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Le gouvernement prĂȘt Ă  tout pour casser le droit au chiffrement

Par : noemie
18 mars 2025 Ă  09:48

Les discussions viennent de recommencer Ă  l’AssemblĂ©e nationale concernant la loi « Narcotrafic Â». Les mesures les plus dangereuses pourraient ĂȘtre rĂ©introduites par voie d’amendement : obligation pour les services de communication chiffrĂ©e de donner accĂšs au contenu des Ă©changes (article 8 ter), logiciels-espions pour accĂ©der Ă  distance aux fonctionnalitĂ©s d’un appareil numĂ©rique (articles 15 ter et 15 quater) et « dossier coffre Â» (article 16). Elles sont toutes soutenues par le gouvernement et en particulier Bruno Retailleau. Concernant le chiffrement, celui-ci n’hĂ©site pas Ă  aligner les mensonges pour justifier la disposition. Petite (re)mise au point.

Le fantĂŽme derriĂšre la porte

Tel qu’introduit au SĂ©nat, l’article 8 ter visait Ă  crĂ©er une obligation pour les fournisseurs de services de messagerie chiffrĂ©e de donner Ă  la police et au renseignement un accĂšs au contenu des communications. Il s’agit d’une attaque frontale contre la technologie de chiffrement de bout-en-bout, aujourd’hui intĂ©grĂ©e dans de nombreux services de communications tels que Signal, Whatsapp, Matrix ou encore la messagerie Ă©tatique Tchap, et qui permet d’empĂȘcher quiconque autre que le destinataire d’accĂ©der aux Ă©changes. Avec d’autres organisations telles que la Global Encryption Coalition, nous avons fortement dĂ©noncĂ© l’absurditĂ© et le danger d’une telle mesure qui mettrait fin Ă  la confidentialitĂ© des correspondances en ligne. Cette disposition a Ă©tĂ© supprimĂ©e en commission dans une quasi-unanimitĂ© assez rare. Seuls le centre et la droite se sont abstenus.

Trois dĂ©putĂ©s demandent pourtant son rĂ©tablissement  : Paul Midy (EPR), Mathieu Lefevre (EPR) et Olivier Marleix (LR). Ces amendements sont soutenus par le gouvernement. Cela n’est guĂšre Ă©tonnant puisqu’on a vu le ministre de l’intĂ©rieur dĂ©fendre tant bien que mal cette mesure lors de son audition Ă  l’AssemblĂ©e. Il a insistĂ© de nouveau ce week-end dans une interview au journal Le Parisien, tout comme CĂ©line Berthon, la directrice de la DGSI, dans l’hebdomadaire d’extrĂȘme droite Le JDD. Que ce soit en audition ou dans les journaux, ceux-ci expliquent que l’article 8 ter n’affaiblirait pas le chiffrement ni ne crĂ©erait de « porte dĂ©robĂ©e Â» ou de « backdoor Â» (les termes sont d’ailleurs savamment Ă©vitĂ©s dans ces interviews) car il s’agirait uniquement d’introduire un participant fantĂŽme dans la conversation.

Par cela, ils tentent surtout de semer la confusion chez les dĂ©puté·es censé·es voter la loi. En effet, contourner le chiffrement de bout-en-bout en autorisant une personne tierce Ă  connaĂźtre le contenu des messages constitue, par dĂ©finition, une « porte dĂ©robĂ©e Â». Dans un article datant d’il y a quelques annĂ©es dĂ©jĂ , l’Internet Society expliquait trĂšs bien le fonctionnement et l’impasse de ce type de mĂ©canisme vis-Ă -vis des promesses de confidentialitĂ© des messageries chiffrĂ©es.

Il faut comprendre que le chiffrement repose sur un Ă©change de clĂ©s qui garantit que seuls les destinataires de messages possĂ©dant les clĂ©s pourront dĂ©chiffrer les Ă©changes. À l’inverse, le mĂ©canisme du « fantĂŽme Â» distribue en secret des clĂ©s Ă  d’autres personnes non-autorisĂ©es, pour qu’elles aient accĂšs au contenu des conversations. Ce dispositif oblige donc Ă  modifier le code derriĂšre les messageries ou les services d’hĂ©bergement chiffrĂ©s et la consĂ©quence est la mĂȘme que de modifier directement l’algorithme de chiffrement. N’en dĂ©plaise au gouvernement qui cherche Ă  embrouiller les esprits en jouant avec les mots, ceci est bien une mĂ©thode, parmi d’autres, de crĂ©ation d’une porte dĂ©robĂ©e. La « proposition du fantĂŽme Â», revient purement et simplement Ă  remettre en cause le principe mĂȘme du chiffrement de bout-en-bout qui repose sur la garantie que seuls les destinataires d’un message sont en mesure de lire son contenu.

L’Internet Society est d’ailleurs trĂšs claire : « Bien que la proposition du fantĂŽme ne modifierait pas les algorithmes utilisĂ©s par les applications de messagerie Ă  chiffrement de bout en bout pour chiffrer et dĂ©chiffrer les messages, elle introduirait une vulnĂ©rabilitĂ© de sĂ©curitĂ© systĂ©mique dans ces services, qui aurait des consĂ©quences nĂ©gatives pour tous les utilisateurs, y compris les utilisateurs commerciaux et gouvernementaux. Cette proposition nuit Ă  la gestion des clĂ©s et Ă  la fiabilitĂ© du systĂšme ; par consĂ©quent, les communications supposĂ©es ĂȘtre confidentielles entre l’émetteur et le destinataire peuvent ne plus l’ĂȘtre, et sont moins sĂ©curisĂ©es. Â»

Un piÚge démocratique

Casser un protocole de chiffrement et le contourner posent, dans les deux cas, exactement les mĂȘmes problĂšmes :

  • le service est contraint de modifier son code et son algorithme ;
  • cela crĂ©e une vulnĂ©rabilitĂ© qui peut ĂȘtre utilisĂ© par d’autres acteurs ;
  • cela peut ĂȘtre Ă©tendu Ă  d’autres finalitĂ©s ;
  • cela affaiblit la sĂ©curitĂ© gĂ©nĂ©rale des infrastructures de rĂ©seau ;
  • toutes les personnes utilisatrices sont touchĂ©es par cet affaiblissement.

Non seulement le gouvernement tente de minimiser ces consĂ©quences trĂšs graves, mais il ne s’arrĂȘte pas lĂ . Il prĂ©tend dĂ©sormais qu’une solution respectueuse de la vie privĂ©e pourrait exister pour mettre en Ɠuvre cette obligation auprĂšs des fournisseurs de messageries. Ainsi, dans les amendements soutenus par le gouvernement, il serait ajoutĂ© Ă  l’article 8 ter un paragraphe prĂ©cisant que « ces dispositifs techniques prĂ©servent le secret des correspondances et assurent la protection des donnĂ©es Ă  caractĂšre personnel au titre du respect de la vie privĂ©e Â», qu’ils doivent « exclure toute possibilitĂ© d’accĂšs par une personne autre que les agents autorisĂ©s Ă  mettre en Ɠuvre les techniques de recueil de renseignement Â» et enfin qu’ils ne « peuvent porter atteinte Ă  la prestation de cryptologie visant Ă  assurer une fonction de confidentialitĂ©. Â»

De nouveau, affirmer avec assurance qu’un tel compromis serait possible est faux. Au regard du principe du chiffrement de bout-en-bout, il ne peut exister de possibilitĂ© d’accĂšs au contenu des messages. Cette promesse constitue une escroquerie dĂ©mocratique en ce qu’elle tend Ă  faire adopter une mesure en pariant sur l’avenir, alors qu’une telle mise en Ɠuvre est impossible techniquement. Cette manƓuvre avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© utilisĂ©e par le Royaume-Uni pour faire adopter le « UK Safety Bill Â», ou par la Commission europĂ©enne lors des discussions sur le rĂšglement « Chat Control Â». Dans les deux cas, il s’agissait de convaincre de voter une mesure attentatoire Ă  la vie privĂ©e en affirmant qu’on trouverait bien demain comment faire. Faire croire cela est non seulement un mensonge, mais c’est aussi dangereux d’un point de vue dĂ©mocratique : le gouvernement est en train d’essayer de tromper la reprĂ©sentation nationale en lui expliquant mal une technologie, en plus de l’avoir introduite sans prĂ©venir au milieu des dĂ©bats au SĂ©nat.

Continuer le rapport de force

Cette bataille n’a rien de nouveau. Il existe depuis toujours une tension politique autour du chiffrement des communications Ă©lectroniques, et cela est bien logique puisque le chiffrement est politique par nature. Les outils de chiffrement ont Ă©tĂ© pensĂ© pour se protĂ©ger des surveillances illĂ©gitimes et sont nĂ©cessaires pour garantir le secret des correspondances. Elles ont Ă©tĂ© dĂ©ployĂ©es sur Internet pour protĂ©ger les communications de la surveillance d’acteurs dangereux et notamment des États qui voudraient surveiller leur population. C’est pourquoi ces mĂȘmes États ont toujours opposĂ© une rĂ©sistance au dĂ©veloppement et Ă  la gĂ©nĂ©ralisation du chiffrement. À l’occasion du procĂšs dit du « 8-DĂ©cembre Â», qui a remis ce sujet au cƓur de l’actualitĂ©, nous revenions sur l’histoire des « crypto-wars Â» dans les annĂ©es 1990 et des Ă©vĂšnements ayant freinĂ© la dĂ©mocratisation du chiffrement.

En 2025, le gouvernement ne fait donc qu’essayer de nouvelles manƓuvres pour mener Ă  bien un projet politique ancien, visant Ă  limiter le plus possible la confidentialitĂ© de nos vies numĂ©riques. Et il ne s’arrĂȘte pas lĂ  puisque deux autres mesures trĂšs problĂ©matiques font leur retour par des amendements, largement soutenus du Modem jusqu’au RN. Il s’agit de l’autorisation du piratage de nos appareils pour activer Ă  distance le micro et la camĂ©ra, et du retour du « dossier coffre Â», qui permet Ă  la police de s’affranchir des rĂšgles de procĂ©dure pĂ©nale en matiĂšre de surveillance intrusive et qui a suscitĂ© une forte fronde de la part des avocats.

Ces dispositions sont tout aussi dangereuses que l’attaque contre le chiffrement et il faut convaincre les dĂ©puté·es de rejeter les amendements visant Ă  les rĂ©introduire. Les dĂ©bats reprendront l’aprĂšs-midi du 18 mars. Si vous le pouvez, c’est maintenant qu’il faut contacter les parlementaires pour expliquer le danger de ces mesures et rĂ©futer les mensonges du gouvernement.

Retrouvez nos arguments et les coordonnĂ©es des parlementaires sur notre page de campagne : www.laquadrature.net/narcotraficotage.

Un grand merci Ă  vous pour votre aide dans cette lutte !

Prolongement de la VSA : la petite danse autoritaire du gouvernement

Par : noemie
17 mars 2025 Ă  10:11

Pendant que le gouvernement fait adopter au pas de course les mesures de surveillance de la loi « Narcotrafic Â», un autre coup de force est en train de se jouer Ă  l’AssemblĂ©e nationale. La vidĂ©osurveillance algorithmique (VSA), cette technologie de surveillance de masse que nous dĂ©nonçons depuis des annĂ©es et qui a Ă©tĂ© rĂ©cemment dĂ©clarĂ©e illĂ©gale par le tribunal administratif de Grenoble, va ĂȘtre Ă©tendue au dĂ©tour d’un tour de passe-passe lĂ©gislatif.

Les droits humains mis de coté

Nous vous en parlions il y a quelques semaines : le cadre « expĂ©rimental Â» d’utilisation de la VSA prĂ©vu par la loi sur les Jeux Olympiques devait prendre fin au 31 mars 2025. Alors que le rapport d’évaluation constatait l’immaturitĂ© et l’absence d’utilitĂ© opĂ©rationnelle de cette technologie, le ministre des transports Philippe Tabarot dĂ©posait un amendement opportuniste au dernier moment sur une loi qui n’avait rien Ă  voir, relative aux transports, pour repousser ce dĂ©lai jusqu’à la fin de l’annĂ©e 2027. Ce texte comporte par ailleurs de nombreuses autres mesures de surveillance, comme l’expĂ©rimentation de micros dans les bus et les cars, la pĂ©rennisation des camĂ©ras piĂ©tons pour les agents de contrĂŽle ainsi que le renforcement des pouvoirs coercitifs de ces agents (palpations, taser
). Malheureusement, le rythme soutenu de l’activitĂ© lĂ©gislative ne nous a pas permis de lutter efficacement au Parlement contre cette extension de la rĂ©pression dans l’espace public et notre quotidien.

L’AssemblĂ©e nationale s’apprĂȘte Ă  voter solennellement cette loi relative Ă  la sĂ»retĂ© dans les transports demain, mardi 18 mars. Si la commission mixte paritaire a rĂ©duit de quelques mois le prolongement de l’expĂ©rimentation de VSA – ramenant son achĂšvement au mois de mars 2027 – cela ne change rien Ă  la situation.

Car ce qui est rĂ©vĂ©lĂ© par cette sĂ©quence dĂ©passe les enjeux de surveillance. Sur le fond, nous ne sommes pas surpris·es de cette volontĂ© d’étendre la surveillance algorithmique de l’espace public, tant cela a Ă©tĂ© affichĂ© par les promoteurs de la Technopolice annĂ©e aprĂšs annĂ©e, rapport aprĂšs rapport. En revanche, la maniĂšre dont l’opĂ©ration est menĂ©e est aussi brutale qu’inquiĂ©tante. Elle rĂ©vĂšle l’indiffĂ©rence et le mĂ©pris croissant de la classe politique dominante vis-Ă -vis de l’État de droit. Les mĂ©canismes juridiques de protection des droits humains sont ainsi perçus comme des « lourdeurs administratives Â», empĂȘchant « l’efficacitĂ© Â» de l’action qu’il faudrait mener pour la « sĂ©curitĂ© Â».

Au nom de cette logique, nulle peine de s’expliquer ni de prendre en compte les dĂ©cisions des tribunaux, les promesses que le gouvernement a lui-mĂȘme faites Ă  la reprĂ©sentation parlementaire ou encore les exigences posĂ©es par le Conseil constitutionnel. La fin — lĂ©galiser la VSA, structurer le marchĂ© et l’imposer dans les usages policiers — justifie les moyens — violer les promesses d’évaluation, mentir en assurant la reprĂ©sentation nationale que ces technologies ont donnĂ© entiĂšre satisfaction, prĂ©tendre que la VSA n’a rien Ă  avoir avec la reconnaissance faciale alors que le ministĂšre est Ă©videmment dans l’attente de pouvoir lĂ©galement suivre des personnes et les identifier au travers de ces technologies.

Le symptĂŽme d’une dĂ©rive gĂ©nĂ©rale

Ce nouveau dĂ©ni de dĂ©mocratie n’est pas un cas isolĂ©. Nous voyons ce phĂ©nomĂšne s’étendre de plus en plus, et dans toutes nos luttes. Nous voyons ainsi l’État vouloir Ă©carter le droit Ă  se dĂ©fendre et le principe du contradictoire dans la loi Narcotrafic, tout en supprimant les limites aux pouvoirs du renseignement, le tout pour toujours surveiller davantage. Nous suivons Ă©galement ses intentions de modifier la rĂ©glementation environnementale afin de construire des data centers sans s’embĂȘter avec la protection des territoires et des ressources, perçue comme une entrave. Nous documentons aussi la destruction organisĂ©e de la solidaritĂ© et de la protection sociale, Ă  travers un systĂšme de surveillance et de flicage automatisĂ© des administré·es de la CAF, de la CNAM ou de France Travail, sans que jamais ces institutions n’aient Ă  expliquer ou Ă  rendre des comptes sur le contrĂŽle social qu’elles mettent en place. Nous assistons, enfin, Ă  l’élargissement toujours plus important des pouvoirs des prĂ©fets, qui s’en servent pour limiter abusivement les libertĂ©s d’association, empĂȘcher des manifestations ou fermer des Ă©tablissements. S’ils se font parfois rattraper par les tribunaux, ils parient le plus souvent sur l’impossibilitĂ© d’agir des personnes rĂ©primĂ©es, faisant de nouveau primer le coercitif sur la lĂ©galitĂ©.

L’extension de la VSA qui sera votĂ©e demain doit donc s’analyser dans ce contexte plus gĂ©nĂ©ral de recul de l’État de droit. DĂšs lors que l’on se place dans le jeu lĂ©galiste et dĂ©mocratique, ces mĂ©thodes brutales du gouvernement sont rĂ©vĂ©latrices de la dynamique autoritaire en cours. Et le silence mĂ©diatique et politique entourant cet Ă©pisode, alors que la VSA a pourtant suscitĂ© beaucoup d’oppositions et de critiques depuis le dĂ©but de l’expĂ©rimentation, est particuliĂšrement inquiĂ©tant. Le Conseil constitutionnel sera probablement saisi par les groupes parlementaires de gauche et il reste la possibilitĂ© qu’il censure cette prolongation. Nous ne sommes pas rassuré·es pour autant.

Ce processus de mise Ă  l’écart des rĂšgles de droit ne fait que s’accĂ©lĂ©rer et nos alertes ne seront certainement pas suffisantes pour arrĂȘter le gouvernement. Le sursaut doit venir des parlementaires encore attaché·es au respect des droits et des libertĂ©s en dĂ©mocratie.

Pour nous aider dans nos combats, pensez si vous le pouvez Ă  nous faire un don.

Loi « Narcotraficotage Â» : la mobilisation paye alors ne lĂąchons rien

Par : noemie
11 mars 2025 Ă  09:34

Il y a quelques semaines, nous avons alertĂ© sur les dangers de la loi dite « Narcotrafic Â» qui arrivait Ă  toute allure Ă  l’AssemblĂ©e nationale. Vous avez Ă©tĂ© nombreuses et nombreux Ă  rĂ©agir Ă  ces annonces, Ă  partager les informations et Ă  contacter les dĂ©puté·es. Un grand merci Ă  vous ! La mobilisation a en partie payĂ© : les membres de la commission des lois ont supprimĂ© plusieurs mesures problĂ©matiques. Mais nous ne pouvons malheureusement pas totalement nous rĂ©jouir : la loi reste trĂšs dĂ©sĂ©quilibrĂ©e et certains articles peuvent revenir lors de l’examen, en sĂ©ance, qui dĂ©butera le lundi 17 mars.
Voici un rĂ©capitulatif des articles les plus dangereux en matiĂšre de surveillance. Et si vous voulez aller plus loin, vous pouvez lire l’analyse juridique que nous avions envoyĂ©e aux dĂ©puté·es juste avant les travaux en commission des lois ou revoir l’émission d’Au Poste sur le sujet.

Banco pour le renseignement

Les grands gagnants de cette loi sont pour l’instant les services de renseignement qui ont rĂ©ussi Ă  obtenir gain de cause sur toutes leurs demandes. Car, oui, cette loi « Narcotrafic Â» est aussi une petite « loi renseignement Â» dĂ©guisĂ©e. En effet, la Coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) assumait de chercher des « briques lĂ©gislatives Â» pour faire passer ses revendications – Ă©tant donnĂ© que l’instabilitĂ© politique empĂȘche de garantir qu’un projet de loi portĂ© par le gouvernement soit adoptĂ©. Dans cette proposition de loi, trois mesures accroissent les pouvoirs des services.

L’article 1er facilite l’échange d’informations entre les services de renseignement. Normalement, les services doivent demander l’autorisation du Premier ministre, aprĂšs un avis de la Commission nationale de contrĂŽle des techniques de renseignement (CNCTR), s’ils veulent partager certains renseignements pour une autre raison que celle qui a en justifiĂ© la collecte. Une autorisation est par exemple aujourd’hui nĂ©cessaire pour la DGSE qui aurait surveillĂ© des personnes pour « prĂ©vention du terrorisme Â» et voudrait transfĂ©rer les informations ainsi obtenues Ă  la DGSI pour la finalitĂ©, diffĂ©rente, de « prĂ©vention des violences collectives de nature Ă  porter atteinte Ă  la paix publique Â». Ce filtre permet de vĂ©rifier que les services ne contournent pas les rĂšgles du code de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure et que l’échange est bien nĂ©cessaire, tout en les obligeant Ă  une certaine transparence sur leurs pratiques. Mais cette nĂ©cessitĂ© d’autorisation prĂ©alable a Ă©tĂ© supprimĂ©e pour toutes les situations – et pas uniquement en cas de criminalitĂ© organisĂ©e – au nom d’une « lourdeur Â» procĂ©durale, laissant ainsi le champ libre aux services pour s’échanger les informations qu’ils veulent, sans contrĂŽle.

L’article 6 permet Ă  la justice de transmettre aux services de renseignement des informations relatives Ă  des dossiers de dĂ©linquance et criminalitĂ© organisĂ©e. En principe, ces Ă©changes sont interdits au nom de la sĂ©paration des pouvoirs : les renseignements font de la « prĂ©vention Â» administrative et la justice est la seule autoritĂ© pouvant rechercher et rĂ©primer les auteurs d’infractions. Si elle a des Ă©lĂ©ments, elle doit les conserver en attendant de rassembler davantage de preuves et non les donner Ă  un service de renseignement, qui est une administration et qui n’a pas de pouvoir de rĂ©pression alors que son activitĂ© est par nature secrĂšte. Cette disposition affaiblit donc les garanties procĂ©durales qui entourent l’action judiciaire et renforcent les capacitĂ©s de surveillance du renseignement et donc du gouvernement.

Enfin, l’article 8 est un des plus dangereux de la proposition de loi puisqu’il Ă©tend la technique de renseignement dite des « boites noires Â». Cette mesure consiste Ă  analyser le rĂ©seau internet via des algorithmes pour trouver de prĂ©tendus comportements « suspects Â». Tout le rĂ©seau est scannĂ©, sans distinction : il s’agit donc de surveillance de masse. AutorisĂ©e pour la premiĂšre fois en 2015 pour la prĂ©vention du terrorisme, cette technique de renseignement a Ă©tĂ© Ă©tendue en 2024 Ă  la prĂ©vention des ingĂ©rences Ă©trangĂšres. Avec cet article 8, cette surveillance serait Ă  nouveau Ă©tendue et s’appliquerait alors Ă  la « prĂ©vention de la criminalitĂ© organisĂ©e Â». On ne sait pas grand-chose de ces boites noires, ni de leur utilisation, puisque les quelques rapports sur le sujet ont Ă©tĂ© classĂ©s secret dĂ©fense. En revanche, pendant les dĂ©bats en commission, le dĂ©putĂ© Sacha HouliĂ© (qui a Ă©tĂ© le promoteur de leur extension l’annĂ©e derniĂšre) a donnĂ© des indications de leurs fonctionnement. Il explique ainsi que les comportements recherchĂ©s seraient ceux faisant de « l’hygiĂšne numĂ©rique Â», soit, d’aprĂšs lui, des personnes qui par exemple utiliseraient plusieurs services Ă  la fois (WhatsApp, Signal, Snapchat). L’ensemble de ce passage est Ă©difiant. Le dĂ©putĂ© macroniste, ancien membre de la dĂ©lĂ©gation parlementaire au renseignement, semble peu maĂźtriser le sujet mais laisse comprendre en creux que l’algorithme pourrait ĂȘtre configurĂ© pour rechercher toute personne ayant des pratiques numĂ©riques de protection de sa vie privĂ©e. Les mĂ©tadonnĂ©es rĂ©vĂ©lant le recours Ă  un nƓud Tor ou l’utilisation d’un VPN pourrait semblent de fait ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme suspectes. Ce mouvement consistant Ă  considĂ©rer comme suspectes les les bonnes pratiques numĂ©riques n’est malheureusement pas nouveau et a notamment Ă©tĂ© trĂšs prĂ©sent lors de l’affaire du « 8-DĂ©cembre Â».

Ces trois dispositions sont passées sans encombre et demeurent donc dans la proposition de loi.

Le droit au chiffrement en sursis

L’article 8 ter du texte prĂ©voyait une obligation pour les fournisseurs de services de messagerie chiffrĂ©e de donner Ă  la police et au renseignement un accĂšs au contenu des communications. Cette mesure consiste en pratique Ă  installer une « porte dĂ©robĂ©e Â», ou « backdoor Â», pour compromettre le fonctionnement de ces services. Elle a fait l’unanimitĂ© contre elle. Qu’il s’agisse des associations fĂ©dĂ©rĂ©es au sein de la Global Encryption Coalition, des entreprises (rĂ©unies au sein de l’Afnum ou de Numeum) ou encore de certaines personnalitĂ©s politiques et institutionnelles dans une tribune du journal Le Monde, tout le monde rappelait le caractĂšre insensĂ© et dangereux de cette mesure, pourtant adoptĂ©e avec la loi Ă  l’unanimitĂ© du SĂ©nat.

À l’AssemblĂ©e nationale aussi, le front contre cette disposition Ă©tait large puisque des amendements de suppression sont venus de tous les bords politiques. Lors de son audition, le ministre Retailleau a tant bien que mal essayĂ© de dĂ©fendre cette mesure, en rĂ©pĂ©tant les bobards fournis par le renseignement, sans sembler pleinement les comprendre. Et le ministre d’expliquer par exemple que cette mesure ne « casserait Â» pas le chiffrement mais viserait uniquement Ă  transfĂ©rer le contenu des conversations Ă  un utilisateur fantĂŽme
 Or, contourner le chiffrement en autorisant une personne tierce Ă  connaĂźtre le contenu des messages constitue bien une « porte dĂ©robĂ©e Â», puisque celle-ci disposera de nouvelles clĂ©s de dĂ©chiffrement, que le service de messagerie aura Ă©tĂ© obligĂ© de fournir aux autoritĂ©s (voir notamment les explications de l’ISOC). De plus, contrairement Ă  ce qu’affirmait le ministre de l’intĂ©rieur, une telle modification impacterait nĂ©cessairement le service dans son intĂ©gralitĂ© et concernerait de fait tous·tes ses utilisateur·ices.

