran de fumĂ©e pour masquer l’illĂ©galitĂ© de cette dĂ©marche, d’autant que celle-ci s’est faite en toute opacitĂ©, le conseil municipal de Saint-Denis n’ayant mĂȘme pas Ă©tĂ© informĂ©, si l’on en croit les informations du journal Le Parisien et du media StreetPress.

Autre exemple dans l’Oise, oĂč la ville de MĂ©ru possĂšde dĂ©sormais un logiciel de dĂ©tection des personnes dĂ©posant des « ordures sauvages Â» dĂ©veloppĂ© par la sociĂ©tĂ© Vizzia. Ce type d’usages a connu un essor important ces derniĂšres annĂ©es en raison de l’existence d’entreprises de VSA toujours plus nombreuses voulant surfer sur une image green, aprĂšs avoir misĂ© sur le fantasme de la smart city pendant des annĂ©es, tout en jouant avec les diffĂ©rentes Ă©volutions lĂ©gislatives. En effet, d’une part, il existe un cadre juridique pour l’installation de camĂ©ras dans les villes : le code de la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure prĂ©voit une liste de finalitĂ©s prĂ©cises pour lesquelles une commune peut implanter des camĂ©ras dans les rues. Or, depuis des lois de 2019 et 2020 relatives Ă  l’écologie, cette liste contient la « la prĂ©vention et la constatation des infractions relatives Ă  l’abandon d’ordures, de dĂ©chets, de matĂ©riaux ou d’autres objets Â».

D’autre part, la police est autorisĂ©e Ă  avoir recours Ă  de la « vidĂ©overbalisation Â» pour certaines infractions routiĂšres. C’est-Ă -dire qu’elle peut Ă©mettre des procĂšs-verbaux de verbalisation uniquement sur la base d’enregistrements vidĂ©o : concrĂštement, la police relĂšve la plaque d’immatriculation sur l’image de vidĂ©osurveillance et envoie une amende Ă  la personne propriĂ©taire du vĂ©hicule. Celle-ci reçoit alors le PV Ă  domicile, sans aucun contact avec un·e agent·e. Or, cette possibilitĂ© est limitĂ©e Ă  une liste prĂ©cise de contraventions au code de la route, telle que le franchissement d’une ligne blanche ou un stationnement interdit. En dehors de cette liste, il n’est pas possible de vidĂ©overbaliser les personnes sur la seule base d’une image captĂ©e par une camĂ©ra de surveillance. D’ailleurs, ce marchĂ© de la vidĂ©overbalisation des dĂ©lits routiers est un marchĂ© important pour les entreprises de VSA, qui proposent l’automatisation de la lecture des plaques (dites « LAPI Â»). Et le dĂ©pĂŽt d’ordures, s’il peut lĂ©galement justifier la pose de camĂ©ras, ne figure pas dans la liste des infractions pouvant ĂȘtre vidĂ©overbalisĂ©es.

Pour antant, cela n’empĂȘche aucunement des entreprises de faire croire l’inverse aux municipalitĂ©s pour leur vendre leur solution. Tel est le cas de la start-up Vizzia, petite derniĂšre dans le monde de la VSA, qui affirme sans vergogne sur son site internet qu’il « est possible de vidĂ©o-constater les dĂ©pĂŽts sauvages Â». Vizzia explique ainsi Ă  ses potentielles villes clientes qu’il suffirait de relever la plaque du vĂ©hicule associĂ© Ă  un dĂ©pot d’ordure identifiĂ© par son logiciel puis de consulter le fichier SIV (SystĂšme d’Immatriculation des VĂ©hicules, qui recense tous les vĂ©hicules et les coordonnĂ©es de leurs propriĂ©taires) pour identifier les auteur·rices d’un dĂ©pot sauvage d’ordures. Pour se justifier, l’entreprise va mĂȘme jusqu’à citer une rĂ©ponse du ministĂšre de l’IntĂ©rieur Ă  une sĂ©natrice 
 qui dit exactement le contraire de ce qu’affirme l’entreprise ! En rĂ©alitĂ©, le ministre de l’IntĂ©rieur rappelle expressĂ©ment qu’« il n’est pas possible de verbaliser le titulaire du certificat d’immatriculation du vĂ©hicule ayant servi au dĂ©pĂŽt d’ordures Â». Il conclut trĂšs clairement que les images de vidĂ©osurveillance peuvent uniquement servir dans le cadre d’une procĂ©dure judiciaire et que le relevĂ© de plaque est insuffisant pour constater le dĂ©lit.

Ainsi, non seulement la ville de MĂ©ru – parmi tant d’autres1Pour savoir si Vizzia est prĂ©sente dans votre commune, ses clients sont affichĂ©es sur cette page https://www.vizzia.eu/nos-references – s’est dotĂ© d’un logiciel illĂ©gal mais en plus, si l’on en croit cet article de France 3 rĂ©gions, elle tente de s’appuyer sur le cadre de la loi sur les Jeux Olympiques pour faire passer la pilule. Ainsi, les responsables expliquent que le dĂ©pĂŽt d’ordure serait identique Ă  la dĂ©tection « d’objet abandonnĂ© Â» autorisĂ©e par la loi JO. Cela est Ă©videmment faux et un tel usage reste totalement contraire Ă  la rĂ©glementation de protection des donnĂ©es personnelles.

Surtout, le chef de la police municipale de MĂ©ru se vante du fait que l’outil de VSA de Vizzia verbalise et remplisse tout seul les procĂšs-verbaux Ă  partir des plaques d’immatriculation. Son constat est clair : « L’intelligence artificielle me permet de ne pas avoir d’agent derriĂšre une camĂ©ra tout le temps. Elle m’envoie des alertes quand elle dĂ©tecte une infraction. C’est l’outil qui fait le travail et moi, je n’ai plus qu’à traiter directement les infractions. Mes agents sont dĂ©diĂ©s Ă  d’autres missions pendant ce temps-lĂ . On ne cherche pas l’infraction, ça tombe dans le panier tout seul. Elle traite les infractions mĂȘme quand on est fermĂ©s Â». Une telle posture va Ă  rebours du discours habituel des institutions et industriels qui tentent gĂ©nĂ©ralement de minimiser le rĂŽle de l’IA et prĂ©fĂšrent affirmer mordicus que toute dĂ©cision serait in fine prise par un humain. Ici, la volontĂ© est clairement affichĂ©e de vouloir se diriger vers une automatisation de la rĂ©pression, nĂ©cessairement induite par ces technologies – un projet que que nous dĂ©nonçons depuis longtemps.

