Mobilisation pour un moratoire sur les gros data centers !
Du 8 au 11 avril, les dĂ©puté·es examineront en sĂ©ance publique le projet de loi de « simplification de la vie Ă©conomique ». Cette loi fourre-tout, conçue sur mesure pour rĂ©pondre aux demandes des industriels, contient un article 15 qui permettrait Ă lâĂtat dâimposer la construction dâimmenses data centers aux collectivitĂ©s locales et Ă la population. Face Ă la fuite en avant sous lâĂ©gide de lâindustrie de la tech, nous appelons les dĂ©puté·es Ă rejeter lâarticle 15 du projet de loi « simplification » et Ă soutenir un moratoire de deux ans sur la construction des plus gros data centers en France, le temps quâun dĂ©bat public puisse se tenir sur la maniĂšre de les encadrer.
Contexte
Alors que la construction des data centers est en plein boom pour accompagner la prolifĂ©ration de lâIA dans tout les pans de la sociĂ©tĂ©, les multinationales de la tech sâallient Ă lâĂtat pour imposer ces infrastructures Ă la population et Ă©viter toute contestation citoyenne face Ă lâaccaparement des ressources quâelles supposent.
Ă son article 15, le projet de loi « simplification » â en fait une loi de dĂ©rĂ©gulation â autorise le gouvernement Ă octroyer aux projets de construction de trĂšs gros data centers un statut issu de la loi de 2023 sur lâindustrie verte : le label « projet dâintĂ©rĂȘt national majeur » (PINM). Câest une promesse dâEmmanuel Macron aux investisseurs internationaux. DâaprĂšs le gouvernement, ce statut a vocation Ă ĂȘtre rĂ©servĂ© aux data centers dâune surface dâau moins 40 hectares, soit plus de 50 terrains de foot ! Avec ce statut de « projet dâintĂ©rĂȘt national majeur », les industriels de la tech verraient le gouvernement travailler main dans la main avec eux pour imposer les data centers aux communes : lâĂtat prendrait alors la main sur les compĂ©tences des collectivitĂ©s locales relatives Ă lâurbanisme et Ă lâamĂ©nagement du territoire, en menant lui-mĂȘme la rĂ©Ă©criture des plans locaux dâurbanisme afin de les adapter Ă ces projets de data centers. Les procĂ©dures de consultation du public seront encore allĂ©gĂ©es. Et lâĂtat pourra par la mĂȘme occasion dĂ©cider que ces infrastructures peuvent dĂ©roger aux rĂ©glementations environnementales, notamment celles relatives aux espĂšces protĂ©gĂ©es.
Pour ne pas laisser les multinationales de la tech sâallier au gouvernement français pour alimenter cette fuite en avant dĂ©lĂ©tĂšre et Ă©cocide, La Quadrature du Net et le collectif Le Nuage Ă©tait sous nos pieds, en lien avec les membres de la coalition Hiatus, appellent Ă lâadoption dâun moratoire sur la construction des grands entrepĂŽts Ă serveurs1. Nous appelons toutes les personnes et organisations inquiĂštes de cette dĂ©rĂ©gulation au bĂ©nĂ©fice de la tech Ă dĂ©noncer ce passage en force et Ă contacter les dĂ©puté·es pour obtenir la suppression de cet article 15 et lâadoption dâun moratoire sur la construction des gros data centers ! Vous trouverez sur cette page toutes les ressources pour contacter les dĂ©puté·es et les convaincre de voter en ce sens.
Appelez vos député·es !
Argumentaire pour un moratoire sur les gros data centers
Voici quelques donnĂ©es Ă avoir en tĂȘte pour convaincre les dĂ©puté·es de rejeter lâarticle 15 et dâadopter un moratoire sur les gros data centers !