Cette mesure controversĂ©e a Ă©tĂ© supprimĂ©e
 pour l’instant. Nous restons en effet prudent·es car les attaques contre le chiffrement sont rĂ©currentes. Si les menaces se cantonnaient en gĂ©nĂ©ral Ă  des postures mĂ©diatiques de personnalitĂ©s politiques, le rapport de force est constant et les stratĂ©gies autoritaires pour faire adopter de tels dispositifs sont rĂ©guliĂšrement remises Ă  l’ordre du jour. Que ce soit pour prĂ©parer leurs acceptabilitĂ© sociale ou pour faire diversion sur d’autres mesures, il n’empĂȘche que ces attaques contre le chiffrement sont de plus en plus frĂ©quentes et rĂ©vĂšlent une volontĂ© assumĂ©e des services de renseignement de voir, un jour, cette technologie mise au pas. C’est aussi et surtout au niveau europĂ©en qu’il faut ĂȘtre vigilant·es pour l’avenir. De nombreux pays (comme la SuĂšde, le Danemark ou le Royaume-Uni) essayent Ă©galement de mettre la pression sur les services de messagerie ou d’hĂ©bergement chiffrĂ©s. De leur cĂŽtĂ©, les institutions de l’Union europĂ©enne poussent plusieurs projets visant Ă  affaiblir la confidentialitĂ© des communications, comme le rĂšglement « Chat Control Â» ou le projet du groupe de travail « Going Dark Â». C’est pour cela que montrer une forte rĂ©sistance est crucial. Plus nous rendons le rapport de force coĂ»teux pour les adversaires du chiffrement, plus nous montrons qu’il sera compliquĂ© de revenir la prochaine fois.

Des conquĂȘtes prudentes

D’autres mesures trĂšs dangereuses ont Ă©tĂ© supprimĂ©es par les membres de la commission des lois. Tel est ainsi le cas des articles 15 ter et 15 quater qui permettaient Ă  la police judiciaire de compromettre la sĂ©curitĂ© des objets connectĂ©s pour activer Ă  distance des micros et des camĂ©ras. Une disposition quasi-identique avait Ă©tĂ© invalidĂ©e par le Conseil constitutionnel en 2023, ce qui semble avoir refroidi une majoritĂ© de dĂ©puté·es.

De la mĂȘme maniĂšre, le « dossier coffre Â» prĂ©vu par l’article 16 a Ă©tĂ© supprimĂ©. Cette mesure crĂ©e une atteinte inĂ©dite aux droits de la dĂ©fense en empĂȘchant les personnes poursuivies d’avoir accĂšs aux procĂšs-verbaux dĂ©taillant les mesures de surveillance les concernant, donc de les contester. À travers ce mĂ©canisme de PV sĂ©parĂ©, la police pourrait donc utiliser en toute opacitĂ© des outils trĂšs intrusifs (comme les logiciel-espions par exemple) sans jamais avoir Ă  rendre de comptes auprĂšs des personnes poursuivies.

Mais ces deux mesures ont Ă©tĂ© supprimĂ©es Ă  seulement quelques voix prĂšs et sont dĂ©fendues bec et ongles par le gouvernement, ce qui nous fait dire qu’elles vont trĂšs probablement ĂȘtre remises sur la table lors de l’examen en sĂ©ance, ou ensuite en commission mixte paritaire.

De la mĂȘme maniĂšre, nous avons fortement critiquĂ© l’article 12 du texte qui prĂ©voit l’extension de la censure administrative d’internet par la police. En l’état, cette mesure permettait aux agents de Pharos d’exiger le retrait de contenus liĂ©s Ă  un champ trĂšs large d’infractions liĂ©es au trafic et Ă  l’usage de drogues, comme « la provocation Ă  l’usage de drogues Â». Cela pouvait donc inclure aussi bien des extraits de films que des articles publiĂ©s sur des sites de rĂ©duction des risques. Les membres de la commission des lois ont drastiquement rĂ©duit le pĂ©rimĂštre des infractions concernĂ©es par cette censure, qui est dĂ©sormais limitĂ© aux publications relatives Ă  la vente de drogues. Si cette avancĂ©e est bienvenue, il n’empĂȘche que le mĂ©canisme a Ă©tĂ© validĂ© et continue de renforcer la capacitĂ© de l’État Ă  censurer internet en dehors de tout contrĂŽle judiciaire.

Pour ces trois mesures, nous restons donc trĂšs prudent·es car elles peuvent ĂȘtre rĂ©tablies dans leur version d’origine en hĂ©micycle. La mobilisation auprĂšs des dĂ©puté·es reste donc trĂšs importante.

Une loi qui reste dangereuse

De nombreuses autres mesures ont Ă©tĂ© votĂ©es : la collecte, et la conservation pendant une durĂ©e disproportionnĂ©e de cinq annĂ©es, des informations d’identitĂ© de toute personne achetant notamment une carte SIM prĂ©payĂ©e (article 12 bis), la banalisation des enquĂȘtes administratives de sĂ©curitĂ© pour l’accĂšs Ă  de nombreux emplois (article 22) ou l’utilisation des drones par l’administration pĂ©nitentiaires (article 23). Au-delĂ  de ces mesures de surveillance, le texte renforce une vision trĂšs rĂ©pressive de la dĂ©tention, de la peine ou de la justice des mineurs et – comme le dĂ©nonce l’association Droit Au Logement – facilite les expulsions locatives.

L’élargissement du nombre des agents pouvant consulter le fichier TAJ (article 15) a en revanche Ă©tĂ© supprimĂ©e. Non pas pour le respect des libertĂ©s mais parce qu’en pratique ces accĂšs sont dĂ©jĂ  possibles.

Surtout, comme nous l’expliquons depuis le dĂ©but de la mobilisation, cette proposition de loi s’applique Ă  un champ bien plus large de situations que le seul trafic de drogues. En effet, elle modifie toutes les rĂšgles liĂ©es au rĂ©gime dĂ©rogatoire de la dĂ©linquance et la criminalitĂ© organisĂ©es, qui sont frĂ©quemment utilisĂ©es pour rĂ©primer les auteurs et autrices d’actions militantes. Par exemple, les procureurs n’hĂ©sitent pas Ă  mobiliser la qualification de « dĂ©gradation en bande organisĂ©e Â» pour pouvoir jouir de ces pouvoirs plus importants et plus attentatoires aux libertĂ©s publiques. Tel a Ă©tĂ© le cas pendant le mouvement des Gilets jaunes, lors de manifestations ou contre les militant·es ayant organisĂ© des mobilisations contre le cimentier Lafarge. Ce cadre juridique d’exception s’applique Ă©galement Ă  l’infraction « d’aide Ă  l’entrĂ©e et Ă  la circulation de personnes en situation irrĂ©guliĂšre en bande organisĂ©e Â», qualification qui a Ă©tĂ© utilisĂ©e contre des militant·es aidant des personnes exilĂ©es Ă  Briançon, mais a ensuite Ă©tĂ© abandonnĂ©e lors du procĂšs.

En l’état, la loi Narcotrafic reste donc fondamentalement la mĂȘme : un texte qui utilise la question du trafic du drogue pour lĂ©gitimer une extension de pouvoirs rĂ©pressifs, aussi bien au bĂ©nĂ©fice de la police judiciaire que de l’administration. Il faut donc continuer de lutter contre ce processus d’affaiblissement de l’État de droit et refuser cette narration jouant sur les peurs et le chantage Ă  la surveillance. Nous avons eu beaucoup de retours de personnes qui ont contactĂ© les dĂ©puté·es pour les pousser Ă  voter contre la loi. Un grand merci Ă  elles et eux ! Cela a trĂšs certainement dĂ» jouer dans le retrait des mesures les plus dangereuses.

Il ne faut cependant pas s’arrĂȘter lĂ . La proposition de loi va dĂ©sormais passer en hĂ©micycle, c’est-Ă -dire avec l’ensemble des dĂ©puté·es, Ă  partir du lundi 17 mars. Les propositions d’amendements seront publiĂ©es d’ici la fin de semaine et donneront une idĂ©e de la nature des dĂ©bats Ă  venir. En attendant, vous pouvez retrouver notre page de campagne mise Ă  jour et les moyens de contacter les parlementaires sur la page de campagne dĂ©diĂ©e. Vous pouvez aussi nous faire un don pour nous aider Ă  continuer la lutte.

La loi Narcotrafic est une loi de surveillance : mobilisons nous !

Par : noemie
24 février 2025 à 09:56

La semaine prochaine, l’AssemblĂ©e nationale discutera d’une proposition de loi relative au « narcotrafic Â». Contrairement Ă  ce que le nom du texte indique, les mesures qui pourraient ĂȘtre adoptĂ©es vont bien au-delĂ  du seul trafic de stupĂ©fiants. En rĂ©alitĂ©, son champ d’application est si large qu’il concernerait Ă©galement la rĂ©pression des mouvements militants. Cette loi prĂ©voit de lĂ©galiser de nombreuses mesures rĂ©pressives. Si elle Ă©tait adoptĂ©e, elle hisserait la France en tĂȘte des pays les plus avancĂ©s en matiĂšre de surveillance numĂ©rique.

C’est l’un des textes les plus dangereux pour les libertĂ©s publiques proposĂ©s ces derniĂšres annĂ©es. En rĂ©action, et face Ă  un calendrier lĂ©gislatif extrĂȘmement resserrĂ©, La Quadrature du Net lance aujourd’hui une campagne de mobilisation pour lutter contre la loi Narcotrafic. Le but est d’abord d’informer sur le contenu de ce texte, en faisant en sorte que les mesures techniques et rĂ©pressives qu’il cherche Ă  lĂ©galiser soient comprĂ©hensibles par le plus grand nombre. Nous souhaitons Ă©galement dĂ©noncer l’instrumentalisation de la problĂ©matique du trafic de stupĂ©fiants — une « guerre contre la drogue Â» qui, lĂ  encore, a une longue histoire bardĂ©e d’échecs — pour pousser des mesures sĂ©curitaires bien plus larges, Ă  grand renfort de discours sensationnalistes. Notre page de campagne rĂ©pertorie ainsi diffĂ©rents dĂ©cryptages, des ressources, mais aussi des outils pour contacter les dĂ©putĂ©â‹…es et les alerter sur les nombreux dangers de cette proposition de loi. Nous avons pour l’occasion dĂ©cidĂ© de renommer cette loi « Surveillance et narcotraficotage Â» tant elle est l’espace fourre-tout d’une large panoplie sĂ©curitaire.

Parmi les mesures proposĂ©es et largement retravaillĂ©es par le ministre de l’IntĂ©rieur Bruno Retailleau, on retrouve l’extension de la surveillance du rĂ©seau par algorithmes, la censure administrative d’Internet ou encore l’instauration d’une procĂ©dure de surveillance secrĂšte Ă©chappant aux dĂ©bats contradictoires et largement dĂ©noncĂ©e par la profession des avocat·es. Au grĂ© de son examen au SĂ©nat, la proposition de loi n’a fait qu’empirer, incluant de nouvelles techniques de surveillance extrĂȘmement intrusives, comme l’espionnage Ă  travers les camĂ©ras et micros des personnes via le piratage de leurs appareils et l’obligation pour les messageries chiffrĂ©es de donner accĂšs au contenu des communications. Cette derniĂšre mesure va Ă  contre-courant des recommandations de nombreuses institutions et pourrait conduire Ă  l’éviction de France de services comme Signal ou Whatsapp ou d’abaisser leur niveau de sĂ©curitĂ©, comme Apple vient d’ĂȘtre contraint de le faire pour ses produits au Royaume-Uni. Ces dispositions ne sont nullement limitĂ©es aux trafiquants de drogue : la police peut y avoir recours pour l’ensemble de la « criminalitĂ© organisĂ©e Â», un rĂ©gime juridique extrĂȘmement large qui est notamment utilisĂ© dans la rĂ©pression des actions militantes.

Face Ă  cela, les groupes politiques au SĂ©nat ont votĂ© Ă  l’unanimitĂ© pour ce texte — y compris Ă  gauche. La Quadrature du Net appelle les Ă©lu·es Ă  se rĂ©veiller et Ă  rĂ©aliser la gravitĂ© des enjeux posĂ©s par ce texte. La lutte contre le trafic de stupĂ©fiants ne peut pas servir Ă  justifier des atteintes aussi graves aux principes fondateurs de la procĂ©dure pĂ©nale, ni Ă  banaliser des pouvoirs de surveillance aussi intrusifs et qui pourraient encore ĂȘtre Ă©tendus Ă  l’avenir.

Pour prendre connaissance de nos arguments, de nos ressources ainsi que des coordonnĂ©es des dĂ©putĂ©â‹…es pour les contacter, rendez-vous sur notre page de campagne : laquadrature.net/narcotraficotage

VSA et biomĂ©trie : la CNIL dĂ©missionnaire

Par : noemie
4 décembre 2024 à 09:36

ParticuliĂšrement dĂ©faillante sur les sujets liĂ©s Ă  la surveillance d’État, la CNIL a encore manquĂ© une occasion de s’affirmer comme vĂ©ritable contre-pouvoir et, au passage, d’assurer la dĂ©fense des droits humains. À l’occasion de l’examen de la proposition de loi sur la sĂ©curitĂ© dans les transports, elle a ainsi plongĂ© tĂȘte la premiĂšre pour venir au secours des institutions policiĂšres et justifier leur utilisation d’un logiciel de vidĂ©osurveillance algorithmique dite « a posteriori Â», telle que celle commercialisĂ©e par la sociĂ©tĂ© Briefcam. Si nous avions de moins en moins d’attentes envers la CNIL, nous ne pouvons aujourd’hui qu’acter ce constat : l’autoritĂ© se pense chaque jour davantage comme une institution d’accompagnement de l’« innovation Â» au service des start-ups et du pouvoir plutĂŽt qu’une autoritĂ© de dĂ©fense des droits.

AprĂšs la loi sur les Jeux Olympiques de 2023 qui lĂ©gitimait la vidĂ©osurveillance algorithmique (VSA) en temps rĂ©el, la VSA dite « a posteriori Â» s’est rĂ©cemment retrouvĂ©e Ă  l’agenda lĂ©gislatif. Nous vous en avons dĂ©jĂ  parlĂ© : ce type de logiciel permet de faire des analyses et recherches dans les enregistrements vidĂ©o aprĂšs la survenue d’un Ă©vĂ©nement (et non en direct comme la VSA en temps rĂ©el ) sur la base d’attributs physiques et biomĂ©triques. Un texte dĂ©posĂ© par la droite sĂ©natoriale proposait ainsi une nouvelle expĂ©rimentation de ce type de VSA dans les transports, jusqu’en 2027, sur les vidĂ©os rĂ©quisitionnĂ©es par la police lors de ses enquĂȘtes auprĂšs de la SNCF et la RATP. PassĂ©e Ă  la trappe suite Ă  la dissolution de l’AssemblĂ©e, cette proposition de loi revenait mercredi dernier en commission des lois.

Explication de texte

ConcrĂštement, sans mĂȘme recourir aux empreintes faciales des individus (reconnaissance faciale), ces mĂ©thodes de VSA permettent de suivre une personne prĂ©cise Ă  mesure qu’elle Ă©volue dans l’espace urbain et passe dans le champ de vision de diffĂ©rentes camĂ©ras – grĂące Ă  la combinaison d’informations sur son apparence, par exemple, la couleur de ses vĂȘtements ou des signes distinctifs comme la taille, la couleur et la coupe de cheveux, ou d’autres caractĂ©ristiques dĂ©duites Ă  partir de l’identitĂ© de genre. En nous appuyant sur l’état du droit, il est trĂšs clair pour nous que, dĂšs lors que les algorithmes de VSA permettent de retrouver une personne parmi d’autres, Ă  partir des donnĂ©es physiques ou comportementales qui lui sont propres, il s’agit d’une identification biomĂ©trique. Or, en droit des donnĂ©es personnelles, les traitements biomĂ©triques sont strictement encadrĂ©s et en consĂ©quence, l’utilisation de ces logiciels en l’absence de tout cadre juridique spĂ©cifique doit ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme illĂ©gale.

Pourtant, la proposition de loi relative Ă  la sĂ©curitĂ© dans les transports prĂ©tendait Ă©chapper Ă  cette catĂ©gorie, Ă©voquant des « logiciels de traitement de donnĂ©es non biomĂ©triques pour extraire et exporter les images [
] rĂ©quisitionnĂ©es Â» par la police. Si les logiciels visĂ©s sont bien ceux de Briefcam et consorts, une telle affirmation est donc incohĂ©rente, voire mensongĂšre. Elle a uniquement pour but de minimiser l’impact de ces logiciels, tant d’un point vue technique que juridique. Nous avons donc envoyĂ© une note dĂ©taillĂ©e (disponible ici) aux membres de la commission des lois afin de leur expliquer le fonctionnement de cette technologie ainsi que les consĂ©quences juridiques qu’ils et elles devaient en tirer.

Puis, coup de thĂ©Ăątre lors de l’examen du texte : l’article est retirĂ©. Mais si le rapporteur du texte, Guillaume Gouffier Valente, a voulu supprimer cet article, ce n’est non pas au motif que la VSA serait effectivement trop dangereuse pour les droits et libertĂ©s, mais parce que la CNIL, lors de son audition sur cette proposition de loi, aurait expressĂ©ment affirmĂ© qu’une telle loi n’était pas nĂ©cessaire et que ces logiciels Ă©taient de toute façon d’ores et dĂ©jĂ  utilisĂ©s. ll s’agirait donc de la part de la CNIL d’un renoncement Ă  faire appliquer le droit qu’elle est pourtant censĂ©e connaĂźtre. Nous avons envoyĂ© aux services de la CNIL une demande de rendez-vous pour en savoir plus et comprendre prĂ©cisĂ©ment la position de l’autoritĂ© dans ce dossier. Mais celle-ci est restĂ©e Ă  ce jour sans rĂ©ponse.

Protéger les pratiques policiÚres

La position de la CNIL s’explique sans doute par sa volontĂ© de justifier sa propre dĂ©faillance dans le dossier de la VSA. En effet, la solution d’analyse vidĂ©o de Briefcam est dĂ©jĂ  utilisĂ©e dans plus de 200 villes en France d’aprĂšs un article du Monde Diplomatique et a Ă©tĂ© acquise par la police nationale en 2015 puis par la gendarmerie nationale en 2017. Autant d’usages illĂ©gaux qui auraient dĂ» faire l’objet de sanctions fermes de sa part. Il n’en a rien Ă©tĂ©.

AprĂšs la rĂ©vĂ©lation du mĂ©dia Disclose concernant le recours au logiciel Briefcam par la police et la gendarmerie nationale, le ministre de l’IntĂ©rieur avait commandĂ© Ă  l’Inspection gĂ©nĂ©rale de l’administration, l’Inspection gĂ©nĂ©rale de la gendarmerie nationale et l’Inspection gĂ©nĂ©rale de la police nationale un rapport d’évaluation, rĂ©cemment publiĂ©, faisant Ă©tat de l’utilisation de ce logiciel. Si on lit dans ce document diffĂ©rentes justifications et contorsions hasardeuses pour expliquer l’usage la fonction de reconnaissance faciale, ces institutions assument par contre totalement l’utilisation de Briefcam pour les autres fonctionnalitĂ©s de reconnaissance biomĂ©trique.

Un exemple est mĂȘme donnĂ© page 35, expliquant qu’un homme a pu ĂȘtre identifiĂ© grĂące Ă  la fonction de « similitude d’apparence Â» du logiciel, notamment parce qu’il portait un T-shirt trĂšs reconnaissable. Juridiquement, il s’agit donc d’un traitement de donnĂ©es biomĂ©triques. On apprend dans ce mĂȘme rapport d’inspection que, dĂ©sormais, pour sauver les meubles, la police et la gendarmerie qualifieraient cette solution de « logiciel de rapprochement judiciaire Â», une catĂ©gorie juridique spĂ©cifique qui n’est pas du tout adaptĂ©e Ă  ces logiciels, comme nous l’expliquions ici.

À quoi bon la CNIL ?

À l’occasion de ce dĂ©bat sur la proposition de loi sur les transports, la CNIL aurait donc pu se positionner fermement sur ce sujet, taper du poing sur la table et enfin mettre un coup d’arrĂȘt Ă  toutes ces justifications juridiques farfelues. Elle aurait pu poser une doctrine sur le sujet qui, aujourd’hui, manque cruellement, et ce, malgrĂ© nos appels du pied et les interprĂ©tations claires du monde universitaire sur la nature biomĂ©trique de ce type de technologies1 Voir par exemple le livre blanc « Surveiller les foules Â» de Caroline Lequesne, maĂźtresse de confĂ©rences en droit public Ă  l’UniversitĂ© CĂŽte d’Azur, ou encore les articles sur la « technopolice administrative Â» publiĂ©s dans la Revue des Droits de l’Homme par Robin MĂ©dard Inghilterra, maĂźtre de confĂ©rence Ă  l’UniversitĂ© Paris I, accessibles en ligne ici et ici.. À l’inverse, elle a prĂ©fĂ©rĂ© acter sa dĂ©mission totale devant les dĂ©putĂ©â‹…es.

Le laisser-faire coupable de la CNIL s’inscrit dans la continuitĂ© de ses prises de positions antĂ©rieures sur le sujet. En 2022 dĂ©jĂ , lorsque la CNIL avait adoptĂ© pour la premiĂšre fois une position sur la VSA, elle avait fini par expressĂ©ment exclure de son analyse – et sans explication – les usages « a posteriori Â» de la technologie, pourtant tout aussi dangereux que les usages en temps rĂ©el. Faute de « lignes directrices Â» sur le sujet, ces usages « a posteriori Â» ne sont donc couverts par aucune position de l’autoritĂ© administrative. Cela n’a pas empĂȘchĂ© la CNIL d’intervenir lors d’actions en justice pour dĂ©douaner la communautĂ© de communes de Coeur Cote Fleurie de son utilisation de Briefcam.

Nous continuons donc d’assister au lent dĂ©clin de la CNIL en tant que contre-pouvoir Ă©tatique. PrĂ©fĂ©rant se consacrer Ă  l’accompagnement des entreprises (mĂȘme techno-sĂ©curitaires) et Ă  la rĂ©gulation du secteur Ă©conomique, elle semble manquer de courage pour tenir tĂȘte aux ardeurs sĂ©curitaires des pouvoirs publics, ce qui a logiquement et inexorablement menĂ© Ă  une inflation de textes autorisant les administrations Ă  utiliser tout un tas de techniques de surveillance. Ce positionnement sur la VSA ressemble aujourd’hui Ă  une capitulation complĂšte. En refusant de rappeler le droit et en validant des interprĂ©tations hasardeuses et favorables aux intĂ©rĂȘts policiers et industriels, elle semble aujourd’hui se satisfaire d’ĂȘtre une simple caution visant Ă  valider des formes de surveillance illĂ©gales, relĂ©guant les libertĂ©s publiques derriĂšre les demandes du « terrain Â».

Un réveil nécessaire

Quel est alors censĂ© ĂȘtre le rĂŽle de cette institution dans un supposĂ© État de droit, si elle ne rappelle pas les exigences de proportionnalitĂ© Ă  des agents demandant toujours plus de pouvoirs de contrĂŽle sur la population ? À quoi sert l’expertise accumulĂ©e depuis plus de 45 ans si elle n’est pas mise au service des libertĂ©s des habitant·es, Ă  l’heure oĂč la France s’enfonce dans une course Ă  la surveillance avec des pays comme les États-Unis, IsraĂ«l ou la Chine ? Que faire lorsqu’on rĂ©alise que la CNIL est dĂ©sormais davantage Ă  l’écoute des administrations policiĂšres que des expert⋅es universitaires ou de la sociĂ©tĂ© civile ?

Face Ă  ces dĂ©rives qui participent de la dĂ©rive autoritaire de l’État, nous appelons les commissaires et agent·es de la CNIL au sursaut. Si rien n’est fait pour contrecarrer ces tendances, le laisser-faire qui tient lieu de politique de la CNIL dans la plupart des dossiers technopoliciers de ces derniĂšres annĂ©es conduira Ă  la disqualification dĂ©finitive de l’autoritĂ© de protection des droits, ne lui laissant pour seule fonction que la rĂ©gulation d’un marchĂ© de la surveillance dĂ©sormais dopĂ©e par la prolifĂ©ration des systĂšmes d’intelligence artificielle.

Du cĂŽtĂ© de La Quadrature du Net, nous ne nous rĂ©signons pas. En lien avec la mobilisation populaire, nous souhaitons tenter d’activer les contre-pouvoirs institutionnels qui peuvent encore l’ĂȘtre pour barrer la route Ă  la lĂ©galisation programmĂ©e de la VSA et Ă  la banalisation de ses usages policiers. Pour nous aider, rendez-vous sur notre page de campagne, et si vous le pouvez sur notre page de dons pour nous soutenir dans nos prochaines actions sur ce dossier.