Enfin, la ville de Cannes illustre un autre exemple de stratĂ©gie d’acceptation. Elle est Ă  ce jour la seule commune en dehors de l’Île-de-France a avoir demandĂ© une autorisation prĂ©fectorale pour utiliser la VSA dans le cadre de la loi JO, Ă  l’occasion du festival de cinĂ©ma en mai dernier. Elle a par ailleurs annoncĂ© qu’elle souhaitait l’utiliser Ă  nouveau Ă  cinq reprises d’ici la fin de la durĂ©e lĂ©gale de l’expĂ©rimentation en mars 2025, prĂ©tendant avoir Ă©tĂ© convaincue de son utilitĂ©. Pourtant, on retrouve dĂšs 2016 des traces d’utilisation illĂ©gale de logiciels de VSA par la ville de Cannes. Cette communication de la commune dĂ©montre surtout que la ville se sert de la loi JO pour faire passer comme lĂ©gal et donc acceptable ce qu’elle pratique en violation de la loi depuis des annĂ©es.

Pas de VSA dans nos villes

En parallĂšle des gros sabots ministĂ©riels et des manƓuvres des entreprises, les collectivitĂ©s locales constituent ainsi des entitĂ©s motrices du dĂ©ploiement de la surveillance dans nos rues. C’est donc Ă  cette Ă©chelle lĂ  que nous pouvons repousser ce projet sĂ©curitaire. C’est Ă©galement dans ces espaces que nous serons le plus audibles. En effet, la majoritĂ© des victoires passĂ©es l’ont Ă©tĂ© au niveau des communes et des quartiers. Ainsi, des habitant·es de la ville de Saint-Étienne ont rĂ©ussi en 2019 Ă  faire annuler un projet de micros « dĂ©tecteurs de bruits suspects Â». À Marseille et Ă  Nice, des parents d’élĂšves, aux cotĂ©s de La Quadrature, ont empĂȘchĂ© l’installation de portiques de reconnaissance faciale devant des lycĂ©es. Tandis qu’à Montpellier, la ville a adoptĂ© une dĂ©libĂ©ration s’interdisant d’utiliser de la surveillance biomĂ©trique dans la ville.

Le refus des habitant·es des villes Ă  cette technologie de surveillance est donc essentiel pour faire pression sur les mairies. Il permet aussi de peser dans la bataille de l’« acceptabilitĂ© sociale Â» de la VSA et dans le dĂ©bat public en gĂ©nĂ©ral. D’autant que l’évaluation prĂ©vue par la loi JO exige que soit prise en compte la « perception du public Â» de l’impact de la VSA sur nos libertĂ©s. En agissant dans nos villes, nous pouvons donc combattre la VSA et nous faire entendre Ă  deux titres : auprĂšs des maires, mais aussi du gouvernement qui souhaite pĂ©renniser l’expĂ©rimentation.

Pour vous aider dans cette lutte, nous avons mis Ă  disposition de nombreuses ressources. Afin de s’informer et d’informer les autres, nous avons compilĂ© les informations relatives au contexte, au fonctionnement et aux dangers de la vidĂ©osurveillance algorithmique dans une brochure. Elle est Ă  lire, imprimer et diffuser au plus grand nombre ! Pour organiser l’opposition locale, renseignez-vous sur l’existence de potentiels logiciels dans votre commune en faisant des demandes de documents administratifs ou en contactant les Ă©lu·es de votre conseil municipal. Enfin, rejoignez le mouvement « Pas de VSA dans ma ville Â» en demandant Ă  votre maire de s’engager Ă  ne jamais installer de vidĂ©osurveillance algorithmique dans sa ville. Des affiches sont Ă©galement disponibles sur la page de campagne pour visibiliser cette opposition dans l’espace public. Enfin, les futures expĂ©rimentations de la loi JO, qui auront notamment lieu lors des marchĂ©s de NoĂ«l, seront l’occasion de sensibiliser et d’organiser des actions pour faire connaĂźtre cette technologie et ses dangers au plus grand nombre.

Ensemble, nous devons contrer les manƓuvres visant Ă  faire accepter la vidĂ©osurveillance algorithmique, et rappeler le refus populaire de cette technologie. Nous devons clamer haut et fort notre opposition Ă  devenir les cobayes d’une surveillance menĂ©e main dans la main par la police et les entreprises. Nous devons affirmer que nous ne voulons pas d’une sociĂ©tĂ© oĂč chaque comportement considĂ©rĂ© comme une « anomalie sociale Â» dans la rue soit traitĂ© par un dispositif technique pour alerter la police. Par nos voix communes, nous pouvons empĂȘcher le prolongement de l’expĂ©rimentation et prĂ©server l’espace public d’une surveillance toujours plus oppressante, afin que celui-ci reste un lieu que nous pouvons habiter et investir librement.

References[+]

References
↑1 Pour savoir si Vizzia est prĂ©sente dans votre commune, ses clients sont affichĂ©es sur cette page https://www.vizzia.eu/nos-references

LinkedIn condamnĂ©e Ă  310 millions d’euros suite Ă  notre plainte collective

Par : marne
25 octobre 2024 Ă  08:40

AprĂšs Google et Amazon, c’est au tour de Microsoft d’ĂȘtre condamnĂ©e pour non respect du droit des donnĂ©es personnelles. Hier, l’autoritĂ© de protection des donnĂ©es irlandaise a adressĂ© Ă  Microsoft une amende de 310 millions d’euros suite Ă  notre plainte contre son service LinkedIn, au motif du non respect du consentement de ses utilisateurs.

Le 25 mai 2018, le RGPD (RĂšglement GĂ©nĂ©ral sur la Protection des DonnĂ©es) entrait en application, venant renforcer le droit des donnĂ©es personnelles. Il donnait une place particuliĂšre au consentement, qui devenait la principale base lĂ©gale Ă  appliquer pour la collecte et l’usage des donnĂ©es personnelles. Le RGPD apportait Ă©galement deux autres nouveautĂ©s : la possibilitĂ© de dĂ©poser des plaintes de maniĂšre collective, ainsi qu’un pouvoir de sanction donnĂ© aux CNIL de l’Union europĂ©enne. Les CNIL, responsables de l’application du rĂšglement, peuvent dĂšs lors adresser des amendes Ă  hauteur de 4% du chiffre d’affaire mondial des entreprises ne respectant pas le droit. Les CNIL europĂ©ennes travaillent de concert sur les plaintes, guidĂ©es par une CNIL dite « cheffe de file Â», celle du pays ou le siĂšge social de l’entreprise attaquĂ©e est Ă©tabli.

Quelques mois avant son entrĂ©e en application, nous avions lancĂ© un appel aux utilisateurices de certains services des GAFAM en leur proposant de se joindre Ă  nous pour dĂ©poser une plainte contre chacune de ces grosses entreprises. Nos plaintes, dĂ©posĂ©es avec plus de 12 000 personnes, se fondaient sur le prĂ©supposĂ© que ces entreprises ne respecteraient pas le RGPD une fois que le rĂšglement serait applicable, notamment car leur modĂšle Ă©conomique est en partie construit autour de l’exploitation sans consentement des donnĂ©es, particuliĂšrement Google et Facebook. Comme nous l’avions pariĂ©, plus de six ans aprĂšs, ces entreprises ne respectent toujours pas notre droit fondamental Ă  la vie privĂ©e. Amazon fut condamnĂ©e par la CNIL luxembourgeoise Ă  une amende de 746 millions d’euros en 2021. Google, n’ayant Ă  l’époque du dĂ©pĂŽt des plaintes pas de siĂšge social dans l’Union europĂ©enne, avait Ă©tĂ© condamnĂ©e par la CNIL française (lieu du dĂ©pĂŽt de la plainte) Ă  50 millions d’euros d’amende, puis s’était empressĂ©e de localiser son siĂšge social en Irlande.

L’Irlande, connue pour sa politique fiscale avantageuse, hĂ©berge les siĂšges sociaux de nombreuses entreprises. C’est donc l’autoritĂ© irlandaise qui s’est retrouvĂ©e cheffe de file pour la plupart de nos plaintes : celle contre Microsoft (LinkedIn) mais aussi celles contre Apple (iOS) et Meta (Facebook et Instagram) qui sont encore en cours d’instruction, ainsi qu’Alphabet (Google Search, Youtube et Gmail).
Hier, elle a donc prononcĂ© Ă  l’encontre de Linkedin un rappel Ă  l’ordre, une injonction de mise en conformitĂ© du traitement et trois amendes administratives d’un montant total de 310 millions d’euros. Cette sanction est donc de bon augure pour la suite de nos plaintes, et pour le respect du droit des donnĂ©es personnelles. Elle vient une nouvelle fois confirmer notre interprĂ©tation du RGPD selon laquelle les services en ligne doivent garantir un accĂšs sans contraindre leurs utilisateurices Ă  cĂ©der leurs donnĂ©es personnelless. Dans le cas contraire, le consentement donnĂ© ne peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme libre.

En revanche, il faut relever qu’il a fallu plus de six ans Ă  l’autoritĂ© irlandaise pour arriver Ă  cette sanction. Cela n’est pas dĂ» Ă  une quelconque complexitĂ© de l’affaire mais Ă  des dysfonctionnements structurels et Ă  l’absence de volontĂ© politique caractĂ©ristique de cette autoritĂ©. En effet, des associations dĂ©noncent rĂ©guliĂšrement son manque de moyens, sa proximitĂ© avec les entreprises, son refus de traiter certaines plaintes ou encore son manque de coopĂ©ration avec les autres autoritĂ©s europĂ©ennes. L’Irish Council for Civil Liberties a ainsi publiĂ© l’annĂ©e derniĂšre un rapport pointant les manquements et l’inefficacitĂ© de la Data Protection Commission irlandaise.

Si nous nous rĂ©jouissons de cette petite victoire, elle reste faible. La plus grosse partie de l’Internet reste entre les mains de grosses entreprises. Ce sont elles qui hĂ©bergent nos Ă©changes en ligne et gardent les pleins pouvoirs dessus : malgrĂ© le RGPD, la plupart d’entre elles continueront de rĂ©colter nos donnĂ©es sans notre consentement afin de nourrir leurs algorithmes de profilage publicitaire, transformant par la mĂȘme occasion nos moindre faits et gestes en ligne en marchandises.

D’autant que ce systĂšme repose sur de la puissance de calcul et de l’énergie afin d’afficher ces images publicitaires sur nos Ă©crans. Le tout pour toujours nous faire consommer davantage alors que la crise Ă©cologique prend de l’ampleur de jour en jour. Dans ce contexte, nous attendons avec hĂąte les dĂ©cisions de la CNIL irlandaise concernant nos autres plaintes et espĂ©rons qu’elle sera vigilante quant au respect de la mise en conformitĂ© de LinkedIn.

Pour nous soutenir dans la suite de ce combat, n’hĂ©sitez pas Ă  nous faire un don !

Festival Le Nuage Ă©tait sous nos pieds

Par : edaa
23 octobre 2024 Ă  06:49

Les data centers, ces mĂ©ga-ordinateurs bĂ©tonnĂ©s dĂ©diĂ©s au traitement et au stockage des donnĂ©es informatiques, prolifĂšrent partout dans le monde. Ils s’accaparent l’eau et l’électricitĂ©, gĂ©nĂšrent pollutions environnementales et artificialisation des sols, multiplient les emprises fonciĂšres et la bĂ©tonisation des villes, s’accaparent les fonds publics, et accĂ©lĂšrent ainsi la crise socio-Ă©cologique en cours.

Pendant trois jours Ă  Marseille, les 8, 9 et 10 novembre 2024, nous vous proposons un festival fait d’échanges, de rencontres, de projections et d’une balade-confĂ©rencĂ©e pour s’informer, s’organiser collectivement et lutter contre l’accaparement de nos territoires et de nos vies par les infrastructures du numĂ©rique techno-capitaliste dominant. Programme dĂ©taillĂ© sur pieds.cloud.