References[+]

References
↑1 Voir par exemple le livre blanc « Surveiller les foules Â» de Caroline Lequesne, maĂźtresse de confĂ©rences en droit public Ă  l’UniversitĂ© CĂŽte d’Azur, ou encore les articles sur la « technopolice administrative Â» publiĂ©s dans la Revue des Droits de l’Homme par Robin MĂ©dard Inghilterra, maĂźtre de confĂ©rence Ă  l’UniversitĂ© Paris I, accessibles en ligne ici et ici.

Assaut contre la vidéosurveillance algorithmique dans nos villes

Par : noemie
31 octobre 2024 Ă  07:58

La question de pĂ©renniser ou non l’expĂ©rimentation de la vidĂ©osurveillance algorithmique (VSA) fait actuellement beaucoup de bruit dans le dĂ©bat public. Si l’on entend principalement les ministres et prĂ©fets au niveau national, c’est aussi – et surtout – Ă  l’échelle locale que ces enjeux se cristallisent. Profitant de l’engouement des Jeux Olympiques et du cadre lĂ©gislatif crĂ©Ă© Ă  l’occasion de cet Ă©vĂšnement, de nombreuses communes tentent de lĂ©gitimer et normaliser leurs usages de cette technologie, qui reste pourtant totalement illĂ©gaux. Ces manƓuvres, qui doivent ĂȘtre rĂ©vĂ©lĂ©es et dĂ©noncĂ©es, constituent aussi pour les habitant⋅es un levier d’action majeur pour faire entendre leurs voix et exiger l’interdiction de la VSA dans nos villes.

Lorsque nous avons lancĂ© notre campagne contre la VSA au printemps dernier, nous l’affirmions haut et fort : ce qui se joue avec la loi sur les Jeux Olympiques est une grande hypocrisie. La vidĂ©osurveillance algorithmique s’est dĂ©ployĂ©e depuis quasiment une dizaine d’annĂ©es en toute illĂ©galitĂ© dans les villes et les collectivitĂ©s locales, qui ont achetĂ© des logiciels de VSA Ă  des entreprises de surveillance en quĂȘte de profit. Marseille, Reims, Vannes ou encore Moirans
 nous avons documentĂ© au fil des mois comment les villes se dotaient de ces outils de surveillance en toute illĂ©galitĂ©. La loi JO vient donc lĂ©gitimer une pratique existante en masquant l’étendue de cette rĂ©alitĂ©. En effet, le pĂ©rimĂštre prĂ©vu par la loi ne prĂ©voit la dĂ©tection que de huit types d’analyses d’images. Or, les entreprises de VSA n’ont jamais cachĂ© qu’elles savaient dĂ©jĂ  faire bien plus : reconnaissance d’émotions, reconnaissance faciale ou encore suivi et identification des personnes au travers d’attributs physiques
 Le rĂŽle de la loi JO apparaĂźt alors comme Ă©vident : il s’agissait surtout de crĂ©er une premiĂšre Ă©tape pour sortir cette technologie de l’illĂ©galitĂ© et amorcer un projet plus large de surveillance de l’espace public.

DĂ©busquer les mensonges

Ce processus de normalisation et d’instrumentalisation est dĂ©jĂ  Ă  l’Ɠuvre. Ainsi, les villes n’ont pas attendu bien longtemps pour s’appuyer sur la rĂ©cente loi JO – qui normalise la VSA dans un cadre prĂ©cis – afin de lĂ©gitimer les logiciels dont elles se seraient dotĂ© de façon illĂ©gale, dans leur coin. Par exemple, la ville de Saint-Denis a trĂšs rĂ©cemment achetĂ© un logiciel de vidĂ©osurveillance algorithmique auprĂšs de l’entreprise Two-I. Cette acquisition s’est faite en dehors du pĂ©rimĂštre de la loi JO qui impose Ă  la fois une autorisation prĂ©fectorale et l’utilisation d’un logiciel spĂ©cifique acquis par marchĂ© public (en l’occurrence celui de Wintics). Cependant, pour donner un vernis de lĂ©galitĂ© Ă  cette initiative unilatĂ©rale, le maire socialiste de la commune, Mathieu Hanotin, a essayĂ© de la rattacher autant que faire se peut aux Jeux Olympiques. Il prĂ©tendait ainsi que ce logiciel pourrait servir pour les Jeux Paralympiques (nous Ă©tions alors au mois d’aoĂ»t 2024) et que les algorithmes de dĂ©tection seraient identiques aux usages prĂ©vus par la loi JO. Il s’agissait surtout d’un Ă©cran de fumĂ©e pour masquer l’illĂ©galitĂ© de cette dĂ©marche, d’autant que celle-ci s’est faite en toute opacitĂ©, le conseil municipal de Saint-Denis n’ayant mĂȘme pas Ă©tĂ© informĂ©, si l’on en croit les informations du journal Le Parisien et du media StreetPress.

Autre exemple dans l’Oise, oĂč la ville de MĂ©ru possĂšde dĂ©sormais un logiciel de dĂ©tection des personnes dĂ©posant des « ordures sauvages Â» dĂ©veloppĂ© par la sociĂ©tĂ© Vizzia. Ce type d’usages a connu un essor important ces derniĂšres annĂ©es en raison de l’existence d’entreprises de VSA toujours plus nombreuses voulant surfer sur une image green, aprĂšs avoir misĂ© sur le fantasme de la smart city pendant des annĂ©es, tout en jouant avec les diffĂ©rentes Ă©volutions lĂ©gislatives. En effet, d’une part, il existe un cadre juridique pour l’installation de camĂ©ras dans les villes : le code de la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure prĂ©voit une liste de finalitĂ©s prĂ©cises pour lesquelles une commune peut implanter des camĂ©ras dans les rues. Or, depuis des lois de 2019 et 2020 relatives Ă  l’écologie, cette liste contient la « la prĂ©vention et la constatation des infractions relatives Ă  l’abandon d’ordures, de dĂ©chets, de matĂ©riaux ou d’autres objets Â».

D’autre part, la police est autorisĂ©e Ă  avoir recours Ă  de la « vidĂ©overbalisation Â» pour certaines infractions routiĂšres. C’est-Ă -dire qu’elle peut Ă©mettre des procĂšs-verbaux de verbalisation uniquement sur la base d’enregistrements vidĂ©o : concrĂštement, la police relĂšve la plaque d’immatriculation sur l’image de vidĂ©osurveillance et envoie une amende Ă  la personne propriĂ©taire du vĂ©hicule. Celle-ci reçoit alors le PV Ă  domicile, sans aucun contact avec un·e agent·e. Or, cette possibilitĂ© est limitĂ©e Ă  une liste prĂ©cise de contraventions au code de la route, telle que le franchissement d’une ligne blanche ou un stationnement interdit. En dehors de cette liste, il n’est pas possible de vidĂ©overbaliser les personnes sur la seule base d’une image captĂ©e par une camĂ©ra de surveillance. D’ailleurs, ce marchĂ© de la vidĂ©overbalisation des dĂ©lits routiers est un marchĂ© important pour les entreprises de VSA, qui proposent l’automatisation de la lecture des plaques (dites « LAPI Â»). Et le dĂ©pĂŽt d’ordures, s’il peut lĂ©galement justifier la pose de camĂ©ras, ne figure pas dans la liste des infractions pouvant ĂȘtre vidĂ©overbalisĂ©es.

Pour antant, cela n’empĂȘche aucunement des entreprises de faire croire l’inverse aux municipalitĂ©s pour leur vendre leur solution. Tel est le cas de la start-up Vizzia, petite derniĂšre dans le monde de la VSA, qui affirme sans vergogne sur son site internet qu’il « est possible de vidĂ©o-constater les dĂ©pĂŽts sauvages Â». Vizzia explique ainsi Ă  ses potentielles villes clientes qu’il suffirait de relever la plaque du vĂ©hicule associĂ© Ă  un dĂ©pot d’ordure identifiĂ© par son logiciel puis de consulter le fichier SIV (SystĂšme d’Immatriculation des VĂ©hicules, qui recense tous les vĂ©hicules et les coordonnĂ©es de leurs propriĂ©taires) pour identifier les auteur·rices d’un dĂ©pot sauvage d’ordures. Pour se justifier, l’entreprise va mĂȘme jusqu’à citer une rĂ©ponse du ministĂšre de l’IntĂ©rieur Ă  une sĂ©natrice 
 qui dit exactement le contraire de ce qu’affirme l’entreprise ! En rĂ©alitĂ©, le ministre de l’IntĂ©rieur rappelle expressĂ©ment qu’« il n’est pas possible de verbaliser le titulaire du certificat d’immatriculation du vĂ©hicule ayant servi au dĂ©pĂŽt d’ordures Â». Il conclut trĂšs clairement que les images de vidĂ©osurveillance peuvent uniquement servir dans le cadre d’une procĂ©dure judiciaire et que le relevĂ© de plaque est insuffisant pour constater le dĂ©lit.

Ainsi, non seulement la ville de MĂ©ru – parmi tant d’autres1Pour savoir si Vizzia est prĂ©sente dans votre commune, ses clients sont affichĂ©es sur cette page https://www.vizzia.eu/nos-references – s’est dotĂ© d’un logiciel illĂ©gal mais en plus, si l’on en croit cet article de France 3 rĂ©gions, elle tente de s’appuyer sur le cadre de la loi sur les Jeux Olympiques pour faire passer la pilule. Ainsi, les responsables expliquent que le dĂ©pĂŽt d’ordure serait identique Ă  la dĂ©tection « d’objet abandonnĂ© Â» autorisĂ©e par la loi JO. Cela est Ă©videmment faux et un tel usage reste totalement contraire Ă  la rĂ©glementation de protection des donnĂ©es personnelles.

Surtout, le chef de la police municipale de MĂ©ru se vante du fait que l’outil de VSA de Vizzia verbalise et remplisse tout seul les procĂšs-verbaux Ă  partir des plaques d’immatriculation. Son constat est clair : « L’intelligence artificielle me permet de ne pas avoir d’agent derriĂšre une camĂ©ra tout le temps. Elle m’envoie des alertes quand elle dĂ©tecte une infraction. C’est l’outil qui fait le travail et moi, je n’ai plus qu’à traiter directement les infractions. Mes agents sont dĂ©diĂ©s Ă  d’autres missions pendant ce temps-lĂ . On ne cherche pas l’infraction, ça tombe dans le panier tout seul. Elle traite les infractions mĂȘme quand on est fermĂ©s Â». Une telle posture va Ă  rebours du discours habituel des institutions et industriels qui tentent gĂ©nĂ©ralement de minimiser le rĂŽle de l’IA et prĂ©fĂšrent affirmer mordicus que toute dĂ©cision serait in fine prise par un humain. Ici, la volontĂ© est clairement affichĂ©e de vouloir se diriger vers une automatisation de la rĂ©pression, nĂ©cessairement induite par ces technologies – un projet que que nous dĂ©nonçons depuis longtemps.

Enfin, la ville de Cannes illustre un autre exemple de stratĂ©gie d’acceptation. Elle est Ă  ce jour la seule commune en dehors de l’Île-de-France a avoir demandĂ© une autorisation prĂ©fectorale pour utiliser la VSA dans le cadre de la loi JO, Ă  l’occasion du festival de cinĂ©ma en mai dernier. Elle a par ailleurs annoncĂ© qu’elle souhaitait l’utiliser Ă  nouveau Ă  cinq reprises d’ici la fin de la durĂ©e lĂ©gale de l’expĂ©rimentation en mars 2025, prĂ©tendant avoir Ă©tĂ© convaincue de son utilitĂ©. Pourtant, on retrouve dĂšs 2016 des traces d’utilisation illĂ©gale de logiciels de VSA par la ville de Cannes. Cette communication de la commune dĂ©montre surtout que la ville se sert de la loi JO pour faire passer comme lĂ©gal et donc acceptable ce qu’elle pratique en violation de la loi depuis des annĂ©es.

Pas de VSA dans nos villes

En parallĂšle des gros sabots ministĂ©riels et des manƓuvres des entreprises, les collectivitĂ©s locales constituent ainsi des entitĂ©s motrices du dĂ©ploiement de la surveillance dans nos rues. C’est donc Ă  cette Ă©chelle lĂ  que nous pouvons repousser ce projet sĂ©curitaire. C’est Ă©galement dans ces espaces que nous serons le plus audibles. En effet, la majoritĂ© des victoires passĂ©es l’ont Ă©tĂ© au niveau des communes et des quartiers. Ainsi, des habitant·es de la ville de Saint-Étienne ont rĂ©ussi en 2019 Ă  faire annuler un projet de micros « dĂ©tecteurs de bruits suspects Â». À Marseille et Ă  Nice, des parents d’élĂšves, aux cotĂ©s de La Quadrature, ont empĂȘchĂ© l’installation de portiques de reconnaissance faciale devant des lycĂ©es. Tandis qu’à Montpellier, la ville a adoptĂ© une dĂ©libĂ©ration s’interdisant d’utiliser de la surveillance biomĂ©trique dans la ville.

Le refus des habitant·es des villes Ă  cette technologie de surveillance est donc essentiel pour faire pression sur les mairies. Il permet aussi de peser dans la bataille de l’« acceptabilitĂ© sociale Â» de la VSA et dans le dĂ©bat public en gĂ©nĂ©ral. D’autant que l’évaluation prĂ©vue par la loi JO exige que soit prise en compte la « perception du public Â» de l’impact de la VSA sur nos libertĂ©s. En agissant dans nos villes, nous pouvons donc combattre la VSA et nous faire entendre Ă  deux titres : auprĂšs des maires, mais aussi du gouvernement qui souhaite pĂ©renniser l’expĂ©rimentation.

Pour vous aider dans cette lutte, nous avons mis Ă  disposition de nombreuses ressources. Afin de s’informer et d’informer les autres, nous avons compilĂ© les informations relatives au contexte, au fonctionnement et aux dangers de la vidĂ©osurveillance algorithmique dans une brochure. Elle est Ă  lire, imprimer et diffuser au plus grand nombre ! Pour organiser l’opposition locale, renseignez-vous sur l’existence de potentiels logiciels dans votre commune en faisant des demandes de documents administratifs ou en contactant les Ă©lu·es de votre conseil municipal. Enfin, rejoignez le mouvement « Pas de VSA dans ma ville Â» en demandant Ă  votre maire de s’engager Ă  ne jamais installer de vidĂ©osurveillance algorithmique dans sa ville. Des affiches sont Ă©galement disponibles sur la page de campagne pour visibiliser cette opposition dans l’espace public. Enfin, les futures expĂ©rimentations de la loi JO, qui auront notamment lieu lors des marchĂ©s de NoĂ«l, seront l’occasion de sensibiliser et d’organiser des actions pour faire connaĂźtre cette technologie et ses dangers au plus grand nombre.

Ensemble, nous devons contrer les manƓuvres visant Ă  faire accepter la vidĂ©osurveillance algorithmique, et rappeler le refus populaire de cette technologie. Nous devons clamer haut et fort notre opposition Ă  devenir les cobayes d’une surveillance menĂ©e main dans la main par la police et les entreprises. Nous devons affirmer que nous ne voulons pas d’une sociĂ©tĂ© oĂč chaque comportement considĂ©rĂ© comme une « anomalie sociale Â» dans la rue soit traitĂ© par un dispositif technique pour alerter la police. Par nos voix communes, nous pouvons empĂȘcher le prolongement de l’expĂ©rimentation et prĂ©server l’espace public d’une surveillance toujours plus oppressante, afin que celui-ci reste un lieu que nous pouvons habiter et investir librement.

References[+]

References
↑1 Pour savoir si Vizzia est prĂ©sente dans votre commune, ses clients sont affichĂ©es sur cette page https://www.vizzia.eu/nos-references

Jeux Olympiques : fichage de masse et discrimination politique

Par : noemie
30 juillet 2024 Ă  05:56

Les Jeux Olympiques viennent de dĂ©buter, la surveillance et la rĂ©pression y sont reines. En vue de cet Ă©vĂšnement, l’État a mis en Ɠuvre tous les pouvoirs sĂ©curitaires accumulĂ©s ces derniĂšres annĂ©es : drones, QR code, pĂ©rimĂštres de sĂ©curitĂ©, vidĂ©osurveillance algorithmique, assignations Ă  rĂ©sidence, prĂ©sence policiĂšre intense, hĂ©licoptĂšres
 De façon inĂ©dite, l’ensemble de ces moyens sont employĂ©s en mĂȘme temps et Ă  une Ă©chelle trĂšs importante. Au grĂ© de cet emballement rĂ©pressif, une autre mesure exceptionnelle mĂ©rite l’attention : l’utilisation hors norme des fichiers de police pour Ă©carter des emplois liĂ©s aux JO les personnes ayant des activitĂ©s militantes. Une forme de discrimination fondĂ©e sur des critĂšres opaques et proprement inacceptable.

Fouiller le passé au nom de la sécurité

En France, l’accumulation d’informations sur la population Ă  travers le fichage est une pratique ancienne et Ă©normĂ©ment utilisĂ©e par la police et le renseignement. Mais depuis une vingtaine d’annĂ©es le nombre de fichiers a explosĂ©, tout comme le pĂ©rimĂštre des informations collectĂ©es et des personnes visĂ©es. En parallĂšle, leurs usages ont Ă©tĂ© largement facilitĂ©s, avec peu de contrĂŽle, tandis que leur lĂ©gitimitĂ© est de moins en moins contestĂ©e dans la sphĂšre politique et mĂ©diatique. Rappelons – au cas oĂč cela aurait Ă©tĂ© oubliĂ© – que dans une logique dĂ©mocratique, l’État n’a pas Ă  connaĂźtre ce que fait ou pense sa population et que ce n’est que par exception qu’il peut garder en mĂ©moire certaines informations concernant les faits et gestes d’individus. Cependant, et nous l’observons malheureusement pour toute forme de surveillance, ces principes thĂ©oriques sont Ă©cartĂ©s au nom de la sĂ©curitĂ© et de « l’utilitĂ© Â». Toute information disponible peut dĂšs lors ĂȘtre conservĂ©e de façon prĂ©ventive, peu importe la proportionnalitĂ©, la nĂ©cessitĂ© ou le fait que cela transforme chaque personne exposant des informations personnelles en potentiel suspect. Avec les Jeux Olympiques, nous avons aujourd’hui un exemple d’oĂč cette dĂ©mesure, couplĂ©e Ă  une criminalisation croissante du militantisme, mĂšne.

En 2016, la loi relative Ă  la procĂ©dure pĂ©nale a crĂ©Ă© la notion de « grand Ă©vĂšnement Â». DĂ©finie par l’article L.211-11-1 du code de la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure, elle recouvre des Ă©vĂšnements exposĂ©s « par leur ampleur ou leurs circonstances particuliĂšres, Ă  un risque exceptionnel de menace terroriste». Lorsqu’un rassemblement est dĂ©signĂ© comme tel par dĂ©cret, toute personne y travaillant de prĂšs ou loin (technicien·ne, bĂ©nĂ©vole, soignant·e, agent·e de sĂ©curité ) doit alors faire l’objet d’une enquĂȘte administrative. À la suite de cette enquĂȘte, le « service national des enquĂȘtes administratives de sĂ©curitĂ© Â» (SNEAS) crĂ©Ă© en 2017 dĂ©livre un avis dĂ©sormais contraignant. S’il est dĂ©favorable, la personne ne pourra alors pas se rendre et travailler sur l’évĂšnement.

Si des sommets gĂ©opolitiques ont Ă©tĂ© qualifiĂ©s de « grand Ă©vĂšnement Â», c’est Ă©galement le cas pour le Festival de Cannes, la Route du Rhum ou la FĂȘte du citron Ă  Menton. DĂšs 2021, les Jeux Olympiques 2024 ont ainsi Ă©tĂ© dĂ©signĂ©s comme « grand Ă©vĂšnement Â», englobant par lĂ  l’ensemble des infrastructures, sites et animations associĂ©s aux Jeux. Cela a donc impliquĂ© que des enquĂȘtes soient effectuĂ©es sur un nombre immense de personnes, Ă  la fois les Ă©quipes et dĂ©lĂ©gations sportives mais Ă©galement toute personne devant travailler autour de cet Ă©vĂšnement. S’agissant des Jeux Olympiques, le 17 juillet dernier, le ministre de l’intĂ©rieur annonçait que 870 000 enquĂȘtes avaient Ă©tĂ© menĂ©es conduisant Ă  Ă©carter « 3 922 personnes susceptibles de constituer une menace sur la sĂ©curitĂ© de l’évĂ©nement Â». GĂ©rald Darmanin se targuait ainsi que « 131 personnes fichĂ©es S Â» et « 167 personnes fichĂ©es Ă  l’ultragauche Â» s’étaient vu refuser leur accrĂ©ditation. Mais derriĂšre cet effet d’annonce, il y a une rĂ©alitĂ©, celle d’une surveillance massive et de choix arbitraires opĂ©rĂ©s en toute opacitĂ©.

Une interconnexion massive de fichiers

ConcrĂštement, les agents du SNEAS interrogent un systĂšme dĂ©nommĂ© « ACCReD Â», crĂ©Ă© en 2017 et qui interconnecte dĂ©sormais 14 fichiers. Le systĂšme ACCReD a Ă©tĂ© crĂ©Ă© pour faciliter ce que l’on appelle les « enquĂȘtes administratives de sĂ©curitĂ© Â». Ce type d’enquĂȘte est encadrĂ© par l’article L.114-1 du code de la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure. Originellement prĂ©vu pour le recrutement d’emplois dans les secteurs sensibles, elle est aujourd’hui utilisĂ©e pour un spectre bien plus large, dont l’instruction des demandes d’acquisition de la nationalitĂ© française et la dĂ©livrance des titres de sĂ©jour. La CNIL exigeait ainsi en 2019 que soit prĂ©cisĂ© le pĂ©rimĂštre de ces enquĂȘtes, d’autant qu’elles « conditionnent l’adoption de dĂ©cisions administratives nombreuses, trĂšs diverses et ne prĂ©sentant pas toutes le mĂȘme degrĂ© de sensibilitĂ©1Voir la DĂ©libĂ©ration CNIL n°2019-06, 11 juillet 2019, portant avis sur un projet de dĂ©cret modifiant le dĂ©cret n°2017- 1224 du 3 aoĂ»t 2017 portant crĂ©ation d’un traitement automatisĂ© de donnĂ©es Ă  caractĂšre personnel dĂ©nommĂ© « Automatisation de la consultation centralisĂ©e de renseignements et de donnĂ©es Â» (ACCReD), accessible ici Â».

ACCReD interroge de nombreux fichiers2Voir la liste complĂšte Ă  l’article R.211-32 du code de la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure aux pĂ©rimĂštres et objets trĂšs diffĂ©rents. Parmi eux on retrouve le fichier de traitement des antĂ©cĂ©dents judiciaires (TAJ) qui rassemble les informations de toute personne ayant eu affaire Ă  la police, mĂȘme si celle-ci n’a pas fait l’objet de poursuite ou a Ă©tĂ© ensuite relaxĂ©e. Les personnes interpellĂ©es Ă  l’occasion de manifestations ou d’actions politiques sont donc dans le TAJ. Contenant environ 20 millions de fiches, le TAJ est un vĂ©ritable fourre-tout comprenant de nombreuses donnĂ©es incorrectes. Dans un rapport de 2019, des dĂ©putĂ©s pourtant de droite dĂ©nonçaient mĂȘme le dĂ©voiement de sa finalitĂ© premiĂšre « pour se rapprocher du rĂŽle du casier judiciaire Â» et que « le fait que le TAJ contienne de nombreuses informations inexactes (erreurs diverses, absence de prise en compte de suites judiciaires favorables par l’effacement des donnĂ©es ou l’ajout d’une mention) [puisse] en effet avoir des consĂ©quences extrĂȘmement lourdes pour les personnes concernĂ©es par une enquĂȘte administrative. 3Didier Paris, Pierre Morel-À-L’Huissier, Rapport d’information sur les fichiers mis Ă  la disposition des forces de sĂ©curitĂ©, 17 octobre 2018, page 58, URL : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_lois/l15b1335_rapport-information.pdf»

Il y a Ă©galement le fichier des personnes recherchĂ©es (FPR) contenant les cĂ©lĂšbres fiches S compilĂ©es de maniĂšre discrĂ©tionnaire par la police, le fichier des donnĂ©es relatives aux objets et vĂ©hicules volĂ©s ou signalĂ©s ainsi que le fichier d’information Schengen sur les personnes recherchĂ©es dans l’Union europĂ©enne. Mais ACCReD interroge aussi d’autres fichiers de renseignement politique comme le PASP et le GIPASP, contestĂ©s il y a quelques annĂ©es en justice pour leur champ extrĂȘmement large : opinions politiques, Ă©tat de santĂ©, activitĂ©s sur les rĂ©seaux sociaux ou encore convictions religieuses
 Ces fichiers ayant malgrĂ© tout Ă©tĂ© validĂ©s par le Conseil d’État, la police et la gendarmerie sont donc autorisĂ©es Ă  collecter de nombreuses informations sur les personnes « dont l’activitĂ© individuelle ou collective indique qu’elles peuvent porter atteinte Ă  la sĂ©curitĂ© publique ou Ă  la sĂ»retĂ© de l’État Â». Cette dĂ©finition large et floue permet en pratique de cibler de nombreuses personnes, et notamment des militant·es.