Ce festival est Ă  l’initiative du collectif marseillais le Nuage Ă©tait sous nos pieds, composĂ© notamment de trois entitĂ©s : le collectif des Gammares, collectif d’éducation populaire sur les enjeux de l’eau, Technopolice, qui analyse et lutte contre les technologies de surveillance, et La Quadrature du Net, qui dĂ©fend les libertĂ©s fondamentales dans l’environnement numĂ©rique. Depuis 2023, le collectif enquĂȘte, analyse et lutte contre les impacts sociaux, Ă©cologiques et politiques des infrastructures du numĂ©rique dominant et de leur monde. AlertĂ©es par la quasi-absence des enjeux environnementaux et territoriaux des infrastructures du numĂ©rique dans le dĂ©bat public, alors mĂȘme que Marseille voit se multiplier les arrivĂ©es de cĂąbles sous-marins pour les liaisons Internet intercontinentales et l’émergence de data centers dans un grand silence politique et mĂ©diatique, le collectif propose un espace de rencontres et de discussions pour politiser la question de l’accaparement des terres et des vies par le techno-capitalisme, et crĂ©er des espaces de solidaritĂ©s pour penser ensemble des pratiques d’auto-dĂ©fense numĂ©rique, et d’autres mondes possibles, oĂč l’on place le soin pour nous mĂȘmes, les uns pour les autres et le soin de la Terre au centre de nos dĂ©bats.

Le festival se veut Ă  la fois un espace de restitution de l’enquĂȘte locale menĂ©e par le collectif Le nuage Ă©tait sous nos pieds sur les impacts des data centers, cĂąbles sous-marins intercontinentaux et autres infrastructures du numĂ©rique Ă  Marseille, mais aussi un espace de rĂ©flexion commune en compagnie d’autres collectifs et associations marseillaises et d’ailleurs. Ouvert Ă  toutes et tous, le festival propose de nombreuses tables-rondes, infokiosques, des projections de films, une balade et des rencontres intercollectifs. Retrouvez son programme dĂ©taillĂ© sur pieds.cloud.

En prĂ©sence des collectifs invité·es :
Tu Nube Seca Mi Rio (Talavera de la Reina, Espagne), Paris Marx – du podcast Tech Won’t Save Us (Canada), GĂ©nĂ©ration LumiĂšre (RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo et Lyon), StopMicro (Grenoble), Stop Mine 03 (EchassiĂšres, Allier), le Mouton numĂ©rique (France), Framasoft (France), le collectif des Gammares (Marseille), La Quadrature du Net (France), Technopolice (France), et de nombreux autres collectifs de Marseille et d’ailleurs.

En collaboration avec le Bureau des Guides 2013, le cinĂ©ma Le Gyptis, et La CitĂ© de l’Agriculture Ă  Marseille.
Une sélection de livres en collaboration avec la librairie Transit à Marseille, sera disponible sur tous les lieux du festival.
Tout au long du festival, retrouvez l’exposition Technopolice : 5 ans de lutte Ă  la librairie l’Hydre aux milles tĂȘtes, 96 rue Saint-Savournin, du mardi au samedi de 10h Ă  19h, du 18 octobre au 19 novembre.

QSPTAG #313 — 18 octobre 2024

Par : robinson
18 octobre 2024 Ă  10:24

CNAF : recours collectif contre l’algo de la galĂšre

La Quadrature travaille depuis des annĂ©es sur les algorithmes utilisĂ©s par les administrations et les services sociaux, et en particulier sur l’algorithme de « scoring Â» de la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF). Il a fallu d’abord batailler contre l’administration pour obtenir la communication du code source, avant de publier en novembre 2023 l’analyse de la version n-1 de cet algo, la CNAF ayant refusĂ© de fournir le code de l’algorithme en usage aujourd’hui. Et ce 16 octobre, La Quadrature et 14 autres associations de dĂ©fense des droits attaquent donc l’algorithme de la CNAF devant le Conseil d’État, pour discrimination et surveillance excessive.

Cet algorithme analyse chaque mois les donnĂ©es personnelles (et intimes) de 13 millions de foyers touchant des allocations familiales, soit environ 32 millions de personnes en France, pour leur attribuer un « score de risque Â». Si ce score est trop Ă©levĂ©, un contrĂŽle est dĂ©clenchĂ©.
La CNAF prĂ©sente cet outil comme un « algorithme de lutte contre la fraude Â». En rĂ©alitĂ©, l’algorithme n’est Ă©videmment pas capable de dĂ©tecter des fraudes, qui supposent un mensonge intentionnel impossible Ă  traduire en calcul. En revanche, que peut faire un algorithme ? Il peut identifier les personnes les plus susceptibles d’avoir reçu des « indus Â» ou des « trop-perçus Â», c’est-Ă -dire des sommes supĂ©rieures Ă  ce que le calcul de leurs droits leur destine. Comment ? En identifiant les personnes dont la situation est la plus susceptible de provoquer des erreurs de dĂ©claration. Qui sont ces personnes ? Celles qui changent souvent d’adresse, de travail, de situation familiale, qui sont mĂšres cĂ©libataires, qui bĂ©nĂ©ficient de minima sociaux ou ont de faibles revenus. C’est-Ă -dire celles dont la vie est la plus marquĂ©e par la prĂ©caritĂ©.
Voici comment, sous couvert de « lutter contre la fraude Â», on traque systĂ©matiquement les personnes en difficultĂ©.

L’analyse du code source a confirmĂ© sans ambiguĂŻtĂ© la fonction discriminatoire de cet algorithme. Les critĂšres choisis et leur pondĂ©ration ciblent de façon dĂ©libĂ©rĂ©e les personnes les plus prĂ©caires : famille monoparentale, bĂ©nĂ©ficiaires du RSA, personnes sans emploi, au domicile instable, etc.
Cette discrimination, couplĂ©e Ă  une surveillance de masse (prĂšs de la moitiĂ© de la population française est concernĂ©e), nous ont poussĂ©es Ă  saisir le Conseil d’État. Si vous voulez comprendre le raisonnement juridique qui structure le recours, tout est dans le communiquĂ© de la coalition. Et si vous voulez suivre notre campagne de long cours contre les algorithmes administratifs, visitez notre page France ContrĂŽle.

Lire le communiquĂ© : https://www.laquadrature.net/2024/10/16/lalgorithme-de-notation-de-la-cnaf-attaque-devant-le-conseil-detat-par-15-organisations/

Livre : une histoire de la Technopolice

Notre campagne Technopolice a cinq ans. FĂ©lix TrĂ©guer, chercheur et membre de La Quadrature, raconte Ă  la premiĂšre personne, dans Technopolice, la surveillance policiĂšre Ă  l’ùre de l’intelligence artificielle, ce long travail d’enquĂȘte collective sur les pratiques de surveillance numĂ©rique de la police, depuis la dĂ©couverte de « l’observatoire du Big Data de de la tranquillitĂ© publique Â» de Marseille fin 2017, jusqu’à la lĂ©galisation de la VSA par la loi Jeux Olympiques en 2023, en passant par le rĂ©cit Ă©tonnant et Ă©clairant du quotidien d’un policier dans la ville de Denver au Colorado.

Croisant les analyses politiques et sociologiques, les enquĂȘtes de terrain et les chiffres, l’ouvrage analyse la Technopolice comme un fait social complexe, qui met en jeu des idĂ©ologies politiques, des ambitions industrielles, des fantasmes policiers, au prise avec des problĂšmes matĂ©riels, Ă©conomiques et humains. Et si vous voulez rencontrer l’auteur et lui poser des questions, le site recense les nombreuses rencontres en librairie Ă  venir pour les mois d’octobre, novembre et dĂ©cembre.

Lire l’article : https://www.laquadrature.net/202fondateur4/10/11/parution-du-livre-technopolice/

Action Ă  Marseille contre le data center de trop

Le 16 septembre dernier, La Quadrature du Net et le collectif local Le nuage est sous nos pieds ont organisĂ© une confĂ©rence de presse pour alerter au sujet de la construction d’un data center gĂ©ant dans l’agglomĂ©ration de Marseille : gourmand en Ă©nergie et en eau potable, ce projet s’incrit dans une logique d’inflation numĂ©rique dispendieuse, dont la nĂ©cessitĂ© n’est jamais questionnĂ©e ni soumise Ă  la dĂ©libĂ©ration dĂ©mocratique de la population qu’elle touche directement. Lisez le communiquĂ© du collectif Le nuage et sous nos pieds sur notre site.

Lire le communiquĂ© : https://www.laquadrature.net/2024/09/16/conference-de-presse-a-marseille-contre-les-data-centers/

Agenda

La Quadrature dans les médias

Livre « Technopolice Â»

Algo de la CNAF

Data center Ă  Marseille

Divers

L’algorithme de notation de la CNAF attaquĂ© devant le Conseil d’État par 15 organisations

Par : bastien
16 octobre 2024 Ă  06:13

En cette veille de journĂ©e mondiale du refus de la misĂšre, 15 organisations de la sociĂ©tĂ© civile attaquent l’algorithme de notation des allocataires des Caisses d’Allocations Familiales (CAF) en justice, devant le Conseil d’État, au nom du droit de la protection des donnĂ©es personnelles et du principe de non-discrimination. Ce recours en justice contre un algorithme de ciblage d’un organisme ayant mission de service public est une premiĂšre.

Cet algorithme attribue Ă  chaque allocataire un score de suspicion dont la valeur est utilisĂ©e pour sĂ©lectionner celles et ceux faisant l’objet d’un contrĂŽle. Plus il est Ă©levĂ©, plus la probabilitĂ© d’ĂȘtre contrĂŽlé·e est grande. Chaque mois, l’algorithme analyse les donnĂ©es personnelles des plus de 32 millions de personnes vivant dans un foyer recevant une prestation CAF et calcule plus de 13 millions de scores. Parmi les facteurs venant augmenter un score de suspicion on trouve notamment le fait d’avoir de faibles revenus, d’ĂȘtre au chĂŽmage, de bĂ©nĂ©ficier du revenu de solidaritĂ© active (RSA) ou de l’allocation adulte handicapĂ© (AAH). En retour, les personnes en difficultĂ© se retrouvent sur-contrĂŽlĂ©es par rapport au reste de la population.

Notre recours devant le Conseil d’État porte tant sur l’étendue de la surveillance Ă  l’Ɠuvre que sur la discrimination opĂ©rĂ©e par cet algorithme envers des allocataires dĂ©jĂ  fragilisé·es dans leurs parcours de vie. En assimilant prĂ©caritĂ© et soupçon de fraude, cet algorithme participe d’une politique de stigmatisation et de maltraitance institutionnelle des plus dĂ©favorisé·es. Les contrĂŽles sont des moments particuliĂšrement difficiles Ă  vivre, gĂ©nĂ©rateurs d’une forte charge administrative et d’une grande anxiĂ©tĂ©. Ils s’accompagnent rĂ©guliĂšrement de suspensions du versement des prestations, prĂ©cĂ©dant des demandes de remboursements d’indus non-motivĂ©s. Dans les situations les plus graves, des allocataires se retrouvent totalement privé·es de ressources, et ce en toute illĂ©galitĂ©. Quant aux voies de recours, elles ne sont pas toujours comprĂ©hensibles ni accessibles.

Alors que l’utilisation de tels algorithmes de notation se gĂ©nĂ©ralise au sein des organismes sociaux, notre coalition, regroupant des organisations aux horizons divers, vise Ă  construire un front collectif afin de faire interdire ce type de pratiques et d’alerter sur la violence dont sont porteuses les politiques dites de « lutte contre la fraude sociale Â».

« Cet algorithme est la traduction d’une politique d’acharnement contre les plus pauvres. Parce que vous ĂȘtes prĂ©caire, vous serez suspect·e aux yeux de l’algorithme, et donc contrĂŽlé·e. C’est une double peine. Â» dĂ©clare Bastien Le Querrec, juriste Ă  La Quadrature du Net.

Associations requérantes:


Retrouvez l’ensemble de nos travaux sur la numĂ©risation des administrations sociales et la gestion algorithmique des populations sur notre page de campagne France contrĂŽle.

Parution du livre « Technopolice Â»

11 octobre 2024 Ă  06:00

Technopolice, la surveillance policiĂšre Ă  l’ùre de l’intelligence artificielle paraĂźt aujourd’hui aux Ă©ditions Divergences. Dans ce livre, FĂ©lix TrĂ©guer, membre de La Quadrature du Net et chercheur associĂ© au Centre Internet & SociĂ©tĂ© du CNRS, fait le rĂ©cit personnel d’un engagement au sein du collectif Technopolice. MĂȘlant les anecdotes de terrain aux analyses issues des sciences humaines et sociales, il retrace les mĂ©canismes qui prĂ©sident Ă  la technologisation croissante du maintien de l’ordre et de la gestion urbaine.