D’autres fichiers de renseignements sont interrogĂ©s mais ceux-ci sont classĂ©s secret-dĂ©fense ou font l’objet de dĂ©crets non publiĂ©s, ce qui signifie qu’il est impossible de savoir prĂ©cisĂ©ment ce qu’ils contiennent et qui y a accĂšs4L’ article 1er du dĂ©cret n°2007-914 du 15 mai 2007 liste l’ensemble des fichiers de renseignement qui ne font pas l’objet de publication. Il en est ainsi du fichier de traitement des signalements pour la prĂ©vention de la radicalisation Ă  caractĂšre terroriste (FSPRT), du fichier CRISTINA, (pour « centralisation du renseignement intĂ©rieur pour la sĂ©curitĂ© du territoire et des intĂ©rĂȘts nationaux Â») du fichier GESTEREXT (« Gestion du terrorisme et des extrĂ©mistes Ă  potentialitĂ© violente Â») gĂ©rĂ© par la Direction du renseignement de la PrĂ©fecture de Police de Paris (DRPP). Depuis fin 2023, l’extrait B2 du casier judiciaire, deux fichiers d’Interpol ainsi que deux fichiers de renseignement non publiĂ©s ont fait leur entrĂ©e dans ACCReD, en l’occurrence le fichier SIRCID (systĂšme d’information du renseignement de contre-ingĂ©rence de la dĂ©fense) et le fichier TREX de la Direction gĂ©nĂ©rale de la sĂ©curitĂ© extĂ©rieure (DGSE). Pour en savoir plus sur l’ensemble de ces fichiers, vous pouvez trouver des informations dans la brochure « La folle volontĂ© de tout contrĂŽler Â», qui propose Ă©galement des modĂšles de courriers pour demander Ă  accĂ©der Ă  ses donnĂ©es et faire supprimer des fiches.

On le comprend, Ă  travers la consultation de ces fichiers – aussi appelĂ© « criblage Â» – le SNEAS a accĂšs a une montagne d’informations. Si le nom de la personne apparaĂźt dans un ou plusieurs de ces fichiers, l’agent du service doit, en thĂ©orie, Ă©valuer Ă  partir des informations accessibles si son comportement ou ses agissements « sont de nature Ă  porter atteinte Ă  la sĂ©curitĂ© des personnes, Ă  la sĂ©curitĂ© publique ou Ă  la sĂ»retĂ© de l’État ». Si tel est le cas, il dĂ©livre un avis dĂ©favorable que l’organisateur de l’évĂšnement est obligĂ© de suivre et doit donc refuser d’employer la personne. Mais en pratique, il n’existe aucune information sur la maniĂšre dont cette Ă©valuation est faite ni sur les critĂšres utilisĂ©s pour Ă©valuer un tel « risque Â». Cette apprĂ©ciation se fait donc de maniĂšre opaque et arbitraire, sur la base d’une dĂ©finition large et floue, et la motivation du rejet ne sera jamais communiquĂ©e.

De plus, la loi prĂ©cise bien que les enquĂȘtes administratives ne peuvent pas concerner les spectateur·ices des grands Ă©vĂšnements. Pourtant, le prĂ©fet de police Laurent Nuñez a affirmĂ© lors d’une confĂ©rence de presse le 25 avril dernier que la prĂ©fecture avait « la possibilitĂ© de faire un certain nombre d’enquĂȘtes Â» sur les spectateur·ices de la cĂ©rĂ©monie d’ouverture. Le mĂ©dia AEF indique ainsi que l’entourage de Darmanin a Ă©voquĂ© « un criblage par la Direction du renseignement de la PrĂ©fecture de police (DRPP) de toute personne dont on pense sĂ©rieusement qu’elle prĂ©sente un problĂšme Â». En effet, puisque les spectateur·ices Ă©taient obligé·es de s’inscrire sur une plateforme, il Ă©tait possible de rĂ©cupĂ©rer leurs noms et de faire une enquĂȘte via des moyens dĂ©tournĂ©s. En l’occurrence, la DRPP est un service de renseignement dit du « second cercle Â», qui dispose de nombreuses attributions, parmi lesquelles la consultation de fichiers identiques Ă  ceux prĂ©sents dans dans le systĂšme ACCReD. Ainsi, l’article R234-4 du code de la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure lui permet de consulter le fichier TAJ et l’article R236-16 l’autorise Ă  accĂ©der au PASP, c’est Ă  dire les deux fichiers susceptibles de contenir des informations sur les activitĂ©s politiques. Au nom des Jeux Olympiques, l’État et la prĂ©fecture de police contournent la loi et jouent avec le droit pour Ă©tendre toujours plus leur contrĂŽle.

Une discrimination politique inédite

Alors que ce « criblage Â» a concernĂ© des centaines de milliers de personnes, des rĂ©cits relatifs Ă  des refus d’accrĂ©ditation ont commencĂ© Ă  Ă©merger ces derniĂšres semaines. Il en ressort que la principale cause potentielle de la mise Ă  l’écart de certaines personnes rĂ©side dans leur activitĂ© militante, Ă  l’instar de LĂ©on, intermittent du spectacle dont le tĂ©moignage a Ă©tĂ© publiĂ© par Mediapart. Nous avons donc lancĂ© un appel Ă  tĂ©moignages, et ceux-ci se sont avĂ©rĂ©s nombreux. En voici quelques-uns (tous les prĂ©noms ont Ă©tĂ© modifiĂ©s).

Jeanne est secouriste bĂ©nĂ©vole et l’association dont elle fait partie a Ă©tĂ© sollicitĂ©e pour les JO. Jeanne s’est donc proposĂ©e pour se mobiliser une semaine. En parallĂšle, elle milite contre le dĂ©rĂšglement climatique depuis plusieurs annĂ©es et a notamment participĂ© Ă  diffĂ©rentes actions de dĂ©sobĂ©issance civile au cours desquelles elle s’est fait arrĂȘter par la police, sans jamais ĂȘtre poursuivie ni condamnĂ©e. DĂ©but juin, le prĂ©sident de l’antenne locale de son association de secourisme a reçu une lettre de refus de l’organisation des JO. Elle ne pourra pas exercer comme secouriste durant les JO, malgrĂ© la demande.

Marc est salariĂ© d’un opĂ©rateur de transport et devait travailler pendant les JO pour les dĂ©pĂŽts de bus des accrĂ©ditĂ©s et athlĂštes. Mais Marc fait partie d’Extinction Rebellion. Il a Ă©tĂ© contrĂŽlĂ© en manifestation et a participĂ© Ă  des actions de dĂ©sobĂ©issance civile, ce qui l’a menĂ© Ă  ĂȘtre arrĂȘtĂ© et gardĂ© Ă  vue deux fois. Il est le seul des 300 personnes de son employeur mobilisĂ©es sur ces sites Ă  s’ĂȘtre vu refuser son accrĂ©ditation.

Simon devait travailler pour l’accueil du public dans un stade oĂč il y a des Ă©preuves des JO. Il avait dĂ©jĂ  reçu son emploi du temps lorsqu’il a reçu son refus d’accrĂ©ditation le 12 juillet dernier. Par le passĂ©, il a Ă©tĂ© reconnu coupable pour entrave Ă  la circulation dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes, mais a Ă©tĂ© dispensĂ© de peine. Il milite Ă©galement au sein d’Extinction Rebellion et des SoulĂšvements de la Terre.

Juliette est une militante qui a subi quelques gardes Ă  vue dans le cadre de manifestations. Poursuivie une fois, elle a Ă©tĂ© relaxĂ©e avec un stage de citoyennetĂ©. Elle devait ĂȘtre bĂ©nĂ©vole en secourisme, mais n’a jamais reçu son autorisation, quand le reste des membres de son association l’ont eue.

Mathieu travaille depuis plusieurs annĂ©es pour une chaĂźne de tĂ©lĂ©vision comme opĂ©rateur de prise de vue. Il a militĂ© pendant plus d’une dizaine d’annĂ©es dans des associations de chĂŽmeurs avec lesquelles il a fait des actions d’occupation, ce qui l’a conduit Ă  des interpellations et des gardes Ă  vue il y a plus de 10 ans. Plus rĂ©cemment, en 2020, il a Ă©tĂ© envoyĂ© par une chaĂźne afin de filmer les militant·es d’Alternatiba lors de l’envahissement du tarmac de Roissy. Il a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© avec elles et eux, et malgrĂ© sa lettre de mission et l’intervention de l’avocat de la chaĂźne, il a fait 12 heures de garde Ă  vue. Depuis 2023, il se voit dĂ©sormais refuser l’entrĂ©e des ministĂšres au sein desquels il doit filmer, alors qu’il l’a fait pendant 20 ans. Pour les JO, il reçoit le mĂȘme traitement de faveur : un avis dĂ©favorable du SNEAS qui l’empĂȘche d’accĂ©der au Paris Media Center. MĂȘme si son employeur est comprĂ©hensif, il est nĂ©anmoins beaucoup moins appelĂ© qu’auparavant pour des missions de travail.

Camille devait travailler pendant les Jeux et animer des visites pour les touristes, via un opĂ©rateur affiliĂ© Ă  Paris 2024. Elle participe Ă  des activitĂ©s de dĂ©sobĂ©issance civile depuis une petite annĂ©e. Son identitĂ© a Ă©tĂ© relevĂ©e par les policiers au cours d’une de ces actions. Son nom a aussi Ă©tĂ© utilisĂ© pour dĂ©clarer une manifestation dĂ©nonçant les violences sexistes et sexuelles devant une Ă©cole de commerce, oĂč Ă©taient prĂ©sents des agents des renseignements territoriaux. Elle a Ă©tĂ© prĂ©venue la derniĂšre semaine de juin qu’elle ne pourrait pas travailler pendant les JO. Elle n’a jamais obtenu de rĂ©ponse de la part de l’adresse mail indiquĂ©e Ă  laquelle elle a Ă©crit pour contester.

Thomas, professionnel de l’audiovisuel, avait obtenu un contrat pour participer Ă  la rĂ©alisation des Jeux afin d’opĂ©rer une prestation technique complexe. DĂ©but juillet, il est extrĂȘmement surpris quand il reçoit un refus d’accrĂ©ditation. Il n’a jamais eu aucune interaction avec la police Ă  part pour une altercation en voiture, il y a longtemps. Il Ă©volue dans un cercle amical militant et a participĂ© il y a quelques annĂ©es Ă  des actions et rĂ©unions d’Extinction Rebellion, sans en avoir Ă©tĂ© organisateur. Il soupçonne donc ĂȘtre dans un fichier de renseignement.

Loris travaille pour l’hĂŽtel de luxe du Collectionneur, dans lequel le comitĂ© international olympique rĂ©side pour les JO. Loris est dĂ©lĂ©guĂ© Syndical CGT et participe aux nĂ©gociations annuelles qui ont lieu en ce moment. Mais il ne peut plus se rendre Ă  l’hĂŽtel – et donc nĂ©gocier – depuis qu’il a reçu un avis nĂ©gatif du SNEAS. Par le passĂ©, il avait Ă©tĂ© interpellĂ© et contrĂŽlĂ© par la police dans le cadre de sa participation Ă  la dĂ©fense de la cause armĂ©nienne. La CGT a publiĂ© un communiquĂ© dĂ©nonçant cette situation inĂ©dite.

ThĂ©o, intermittent du spectacle, devait effectuer une mission de dix jours en tant que technicien afin d’installer les systĂšmes de sonorisation de la cĂ©rĂ©monie d’ouverture. Il ne fait pas partie d’une association en particulier, mais a participĂ© Ă  un certain nombre de manifestations. Il a Ă©tĂ© interpellĂ© l’annĂ©e derniĂšre lors des arrestations massives ayant eu lieu pendant le mouvement contre la rĂ©forme des retraites. Il est ressorti sans poursuite, mais il n’a pas pu travailler, faute d’avis favorable. Une situation trĂšs proche de celle d’Elie, Ă©galement technicien son. Pour sa part, il avait fait une garde Ă  vue aprĂšs une manifestation Ă©tudiante le lendemain de l’annonce du recours au 49-3. Elie a aussi pu ĂȘtre arrĂȘtĂ© – sans poursuite – au cours de free parties.

Une criminalisation aux conséquences concrÚtes

Au regard des situations dĂ©crites ci-dessus, il semble trĂšs probable que le SNEAS ait eu pour consigne d’écarter toute les personnes ayant un lien avec des actions militantes, sans une quelconque forme de nuance. La plupart d’entre elles se sont vu notifier abruptement cette dĂ©cision, sans aucun moyen de la contester ou de faire un recours. Pour toutes ces personnes – et toutes les autres qui seraient concernĂ©es – un tel refus signifie faire une croix sur une mission, sur une activitĂ© souhaitĂ©e, et pour la majoritĂ© sur de l’argent sur lequel elles comptaient pour vivre. C’est aussi devoir se justifier et dĂ©voiler sa vie privĂ©e Ă  la structure qui les emploie ou celle oĂč elles exercent, pour expliquer un tel avis dĂ©favorable, et risquer d’autres consĂ©quences futures. Enfin, c’est comprendre qu’elles se retrouvent « marquĂ©es Â» comme de potentiel·les dĂ©linquant·es ou en tout cas comme une source de risques pour la sĂ©curitĂ©.

Surtout, ces tĂ©moignages dĂ©voilent non seulement l’ampleur de l’édifice de fichage qui s’est construit petit Ă  petit mais Ă©galement les potentielles applications concrĂštes de discrimination Ă  une Ă©chelle importante. CouplĂ©e aux mĂ©canismes « d’exception Â» dĂ©veloppĂ©s en rĂ©action aux attentats des annĂ©es 2010 – dont les « grands Ă©vĂšnements Â» font partie – cette accumulation d’information sur la population permet de façon bien concrĂšte d’écarter des personnes de la sociĂ©tĂ©, en tant qu’« ennemis d’État Â».

Au sein de La Quadrature du Net, nous avons connaissance de ces dispositifs, nous en suivons les terribles Ă©volutions et nous en documentons les risques de potentielles utilisations liberticides. Ici c’est une application massive et plus que dangereuse qui s’est concrĂ©tisĂ©e au prĂ©texte de sĂ©curiser les Jeux Olympiques. Le systĂšme tentaculaire du contrĂŽle policier et de la multiplication des fichiers de police montre une nouvelle efficacitĂ© : ĂȘtre en capacitĂ© – Ă  trĂšs grande Ă©chelle – d’exclure, isoler, contraindre des individus et de les priver de leurs libertĂ©s en dehors de tout cadre judiciaire et par des dĂ©cisions administratives arbitraires. Cela peut se faire en dehors de toute condamnation passĂ©e ou dans une forme de « double peine Â» possible Ă  vie pour des condamnations pourtant trĂšs limitĂ©es. Loin de toute mesure supposĂ©ment « ciblĂ©e Â» – comme le gouvernement aime le laisser entendre – il s’agit bel et bien d’une surveillance massive de la population sur laquelle est opĂ©rĂ©e un tri arbitraire et politique.

Cette discrimination politique s’accompagne de la rĂ©pression et de l’invisibilisation de toute forme de critique des Jeux Olympiques. Des personnes ont Ă©tĂ© assignĂ©es Ă  rĂ©sidence, des manifestations ont Ă©tĂ© interdites sur le parcours de la flamme, des militant·es ont Ă©tĂ© arrĂȘté·es notamment pour avoir collĂ© des stickers dans le mĂ©tro ou ont Ă©tĂ© considĂ©ré·es comme saboteurices pour des bottes de paille, tandis que des journalistes ont Ă©tĂ© placĂ©s en garde Ă  vue pour avoir couvert une visite symbolique des dĂ©gĂąts causĂ©s par les Jeux en Seine-Saint-Denis, organisĂ©e par Saccage 2024. Cette rĂ©pression inquiĂ©tante s’inscrit dans la continuitĂ© des discours et des volontĂ©s politiques visant Ă  criminaliser toute forme d’activisme.

En rĂ©gime reprĂ©sentatif, la critique du pouvoir et de ses institutions par des actions militantes est la condition de tout rĂ©el processus dĂ©mocratique. Pourtant, en France, les formes de contestation – chaque jour plus essentielles au regard des urgences liĂ©es au dĂ©rĂšglement climatique et Ă  la rĂ©surgence forte des idĂ©es racistes – sont de plus en plus rĂ©primĂ©es, quels que soient leurs modes d’expression (manifestation, dĂ©sobĂ©issance civile, blocage, expression sur les rĂ©seaux sociaux
). Cette modification rapide et brutale de la maniĂšre dont sont perçues et bloquĂ©es des actions de contestation, qui Ă©taient depuis toujours tolĂ©rĂ©es et mĂȘme Ă©coutĂ©es par les pouvoirs publics, renverse l’équilibre voulu en dĂ©mocratie. Quand tout le monde ou presque peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une menace potentielle, quand on doit questionner ses opinions politiques pour obtenir un emploi, quand il apparaĂźt acceptable que l’État en sache toujours plus sur sa population au nom d’un risque pour la sĂ©curitĂ© qui est prĂ©sentĂ© comme permanent et impĂ©rieux, comment se prĂ©tendre encore du camp dĂ©mocratique ?

MalgrĂ© une machine rĂ©pressive lancĂ©e Ă  pleine vitesse, malgrĂ© l’inquiĂ©tude lĂ©gitime, il est nĂ©anmoins toujours plus urgent et crucial de continuer Ă  militer, de continuer Ă  organiser des actions pour se faire entendre. Cela demeure la meilleure mĂ©thode pour dĂ©noncer les abus de pouvoirs et les dĂ©rives liberticides aujourd’hui amplifiĂ©es au nom de « l’esprit olympique Â».

References[+]

References
↑1 Voir la DĂ©libĂ©ration CNIL n°2019-06, 11 juillet 2019, portant avis sur un projet de dĂ©cret modifiant le dĂ©cret n°2017- 1224 du 3 aoĂ»t 2017 portant crĂ©ation d’un traitement automatisĂ© de donnĂ©es Ă  caractĂšre personnel dĂ©nommĂ© « Automatisation de la consultation centralisĂ©e de renseignements et de donnĂ©es Â» (ACCReD), accessible ici
↑2 Voir la liste complĂšte Ă  l’article R.211-32 du code de la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure
↑3 Didier Paris, Pierre Morel-À-L’Huissier, Rapport d’information sur les fichiers mis Ă  la disposition des forces de sĂ©curitĂ©, 17 octobre 2018, page 58, URL : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_lois/l15b1335_rapport-information.pdf
↑4 L’ article 1er du dĂ©cret n°2007-914 du 15 mai 2007 liste l’ensemble des fichiers de renseignement qui ne font pas l’objet de publication

LĂ©gislatives : la surveillance sur un plateau brun

Par : noemie
28 juin 2024 Ă  06:14

Alors que le choix d’Emmanuel Macron de dissoudre l’AssemblĂ©e nationale au lendemain des Ă©lections europĂ©ennes risque de renforcer le poids de l’extrĂȘme droite, nous partageons l’inquiĂ©tude exprimĂ©e par beaucoup face au risque important que ce tremblement de terre politique fait peser sur la dĂ©mocratie et les libertĂ©s. L’idĂ©ologie du Rassemblement National, entiĂšrement tournĂ©e vers la crĂ©ation de droits diffĂ©renciĂ©s sur des fondements racistes et rĂ©actionnaires, ne peut exister sans une structure de pouvoir forte et centralisĂ©e. C’est pourquoi nous ne doutons pas qu’un gouvernement d’extrĂȘme droite utilisera et renforcera la surveillance de la population pour exercer son pouvoir. Il aura, par exemple, besoin du fichage pour identifier les personnes Ă  qui retirer des droits, de l’écosystĂšme de surveillance pour traquer les personnes qu’il veut expulser, maltraiter ou enfermer ou encore des lois de censure et coercitives pour faire taire les oppositions anti-fascistes.

Il n’a pas fallu attendre le parti lepĂ©niste pour que la surveillance autoritaire s’installe dans notre quotidien. Cette derniĂšre dĂ©cennie, au nom de « l’efficacitĂ© Â», de la « crise Â» ou encore de « l’urgence Â», François Hollande puis Emmanuel Macron ont adoptĂ© – avec le soutien de la droite et l’extrĂȘme droite – de nombreuses mesures sĂ©curitaires et multipliĂ© les dispositifs de surveillance tout en Ă©cartant les garde-fous et contre-pouvoirs. Des gouvernements se disant modĂ©rĂ©s ont systĂ©matiquement justifiĂ© la lĂ©galisation des technologies de surveillance, au motif qu’elles Ă©taient adoptĂ©es dans un cadre dĂ©mocratique et seraient « correctement Â» utilisĂ©es. Il s’agit Ă©videmment d’un aveuglement dangereux.

Par essence, les outils de surveillance ne sont jamais neutres dĂšs lors qu’ils donnent Ă  un État la capacitĂ© de connaĂźtre, et donc de contrĂŽler, sa population. DĂšs leur crĂ©ation, ils portent en eux un objectif de dĂ©tecter les « signaux faibles Â» et trouver « l’ennemi intĂ©rieur Â». Les dĂ©rives discriminantes font intĂ©gralement partie de la logique de ces technologies mais sont exacerbĂ©es lorsque celles-ci sont dans les mains de l’extrĂȘme droite. Ainsi, comme nous l’avions expliquĂ©, l’édifice du fichage policier, pensĂ© en France dĂšs la fin du XIXe siĂšcle et construit petit Ă  petit pendant plusieurs dĂ©cennies, Ă©tait dĂ©jĂ  mĂ»r lorsque le rĂ©gime de Vichy a Ă©tĂ© instaurĂ© en 1940. La possibilitĂ© que ces fichiers servent Ă  identifier et arrĂȘter des personnes Ă©tait en rĂ©alitĂ© intrinsĂšque Ă  ce systĂšme et il a simplement suffit au pouvoir pĂ©tainiste d’en ajuster les usages.

Les mĂȘmes logiques aveugles se rĂ©pĂštent. Les gouvernements successifs ont depuis vingt ans installĂ© et banalisĂ© les outils qui serviront Ă  l’extrĂȘme droite pour mettre en oeuvre le monde sĂ©grĂ©guĂ©, injuste et autoritaire pour lequel elle milite depuis des annĂ©es.

Une administration toute puissante

Le premier point de bascule est sans aucun doute l’état d’urgence de 2015. Il a bouleversĂ© le fonctionnement de l’État de droit en modifiant les Ă©quilibres historiques des institutions. Le rĂŽle des juges judiciaires, censĂ©s ĂȘtre les seuls Ă  pouvoir restreindre les libertĂ©s individuelles selon la Constitution, a Ă©tĂ© rĂ©duit au profit du rĂŽle confiĂ© Ă  l’administration, au prĂ©texte que celle-ci pourrait agir plus vite. De nombreux abus ont Ă©tĂ© constatĂ©s lors de l’état d’urgence avec l’utilisation de mesures visant massivement des personnes musulmanes ou des activistes Ă©cologistes. Ce rĂ©gime d’exception a Ă©tĂ© prolongĂ© par la loi « renforçant la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure et la lutte contre le terrorisme Â» (SILT) de 2017, qui l’a fait entrer dans le droit commun. DĂ©sormais, le ministre de l’intĂ©rieur peut demander des assignations Ă  rĂ©sidence ou des interdiction de paraĂźtre, au nom de la prĂ©vention du terrorisme, avec une simple information Ă  un procureur.

Ce renforcement des pouvoirs de l’administration s’est propagĂ© au-delĂ  du cadre anti-terroriste. Petit Ă  petit, depuis 2015, elle a rĂ©activĂ© ou obtenu de nombreux pouvoirs. Il est ainsi devenu de plus en plus frĂ©quent que des prĂ©fets interdisent des manifestations ou des interventions au nom de l’ordre public. Depuis 2023, ils ont Ă©galement la possibilitĂ© d’utiliser des drones de surveillance ou, depuis 2021 au nom de la loi SĂ©paratisme, de priver des associations de leurs subventions. Depuis la loi sur les Jeux olympiques et paralympiques de 2023, ils peuvent Ă©galement expĂ©rimenter la vidĂ©osurveillance algorithmique. Pouvons-nous sĂ©rieusement imaginer qu’un gouvernement d’extrĂȘme droite se privera d’utiliser ces larges pouvoirs ? Assignation Ă  rĂ©sidence de militant·es de gauche, multiplication des drones au dessus des quartiers populaires ou encore interdiction d’évĂšnements antiracistes, les prĂ©fets nommĂ©s par le RN auront de nombreux leviers rĂ©pressifs Ă  leurs disposition.

Le ministre de l’intĂ©rieur a, quant Ă  lui, rĂ©investi la possibilitĂ© de dissoudre des associations. Avant mĂȘme la rĂ©forme lĂ©gislative ouvrant une Ăšre de dissolutions massives, le ministre de l’intĂ©rieur a commencĂ© par des organisations musulmanes telles que le CCIF, puis il s’est attaquĂ© aux groupes d’extrĂȘme gauche comme le Bloc lorrain ou la DĂ©fense collective Ă  Rennes. Des dissolutions que Jordan Bardella a promis d’amplifier encore davantage.

Une justice affaiblie

L’augmentation des pouvoirs de l’administration s’est accompagnĂ©e d’une remise en cause des principes fondateurs de la justice. Avec la crĂ©ation de l’amende forfaitaire dĂ©lictuelle, le juge judiciaire a ainsi Ă©tĂ© mis Ă  l’écart dans un domaine qui lui Ă©tait initialement rĂ©servĂ©. Depuis 2016, le lĂ©gislateur peut prĂ©voir que, pour certaines infractions, les poursuites pĂ©nales s’arrĂȘteront automatiquement lorsque la personne poursuivie paye une amende. Autrement dit, la police peut dĂ©sormais faire pression sur les personnes en leur proposant un choix cornĂ©lien : faire valoir leurs droits devant un juge ou s’acquitter de quelques centaines d’euros pour s’arrĂȘter lĂ . Ces derniĂšres annĂ©es, les dĂ©lits concernĂ©s par l’amende forfaitaire dĂ©lictuelle ont Ă©tĂ© considĂ©rablement Ă©largis, avec par exemple la consommation de stupĂ©fiants ou, pendant le confinement en 2020, le fait de sortir de chez soi sans attestation.

Mais c’est surtout sur internet que ce contournement du juge a Ă©tĂ© le plus assumĂ©. Depuis 2014 et une loi portĂ©e par Bernard Cazeneuve, la police peut exiger seule que des sites internet retirent des contenus qu’elle estime ĂȘtre Ă  caractĂšre « terroriste Â». Alors que nous avons toujours dĂ©noncĂ© les risques de censure politique et d’arbitraire de ce mĂ©canisme confiĂ© Ă  l’administration, en l’occurrence l’Office anti-cybercriminalitĂ©, nos craintes ont Ă©tĂ© confirmĂ©es Ă  plusieurs reprises. DĂ©sormais, les plateformes en ligne et les rĂ©seaux sociaux vont jusqu’à collaborer activement avec le gouvernement quand celui-ci leur demande de retirer des contenus. Ainsi, lors des Ă©meutes de l’étĂ© 2023, le ministĂšre de l’intĂ©rieur a « convoquĂ© Â» certains rĂ©seaux sociaux, et Snapchat a publiquement admis avoir retirĂ© des contenus sur demande du gouvernement et en dehors de toute procĂ©dure lĂ©gale. Pire : lorsque Gabriel Attal a pris la dĂ©cision illĂ©gale de censurer le rĂ©seau social Tiktok en Nouvelle CalĂ©donie, au motif que cette plateforme aurait jouĂ© un rĂŽle dans les Ă©meutes sur l’üle, il a instaurĂ© un prĂ©cĂ©dent inĂ©dit d’atteinte Ă  la libertĂ© d’expression que nos institutions ont Ă©chouĂ© Ă  empĂȘcher. On pressent alors comment une censure des critiques contre l’extrĂȘme droite pourrait ĂȘtre facilitĂ©e par cet Ă©tat des choses.

Technopolice partout

En parallĂšle, les capacitĂ©s de surveillance de la police ont Ă©tĂ© Ă©normĂ©ment renforcĂ©es. Le nombre de fichiers (crĂ©Ă©s par simple dĂ©cret) a explosĂ©, leur accĂšs s’est Ă©largi et le contrĂŽle des abus est quasi inexistant (la LOPMI de 2022 a mĂȘme enlevĂ© l’exigence formelle d’habilitation pour les consulter). La prise de signalĂ©tique (ADN, empreintes digitales et photo du visage) ainsi que la demande de code de dĂ©verrouillage du tĂ©lĂ©phone sont devenues systĂ©matiques pour faire pression sur les personnes gardĂ©es Ă  vue, bien que cela soit gĂ©nĂ©ralement illĂ©gal car dĂ©corrĂ©lĂ© de toute infraction annexe. Par ailleurs, l’exploitation de ces informations peut dĂ©sormais ĂȘtre faite dans la rue, via des tablettes mobiles permettant aux gendarmes et policiers d’accentuer le harcĂšlement des personnes contrĂŽlĂ©es.

Les technologies aussi ont Ă©voluĂ© : la reconnaissance faciale s’est banalisĂ©e et est frĂ©quemment utilisĂ©e dans les procĂ©dures judiciaires Ă  travers le fichier TAJ, des logiciels d’analyse des mĂ©tadonnĂ©es permettent de crĂ©er trĂšs facilement des graphes sociaux et de pister les habitudes des personnes, les logiciels espions peuvent dĂ©sormais ĂȘtre utilisĂ©s pour activer Ă  distance la fonction de gĂ©olocalisation d’un appareil mobile, et la police dispose de plus en plus d’outils de surveillance en source ouverte (OSINT). Par ailleurs, depuis 2016, cette derniĂšre est autorisĂ©e Ă  utiliser des techniques encore plus intrusives comme la sonorisation des lieux, la captation des donnĂ©es informatiques, les IMSI catchers, la captation d’images ou l’infiltration dans les procĂ©dures liĂ©es Ă  la « criminalitĂ© organisĂ©e Â». Cette catĂ©gorie recouvre des infractions trĂšs larges, et fut notamment invoquĂ©e pour poursuivre des militants Ă©cologistes qui ont bloquĂ© une cimenterie Lafarge, ou pour justifier l’arrestation de militants indĂ©pendantistes kanaks en juin 2024.

Les services de renseignement ne sont pas en reste depuis la formalisation de leurs pouvoirs de surveillance par la loi Renseignement de 2015. Nous avons ainsi dĂ©noncĂ© le fait que cette loi lĂ©galise la possibilitĂ© d’utiliser de nombreux moyens de surveillance intrusifs, pour des finalitĂ©s trĂšs larges, et notamment la surveillance des militant·es. Ces possibilitĂ©s d’abus se sont concrĂ©tisĂ©es au fur et Ă  mesure des annĂ©es, au travers par exemple de la surveillance des gilets jaunes, ou de divers cas oĂč des militant·es ont retrouvĂ© du matĂ©riel de surveillance les visant (on pourra citer en exemple la camĂ©ra cachĂ©e devant l’espace autogĂ©rĂ© des Tanneries Ă  Dijon, le micro dans une librairie anarchiste Ă  Paris, ou la balise GPS sous la voiture de Julien Le Guet du collectif Bassines Non Merci).

Dans son rapport d’activitĂ© pour l’annĂ©e 2022, la Commission nationale de contrĂŽle des techniques de renseignement (CNCTR) s’est d’ailleurs inquiĂ©tĂ©e de l’accroissement de la surveillance des militants. Elle a Ă©galement alertĂ© sur l’insuffisance de ses capacitĂ©s de contrĂŽle, qui l’empĂȘche de suivre les derniĂšres Ă©volutions technologiques, notamment s’agissant des spywares et autres intrusions informatiques Ă  distance.

Enfin, des prĂ©cĂ©dents dangereux ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©s avec l’élargissement continu de la justice d’exception applicable en matiĂšre de terrorisme, et l’implication grandissante des services antiterroristes dans des affaires politiques. L’affaire dite du « 8 dĂ©cembre Â» est un triste exemple : la dĂ©cision rendue fin dĂ©cembre 2023 par le tribunal correctionnel de Paris confirme que des militant·es de gauche peuvent ĂȘtre poursuivis et condamné·es pour association de malfaiteurs Ă  caractĂšre terroriste sur la base de suspicions d’intention, sans projet avĂ©rĂ©, et que protĂ©ger ses communications peut ĂȘtre utilisĂ© comme une preuve de « comportement clandestin Â» pour justifier la condamnation.

La surveillance et la rĂ©pression des mouvements militants, Ă©cologistes ou anti-autoritaires notamment, n’est plus une crainte, mais une rĂ©alitĂ©, d’autant qu’elle est accompagnĂ©e depuis plusieurs annĂ©es d’un discours nourri visant Ă  criminaliser toute forme de contestation en dehors du simple cadre Ă©lectoral (actions syndicales, manifestations de rue, etc.). Elle n’en serait que pire sous une majoritĂ© RN.

Des gardes-fous illusoires

On le comprend, les dispositifs de surveillance et de rĂ©pression sont dĂ©jĂ  lĂ  et les gardes-fous institutionnels et politiques ne permettent plus de freiner les volontĂ©s politiques autoritaires. Nous le constatons avec dĂ©pit depuis des annĂ©es : le droit n’empĂȘche pas l’installation massive de technologies de surveillance sur la population. Le Conseil d’État a validĂ© la lĂ©galitĂ© de quasiment tous les fichiers de police qui ont ont Ă©tĂ© contestĂ©s devant lui, y compris le fichage politique et religieux du PASP et du GIPASP.

Le Conseil constitutionnel, quant Ă  lui, estime quasi systĂ©matiquement que les lois protĂšgent suffisamment les libertĂ©s, le plus souvent en reportant le contrĂŽle au cas par cas sur d’autres instances, comme les tribunaux administratifs, incapable de prĂ©venir des abus systĂ©miques dans l’usage de mesures de surveillance. Ce report du contrĂŽle de lĂ©galitĂ© par le Conseil constitutionnel au juge administratif a Ă©galement pour consĂ©quence de faire peser la charge de la contestation lĂ©gale sur la sociĂ©tĂ© civile ou les personnes victimes de cette recrudescence de surveillance, qui doivent aller en justice pour demander le respect des libertĂ©s. Sans grand succĂšs, il faut bien l’admettre, vu le faible nombre de victoires.

Enfin, sur le plan matĂ©riel, les autoritĂ©s administratives indĂ©pendantes comme la CNCTR ou la CNIL ne peuvent raisonnablement pas contrĂŽler chaque action des forces de l’ordre et des services de renseignement. Concernant le cas particulier de la CNIL, on constate Ă©galement chez elle une absence de courage politique qui explique son inaction, voire une volontĂ© d’aider le gouvernement Ă  lĂ©galiser de nouvelles mesures de surveillance comme ce fut le cas des drones ou de la VSA.

Si le constat a de quoi effrayer, il est loin d’ĂȘtre Ă©tonnant. Cela fait des annĂ©es qu’associations, juristes, universitaires, militant·es de terrain alertent sur ce lent dĂ©pĂ©rissement de l’État de droit. Il suffit dĂ©sormais au Rassemblement National de marcher dans les pas des gouvernements prĂ©cĂ©dents et de se servir de l’arsenal lĂ©gislatif dĂ©jĂ  existant. Son programme est profondĂ©ment raciste, sexiste et LGBT-phobe et ne cache mĂȘme plus son ambition de rĂ©duire les libertĂ©s et les droits individuels. Nous n’osons mĂȘme pas nous figurer la facilitĂ© avec laquelle ce parti aurait Ă  mettre en place ses mesures autoritaires et ses politiques de restriction des droits dĂšs lors qu’il disposera des dispositifs mis en place ces derniĂšres annĂ©es.

Face Ă  cette menace, nous appelons Ă  la mobilisation pour ne pas voir ces outils de surveillance et de rĂ©pression tomber dans les mains du Rassemblement National, ni laisser l’occasion aux « extrĂȘmes-centristes Â» d’Emmanuel Macron de dĂ©truire les derniers garde-fous de l’État de droit. Nous appelons Ă  militer et Ă  voter massivement contre la droite et l’extrĂȘme droite aux prochaines lĂ©gislatives.

Faites interdire la vidĂ©osurveillance algorithmique dans votre ville !

Par : noemie
18 juin 2024 Ă  09:09

Alors que les expĂ©rimentations de vidĂ©osurveillance algorithmique (VSA) continuent d’ĂȘtre demandĂ©es et dĂ©ployĂ©es par les prĂ©fectures – pendant le festival de Cannes ou Ă  Roland-Garros par exemple -, nous lançons la deuxiĂšme phase de notre campagne de lutte contre l’empire de la surveillance ! Comme nous croyons que la mobilisation au niveau local est le moyen le plus pertinent et le plus puissant pour repousser l’envahissement de la surveillance, nous avons pensĂ© de nouveaux outils pour aider les habitant·es des villes de France Ă  se battre contre la VSA dans leur commune.

Il y a quelques semaines, nous avons annoncĂ© notre plan de bataille visant Ă  dĂ©noncer l’hypocrisie derriĂšre l’expansion de la surveillance algorithmique de l’espace public. En effet, les Jeux Olympiques sont instrumentalisĂ©s pour accĂ©lĂ©rer l’agenda politique des institutions et des instances policiĂšres qui souhaitent ajouter aux camĂ©ras des logiciels permettant d’analyser nos faits et gestes dans la rue. Les expĂ©rimentations « officielles Â» de cette technologies ont dĂ©butĂ© en avril dernier. Elles ont eu lieu Ă  l’occasion d’evenements festifs, que nous recensons sur notre outil collaboratif, le « CarrĂ© Â». Pour la plupart, il s’agit d’opportunitĂ©s pratiques pour tester ces technologies dĂ©corrĂ©lĂ©es de risques de sĂ©curitĂ© concrets. En tĂ©moignent les justifications des autorisations prĂ©fectorales, qui prĂ©tendent expliquer le choix de surveiller le mĂ©tro parisien dans le cadre d’un concert par une guerre Ă  l’autre bout du monde ou un attentat ayant eu lieu il y a plusieurs annĂ©es. Ces motifs sont copiĂ©es/collĂ©es au grĂ© des arrĂȘtĂ©s dĂ©montrant l’absence totale d’efforts des prĂ©fectures Ă  contextualiser l’utilisation de cette technologie.

De plus, depuis que la « loi sur les Jeux Olympiques et Paralympiques Â» a crĂ©Ă© un premier rĂ©gime juridique de la VSA dans le droit français, les promoteurs de la surveillance n’hĂ©sitent pas Ă  mettre en avant un soit disant « respect du cadre lĂ©gal Â». Il ne faut y voir rien d’autre qu’un Ă©cran de fumĂ©e puisque de trĂšs nombreux projets de surveillance continuent de prospĂ©rer en toute illĂ©galitĂ© : qu’il s’agisse du programme Prevent PCP mis en Ɠuvre dans des gares par la SNCF, ou des entreprises privĂ©es qui continuent de vendre leurs logiciels de VSA Ă  des villes – telles que ThalĂšs Ă  Reims ou Briefcam Ă  Brest -, ces initiatives locales multiples sont tolĂ©rĂ©es par les pouvoirs publics. Pour approfondir sur la situation actuelle, nous avons rassemblĂ© et synthĂ©tisĂ© dans une brochure (disponible ici) les informations nĂ©cessaires pour comprendre ce qu’est la VSA, les raisons de son dĂ©ploiement et le projet politique cohĂ©rent qui se dessine derriĂšre ses utilisations pour le moment temporaires. N’hĂ©sitez pas Ă  la lire, l’imprimer et la diffuser !

DĂ©sormais, avec cette nouvelle phase de notre campagne, nous vous proposons de passer Ă  l’action ! Si l’arrivĂ©e de la VSA est poussĂ©e par des instances nationales et les industriels de la surveillance, nous pouvons la contrer en nous y opposant de façon dĂ©localisĂ©e et dĂ©multipliĂ©e Ă  travers toute la France. La ville de Montpellier a ainsi adoptĂ© en 2022 une rĂ©solution interdisant la surveillance biomĂ©trique dans les rues, s’inscrivant dans la dynamique lancĂ© par des villes Ă©tats-uniennes telles que Boston ou Austin qui avaient Ă©galement avaient refusĂ© de surveiller leurs habitant·es avec des outils d’analyse biomĂ©trique.

Nous vous appelons donc Ă  rejoindre cet Ă©lan et Ă  porter le combat dans votre ville ! Pour cela, nous avons conçu et mis Ă  disposition plusieurs outils sur cette page. Tout d’abord, vous trouverez une lettre-type Ă  envoyer pour demander Ă  votre maire de s’engager Ă  ne jamais installer de vidĂ©osurveillance algorithmique dans votre ville. Il ne s’agit que d’un modĂšle, vous pouvez Ă©videmment l’adapter ou faire votre propre courrier.

Si vous tapez le nom de votre commune, vous pourrez tĂ©lĂ©charger plusieurs Ă©lĂ©ments de communication dĂ©clinĂ©s au nom de l’endroit ou vous vivez ! Nous vous proposons aussi bien un flyer Ă  distribuer pour informer et alerter les personnes sur la VSA que des affiches Ă  coller dans les rues pour visibiliser ce combat. Aussi, vous pourrez fabriquer un visuel Ă  partager sur les rĂ©seaux sociaux afin de rendre visible la demande d’interdiction de la VSA que vous avez faite Ă  votre maire ! N’hĂ©sitez pas Ă  la faire Ă  titre individuel ou avec un collectif de votre ville et Ă  nous tenir au courant. Nous listerons ensuite sur notre site les communes qui auront Ă©tĂ© contactĂ©es dans le cadre de cette mobilisation !

L’objectif est simple : ensemble, nous pouvons dĂ©montrer qu’il existe une opposition populaire forte contre la surveillance de nos rues. En multipliant les actions dans les villes de France, nous pourrons battre en brĂšche le discours sĂ©curitaire dominant qui prĂ©sente ces technologies d’analyse de nos faits et gestes comme nĂ©cessaires et leur installation inĂ©luctable. Au contraire, nous pouvons tĂ©moigner ensemble de notre refus collectif d’une surveillance policiĂšre constante, et dĂ©fendre la ville comme espace de crĂ©ation, de libertĂ© et de soin. Rejoignez la mobilisation, demandez l’interdiction de la VSA dans votre ville !

Proposition de loi « ingĂ©rences Ă©trangĂšres Â», une nouvelle Ă©tape dans l’escalade sĂ©curitaire

Par : noemie
30 mai 2024 Ă  10:13

CommuniquĂ© de l’Observatoire des libertĂ©s et du numĂ©rique (OLN), Paris, le 29 mai 2024.

L’Observatoire des LibertĂ©s et du NumĂ©rique demande aux parlementaires de s’opposer Ă  l’extension des finalitĂ©s des boĂźtes noires de renseignement inscrite dans la proposition de loi « ingĂ©rences Ă©trangĂšres Â».

« L’ingĂ©rence Ă©trangĂšre Â», un Ă©niĂšme prĂ©texte Ă  l’extension de la surveillance de masse

La proposition de loi « PrĂ©venir les ingĂ©rences Ă©trangĂšres en France» , prĂ©sentĂ©e par le dĂ©putĂ© Sacha HouliĂ© avec le soutien du camp prĂ©sidentiel, a Ă©tĂ© adoptĂ©e par l’AssemblĂ©e Nationale (27 mars) et le SĂ©nat (22 mai) avec le soutien des partis Les RĂ©publicains et Rassemblement national – alliĂ©s naturels du gouvernement pour les lois sĂ©curitaires, mais ici, avec Ă©galement le soutien du PS et d’EELV.

L’objectif affichĂ© de cette loi est de limiter les intrusions d’autres Etats via l’espionnage et les manipulations pour contraindre les intĂ©rĂȘts gĂ©opolitiques de la France. Mais, alors que le gouvernement dispose dĂ©jĂ  de nombreux outils pour Ă©viter ces intrusions, ce texte fraĂźchement adoptĂ© ne peut qu’inquiĂ©ter. En effet, ces dispositions pourraient avoir pour consĂ©quence de soumettre des associations d’intĂ©rĂȘt public Ɠuvrant pour l’intĂ©rĂȘt collectif Ă  des obligations de dĂ©claration des subventions de fondations Ă©trangĂšres, renforçant ainsi les possibilitĂ©s de contrĂŽle gouvernemental.

Par ailleurs, dans une logique constante de solutionnisme technologique, le texte promeut l’extension d’une technique de renseignement dite de l’algorithme de dĂ©tection ou « boĂźte noire de renseignement Â».

Des gardes fous toujours remis en cause

Cette technique a Ă©tĂ© instaurĂ©e par la loi renseignement de 2015 et nos organisations s’y Ă©taient alors fermement opposĂ©es. Elle implique, en effet, la nĂ©cessaire surveillance de l’intĂ©gralitĂ© des Ă©lĂ©ments techniques de toutes les communications de la population (qui contacte qui ? quand ? comment ? voire pourquoi ?), qu’elles soient tĂ©lĂ©phoniques ou sur internet, tout cela pour poursuivre l’objectif de dĂ©tecter automatiquement des profils effectuant un certain nombre d’actions dĂ©terminĂ©es comme Ă©tant « suspectes Â». Ces profils seront ensuite ciblĂ©s et plus spĂ©cifiquement suivis par des agents du renseignement. Cette technique agit donc Ă  la maniĂšre d’un Ă©norme « filet de pĂȘche Â», jetĂ© sur l’ensemble des personnes rĂ©sidant en France, la largeur de maille Ă©tant dĂ©terminĂ©e par le gouvernement.

En raison de son caractĂšre hautement liberticide, cette mesure avait Ă©tĂ© limitĂ©e Ă  la stricte lutte contre le risque terroriste et instaurĂ©e de façon expĂ©rimentale pour quelques annĂ©es avec des obligations d’évaluation. MalgrĂ© des rĂ©sultats qui semblent peu convaincants et des rapports d’évaluation manquants, cette technique a, depuis, Ă©tĂ© pĂ©rennisĂ©e et explicitement Ă©largie Ă  l’analyse des adresses web des sites Internet.

Un dévoiement des finalités

L’OLN dĂ©nonçait dĂ©jĂ  les risques induits par l’utilisation de ce dispositif avec la finalitĂ© de « lutte contre le terrorisme Â», notamment en raison de l’amplitude de ce que peut recouvrir la qualification de terrorisme, notion du reste non dĂ©finie dans le texte.

L’actualitĂ© vient confirmer nos craintes et l’on ne compte plus les usages particuliĂšrement prĂ©occupants de cette notion : dĂ©signation « d’écoterroristes Â» pour des actions sans atteinte aux personnes, multiples poursuites pour « apologie du terrorisme Â» , pour des demandes de cessez-le-feu et des propos liĂ©s Ă  l’autodĂ©termination du peuple palestinien, condamnations pour une prĂ©paration de projet terroriste sans qu’un projet n’ait pu ĂȘtre Ă©tabli par l’accusation.

Cette proposition de loi Ă©largira cette technique de l’algorithme Ă  deux nouvelles finalitĂ©s de renseignement :

1° L’indĂ©pendance nationale, l’intĂ©gritĂ© du territoire et la dĂ©fense nationale ;

2° Les intĂ©rĂȘts majeurs de la politique Ă©trangĂšre, l’exĂ©cution des engagements europĂ©ens et internationaux de la France et la prĂ©vention de toute forme d’ingĂ©rence Ă©trangĂšre ;

LĂ  encore, la dĂ©finition des finalitĂ©s est bien trop vague, sujette Ă  de trĂšs larges interprĂ©tations, pouvant inclure les actions suivantes : militer contre des accords de libre-Ă©change, lutter contre des projets pĂ©troliers, soutien aux migrants, remettre en cause les ventes d’armement ou les interventions militaires de la France


Un encadrement bien limité

Si un contrĂŽle thĂ©orique de ses finalitĂ©s doit ĂȘtre opĂ©rĂ© par la Commission Nationale de ContrĂŽle des Techniques de Renseignement (CNCTR), ses avis peuvent ne pas ĂȘtre suivis.

De mĂȘme, si la proposition de loi est, lĂ  encore, prĂ©vue pour une phase « expĂ©rimentale Â» pendant 4 ans et avec des obligations de documentation, peu de doutes sont permis sur ce qu’il adviendra, au vu des prĂ©cĂ©dents sur le sujet.

Un Ă©largissement des « techniques spĂ©ciales d’enquĂȘte Â»

Dans le cadre de ce nouveau texte sĂ©curitaire, le SĂ©nat en a aussi profitĂ© pour aggraver le barĂšme des peines et crĂ©er une nouvelle circonstance aggravante dite « gĂ©nĂ©rale Â» applicable Ă  l’ensemble des infractions [au mĂȘme titre que l’usage de la cryptologie
] permettant de monter d’un palier la peine de prison encourue (3 Ă  6, 5 Ă  7, 7 Ă  10
) dĂšs que l’infraction est commise « dans le but de servir les intĂ©rĂȘts d’une puissance Ă©trangĂšre, d’une entreprise ou d’une organisation Ă©trangĂšre, ou sous contrĂŽle Ă©tranger Â». Cette aggravation de peine permettra l’utilisation des techniques spĂ©ciales d’enquĂȘte, soit les intrusions les plus graves dans la vie privĂ©e (Ă©coutes tĂ©lĂ©phoniques, balises GPS, la prise de contrĂŽle d’appareil, hacking informatique
). LĂ  oĂč ces techniques Ă©taient censĂ©es n’ĂȘtre utilisĂ©es que pour les crimes les plus graves, elles sont, texte aprĂšs texte, Ă©tendues Ă  un nombre toujours plus important d’infractions.

Quelle lutte contre quelles ingĂ©rences ?

Le Gouvernement ne ferait-il pas mieux de s’inquiĂ©ter de certaines ingĂ©rences Ă©trangĂšres bien rĂ©elles, telles que la captation des donnĂ©es de santĂ© des Français exploitĂ©es par les autoritĂ©s Ă©tasuniennes dans le cadre du Health Data Hub, d’autres captations frauduleuses par les entreprises du numĂ©rique amĂ©ricaines ou encore la vente de technologies de pointe par des sociĂ©tĂ©s Ă©trangĂšres, notamment israĂ©liennes, comme PEGASUS, permettant de surveiller des personnalitĂ©s politiques françaises au plus haut niveau ?

Des outils terrifiants au service d’un pouvoir qui continue sa fuite en avant autoritaire

Les boĂźtes noires comme les autres techniques d’intrusion du renseignement offrent des possibilitĂ©s terrifiantes, qu’elles soient prĂ©vues par la loi ou utilisĂ©es abusivement. Cette dĂ©multiplication des capacitĂ©s de surveillance participe Ă  l’actuelle dĂ©rive autoritaire d’un pouvoir qui se crispe face aux contestations pourtant lĂ©gitimes de sa politique antisociale et climaticide et devrait toutes et tous nous inquiĂ©ter alors que les idĂ©es les plus rĂ©actionnaires et de contrĂŽle des populations s’intensifient chaque jour un peu plus.