Résumé

Voici le résumé du livre, disponible dans votre librairie de quartier.

« Drones, logiciels prĂ©dictifs, vidĂ©osurveillance algorithmique, reconnaissance faciale : le recours aux derniĂšres technologies de contrĂŽle se banalise au sein de la police. Loin de juguler la criminalitĂ©, toutes ces innovations contribuent en rĂ©alitĂ© Ă  amplifier la violence d’État. Elles referment nos imaginaires politiques et placent la ville sous contrĂŽle sĂ©curitaire. C’est ce que montre ce livre Ă  partir d’expĂ©riences et de savoirs forgĂ©s au cours des luttes rĂ©centes contre la surveillance policiĂšre. De l’industrie de la sĂ©curitĂ© aux arcanes du ministĂšre de l’IntĂ©rieur, de la CNIL au vĂ©hicule de l’officier en patrouille, il retrace les liens qu’entretient l’hĂ©gĂ©monie techno-solutionniste avec la dĂ©rive autoritaire en cours. Â»

Présentations

Retrouvez toutes les dates dans l’agenda public de La Quadrature.

Extraits

« Lorsque vient notre tour de parler, Martin et moi montons sur l’estrade. Face Ă  l’amphi bondĂ©, face aux kĂ©pis et aux costumes-cravate, face au commandant Schoenher et Ă  la futurologue de la prĂ©fecture de police, face au prĂ©fet Vedel et aux cadres d’Idemia ou de Thales, il nous faut dĂ©jouer le piĂšge qui nous est tendu. Dans le peu de temps qui nous est imparti, nous leur disons que nous savons. Nous savons que ce qu’ils attendent, c’est que nous disions ce que pourraient ĂȘtre des lois et des usages « socialement acceptables Â» [s’agissant de la reconnaissance faciale]. La mĂȘme proposition vient alors de nous ĂȘtre faite par le Forum Ă©conomique mondial et le Conseil national du numĂ©rique. Un peu plus de transparence, un semblant de contrĂŽle par la CNIL, une rĂ©duction des biais racistes et autres obstacles apparemment  Â»techniques Â» auxquels se heurtent encore ces technologies, et l’on croit possible d’assurer un compromis  Â»Ă©thique Â» entre la dĂ©fense automatisĂ©e de l’ordre public et l’État de droit.

Mais nous leur disons tout net : la reconnaissance faciale et les autres technologies de VSA [vidĂ©osurveillance algorithmique] doivent ĂȘtre proscrites. PlutĂŽt que de discuter des modalitĂ©s d’un  Â»encadrement appropriĂ© Â», nous exprimons notre refus. Nous leur disons que, pour nous, la sĂ©curitĂ© consiste d’abord en des logements dignes, un air sain, la paix Ă©conomique et sociale, l’accĂšs Ă  l’éducation, la participation politique, l’autonomie patiemment construite, et que ces technologies n’apportent rien de tout cela. Que sous prĂ©texte d’efficacitĂ©, elles perpĂ©tuent des logiques coloniales et dĂ©shumanisent encore davantage les rapports qu’entretiennent les bureaucraties policiĂšres Ă  la population. Â»


.

« Le glissement de l’urbanisme cybernĂ©tique vers des applications techno-sĂ©curitaires semble irrĂ©sistible. DĂ©but 1967, aux États-Unis, une autre commission lancĂ©e par le prĂ©sident Johnson et dirigĂ©e par l’ancien ministre de la Justice de Kennedy, Nicholas Katzenbach – qui rejoindra d’ailleurs IBM en 1969 et y fera une bonne partie de sa carriĂšre â€“ a, elle aussi, rendu un rapport sur la montĂ©e des « troubles Ă  l’ordre public Â» (
). C’est un programme d’ampleur qui est proposĂ© : Ă©diction d’un plan national de R&D qui devra notamment se pencher sur l’approche des politiques pĂ©nales en termes de « systĂšme Â», relevĂ©s statistiques couplĂ©s au dĂ©ploiement d’ordinateurs et Ă  la gĂ©olocalisation des vĂ©hicules de police pour optimiser voire automatiser l’allocation des patrouilles et s’adapter en temps rĂ©el Ă  la dĂ©linquance, automatisation de l’identification biomĂ©trique par empreintes digitales, technologies d’aide Ă  la dĂ©cision dans le suivi des personnes condamnĂ©es, etc. La pensĂ©e techno-sĂ©curitaire infuse l’ensemble des recommandations. Et l’on remarquera au passage combien la police du futur des annĂ©es 1960 ressemble Ă  la nĂŽtre. Comme si le futur, lui non plus, ne passait pas. Â»




« Lorsque la technologie Ă©choue Ă  rendre la police plus prĂ©cise ou efficace dans la lutte contre la dĂ©linquance, cela ne signifie pas qu’elle ne produit pas d’effets. Constater un tel Ă©chec doit plutĂŽt inviter Ă  dĂ©placer le regard : l’une des principales fonctions politiques dĂ©volues aux technologies ne consiste pas tant Ă  produire de la « sĂ©curitĂ© publique Â» qu’à relĂ©gitimer l’action de la police, Ă  redorer le blason de l’institution en faisant croire Ă  un progrĂšs en termes d’efficience, d’allocation des ressources, de bonne gestion, de transparence, de contrĂŽle hiĂ©rarchique. Il en va ainsi depuis la fin du XIXe siĂšcle et le dĂ©but de la modernisation de la police, lorsque le prĂ©fet LĂ©pine mettait en scĂšne l’introduction de nouveaux Ă©quipements, les bicyclettes ou les chiens de police. C’est aussi une dimension centrale des premiers chantiers informatiques des annĂ©es 1960 que de rationaliser une administration perçue comme archaĂŻque. Reste que cette promesse d’une police rendue plus acceptable, transparente ou lĂ©gitime grĂące Ă  la technologie est toujours trahie dans les faits. Â»




« Tandis que l’extrĂȘme droite s’affirme de maniĂšre toujours plus dĂ©complexĂ©e partout dans le champ du pouvoir, ces processus grĂące auxquels les Ă©lites libĂ©rales gĂšrent la dissonance cognitive induite par leur complicitĂ© objective avec la spirale autoritaire en cours forment l’un des rouages les plus efficaces du fascisme qui vient. Â»