Espérer un retour à la raison

EspĂ©rant un retour Ă  la raison et Ă  la primautĂ© des libertĂ©s publiques, passant par la fin de la dĂ©rive sĂ©curitaire et de son terrible « effet cliquet Â» nous appelons la Commission mixte paritaire qui aura Ă  se prononcer sur ce texte puis les parlementaires Ă  rejeter l’article 4 (Ă©largissement du barĂšme de peine et techniques spĂ©ciales d’enquĂȘte) et l’article 3 (Ă©largissement des finalitĂ©s des boites noires) de cette proposition de loi, et, a minima, Ă  s’en tenir Ă  une restriction d’utilisation de cette technique Ă  des cas beaucoup plus prĂ©cis et dĂ©finis (par exemple au risque d’attentat causant des atteintes Ă  la vie et les ingĂ©rences Ă©trangĂšres graves telles qu’envisagĂ©es aux articles 411-1 Ă  -8 du Code pĂ©nal).

Organisations signataires membres de l’OLN : le CECIL, Globenet, Creis-Terminal, la Ligue des droits de l’Homme (LDH), le Syndicat des Avocats de France (SAF), le Syndicat de la Magistrature (SM), La Quadrature du Net (LQDN).

La Quadrature du Net attaque en justice le blocage de TikTok en Nouvelle-Calédonie

Par : noemie
17 mai 2024 Ă  06:16

Par un rĂ©fĂ©rĂ©-libertĂ© dĂ©posĂ© ce jour, La Quadrature du Net demande au Conseil d’État la suspension de la dĂ©cision du Premier ministre Gabriel Attal de bloquer en Nouvelle-CalĂ©donie la plateforme TikTok. Par cette dĂ©cision de blocage, le gouvernement porte un coup inĂ©dit et particuliĂšrement grave Ă  la libertĂ© d’expression en ligne, que ni le contexte local ni la toxicitĂ© de la plateforme ne peuvent justifier dans un État de droit.

Les réflexes autoritaires du gouvernement

Alors que la situation en Nouvelle-CalĂ©donie atteint un stade dramatique, aprĂšs trois ans de crise, et que le dialogue politique semble rompu suite Ă  la dĂ©cision du gouvernement et du Parlement de modifier les rĂšgles d’accession au collĂšge Ă©lectoral au dĂ©triment des indĂ©pendantistes kanaks, le gouvernement a dĂ©cidĂ© de revenir Ă  de vieux rĂ©flexes autoritaires et coloniaux. Outre l’envoi de forces armĂ©es, il a ainsi choisi de bloquer purement et simplement la plateforme TikTok sur le territoire de Nouvelle-CalĂ©donie. Selon Numerama, le premier ministre justifie cette mesure « en raison des ingĂ©rences et de la manipulation dont fait l’objet la plateforme dont la maison mĂšre est chinoise Â», ajoutant que l’application serait « utilisĂ©e en tant que support de diffusion de dĂ©sinformation sur les rĂ©seaux sociaux, alimentĂ© par des pays Ă©trangers, et relayĂ© par les Ă©meutiers Â».

Or, pour mettre en Ɠuvre cette censure, quoi de mieux qu’une des lois d’exception dont le gouvernement systĂ©matise l’usage ces derniĂšres annĂ©es ? En dĂ©clarant l’état d’urgence en Nouvelle-CalĂ©donie, le gouvernement s’est autorisĂ© Ă  expĂ©rimenter un article de la loi de 1955, ajoutĂ© en 2017 : la possibilitĂ© de bloquer les plateformes en ligne « provoquant Ă  la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie Â».

Personne n’est dupe : en rĂ©alitĂ©, le blocage de TikTok n’est absolument pas justifiĂ© par une quelconque prĂ©sence sur la plateforme de contenus terroristes, mais bien par le fait qu’il s’agit d’une plateforme centrale dans l’expression en ligne des personnes qui en viennent aujourd’hui Ă  se rĂ©volter. Cette dĂ©cision de s’en prendre aux moyens de communication lors de moments de contestation violente – une premiĂšre dans l’Union europĂ©enne et qui paraĂźt digne des rĂ©gimes russe ou turc, rĂ©guliĂšrement condamnĂ©s par la CEDH pour atteintes Ă  la libertĂ© d’expression1TrĂšs logiquement, nous nous appuyons donc dans notre recours sur les prĂ©cĂ©dents jurisprudentiels de la CEDH sanctionnant ces deux pays en raison des atteintes Ă  la libertĂ© d’expression contraires Ă  la Convention europĂ©enne des droits de l’homme. – a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© Ă©prouvĂ©e l’annĂ©e derniĂšre, aprĂšs la mort de Nahel Merzouk.

À l’étĂ© 2023, Emmanuel Macron avait exprimĂ© son souhait de pouvoir bloquer les rĂ©seaux sociaux lors de moments de crise. Le prĂ©sident de la RĂ©publique s’était alors lancĂ© dans une vĂ©ritable course Ă  l’échalote autoritaire contre les plateformes en ligne, blĂąmant les jeux vidĂ©os, puis les rĂ©seaux sociaux qu’il voulait alors pouvoir bloquer et sur lesquels il voulait accentuer la fin gĂ©nĂ©ralisĂ©e de l’anonymat en ligne (dĂ©jĂ  bien amochĂ© en pratique). À ce moment-lĂ , les plateformes avaient rĂ©pondu prĂ©sentes pour censurer les contenus relatifs aux Ă©vĂšnements et aux violences dans les banlieues. Nous avions alors dĂ©noncĂ© cette collaboration entre plateformes privĂ©es et pouvoirs publics, unis pour brimer la libertĂ© d’expression au nom du « retour de l’ordre Â» (voir notre analyse). Aujourd’hui le gouvernement persiste et signe dans sa volontĂ© de mettre au pas les moyens de communications, cette fois-ci en choisissant la voie explicitement autoritaire : le blocage total.

La Nouvelle-CalĂ©donie, terrain d’expĂ©rimentation

La dĂ©cision de bloquer TikTok en Nouvelle-CalĂ©donie constitue pour le gouvernement une premiĂšre mise en pratique du programme macroniste de censure en ligne annoncĂ© l’étĂ© dernier. L’occasion paraĂźt idĂ©ale pour le pouvoir : d’une part du fait du relatif dĂ©sintĂ©rĂȘt des mĂ©dias français pour l’archipel (il aura fallu attendre plusieurs jours, et notamment un premier mort parmi les habitant·es, pour que la presse en mĂ©tropole commence Ă  traiter de l’actualitĂ© calĂ©donienne) et d’autre part parce que ce territoire dispose de rĂšgles juridiques diffĂ©rentes, notamment vis-Ă -vis du droit de l’Union europĂ©enne. De cette maniĂšre, le gouvernement croit pouvoir Ă©teindre la rĂ©volte sans rĂ©pondre aux griefs de manifestants, en refusant d’aborder la question du rĂŽle de la rĂ©forme constitutionnelle sur les Ă©lections calĂ©doniennes dans le malaise de la population kanak.

L’objectif de cette dĂ©cision de censure consiste avant tout Ă  Ă©touffer l’expression d’une rĂ©volte. Elle constitue aussi un ballon d’essai avant une possible gĂ©nĂ©ralisation de ce type de mesure. De ce point de vue, le contexte politique semble favorable. Dans un rĂ©cent rapport faisant suite aux rĂ©voltes urbaines de 2023, la commission des Lois du SĂ©nat ne demandait rien d’autre que ce qui est en train d’ĂȘtre appliquĂ© en Nouvelle-CalĂ©donie : le blocage des rĂ©seaux sociaux et des sanctions plus dures contre les personnes les ayant utilisĂ©s lors des rĂ©voltes d’une partie de la jeunesse des quartiers populaires l’an dernier.

Lutter contre la surenchĂšre autoritaire

Par notre recours en rĂ©fĂ©rĂ© dĂ©posĂ© ce jour, nous tentons donc de stopper une machine autoritaire lancĂ©e Ă  pleine vitesse. Ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas de dĂ©fendre TikTok, une plateforme dont la toxicitĂ© avĂ©rĂ©e commence Ă  ĂȘtre prise en compte par le lĂ©gislateur. Mais les pouvoirs publics restent obnubilĂ©s par la nationalitĂ© chinoise des dĂ©tenteurs des capitaux de la plateforme, alors qu’au fond pas grand-chose ne sĂ©pare le modĂšle de TikTok de celui d’Instagram, de Snapchat ou d’autres rĂ©seaux dominants. Au-delĂ  de TikTok et de la tutelle exercĂ©e par le rĂ©gime chinois, c’est l’ensemble de l’économie politique liĂ©e Ă  ces rĂ©seaux sociaux centralisĂ©s, fondĂ©s sur la collecte et l’exploitation massive des donnĂ©es des utilisateurices, organisĂ©s autour d’algorithmes et d’interfaces toxiques, qu’il convient de dĂ©manteler. C’est notamment pour promouvoir des alternatives favorables Ă  la libertĂ© d’expression et protectrices des droits que nous appelons Ă  imposer l’interopĂ©rabilitĂ© des rĂ©seaux sociaux.

Par ce recours, il s’agit de dĂ©noncer haut et fort cette mesure autoritaire inĂ©dite dans un rĂ©gime qui se prĂ©tend dĂ©mocratique, mais aussi d’empĂȘcher que ces dĂ©sirs de contrĂŽle puissent trouver une quelconque lĂ©gitimitĂ© politique ou juridique Ă  l’avenir. Alors que la loi visant Ă  sĂ©curiser et rĂ©guler l’espace numĂ©rique (SREN) a Ă©tĂ© votĂ©e et promet une large remise en question de l’anonymat en ligne et une plus grande censure administrative, alors que la lutte contre le terrorisme sert plus que jamais de prĂ©texte Ă  Ă©touffer l’expression en ligne et les contestations, il faut continuer Ă  agir.

Dans ce contexte, La Quadrature a d’autant plus besoin de vous. Le recours que nous avons dĂ©posĂ© aujourd’hui ne serait pas possible sans votre soutien. Rejoignez-nous dans nos combats, pour ne pas rester silencieux.euses face aux attaques autoritaires du gouvernement. Et si vous le pouvez, faites-nous un don sur https://www.laquadrature.net/donner/

References[+]

References
↑1 TrĂšs logiquement, nous nous appuyons donc dans notre recours sur les prĂ©cĂ©dents jurisprudentiels de la CEDH sanctionnant ces deux pays en raison des atteintes Ă  la libertĂ© d’expression contraires Ă  la Convention europĂ©enne des droits de l’homme.

VSA : l’AssemblĂ©e discute dĂ©jĂ  son extension aux transports

Par : noemie
14 mai 2024 Ă  07:43

Alors que les expĂ©rimentations de vidĂ©osurveillance algorithmique (VSA) prĂ©vues par la loi relative aux Jeux Olympiques ont Ă  peine dĂ©butĂ© et qu’aucune Ă©valuation n’a encore Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e, le gouvernement passe dĂ©jĂ  Ă  la vitesse supĂ©rieure. Mercredi 15 mai, la commission des lois de l’AssemblĂ©e va discuter d’une proposition de loi visant Ă  lĂ©galiser une nouvelle forme de VSA, en utilisant cette fois-ci comme excuse la sĂ©curitĂ© dans les transports. DerriĂšre ce texte passĂ© presque inaperçu se cache une nouvelle avancĂ©e sĂ©curitaire mais surtout un agenda politique assumĂ© : celui de la gĂ©nĂ©ralisation sur le long terme des technologies de surveillance algorithmique des espaces publics. Le rapporteur ClĂ©ment Beaune a refusĂ© de nous auditionner. Pourtant nous aurions eu beaucoup Ă  lui dire sur les dangers de cette technologie et les contradictions du gouvernement qui trahit sans scrupule les promesses formulĂ©es il n’y a mĂȘme pas un an.

Vous vous souvenez de la loi SĂ©curitĂ© globale ? Voici sa petite sƓur, la proposition de loi « relative au renforcement de la sĂ»retĂ© dans les transports Â». AdoptĂ©e en fĂ©vrier par le SĂ©nat, ce texte propose les pires projets sĂ©curitaires : captation du son dans les wagons, pĂ©rennisation des camĂ©ras-piĂ©tons pour les agent·es et extension aux chauffeur·euses de bus, autorisation donnĂ©e aux rĂ©gies de transports pour traiter des donnĂ©es sensibles (ce qui permettrait de collecter des donnĂ©es liĂ©es Ă  l’origine raciale, les donnĂ©es de santĂ© ou encore les opinions religieuses et politiques) ou encore transmission directe au ministĂšre public des procĂšs-verbaux d’infractions commises dans les transports.

Expérimenter pour banaliser et légitimer

Mais surtout, cette proposition de loi envisage une nouvelle expĂ©rimentation de la vidĂ©osurveillance algorithmique jusqu’en 2027. Son article 9 est un quasi copiĂ©-collĂ© de l’article 10 de la loi relative aux Jeux olympiques adoptĂ©e l’annĂ©e derniĂšre et qui prĂ©voyait l’utilisation d’algorithmes de reconnaissance de comportements dans un cadre soit-disant « expĂ©rimental Â» pour tout Ă©vĂšnement rĂ©crĂ©atif, sportif et culturel. Alors que les premiers dĂ©ploiements ont Ă  peine commencĂ©, que des sĂ©nateur·rices ont constatĂ© dans un rĂ©cent rapport que ces dispositifs ne seront pas suffisamment opĂ©rationnels pour les JO de Paris et que l’évaluation prĂ©vue par la loi n’a pas encore Ă©tĂ© faite, ce nouveau texte discutĂ© demain propose de rendre lĂ©gal un autre type de logiciel d’analyse de flux vidĂ©os.

En l’occurrence, il s’agirait d’autoriser des traitements de donnĂ©es ayant pour but d’« extraire et exporter les images Â» rĂ©quisitionnĂ©es par la police dans le cadre d’enquĂȘtes pĂ©nales. DerriĂšre cette formule floue, nous devinons qu’il s’agit en rĂ©alitĂ© des algorithmes de VSA dits « a posteriori Â» dont nous documentons l’usage depuis des annĂ©es dans le cadre de l’initiative Technopolice.

En effet, s’il est trĂšs facile d’effectuer une recherche dans un document texte, la tĂąche s’avĂšre plus compliquĂ©e et chronophage lorsqu’il s’agit d’effectuer une recherche dans un flux vidĂ©o. La VSA « a posteriori Â» permet d’ automatiser des recherches dans des archives vidĂ©o. Comme nous l’expliquons dans notre brochure dĂ©taillĂ©e publiĂ©e dĂ©but mai, cela consiste Ă  lancer des requĂȘtes de reconnaissance d’image afin de faire remonter l’ensemble des bandes vidĂ©os correspondant Ă  certains critĂšres thĂ©matiques comme dĂ©tecter l’ensemble des hommes portant un t-shirt jaune et un pantalon noir repĂ©rĂ©s dans une zone gĂ©ographique donnĂ©e durant les derniĂšres 24h. ConcrĂštement, cela permet de retracer le parcours de quelqu’un dans une ville. La VSA peut Ă©galement raccourcir le temps de visionnage en condensant des heures ou des jours de vidĂ©os en quelques minutes. Le rĂŽle de la VSA dans cet usage est de sĂ©lectionner les passages susceptibles d’intĂ©resser la police et de faire une ellipse sur le reste du temps de vidĂ©o. Cette technologie repose sur l’analyse et le tri des caractĂ©ristiques biomĂ©triques des personnes, ce qui la rend totalement illĂ©gale.

Le plus connu des logiciels permettant de tels usages est celui de Briefcam, une entreprise israĂ©lienne rachetĂ©e par le groupe japonais Canon. Pas moins de 200 villes françaises seraient dotĂ©es de sa technologie de VSA, qui permet aussi de faire de la reconnaissance faciale. Le manuel d’utilisation que nous avons obtenu ainsi que les vidĂ©os promotionnelles1 Voir notamment cette vidĂ©o Ă  partir de 3:12 sont parlantes quant aux capacitĂ©s de ces algorithmes de tri et de catĂ©gorisation des personnes, considĂ©rĂ©s comme de simples « objets Â».

Comme toute technologie de VSA, elle permet Ă  la police d’augmenter son contrĂŽle de l’espace public, rĂ©duisant ainsi l’anonymat et les libertĂ©s que l’on y exerce. Mais la VSA Ă©tend Ă©galement les logiques policiĂšres en les automatisant. Toute dĂ©cision opĂ©rĂ©e sur le logiciel ne fait que reflĂ©ter un choix humain, en l’occurrence celui des policiers, et gĂ©nĂ©ralise les habitudes qu’ils ont en matiĂšre de surveillance de l’espace public. Qu’il s’agisse des critĂšres physiques choisis pour mettre en Ɠuvre des filtres de tri et de repĂ©rage (par exemple, un homme vĂȘtu d’un jogging et d’une casquette), des lieux ciblĂ©s par cette analyse (abords d’un lieu militant ou quartier populaire
) ou encore de la fonctionnalitĂ© choisie (pour retrouver le parcours de quelqu’un ou pour ne repĂ©rer qu’une certaine catĂ©gorie de personne), chacune des utilisations de cette VSA renforce des pratiques policiĂšres discriminantes et crĂ©Ă© un risque supplĂ©mentaire de surveillance.

Une hypocrisie de plus : lĂ©galiser l’illĂ©gal

Bien que ces logiciels soient massivement utilisĂ©s par la police dans de nombreuses villes de France, et ce en toute illĂ©galitĂ©, la proposition de loi discutĂ©e ce mercredi cantonne « l’expĂ©rimentation Â» aux transports pour trois ans. En pratique, seules la RATP ou la SNCF seront donc autorisĂ©es par la loi Ă  avoir recours Ă  ces algorithmes, et uniquement pour rĂ©pondre Ă  des rĂ©quisitions d’enregistrements dans le cadre d’enquĂȘtes pĂ©nales. PlutĂŽt que de condamner ces utilisations illĂ©gales et massives de VSA, le gouvernement a donc choisi de les lĂ©gitimer au travers d’un texte qui semble en apparence circonscrit et proportionnĂ©. Comme pour la loi relative aux Jeux Olympiques, le gouvernement souhaite avancer par « petit pas Â» pour mettre en Ɠuvre sa stratĂ©gie de lĂ©galisation, en concentrant l’attention sur un spectre rĂ©duit d’usages encadrĂ©s par des lois « expĂ©rimentales Â».

Usages de la VSA

Ces cadres « expĂ©rimentaux Â» permettent de donner l’apparence d’un aspect Ă©phĂ©mĂšre et rĂ©versible pour construire l’acceptabilitĂ© sociale d’une technologie autoritaire. Mais il ne fait que peu de doute que ces dispositifs seront soit pĂ©rennisĂ©s soit Ă©tendus Ă  de nouveaux usages L’arrivĂ©e de ce texte, un an Ă  peine aprĂšs celui de la loi JO, en est le meilleur exemple. Il n’est d’ailleurs pas Ă©tonnant que les transports aient Ă©tĂ© choisis pour mettre en application cette nouvelle accĂ©lĂ©ration. En effet, ceux-ci jouent un rĂŽle moteur dans la promotion de la VSA en France. En 2022, la CNIL avait lancĂ© une consultation publique sur le sujet et les contributions de la RATP et de la SNCF Ă©taient Ă©loquentes quant Ă  leurs intentions de surveillance.

Aussi, comme l’a rappelĂ© Mediapart, la SNCF expĂ©rimente rĂ©guliĂšrement depuis 2017, de façon totalement illĂ©gale, plusieurs logiciels de surveillance dans les gares achetĂ©s auprĂšs de plusieurs entreprises. DĂ©but mai, nous avons dĂ©noncĂ© Ă  la CNIL un de ces programmes illĂ©gaux mis en Ɠuvre par la SNCF, Prevent PCP, qui vise Ă  faire de la filature automatisĂ©e de personnes dans les gares, sur la base de leurs attributs physiques et biomĂ©triques, sous prĂ©texte de retrouver les personnes qui abandonneraient un bagage en gare. Quant Ă  la RATP, elle a expĂ©rimentĂ© la vidĂ©osurveillance algorithmique dans ses rames et sur ses quais avec Evitech et Wintics. Bref, la proposition de loi apparaĂźt taillĂ©e sur mesure pour lĂ©galiser une partie des dispositifs de VSA d’ores et dĂ©jĂ  utilisĂ©s illĂ©galement par la SNCF ou la RATP.

Un Parlement instrumentalisé

Qu’il s’agisse de cette proposition de loi sur les transports ou de la loi relative aux Jeux olympiques adoptĂ©e en mai 2023, l’intention qui prĂ©side Ă  ces textes n’est pas d’engager une discussion sincĂšre sur l’utilitĂ© de la VSA, mais d’entĂ©riner des Ă©tats de fait. Le SĂ©nat et l’AssemblĂ©e nationale apparaissent alors comme de simples chambre d’enregistrement du gouvernement, qui trahit ses engagements et multiplie les manƓuvres rendant impossible un rĂ©el dĂ©bat parlementaire.

En effet, celui-ci n’a pas peur de s’asseoir sur ses promesses faites l’annĂ©e derniĂšre aux dĂ©puté·es et sĂ©nateur·ices. Lors des dĂ©bats sur la loi sur les Jeux Olympiques, aussi bien le rapporteur Guillaume Vuilletet que Gerald Darmanin assuraient mordicus aux parlementaires inquiets que de nombreuses garanties avaient Ă©tĂ© prĂ©vues, et notamment puisqu’il s’agissait d’une « expĂ©rimentation Â», que seul l’aboutissement d’un processus d’évaluation permettrait d’aller plus loin. Les modalitĂ©s de cet examen ont Ă©tĂ© prĂ©cisĂ©es par un dĂ©cret du 11 octobre 2023 et un comitĂ© a Ă©tĂ© nommĂ© pour rendre un rapport d’ici fin mars 2025. Mais ces gardes-fous, pourtant votĂ©s par la reprĂ©sentation nationale il y a un an, sont balayĂ©s d’un revers de main aujourd’hui : sans attendre ce rapport, le gouvernement prĂ©fĂšre avancer, en assumant avoir menti aux parlementaires.

D’autre part, le processus lĂ©gislatif qui entoure ce texte sur les transports dĂ©montre que le gouvernement refuse au Parlement les conditions d’un dĂ©bat serein et approfondi. Comme son nom l’indique, ce texte est une proposition de loi, c’est Ă  dire une initiative parlementaire et non gouvernementale, dĂ©posĂ©e en l’occurrence par Philippe Tabarot, un sĂ©nateur LR. Celui-ci n’est pas sans lien avec le sujet puisqu’il a Ă©tĂ© plusieurs annĂ©es Ă  la tĂȘte de la rĂ©gie des transports PACA puis vice-prĂ©sident de la Commission des transports de RĂ©gions de France.

Or, compte tenu du fait qu’il s’agit d’une proposition de loi de l’opposition, ce texte ne pouvait en thĂ©orie ĂȘtre transfĂ©rĂ© Ă  l’AssemblĂ©e qu’au travers d’une « niche Â» du parti LR. C’était sans compter la volontĂ© de l’exĂ©cutif de le mettre Ă  l’ordre du jour de son propre chef. En outre, le gouvernement n’a pas hĂ©sitĂ© Ă  recourir une fois de plus Ă  l’excuse des Jeux olympiques pour dĂ©clencher une procĂ©dure accĂ©lĂ©rĂ©e pour l’examen du loi, prĂ©textant que ce texte devait entrer en vigueur avant cet Ă©vĂšnement en juillet. Mais ce n’est pas tout. Alors que l’annĂ©e derniĂšre, pour la loi JO, le gouvernement avait au minimum posĂ© les conditions d’un examen parlementaire informĂ©, ici aucune Ă©tude d’impact, aucun avis de la CNIL, aucune explication de la technologie couverte par l’article 9 n’a Ă©tĂ© publiĂ©e ou transmise aux parlementaires.

Les dĂ©puté·es vont donc voter un texte sans comprendre les implications techniques et les consĂ©quences en termes de surveillance de cet usage de la VSA, qui sera trĂšs probablement minimisĂ©e et mal expliquĂ©e par le rapporteur ClĂ©ment Beaune. D’ailleurs, ce dernier ne semble pas disposĂ© Ă  un quelconque dĂ©bat : lorsque nous lui avons demandĂ© Ă  ĂȘtre auditionnĂ© afin d’en savoir plus sur le contenu de ce texte ainsi que pour alerter sur ses dangers, l’administration de l’AssemblĂ©e nationale a refusĂ©, prĂ©textant un « calendrier trop chargĂ© Â».

Faire passer un texte Ă  toute vitesse, faire primer l’opportunisme politique sur la transparence dĂ©mocratique et refuser d’écouter une association de dĂ©fense des droits qui travaille depuis des annĂ©es sur le sujet, c’est tout le jeu dĂ©mocratique qui est bafouĂ©. Une fois de plus, il n’y a aucune volontĂ© de la part des pouvoirs publics d’examiner sincĂšrement l’utilitĂ© ou les dangers de la VSA, et encore moins de dĂ©manteler l’infrastructure de surveillance illĂ©galement dĂ©ployĂ©e depuis des annĂ©es. En rĂ©alitĂ©, les intĂ©rĂȘts politiques et sĂ©curitaires priment et les garde-fous dĂ©mocratiques sont rĂ©duits Ă  de purs instruments cosmĂ©tiques.

Cette proposition de loi sur les transports constitue une Ă©tape de plus dans le dĂ©ploiement de la surveillance automatisĂ©e des rues, au bĂ©nĂ©fice de la police et des industriels de la Technopolice. Alors que le gouvernement ne s’embarrasse mĂȘme plus Ă  permettre les conditions d’un dĂ©bat parlementaire, mobilisons-nous ! Interpellez votre dĂ©puté·e sur ce texte ou bien crĂ©ez vous-mĂȘme la contestation dans votre ville ou votre dĂ©partement. Car Ă  cotĂ© de ces dĂ©bats lĂ©gislatifs, la VSA continue de s’installer de façon illĂ©gale Ă  travers le pays, souvent Ă  l’échelon des collectivitĂ© locales. Pour dĂ©noncer cette hypocrisie et refuser le projet de sociĂ©tĂ© de surveillance de l’espace public, nous avons lancĂ© un kit de mobilisation il y a deux semaines. Vous pouvez y trouver ressources, modes d’action et des affiches pour faire valoir une opposition populaire Ă  la VSA. Rejoignez la campagne sur www.laquadrature.net/vsa, et si vous le pouvez, faites un don sur www.laquadrature.net/donner !

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References
↑1 Voir notamment cette vidĂ©o Ă  partir de 3:12

La France crée un fichier des personnes trans

Par : noemie
30 janvier 2024 Ă  09:10

RĂ©vĂ©lĂ© et dĂ©noncĂ© par plusieurs associations de dĂ©fense des droits des personnes transgenres, un rĂ©cent arrĂȘtĂ© ministĂ©riel autorise la crĂ©ation d’un fichier de recensement des changements d’état civil. Accessible par la police et prĂ©sentĂ© comme une simplification administrative, ce texte aboutit en rĂ©alitĂ© Ă  la constitution d’un fichier plus que douteux, centralisant des donnĂ©es trĂšs sensibles, et propice Ă  de nombreuses dĂ©rives. Le choix de crĂ©er un tel fichier pose d’immenses problĂšmes aussi bien politiquement que juridiquement.

BrĂšve histoire du RNIPP

Comme beaucoup d’actes rĂ©glementaires pris en fin d’annĂ©e, l’arrĂȘtĂ© du 19 dĂ©cembre 2023 « portant crĂ©ation d’un traitement automatisĂ© de donnĂ©es Ă  caractĂšre personnel dĂ©nommĂ© « table de correspondance des noms et prĂ©noms Â» Â» aurait pu passer inaperçu. Il est pourtant d’une sensibilitĂ© extrĂȘme.

Avant d’en dĂ©tailler le contenu, revenons rapidement sur le contexte et l’origine de ce texte. Celui-ci dĂ©coule d’un autre acte rĂ©glementaire : un dĂ©cret-cadre de 2019 relatif Ă  l’utilisation du NumĂ©ro d’identification au rĂ©pertoire national des personnes physiques (NIR). Le NIR, c’est ce fameux numĂ©ro « de sĂ©curitĂ© sociale Â» attribuĂ© Ă  chaque personne Ă  sa naissance sur la base d’élĂ©ments d’état civil transmis par les mairies Ă  l’INSEE. Bien que, dans les annĂ©es 1970, le projet d’utiliser le NIR pour interconnecter des fichiers d’États ait inquiĂ©tĂ© et conduit Ă  la crĂ©ation de la CNIL, il est aujourd’hui largement utilisĂ© par les administrations fiscales, dans le domaine des prestations sociales, dans l’éducation ou encore la justice, ainsi que pour le recensement. Le NIR peut Ă©galement ĂȘtre consultĂ© au travers du rĂ©pertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP).

Si, en thĂ©orie, ce numĂ©ro devrait ĂȘtre trĂšs encadrĂ© et contrĂŽlĂ© par la CNIL, son utilisation est aujourd’hui trĂšs Ă©tendue, comme le dĂ©montre ce fameux dĂ©cret-cadre de 2019 qui recense la longue liste des traitements utilisant le NIR ou permettant la consultation du RNIPP. RĂ©guliĂšrement mis Ă  jour pour ajouter chaque nouveau traitement liĂ© au NIR ou RNIPP, le dĂ©cret a ainsi Ă©tĂ© modifiĂ© en octobre 2023 pour autoriser une nouvelle possibilitĂ© de consultation du RNIPP liĂ© au changement d’état civil. C’est donc cela que vient ensuite prĂ©ciser l’arrĂȘtĂ© de dĂ©cembre, objet de nos critiques.

Lorsqu’on lit le dĂ©cret et l’arrĂȘtĂ© ensemble, on comprend qu’il accorde aux services de police un accĂšs au RNIPP « pour la consultation des seules informations relatives Ă  l’identitĂ© des personnes ayant changĂ© de nom ou de prĂ©nom Â» en application du code civil, Ă  l’exclusion du NIR, et ce « aux fins de transmission ou de mise Ă  disposition de ces informations aux services compĂ©tents du ministĂšre de l’intĂ©rieur et des Ă©tablissements qui lui sont rattachĂ©s et de mise Ă  jour de cette identitĂ© dans les traitements de donnĂ©es Ă  caractĂšre personnel mis en Ɠuvre par eux ». Il s’agirait du premier accĂšs au RNIPP accordĂ© au ministĂšre de l’intĂ©rieur.

Un fichier de données sensibles


Dans ce nouveau fichier, seront ainsi enregistrĂ©es pendant six ans les donnĂ©es liĂ©es au changement d’état civil ayant lieu aprĂšs le 19 dĂ©cembre 2023 : les noms de famille antĂ©rieurs et postĂ©rieurs au changement de nom, les prĂ©noms antĂ©rieurs et postĂ©rieurs au changement de prĂ©nom, la date et le lieu de naissance, la date du changement de nom ou de prĂ©nom, le sexe et le cas Ă©chĂ©ant, la filiation.

Ces changements ne concernent pas l’utilisation d’un nom d’usage, tel que le nom de la personne avec qui l’on est marié·e, qui est le changement le plus courant. En pratique, de telles modifications d’état civil concerneraient deux principales situations : le changement de prĂ©nom lors d’une transition de genre ou le changement de nom et/ou prĂ©nom que des personnes dĂ©cident de « franciser Â», notamment aprĂšs une obtention de papiers. Si le fichier apparaĂźt comme un instrument de simplification administrative au premier regard, il constitue Ă©galement – comme l’ont dĂ©noncĂ© les associations de dĂ©fense des droits LGBTQI+ – un fichier recensant de fait les personnes trans et une partie des personnes immigrĂ©es.

D’un point de vue juridique, notre analyse nous conduit Ă  estimer que ce fichier contient des donnĂ©es dites « sensibles Â», car elles rĂ©vĂ©leraient « la prĂ©tendue origine raciale ou l’origine ethnique Â» ainsi que « des donnĂ©es concernant la santĂ© Â». La Cour de justice de l’Union europĂ©enne a rĂ©cemment Ă©tabli1Voir l’arrĂȘt de la CJUE, gr. ch., 1er aoĂ»t 2022, OT c. Vyriausioji tarnybin˙es etikos komisija, aff. C-184/20 que la dĂ©finition des donnĂ©es sensibles devait ĂȘtre interprĂ©tĂ©e de façon large et considĂšre que si des donnĂ©es personnelles sont susceptibles de dĂ©voiler, mĂȘme de maniĂšre indirecte, des informations sensibles concernant une personne, elles doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme des donnĂ©es sensibles. Dans cette mĂȘme dĂ©cision, la Cour ajoute ainsi que si les donnĂ©es traitĂ©es ne sont pas sensibles lorsqu’elles sont prises indĂ©pendamment mais que, par recoupement avec d’autres donnĂ©es (fait par le traitement ou par un tiers) elles peuvent malgrĂ© tout rĂ©vĂ©ler des informations sensibles sur les personnes concernĂ©es, alors elles doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme Ă©tant sensibles.

C’est exactement le cas ici : les noms et prĂ©noms ne sont pas des donnĂ©es sensibles, mais si une personne tierce a en parallĂšle l’information que ceux-ci ont Ă©tĂ© modifiĂ©s, elle peut, par recoupement, en dĂ©duire des informations sur la transidentitĂ© d’une personne (qui changerait de Julia Ă  FĂ©lix) ou son origine (qui passerait de Fayad Ă  Fayard pour reprendre l’exemple donnĂ© par l’État). Cette table de correspondance crĂ©e donc en rĂ©alitĂ© un traitement de donnĂ©es sensibles. Or celles-ci sont particuliĂšrement protĂ©gĂ©es par la loi. L’article 6 de la loi informatique et libertĂ©s de 1978 et l’article 9 du RGPD posent une interdiction de principe de traiter ces donnĂ©es et prĂ©voient un nombre limitĂ© d’exceptions l’autorisant. Pourtant, dans sa dĂ©libĂ©ration sur le dĂ©cret, d’ailleurs particuliĂšrement sommaire, la CNIL ne s’est pas penchĂ©e sur cette consĂ©quence indirecte mais prĂ©visible de crĂ©ation de donnĂ©es sensibles. Celles-ci seraient donc traitĂ©es en dehors des rĂšgles de protection des donnĂ©es personnelles.


à destination de la police

Ensuite, la raison d’ĂȘtre de ce fichier particuliĂšrement sensible interroge. La finalitĂ© avancĂ©e dans l’arrĂȘtĂ© est « la consultation de l’identitĂ© des personnes ayant changĂ© de nom ou de prĂ©nom en application des articles 60, 61 et 61-3-1 du code civil Â» et « la mise Ă  jour de cette identitĂ© dans les traitements de donnĂ©es Ă  caractĂšre personnel que [le ministre de l’intĂ©rieur] ou les Ă©tablissements publics qui lui sont rattachĂ©s mettent en Ɠuvre Â». En premiĂšre lecture, on pourrait imaginer qu’il s’agit de simple facilitĂ© de mise Ă  jour administrative. Pourtant, celle-ci diffĂšre des procĂ©dures existantes. En effet, aujourd’hui, lorsqu’une personne change de prĂ©nom et/ou de nom, la mairie ayant enregistrĂ© le changement d’état civil informe l’INSEE qui met Ă  jour le RNIPP et prĂ©vient les organismes sociaux et fiscaux (PĂŽle Emploi, les impĂŽts, la CPAM
). En parallĂšle, la personne concernĂ©e doit faire un certain nombre de procĂ©dures de modifications de son cotĂ© (carte d’identitĂ©, de sĂ©curitĂ© sociale, permis de conduire
)2L’Amicale Radicale des CafĂ©s Trans de Strasbourg a publiĂ© dans un billet de blog un rĂ©capitulatif de l’ensemble des dĂ©marches Ă  effectuer pour changer d’état civil en France..

Aucune administration n’a donc, Ă  aucun moment, accĂšs Ă  un fichier recensant les changements d’état civil puisque ces modifications sont faites de façon distribuĂ©e, soit Ă  l’initiative de l’INSEE soit Ă  celle de la personne concernĂ©e. Pourquoi ne pas en rester lĂ  ? La raison tient sans doute au fait qu’en rĂ©alitĂ©, ce fichier est un des instruments de surveillance de la police. La lecture des nombreux destinataires du traitement est Ă©loquente. Il s’agit des agents habilitĂ©s de la police nationale et de la gendarmerie nationale, des agents habilitĂ©s des services centraux du ministĂšre de l’IntĂ©rieur et des prĂ©fectures et sous-prĂ©fectures, des agents effectuant des enquĂȘtes administratives (pour des emplois publics ou demandes de sĂ©jour) ou des enquĂȘtes d’autorisation de voyage, ou encore de l’agence nationale des donnĂ©es de voyage, du commandement spĂ©cialisĂ© pour la sĂ©curitĂ© nuclĂ©aire et du conseil national des activitĂ©s privĂ©es de sĂ©curitĂ© (sĂ©curitĂ© privĂ©e qui a de plus en plus de pouvoir depuis la loi SĂ©curitĂ© globale
).

On le comprend alors : cette « table de correspondance Â» a pour unique but d’ĂȘtre consultĂ©e en parallĂšle d’autres fichiers de police, dont le nombre a explosĂ© depuis 20 ans (il y en aurait aujourd’hui plus d’une centaine3Le dernier dĂ©compte a Ă©tĂ© fait en 2018 dans un rapport parlementaire sur le sujet ) et dont les pĂ©rimĂštres ne cessent de s’élargir. Ainsi, par exemple, lorsqu’un agent de police contrĂŽle l’identitĂ© d’une personne, il ne consultera plus seulement le fichier de traitement des antĂ©cĂ©dents judiciaires (ou TAJ), mais Ă©galement ce fichier des personnes ayant changĂ© de nom : le premier lui permettra alors de connaĂźtre les antĂ©cĂ©dents de la personne, et le second de savoir si elle est trans ou Ă©trangĂšre.

Si les deux situations soulĂšvent des inquiĂ©tudes sĂ©rieuses, attardons-nous sur le cas des personnes trans. Elles seront outĂ©es de fait auprĂšs de la police qui aurait alors connaissance de leur deadname4Le lexique du site Wiki Trans dĂ©finit l’outing comme la rĂ©vĂ©lation « qu’une personne est trans (ou LGBTQIA+). L’outing ne doit JAMAIS se faire sans le consentement de la personne concernĂ©e. Et cela peut ĂȘtre considĂ©rĂ©, dans le code pĂ©nal, comme une atteinte Ă  la vie privĂ©e Â». Le deadname est le « prĂ©nom assignĂ© Ă  la naissance Â» et peut ĂȘtre source de souffrance pour une personne trans.. Or de nombreux tĂ©moignages, tels que ceux recensĂ©s chaque annĂ©e par SOS Homophobie dans ses rapports sur les LGBTI-phobies, dĂ©montrent qu’il existe une rĂ©elle transphobie au sein de la police. Compte tenu de ces discriminations et des violences qui peuvent y ĂȘtres associĂ©es, fournir de telles informations Ă  la police aura non seulement pour effet de les renforcer mais peut Ă©galement mettre en danger les personnes trans confrontĂ©es Ă  la police. Ces craintes ont Ă©tĂ© partagĂ©es sur les rĂ©seaux sociaux et laissent entendre que certain·es pourraient renoncer Ă  entamer de telles dĂ©marches de changement d’état civil face Ă  la peur d’ĂȘtre prĂ©sent·es dans un tel fichier. De façon gĂ©nĂ©rale, les personnes trans sont historiquement et statistiquement davantage victimes de violences policiĂšres.

Par ailleurs, les informations de cette « table de correspondance Â» pourront venir nourrir le renseignement administratif, notamment le fichier PASP qui permet de collecter un grand nombre d’informations, aussi bien les opinions politiques que l’activitĂ© des rĂ©seaux sociaux ou l’état de santĂ© des dizaines de milliers de personne qui y sont fichĂ©es. Alors que ces capacitĂ©s de surveillance prolifĂšrent, sans aucun rĂ©el contrĂŽle de la CNIL (nous avons dĂ©posĂ© une plainte collective contre le TAJ il y a plus d’un an, toujours en cours d’instruction par l’autoritĂ© Ă  ce jour), l’arrĂȘtĂ© de dĂ©cembre dernier offre Ă  la police toujours plus de possibilitĂ©s d’en connaĂźtre davantage sur la population et de nourrir son appĂ©tit de gĂ©nĂ©ralisation du fichage.

Un choix dangereux en question

Au-delĂ  de cette motivation politique, qui s’inscrit dans une extension sans limite du fichage depuis deux dĂ©cennies, il faut Ă©galement critiquer les implications techniques liĂ©es Ă  la crĂ©ation d’un tel fichier. En centralisant des informations, au demeurant trĂšs sensibles, l’État crĂ©e un double risque. D’une part, que ces informations dĂšs lors trop facilement accessibles soient dĂ©voyĂ©es et fassent l’objet de dĂ©tournement et autres consultations illĂ©gales de la part de policiers, comme pour bon nombre de fichiers de police au regard du recensement rĂ©cemment effectuĂ© par Mediapart.

D’autre part, du fait de la centralisation induite par la crĂ©ation d’un fichier, les sources de vulnĂ©rabilitĂ© et de failles de sĂ©curitĂ© sont dĂ©multipliĂ©es par rapport Ă  un accĂšs dĂ©centralisĂ© Ă  ces informations. Avec de nombreux autres acteurs, nous formulions exactement les mĂȘmes critiques en 2016 Ă  l’encontre d’une architecture centralisĂ©e de donnĂ©es sensibles au moment de l’extension du fichier TES Ă  l’ensemble des personnes dĂ©tentrices d’une carte d’identitĂ©, cela aboutissant alors Ă  crĂ©er un fichier qui centralise les donnĂ©es biomĂ©triques de la quasi-totalitĂ© de la population française.

En somme, ce décret alimente des fichiers de police déjà disproportionnés, en y ajoutant des données sensibles en dérogation du cadre légal, sans contrÎle approprié de la CNIL et touche principalement les personnes trans et étrangÚres, facilitant par là le travail de surveillance et de répression de ces catégories de personnes déjà stigmatisées par la police.

Cette initiative n’est pas unique Ă  la France et s’inscrit dans un mouvement global inquiĂ©tant. En Allemagne, malgrĂ© l’objectif progressiste d’une loi de 2023 sur le changement de genre dĂ©claratif, des associations telles que le TGEU ont dĂ©noncĂ© le fait que les modifications d’état civil soient automatiquement transfĂ©rĂ©es aux services de renseignement. Aux États-Unis, diffĂ©rents États ont adoptĂ© des lois discriminatoires vis-Ă -vis des personnes trans, forçant certaines personnes Ă  dĂ©transitionner ou bien Ă  quitter leur État pour Ă©viter de perdre leurs droits. Au Texas, le procureur gĂ©nĂ©ral rĂ©publicain a essayĂ© d’établir une liste des personnes trans Ă  partir des donnĂ©es relatives aux modifications de sexe dans les permis de conduire au cours des deux derniĂšres annĂ©es.

En outre, ce dĂ©cret crĂ©e pour la premiĂšre fois un accĂšs pour le ministĂšre de l’IntĂ©rieur au RNIPP, rĂ©pertoire pourtant rĂ©servĂ© aux administrations sociales et fiscales. Or, l’expĂ©rience nous montre que toute nouvelle possibilitĂ© de surveillance crĂ©Ă© un « effet cliquet Â» qui ne conduit jamais Ă  revenir en arriĂšre mais au contraire Ă  Ă©tendre toujours plus les pouvoirs accordĂ©s.

Nous nous associons donc aux diffĂ©rentes organisations ayant critiquĂ© la crĂ©ation de ce fichier stigmatisant et qui participe Ă  l’édification d’un État policier ciblant des catĂ©gories de populations dĂ©jĂ  en proie aux discriminations structurelles. Nous espĂ©rons qu’outre ses dangers politiques, son illĂ©galitĂ© sera dĂ©noncĂ©e et conduira rapidement Ă  son abrogation.

References[+]

References
↑1 Voir l’arrĂȘt de la CJUE, gr. ch., 1er aoĂ»t 2022, OT c. Vyriausioji tarnybin˙es etikos komisija, aff. C-184/20
↑2 L’Amicale Radicale des CafĂ©s Trans de Strasbourg a publiĂ© dans un billet de blog un rĂ©capitulatif de l’ensemble des dĂ©marches Ă  effectuer pour changer d’état civil en France.
↑3 Le dernier dĂ©compte a Ă©tĂ© fait en 2018 dans un rapport parlementaire sur le sujet
↑4 Le lexique du site Wiki Trans dĂ©finit l’outing comme la rĂ©vĂ©lation « qu’une personne est trans (ou LGBTQIA+). L’outing ne doit JAMAIS se faire sans le consentement de la personne concernĂ©e. Et cela peut ĂȘtre considĂ©rĂ©, dans le code pĂ©nal, comme une atteinte Ă  la vie privĂ©e Â». Le deadname est le « prĂ©nom assignĂ© Ă  la naissance Â» et peut ĂȘtre source de souffrance pour une personne trans.

VSA et Jeux Olympiques : Coup d’envoi pour les entreprises de surveillance

Par : noemie
26 janvier 2024 Ă  07:32

AprĂšs des mois d’attente, les entreprises chargĂ©es de mettre en place la vidĂ©osurveillance algorithmique dans le cadre de la loi Jeux Olympiques ont Ă©tĂ© dĂ©signĂ©es. Sans grande surprise, il s’agit de sociĂ©tĂ©s s’étant insĂ©rĂ©es depuis plusieurs annĂ©es dans le marchĂ© de cette technologie ou entretenant de bonnes relations avec l’État. Les « expĂ©rimentations Â» vont donc commencer trĂšs prochainement. Nous les attendons au tournant.

Un marché juteux

Rappelez-vous : le 17 mai 2023, le Conseil constitutionnel validait le cadre lĂ©gislatif permettant Ă  la police d’utiliser la vidĂ©osurveillance algorithmique (VSA) en temps rĂ©el, aprĂšs plusieurs mois de bataille lĂ©gislative en plein mouvement des retraites. Depuis, que s’est-il passĂ© ? Un appel d’offres a tout d’abord Ă©tĂ© publiĂ© dĂšs l’étĂ© pour lancer la compĂ©tition entre les nombreuses entreprises qui ont fleuri ces derniĂšres annĂ©es dans le secteur. Ce marchĂ© public, accompagnĂ© de clauses techniques, dĂ©crit les exigences auxquelles devront se soumettre les entreprises proposant leurs services et, en premier lieu, les fameuses situations et comportements « suspects Â» que devront repĂ©rer les logiciels afin de dĂ©clencher une alerte. En effet, la loi avait Ă©tĂ© votĂ©e Ă  l’aveugle sans qu’ils soient dĂ©finis, ils ont ensuite Ă©tĂ© formalisĂ©s par un dĂ©cret du 28 aoĂ»t 2023.

Comme nous le l’expliquons depuis longtemps1Pour une analyse plus approfondie de nos critiques sur la VSA, vous pouvez lire notre rapport de synthĂšse envoyĂ© aux parlementaires l’annĂ©e derniĂšre ou regarder cette vidĂ©o de vulgarisation des dangers de la VSA., ces comportements n’ont pour beaucoup rien de suspect mais sont des situations pour le moins banales : dĂ©tection de personne au sol aprĂšs une chute (attention Ă  la marche), non-respect du sens de circulation commun par un vĂ©hicule ou une personne (attention Ă  son sens de l’orientation), densitĂ© « trop importante Â» de personnes, mouvement de foule (argument rĂ©pĂ©tĂ© sans cesse pendant les dĂ©bats par Darmanin) mais aussi dĂ©tection d’armes, de franchissement de zone, d’objets abandonnĂ©s ou de dĂ©parts de feu. Le tout pour 8 millions d’euros d’acquisition aux frais du contribuable.

Sans surprise, ces huit cas d’usage pour les algorithmes commandĂ©s par l’État dans le cadre de cette expĂ©rimentation correspondent Ă  l’état du marchĂ© que nous documentons depuis plusieurs annĂ©es au travers de la campagne Technopolice. Ils correspondent aussi aux cas d’usage en apparence les moins problĂ©matiques sur le plan des libertĂ©s publiques (l’État se garde bien de vouloir identifier des personnes via la couleur de leurs vĂȘtements ou la reconnaissance faciale, comme la police nationale le fait illĂ©galement depuis des annĂ©es). Et ils confirment au passage que cette « expĂ©rimentation Â» est surtout un terrain de jeu offert aux entreprises pour leur permettre de dĂ©velopper et tester leurs produits, en tĂąchant de convaincre leurs clients de leur intĂ©rĂȘt.

Car depuis des annĂ©es, la VSA prospĂ©rait Ă  travers le pays en toute illĂ©galitĂ© – ce que nous nous efforçons de dĂ©noncer devant les tribunaux. Ces sociĂ©tĂ©s ont donc ƓuvrĂ© Ă  faire Ă©voluer la loi, par des stratĂ©gies de communication et d’influence auprĂšs des institutions. Le dĂ©ploiement de cette technologie ne rĂ©pond Ă  aucun besoin rĂ©ellement documentĂ© pour les JO2Si les Jeux Olympiques constituent sans aucun doute un moment « exceptionnel Â» au regard du nombre inĂ©dit de personnes qui seront au mĂȘme moment dans la rĂ©gion parisienne, la surveillance n’est pas la rĂ©ponse Ă  apporter. Nous dĂ©montions l’annĂ©e derniĂšre l’idĂ©e selon laquelle les technologies sĂ©curitaires auraient pu modifier le cours du « fiasco Â» de la finale de la Ligue des champions au Stade de France. Comme nous l’exposons, celle-ci n’était causĂ©e par rien d’autre qu’une mauvaise gestion stratĂ©gique du maintien de l’ordre. Pour pallier Ă  ces dĂ©faillances humaines, auraient Ă©tĂ© utiles non pas la VSA ou la reconnaissance faciale mais un vĂ©ritable savoir-faire humain de gestion de la foule, des compĂ©tences logistiques, des interlocuteurs parlant plusieurs langues
.mais rĂ©sulte uniquement d’une convergence d’intĂ©rĂȘts (Ă©conomiques pour le secteur, politiques pour les dĂ©cideurs publics et autoritaires pour la police qui accroĂźt toujours plus son pouvoir de contrĂŽle), le tout enrobĂ© d’un double opportunisme : l’exploitation du discours de promotion de l’innovation et l’instrumentalisation, comme dans bien d’autres pays hĂŽtes avant la France, du caractĂšre exceptionnel des Jeux olympiques pour imposer ces technologies.