AprĂšs les Jeux de Paris, la bataille de la VSA est loin d’ĂȘtre finie

Par : bastien
9 octobre 2024 Ă  08:06

Les Jeux Olympiques et Paralympiques se sont achevĂ©s il y a un mois. Alors que les rues de Marseille ou de Paris et sa banlieue sont encore parsemĂ©es de dĂ©corations olympiennes dĂ©sormais dĂ©suĂštes, les promoteurs de la surveillance s’empressent d’utiliser cet Ă©vĂ©nement pour pousser leurs intĂ©rĂȘts et lĂ©gitimer la gĂ©nĂ©ralisation des dispositifs de vidĂ©osurveillance algorithmique (VSA). Si nous ne sommes pas surpris, cette opĂ©ration de communication forcĂ©e rĂ©vĂšle une fois de plus la stratĂ©gie des apĂŽtres de la Technopolice : rendre Ă  tout prix acceptable une technologie dont le fonctionnement reste totalement opaque et dont les dangers sont complĂštement mis sous silence. Les prochains mois seront cruciaux pour peser dans le dĂ©bat public et rendre audible et visible le refus populaire de ce projet techno-sĂ©curitaire.

Des algos dans le métro

Comme prĂ©vu, la vidĂ©osurveillance algorithmique a Ă©tĂ© largement dĂ©ployĂ©e pendant les Jeux Olympiques. Il le fallait bien, puisque c’est au nom de ce mĂ©ga Ă©vĂ©nement sportif qu’a Ă©tĂ© justifiĂ©e l’« expĂ©rimentation Â» de cette technologie d’analyse et de dĂ©tection des comportements des personnes dans l’espace public. Pour rappel, la loi du 19 mai 2023 relative aux Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 a permis aux prĂ©fectures d’autoriser un certain nombres d’acteurs Ă  dĂ©ployer des logiciels dopĂ©s Ă  l’« intelligence artificielle Â» sur les images des camĂ©ras publiques afin de repĂ©rer un certain nombre de comportements soi-disant « suspects Â» et dĂ©clencher des alertes auprĂšs des agents de sĂ©curitĂ© ou des forces de l’ordre.

Contrairement Ă  ce que le nom de la loi indique, cette capacitĂ© de mettre en place une surveillance algorithmique dĂ©passe largement le moment des seuls Jeux Olympiques. Les policiers peuvent ainsi rĂ©quisitionner la VSA pour des « manifestations sportives, rĂ©crĂ©atives ou culturelles qui, par l’ampleur de leur frĂ©quentation ou par leurs circonstances, sont particuliĂšrement exposĂ©es Ă  des risques d’actes de terrorisme ou d’atteintes graves Ă  la sĂ©curitĂ© des personnes Â». Or, ce critĂšre de « risque Â» a rapidement Ă©tĂ© apprĂ©ciĂ© de façon trĂšs large. La VSA a Ă©tĂ© dĂ©ployĂ©e Ă  l’occasion de concerts, de matchs de foot, de festivals ou encore lors du dĂ©filĂ© du 14 juillet. Également, la durĂ©e de l’expĂ©rimentation dĂ©passe largement celle des seuls Jeux et s’étend jusqu’en mars 2025. La ville de Cannes a ainsi annoncĂ© qu’elle dĂ©ploiera la VSA Ă  l’occasion de cinq Ă©vĂ©nements Ă  venir : les NRJ Music Awards, le Marathon des Alpes-Maritimes, le marchĂ© de NoĂ«l, le feu d’artifice du Nouvel An et
 le MarchĂ© international des professionnels de l’immobilier 2025. On le comprend, il ne s’agit pas tant de prouver un lien avec un risque particulier pour la sĂ©curitĂ© que de trouver un prĂ©texte pour tester ces technologies.

Mais revenons aux Jeux et Ă  ce moment de « vraie vie Â» selon les termes employĂ©s par Emmanuel Macron. Que s’y est-il passĂ© ? D’abord, les algorithmes de dĂ©tection de l’entreprise Wintics ont Ă©tĂ© dĂ©ployĂ©s dans 46 stations de mĂ©tros et 11 gares SNCF ou RER. Comme cela avait dĂ©jĂ  pu ĂȘtre le cas pour d’autres expĂ©rimentations, les stations concernĂ©es n’avaient parfois aucun rapport avec les lieux oĂč se dĂ©roulaient les Ă©preuves des Jeux. De nouveau, les acteurs de la surveillance tordent le cadre juridique pour le plier Ă  leurs volontĂ©s. Aussi, alors que les pouvoirs publics sont tenus d’informer les personnes filmĂ©es qu’elles sont transformĂ©es en cobayes, ceux-ci se sont contentĂ©s du service minimum. Des petites affichettes ont Ă©tĂ© placardĂ©es dans le mĂ©tro, peu visibles pour les passant⋅es dont le regard Ă©tait davantage incitĂ© Ă  lire une propagande sĂ©curitaire « lĂ©gĂšrement Â» plus grande.

Deux affiches de vidĂ©osurveillance dans une station de mĂ©tro : en trĂšs grand Ă  droite, l'affiche de vidĂ©osurveillance classique, en tout petit Ă  gauche, l'affichette VSA.
En trĂšs grand Ă  droite, l’affiche de vidĂ©osurveillance classique, en tout petit Ă  gauche, l’affichette VSA.

Ensuite, la VSA s’est Ă©tendue aux images de l’espace public aux alentours de 11 sites des Jeux Olympiques (comme le Stade de France ou la Place de la Concorde). Pour cette surveillance des rues, la prĂ©fecture de police n’a publiĂ© que le 30 juillet au soir l’autorisation prĂ©fectorale nĂ©cessaire Ă  cette expĂ©rimentation, qui avait pourtant dĂ©buté  le 26 juillet. Comme on suivait cela de prĂšs, nous avons dĂ©posĂ© une plainte auprĂšs la CNIL, et ce afin de la pousser Ă  faire son travail en sanctionnant l’État pour ces quatre jours de surveillance illĂ©gale. Les mĂȘmes dispositifs de VSA ont ensuite Ă©tĂ© renouvelĂ©s lors des Jeux Paralympiques pour prendre fin le 9 septembre dernier. Depuis cette date, la course Ă  la promotion de ces outils a repris de plus belle au sein des acteurs du systĂšme de surveillance qui n’hĂ©sitent pas Ă  jouer des coudes pour imposer leur agenda.

Opération mal masquée

ThĂ©oriquement, la loi sur les JO prĂ©voit que cette « expĂ©rimentation Â» de VSA soit soumise Ă  une Ă©valuation par un comitĂ© crĂ©Ă© pour l’occasion, regroupant expert·es de la sociĂ©tĂ© civile, parlementaires et policiers. Ce comitĂ© est chargĂ© d’analyser l’efficacitĂ© et l’impact de cette technologie selon des critĂšres prĂ©vus par dĂ©cret. Un rapport doit ensuite ĂȘtre remis au Parlement, le 31 dĂ©cembre 2024 au plus tard. Si nous n’avions dĂ©jĂ  que peu d’espoir quant Ă  la capacitĂ© pour le comitĂ© de travailler de maniĂšre indĂ©pendante et d’ĂȘtre entendu dans ses conclusions, il n’empĂȘche que celui-ci existe. Le Parlement a en effet choisi de conditionner une Ă©ventuelle pĂ©rennisation du cadre expĂ©rimental de la loi JO Ă  son Ă©valuation. Un garde-fou minimal dont le Conseil constitutionnel a soulignĂ© l’importance pour assurer toute Ă©ventuelle pĂ©rennisation du dispositif, qui serait alors Ă  nouveau soumise Ă  un examen de constitutionnalitĂ©.

Cela n’empĂȘche pourtant pas les promoteurs de la VSA de placer leurs pions en communiquant de maniĂšre opportuniste afin de faire pression sur le comitĂ© d’évaluation et l’ensemble des parlementaires. Ainsi, le 25 septembre dernier, le prĂ©fet de police et ancien ministre Laurent Nuñez a ouvert le bal lors d’une audition par les dĂ©putĂ©â‹…es de la commission des lois. Sans apporter aucun Ă©lĂ©ment factuel Ă©tayant ses dires, sans mĂȘme faire part des trĂšs probables bugs techniques qui ont certainement Ă©maillĂ© le dĂ©ploiement d’algorithmes de VSA qui pour certains Ă©taient testĂ©s pour la premiĂšre fois Ă  grande Ă©chelle, il affirme alors que la VSA aurait d’ores et dĂ©jĂ  « dĂ©montrĂ© son utilitĂ© Â», et appelle Ă  sa prorogation. Et il s’emploie Ă  minimiser les atteintes pour les libertĂ©s publiques : le prĂ©fet de police assure ainsi qu’il ne s’agirait en aucun cas de surveillance gĂ©nĂ©ralisĂ©e mais d’une simple aide technique pour trouver des flux anormaux de personnes. Comme si la lĂ©galisation des cas d’usage les plus problĂ©matiques de la VSA, dont la reconnaissance faciale, n’étaient pas l’un des objectifs des promoteurs de la Technopolice. MĂȘme le journal Le Monde s’est inquiĂ©tĂ© de cette dĂ©claration de Nuñez dans un Ă©ditorial dĂ©nonçant la technique du « pied dans la porte Â» utilisĂ©e par le prĂ©fet.

Ensuite est venu le tour du gouvernement. Dans sa dĂ©claration de politique gĂ©nĂ©rale, Michel Barnier a prononcĂ© la phrase suivante, floue au possible : « Le troisiĂšme chantier est celui de la sĂ©curitĂ© au quotidien : les Français nous demandent d’assurer la sĂ©curitĂ© dans chaque territoire. Nous gĂ©nĂ©raliserons la mĂ©thode expĂ©rimentĂ©e pendant les Jeux olympiques et paralympiques. Â». À aucun moment le Premier ministre ne prĂ©cise s’il a en tĂȘte la VSA ou la concentration ahurissante de « bleus Â» dans les rues, ou d’autres aspects du dispositif policier massif dĂ©ployĂ© cet Ă©tĂ©. Cela n’a pas empĂȘchĂ© France Info de publier un article largement repris dans les mĂ©dias annonçant, sur la base de cette dĂ©claration, que le gouvernement envisageait de prolonger l’expĂ©rimentation de la vidĂ©osurveillance algorithmique. En rĂ©alitĂ©, il s’agissait d’une « interprĂ©tation Â» venant du ministĂšre de l’IntĂ©rieur, pressĂ© d’imposer l’idĂ©e d’une pĂ©rennisation, quitte Ă  faire fi du cadre lĂ©gal de l’évaluation (le nouveau ministre Bruno Retailleau ayant bien fait comprendre que le respect du droit n’était pas sa tasse de thĂ©). RĂ©sultat de cette opĂ©ration d’intox de Beauvau : Matignon, soucieux de ne pas froisser le comitĂ©, « rectifie Â» auprĂšs de France Info et affirme que le gouvernement attendra bien le rapport du comitĂ©. Bref, des petites phrases et des rĂ©tropĂ©dalages qui permettent au final au gouvernement de miser sur les deux tableaux : d’un cĂŽtĂ©, il tente de prĂ©empter le dĂ©bat en imposant d’emblĂ©e la perspective d’une pĂ©rennisation et, de l’autre, il s’efforce de sauver les apparences, en laissant entendre qu’il suivra scrupuleusement le processus dĂ©fini dans la loi. Reste qu’à Beauvau et trĂšs certainement aussi Ă  Matignon, la pĂ©rennisation de la VSA est un objectif partagĂ©. Le dĂ©saccord, si dĂ©saccord il y a, semblerait plutĂŽt porter sur le tempo des annonces.

Tout ceci nous rappelle une chose : la bataille qui se joue maintenant est celle de l’acceptabilitĂ© de la VSA. Il s’agit pour les pouvoirs publics de fabriquer le consentement de la population Ă  une technologie prĂ©sentĂ©e comme Ă©vidente et nĂ©cessaire, alors qu’elle porte en elle un projet d’accaparement sĂ©curitaire de l’espace public, de discrimination et de contrĂŽle social, portĂ©s Ă  la fois par une industrie de la surveillance en croissance et un rĂ©gime de moins en moins dĂ©mocratique.

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