AprĂšs plusieurs mois de tests et de mises en situation, retardĂ©es par le fait qu’une entreprise a contestĂ© en justice les conditions du marchĂ©, celui-ci a donc Ă©tĂ© attribuĂ© au dĂ©but du mois de janvier. Le marchĂ© est divisĂ© en quatre lots gĂ©ographiques. La start-up Wintics installera ses logiciels en Île-de-France quand Videtics se chargera de l’Outre-Mer et d’un ensemble de rĂ©gions du Sud (Provence Alpes Cote d’Azur, RhĂŽne-Alpes et Corse). Pour les autres rĂ©gions de France, c’est Chapsvision qui a Ă©tĂ© dĂ©signĂ©e. Cette entreprise omniprĂ©sente dans les services de l’État et qui se veut le nouveau Palantir français, vient de racheter la start-up de VSA belge ACIC. Enfin, Wintics s’est Ă©galement vu attribuer la surveillance des transports (comprenant gares et stations). Quant Ă  Orange Business Service – en partenariat avec Ipsotek, filiale d’Atos (nouvellement Eviden), elle est Ă©galement attributaire au 3e rang du lot des transports, c’est Ă  dire mobilisable en cas de dĂ©faillance de Wintics. Du beau monde !

Une Ă©valuation incertaine

Ces entreprises pourront ainsi mettre Ă  disposition leurs algorithmes, bien au-delĂ  des seuls Jeux olympiques puisque cette expĂ©rimentation concerne tout « Ă©vĂšnement rĂ©crĂ©atif, sportif et culturel Â», et ce jusqu’au 31 mars 2025 soit bien aprĂšs la fin des JO. Elle sera par la suite soumise Ă  une « Ă©valuation Â» prĂ©sentĂ©e comme particuliĂšrement innovante mais dont les modalitĂ©s avaient en rĂ©alitĂ© Ă©tĂ© envisagĂ©es dĂšs 2019 par CĂ©dric O, alors secrĂ©taire d’État au numĂ©rique, comme une maniĂšre de lĂ©gitimer la reconnaissance faciale. Ces modalitĂ©s ont Ă©tĂ© prĂ©cisĂ©e par un second dĂ©cret en date du 11 octobre 2023. Ainsi, un « comitĂ© d’évaluation Â» verra prochainement le jour et sera prĂ©sidĂ© par Christian Vigouroux, haut fonctionnaire passĂ© par la section IntĂ©rieur du Conseil d’État. Le comitĂ© sera divisĂ© en deux collĂšges distincts. Le premier rĂ©unira les « utilisateurs Â» de la VSA, c’est Ă  dire la police, la gendarmerie, la SNCF, etc. Le second rassemblera des « personnalitĂ©s qualifiĂ©es Â» telles que des experts techniques, des spĂ©cialistes du droit des donnĂ©es personnelles et des libertĂ©s publiques ou encore des parlementaires. Ils devront dĂ©terminer et mettre en Ɠuvre un protocole d’évaluation qui ne sera rendu public qu’à la fin de l’expĂ©rimentation en mars 2025.

Mais il ne faut pas se leurrer. Au regard de l’agenda politique de ces entreprises et des autoritĂ©s qui veulent, Ă  long terme, lĂ©galiser ces outils et de façon gĂ©nĂ©rale toute forme de surveillance biomĂ©trique3Plusieurs rapports parlementaires prĂ©conisent dĂ©jĂ  d’aller plus loin en gĂ©nĂ©ralisant le recours Ă  la reconnaissance faciale en temps rĂ©el ou la VSA en temps diffĂ©rĂ©, massivement utilisĂ©e de façon illĂ©gale dans les enquĂȘtes judiciaires. Voir ainsi le rapport de 2022 des sĂ©nateurs Marc-Philippe Daubresse (LR), Arnaud de Belenet et JĂ©rĂŽme Durain (PS) sur « la reconnaissance biomĂ©trique dans l’espace public Â» et le rapport de 2023 des dĂ©putĂ©s Philippe Latombe (Modem) et Philippe Gosselin (LR) « sur les enjeux de l’utilisation d’images de sĂ©curitĂ© dans le domaine public dans une finalitĂ© de lutte contre l’insĂ©curitĂ© Â». Le gouvernement français s’est Ă©galement mĂ©nagĂ© d’importantes marges de manƓuvre pour ce faire Ă  travers son lobbying fĂ©roce autour du rĂšglement IA, afin de tenir en Ă©chec toute limitation un tant soit peu significative de la surveillance biomĂ©trique des espaces publics., cette « expĂ©rimentation Â» pendant les Jeux olympiques doit ĂȘtre vue comme une simple Ă©tape vers la lĂ©gitimation et la pĂ©rennisation de ces technologies. En Ă©voquant un dispositif au caractĂšre temporaire et rĂ©versible, ce concept d’« expĂ©rimentation Â», permet de rendre une technologie aussi controversĂ©e que la VSA plus facilement acceptable pour le public.

Le caractĂšre expĂ©rimental permet Ă©galement de sortir du cadre classique juridique d’examen de proportionnalitĂ©. Ainsi l’évaluation ne portera pas sur les critĂšres habituels de nĂ©cessitĂ© vis Ă  vis d’un objectif d’intĂ©rĂȘt public ou de proportionnalitĂ© vis Ă  vis des atteintes aux droits. Non, l’évaluation sera plutĂŽt guidĂ©e par une approche pragmatique et opĂ©rationnelle. On peut imaginer que seront pris en compte le nombre de cas dĂ©tectĂ©s ou le nombre d’interpellations, sans mesurer leur rĂ©elle utilitĂ© sur la sĂ©curitĂ© en tant que politique publique globale, et ce, dans la lignĂ©e de la politique du chiffre conduite depuis des annĂ©es par le MinistĂšre de l’intĂ©rieur.

Surtout, on peine Ă  voir comment l’État abandonnerait soudainement une technologie dans laquelle il a tant investi et Ă  laquelle il a dĂ©jĂ  cĂ©dĂ© Ă©normĂ©ment de place dans les pratiques policiĂšres. Les exemples passĂ©s nous montrent que les projets sĂ©curitaires censĂ©s ĂȘtre temporaires sont systĂ©matiquement prolongĂ©s, telles que les boites noires de la loi Renseignement ou les dispositions dĂ©rogatoires de l’état d’urgence.

L’issue du comitĂ© d’évaluation risque donc d’ĂȘtre surdĂ©terminĂ©e par les enjeux politiques et Ă©conomiques : si l’efficacitĂ© policiĂšre de ces technologies est jugĂ©e satisfaisante, on appellera Ă  les pĂ©renniser ; dans le cas contraire, on Ă©voquera la nĂ©cessitĂ© de poursuivre les processus de dĂ©veloppement afin que ces technologies parviennent Ă  un stade de maturation plus avancĂ©, ce qui justifiera de proroger le cadre expĂ©rimental jusqu’à ce que, in fine, elles aient fait leurs preuves et qu’on puisse alors Ă©tablir un cadre juridique pĂ©renne. À la fin, c’est toujours la police ou les industriels qui gagnent. Or, nous le rĂ©pĂ©tons depuis des annĂ©es : le choix qui devrait s’imposer Ă  toute sociĂ©tĂ© qui se prĂ©tend dĂ©mocratique est celui de l’interdiction pure et simple de ces technologies. Mais il est clair qu’en l’absence de pression citoyenne en ce sens, ni le gouvernement, ni la CNIL, ni la plupart des autres acteurs invitĂ©s Ă  se prononcer sur les suites Ă  donner Ă  l’expĂ©rimentation de la VSA ne voudront envisager de refermer la boĂźte de Pandore.

Le public au service du privé

Le dĂ©cret du 11 octobre 2023 prĂ©voit Ă©galement la crĂ©ation d’un « comitĂ© de pilotage Â» au sein du ministĂšre de l’IntĂ©rieur, chargĂ© de la mise en Ɠuvre de cette surveillance « expĂ©rimentale Â». Celui-ci sera confiĂ© Ă  Julie Mercier, cheffe de la direction des entreprises et partenariats de sĂ©curitĂ© et des armes (Depsa). Cela est peu surprenant mais rĂ©vĂ©lateur, une fois de plus, des rĂ©els intĂ©rĂȘts en jeu ici. La Depsa est dotĂ©e d’un dĂ©partement « des industries et innovations de sĂ©curitĂ© Â» qui est prĂ©sentĂ© comme devant assurer « l’interface et le dialogue avec les entreprises productrices de moyens de sĂ©curitĂ© Â» ainsi que participer « Ă  la veille technologique et industrielle Â» et « au contrĂŽle des investissements Ă©trangers en France et au suivi des entreprises Ă  protĂ©ger prioritairement Â». Ainsi, sa raison d’ĂȘtre est de stimuler et influencer le marchĂ© privĂ© de la sĂ©curitĂ©, voire d’aller prodiguer directement des conseils lors de rĂ©unions des lobbys de la surveillance. On pourrait ĂȘtre surpris de voir de tels objectifs et pratiques orientĂ©es vers le privĂ© dans le fonctionnement d’un ministĂšre rĂ©galien. Il s’agit pourtant d’une politique assumĂ©e et enclenchĂ©e il y a une dizaine d’annĂ©es, et dont le paroxysme a Ă©tĂ© Ă  ce jour la loi SĂ©curitĂ© globale consacrant le « continuum de sĂ©curitĂ© Â» entre public et privĂ©.

Lors du salon Mlilipol – grand-messe du marchĂ© de la sĂ©curitĂ© et de la surveillance – qui s’est tenu en novembre dernier en rĂ©gion parisienne, et oĂč les Jeux olympiques Ă©taient Ă  l’honneur, Julie Mercier expliquait ainsi vouloir « participer Ă  la construction de la base industrielle et technologique de sĂ©curitĂ© Â», car « les entreprises, et pas seulement les grands opĂ©rateurs, sont essentielles dans l’expression du besoin et dans la structuration de la filiĂšre Â». Pour elle, le programme d’expĂ©rimentations mis en place en 2022 par le ministĂšre de l’IntĂ©rieur dans la perspective des Jeux olympiques a permis d’enclencher une « dynamique vertueuse Â». Ce mĂ©lange des genres dĂ©montre un des objectifs principaux de l’expĂ©rimentation : promouvoir le marchĂ© privĂ© de la surveillance numĂ©rique, en l’associant Ă©troitement aux politiques publiques.

Et maintenant ?

Les expĂ©rimentations devraient donc ĂȘtre mises en route dans les prochaines semaines. En thĂ©orie, la loi prĂ©voyait une premiĂšre Ă©tape de « conception Â» des algorithmes, qui nous inquiĂ©tait particuliĂšrement. Dans le but de paramĂ©trer les logiciels, elle autorisait de façon inĂ©dite le MinistĂšre de l’intĂ©rieur Ă  utiliser les images des camĂ©ras publiques afin d’amĂ©liorer les algorithmes. La CNIL s’est mĂȘme inquiĂ©tĂ©e dans sa dĂ©libĂ©ration de l’absence d’information des personnes qui, par leur prĂ©sence sur une image, nourrirait des logiciels.

Sauf que du fait du retard du processus (l’État voulait initialement dĂ©buter les expĂ©rimentations lors de la coupe du monde de rugby) couplĂ©e Ă  l’impatience des entreprises et de la police et au risque du fiasco si la VSA Ă©tait en fin de compte remise sur l’étagĂšre, le ministĂšre de l’IntĂ©rieur s’est dĂ©cidĂ© Ă  passer rapidement Ă  la phase de mise en Ɠuvre Ă  travers l’acquisition de solutions toutes prĂȘtes. Cependant, cela ne rĂ©duit aucunement les craintes Ă  avoir. Si les logiciels sont censĂ©s rĂ©pondre Ă  un ensemble de critĂšres techniques dĂ©finis par la loi, l’opacitĂ© rĂ©gnant sur ces technologies et l’absence de mĂ©canisme de transparence empĂȘche de facto de connaĂźtre la façon dont ils ont Ă©tĂ© conçus ou la nature des donnĂ©es utilisĂ©es pour l’apprentissage.

AprĂšs avoir Ă©tĂ© auditĂ©es et certifiĂ©es par une autoritĂ© tierce4D’aprĂšs l’avis d’attribution de l’appel d’offre, il s’agira du Laboratoire National de MĂ©trologie et d’Essais (LNE), inconnu au bataillon., ces solutions seront donc intĂ©grĂ©es au plus vite aux infrastructures de vidĂ©osurveillance dans les zones oĂč les prĂ©fectures en feront la demande. Chaque autorisation fera l’objet d’un arrĂȘtĂ© prĂ©fectoral rendu public, ce qui devrait permettre de connaĂźtre l’emplacement, la nature et la durĂ©e de la surveillance mise en place.

Nous les attendrons au tournant. L’expĂ©rimentation de la VSA ne doit pas rester invisible. Au contraire, il nous faudra collectivement documenter et scruter ces arrĂȘtĂ©s prĂ©fectoraux afin de pouvoir s’opposer sur le terrain et rendre matĂ©rielle et concrĂšte cette surveillance de masse que tant veulent minimiser. La voix des habitantes et habitants des villes, des festivalier·es, des spectateur·ices, de l’ensemble des personnes qui seront sous l’Ɠil des camĂ©ras, sera cruciale pour rendre visible l’opposition populaire Ă  ces technologies de contrĂŽle. Dans les prochains mois, nous tĂącherons de proposer des outils, des mĂ©thodes et des idĂ©es d’actions pour y parvenir et lutter, avec vous, contre l’expansion de la surveillance de masse dans nos rues et dans nos vies.

References[+]

References
↑1 Pour une analyse plus approfondie de nos critiques sur la VSA, vous pouvez lire notre rapport de synthĂšse envoyĂ© aux parlementaires l’annĂ©e derniĂšre ou regarder cette vidĂ©o de vulgarisation des dangers de la VSA.
↑2 Si les Jeux Olympiques constituent sans aucun doute un moment « exceptionnel Â» au regard du nombre inĂ©dit de personnes qui seront au mĂȘme moment dans la rĂ©gion parisienne, la surveillance n’est pas la rĂ©ponse Ă  apporter. Nous dĂ©montions l’annĂ©e derniĂšre l’idĂ©e selon laquelle les technologies sĂ©curitaires auraient pu modifier le cours du « fiasco Â» de la finale de la Ligue des champions au Stade de France. Comme nous l’exposons, celle-ci n’était causĂ©e par rien d’autre qu’une mauvaise gestion stratĂ©gique du maintien de l’ordre. Pour pallier Ă  ces dĂ©faillances humaines, auraient Ă©tĂ© utiles non pas la VSA ou la reconnaissance faciale mais un vĂ©ritable savoir-faire humain de gestion de la foule, des compĂ©tences logistiques, des interlocuteurs parlant plusieurs langues
.
↑3 Plusieurs rapports parlementaires prĂ©conisent dĂ©jĂ  d’aller plus loin en gĂ©nĂ©ralisant le recours Ă  la reconnaissance faciale en temps rĂ©el ou la VSA en temps diffĂ©rĂ©, massivement utilisĂ©e de façon illĂ©gale dans les enquĂȘtes judiciaires. Voir ainsi le rapport de 2022 des sĂ©nateurs Marc-Philippe Daubresse (LR), Arnaud de Belenet et JĂ©rĂŽme Durain (PS) sur « la reconnaissance biomĂ©trique dans l’espace public Â» et le rapport de 2023 des dĂ©putĂ©s Philippe Latombe (Modem) et Philippe Gosselin (LR) « sur les enjeux de l’utilisation d’images de sĂ©curitĂ© dans le domaine public dans une finalitĂ© de lutte contre l’insĂ©curitĂ© Â». Le gouvernement français s’est Ă©galement mĂ©nagĂ© d’importantes marges de manƓuvre pour ce faire Ă  travers son lobbying fĂ©roce autour du rĂšglement IA, afin de tenir en Ă©chec toute limitation un tant soit peu significative de la surveillance biomĂ©trique des espaces publics.
↑4 D’aprĂšs l’avis d’attribution de l’appel d’offre, il s’agira du Laboratoire National de MĂ©trologie et d’Essais (LNE), inconnu au bataillon.

Outils de chiffrement lors du procĂšs du 8 dĂ©cembre : du fantasme Ă  la rĂ©alitĂ©

Par : noemie
14 décembre 2023 à 09:52

Durant quatre semaines, en octobre dernier, se sont tenues au tribunal de Paris les audiences du procĂšs du « 8 dĂ©cembre Â». Dans cette affaire, sept personnes sont poursuivies pour « association de malfaiteurs terroristes Â». Toutes contestent les faits reprochĂ©s et trois ans d’instruction n’auront pas rĂ©ussi Ă  faire Ă©merger la moindre preuve de projet terroriste. Parmi les « preuves Â» avancĂ©es par le parquet et les agents de renseignement pour dĂ©montrer cette intention « terroriste Â», on retrouvait des Ă©lĂ©ments relatifs Ă  l’utilisation d’outils de protection de la vie privĂ©e, censĂ©s illustrer une certaine clandestinitĂ©. Scandalisé·es, nous avions rĂ©vĂ©lĂ© et dĂ©noncĂ© vigoureusement cet amalgame dangereux et malhonnĂȘte. Quelle a Ă©tĂ© la place accordĂ©e Ă  ce sujet lors de l’examen de l’affaire par le tribunal correctionnel antiterroriste ? Retour sur les audiences auxquelles nous avons assistĂ©, en amont de l’annonce du dĂ©libĂ©rĂ© prĂ©vue pour le 22 dĂ©cembre prochain1Pour rattraper l’ensemble du contenu du procĂšs, plusieurs mĂ©dias ont fait un compte-rendu rĂ©gulier des audiences, notamment le blog des comitĂ©s de soutiens, Le Monde, Mediapart, lundimatin, L’Obs ou encore LibĂ©ration..

Durant le procĂšs, ont Ă©tĂ© successivement passĂ©es en revue les personnalitĂ©s des prĂ©venu·es, puis l’examen par thĂšme des faits qui leur sont reprochĂ©s. AprĂšs la question des explosifs, de la dĂ©tention d’armes, la pratique de l’« airsoft Â» (qualifiĂ©e d’« entraĂźnements paramilitaires Â» par le parquet), la question du « numĂ©rique Â» a donc Ă©tĂ© examinĂ©e. Ainsi, plusieurs inculpé·es ont Ă©tĂ© questionné·es sur leur utilisation de logiciels et applications telles que Signal, Tor, Tails ou sur le chiffrement de leurs ordinateurs et disques durs. Cet interrogatoire a suivi la mĂȘme ligne directrice que celle du dossier d’instruction, que nous avions rĂ©vĂ©lĂ© il y a quelques mois : Ă  la fois une grande confusion quant Ă  la comprĂ©hension technique de ces outils et une vision suspicieuse de la rĂ©alitĂ© de leurs usages. Trois prĂ©venu·es ont ainsi Ă©tĂ© questionné·es sur ce qui les poussait Ă  utiliser ces logiciels, comme s’il fallait une justification, une explication argumentĂ©e, alors qu’il s’agit d’outils sains, lĂ©gaux et banals.

« Il est possible et non interdit d’avoir ces outils mais on peut se demander pourquoi dissimuler l’information Â» s’est ainsi interrogĂ©e la prĂ©sidente. La suspicion de clandestinitĂ© couplĂ©e Ă  une faible connaissance du sujet transparaissaient dans les questions : « Vous expliquez que l’usage de ce “genre de rĂ©seaux” [en l’occurrence Signal] Ă©tait pour prĂ©server votre vie privĂ©e, mais avez-vous peur d’ĂȘtre surveillĂ©e ? Â». Ou encore : « Pourquoi cela vous avait paru important ou une bonne idĂ©e de dĂ©couvrir ce “genre d’environnement” [cette fois-ci il s’agit du systĂšme d’exploitation Tails] ? Â». Une juge assesseure n’a pas hĂ©sitĂ© Ă  utiliser le champ lexical des armes quand elle a essayĂ© de comprendre pourquoi un tel « arsenal complet de divers outils Â» a Ă©tĂ© utilisĂ©, laissant prĂ©sumer une « volontĂ© de discrĂ©tion Â» de la part des prĂ©venu·es. De l’autre cotĂ© de la barre, les inculpé·es ont rĂ©pondu d’une façon simple et cohĂ©rente qui peut se rĂ©sumer ainsi : « c’est ma vie privĂ©e, c’est mon droit, c’est important, il est banal d’utiliser ces outils, en particulier dans le monde militant dont on sait qu’il est de plus en plus exposĂ© Ă  la surveillance d’État Â».

La question du refus de donner ses clĂ©s de dĂ©chiffrement a elle aussi Ă©tĂ© abordĂ©e. En l’occurrence, plusieurs prĂ©venu·es ont refusĂ© lors de leur arrestation de fournir aux agents de la DGSI chargĂ©s de l’enquĂȘte les codes de dĂ©verrouillage d’ordinateur, de tĂ©lĂ©phone ou encore de disque dur saisis en perquisition. En France, un tel refus peut constituer une infraction sur la base d’une disposition interprĂ©tĂ©e largement et trĂšs contestĂ©e. Face Ă  l’incomprĂ©hension des juges — pourquoi s’exposer aussi frontalement Ă  des poursuites pĂ©nales ? — les prĂ©venu·es ne leur ont pas fourni les aveux attendus. Au contraire, les personnes interrogĂ©es ont amenĂ© la discussion plus loin, sur leurs libertĂ©s et droits fondamentaux, levant le voile sur la violente rĂ©alitĂ© des procĂ©dures antiterroristes. « Dans un moment de vulnĂ©rabilitĂ© telle que celui de la garde Ă  vue, aprĂšs avoir donnĂ© mon ADN, je voulais m’attacher Ă  ce qu’il me restait d’intimitĂ©, je voulais la conserver Â» explique Camille, une prĂ©venue prĂ©sentĂ©e comme l’experte numĂ©rique par le procureur. LoĂŻc, un autre inculpĂ© renchĂ©rit : « Je savais que la DGSI allait rĂ©ussir Ă  dĂ©chiffrer mon matĂ©riel informatique et voir que je ne suis pas dangereux, c’était ma maniĂšre de montrer mon refus car ma libertĂ© et mon intimitĂ© sont plus prĂ©cieuses Â».

Enfin, dans le but d’éclairer les juges sur le fonctionnement des outils mis en cause dans le dossier et la rĂ©alitĂ© de leurs usages, un membre de La Quadrature du Net, Ă©galement dĂ©veloppeur de l’application Silence, est venu tĂ©moigner au procĂšs. Qu’il s’agisse du chiffrement, de Signal, Tor, Tails ou du systĂšme d’exploitation /e/OS, son tĂ©moignage est revenu sur la banalitĂ© des technologies derriĂšre ces applications et leur usage gĂ©nĂ©ralisĂ© et nĂ©cessaire dans la sociĂ©tĂ© numĂ©risĂ©e contemporaine, loin des fantasmes de clandestinitĂ© de la DGSI et du parquet. Les magistrates ne lui ont pourtant posĂ© que peu de questions. Le parquet, lui, s’est uniquement Ă©mu que des Ă©lĂ©ments du dossier, pourtant non couverts par le secret de l’instruction, aient pu ĂȘtre portĂ©s Ă  la connaissance du tĂ©moin. Un mauvais numĂ©ro de thĂ©Ăątre qui laissait surtout deviner une volontĂ© de le dĂ©crĂ©dibiliser lui ainsi que le contenu de son tĂ©moignage.

De façon gĂ©nĂ©rale, la place des pratiques numĂ©riques a Ă©tĂ© faible relativement Ă  l’ampleur et la durĂ©e du procĂšs, et bien en deça de celle qui lui Ă©tait accordĂ©e dans le rĂ©quisitoire ou l’ordonnance de renvoi du juge d’Instruction. Quelle interprĂ©tation tirer Ă  la fois du manque d’intĂ©rĂȘt des juges et de la faible quantitĂ© de temps consacrĂ©e Ă  ce sujet ? Difficile d’avoir des certitudes. On pourrait y voir, d’un cotĂ©, une prise de conscience des magistrates et du parquet de l’absurditĂ© qu’il y a Ă  reprocher l’utilisation d’outils lĂ©gaux et lĂ©gitimes. Rappelons que plus de 130 universitaires, journalistes, militant·es, acteur·rices du monde associatif et de l’écosystĂšme numĂ©rique ont signĂ© une tribune dans le journal Le Monde pour dĂ©noncer cette instrumentalisation et dĂ©fendre le droit au chiffrement. Mais d’un autre cotĂ©, cette dĂ©sinvolture pourrait ĂȘtre le signe d’un manque de considĂ©ration pour ces questions, notamment quant Ă  l’importance du droit Ă  la vie privĂ©e. Cela ne serait pas Ă©tonnant, dans une procĂ©dure qui se fonde sur une utilisation intensive de techniques de renseignement et sur une surveillance disproportionnĂ©e de sept personnes dont la vie a Ă©tĂ© broyĂ©e par la machine judiciaire.

La lecture du jugement est prĂ©vue pour le 22 dĂ©cembre. Que le tribunal retienne le recours Ă  des technologies protectrices de la vie privĂ©e dans la motivation de sa dĂ©cision ou qu’il laisse cet enjeu de cĂŽtĂ©, le rĂ©cit fictif de la police Ă  ce sujet risque d’avoir des consĂ©quences Ă  long terme. Le prĂ©cĂ©dent d’une inculpation anti-terroriste reposant essentiellement sur ce point existe dĂ©sormais et il est difficile de croire qu’à l’heure oĂč le chiffrement fait l’objet de nombreuses attaques, en France et en Europe, la police ne rĂ©utilisera pas cette logique de criminalisation pour justifier une surveillance toujours plus accrue de la population et des groupes militants.

References[+]

References
↑1 Pour rattraper l’ensemble du contenu du procĂšs, plusieurs mĂ©dias ont fait un compte-rendu rĂ©gulier des audiences, notamment le blog des comitĂ©s de soutiens, Le Monde, Mediapart, lundimatin, L’Obs ou encore LibĂ©ration.
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