1. Les data centers engendrent une intense prédation des ressources en eau et en électricité
- Les data centers sont particuliĂšrement Ă©lectro-intensifs : selon RTE, il y a 300 data centers en France (en 2022). Leur consommation est estimĂ©e Ă environ 10 TWh, soit autour de 2% de la consommation française totale annuelle. Les projets se multiplient et il nâest pas rare selon RTE de recevoir des demandes de raccordement Ă hauteur de 100 Ă 200 MWh, soit une fourchette Ă©quivalente aux consommations Ă©lectriques des villes de Rouen et Bordeaux.
- On assiste aujourdâhui Ă un boom spĂ©culatif autour de lâIA et des data centers : en France, le bilan prĂ©visionnel de RTE prĂ©voit un triplement de la consommation dâĂ©lectricitĂ© des data centers dâici Ă 2035, elle pourrait atteindre 4% de la consommation nationale. Plus de 4,5 GW de demandes de raccordement de data centers ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© signĂ©es et le mĂȘme volume est en cours dâinstruction. Plusieurs data centers dâune puissance maximale de 1 GW, soit lâĂ©quivalent dâun rĂ©acteur nuclĂ©aire, ont Ă©tĂ© annoncĂ©s en fĂ©vrier 2025 lors du sommet sur lâIA.
- Les data centers nécessitent la création (et donc le financement public) de nouvelles sources de production énergétique, comme en attestent les réouvertures de centrales nucléaires ou fossiles dédiées un peu partout dans le monde et de nouveaux réseaux saturés par leurs consommations.
- En ce qui concerne lâeau utilisĂ©e en masse pour refroidir les serveurs, Google a par exemple rĂ©vĂ©lĂ© avoir prĂ©levĂ© dans le monde 28 milliards de litres dâeau en 2023, dont les deux tiers dâeau potable, pour refroidir ses data centers. La mĂȘme annĂ©e, Microsoft rapporte une augmentation de 34% de sa consommation dâeau annuelle pour ce mĂȘme usage. Ă Marseille, Digital Realty sâaccapare de lâeau « qualitĂ© potable » pour refroidir ses installations, avec le soutien financier de lâADEME.
â Des instances de maĂźtrise dĂ©mocratique de lâimpact Ă©cologique et foncier de lâindustrie de la tech doivent dâurgence ĂȘtre Ă©tablies pour lutter contre ces prĂ©dations croisĂ©es sur lâeau et lâĂ©lectricitĂ©, et assurer une trajectoire de sobriĂ©tĂ©.
2. Accompagnant la prolifĂ©ration de lâIA, les data centers sont lâobjet dâun dĂ©ploiement territorial incontrĂŽlable
- Depuis une dizaine dâannĂ©es, les centres de donnĂ©es (aujourdâhui au nombre de 300 environ Ă lâĂ©chelle française) se multiplient en France. La proportion des grands data centers (+ de 2 000m2) se concentre notamment en Ile-de-France (95 sites) et Ă Marseille (12 sites) (source).
- Les industriels profitent de manquements et dâimprĂ©cisions juridiques sur leurs statuts, et les data centers peuvent ainsi ĂȘtre qualifiĂ©s dâentrepĂŽts ou de local industriel. Le Code GĂ©nĂ©ral des impĂŽts nâen propose aucune dĂ©finition lĂ©gale, leur fiscalitĂ© reste floue, et les industriels du data center comme Orange jouent avec lâoptimisation fiscale. De ce fait, de nombreuses techniques de contournements du peu de lĂ©gislations existantes sont ainsi documentĂ©es, notamment autour des techniques dites de phasage ou de saucissonnage, câest-Ă -dire la construction de plusieurs data centers interconnectĂ©s sur un mĂȘme site ou lâaugmentation progressive de capacitĂ©. Ces tactiques permettent aux data centers de rester sous les seuils de contrĂŽle notamment ICPE, comme on lâobserve Ă Aubervilliers (Digital Realty), La Courneuve (Digital Realty) ou Ă Wissous (Cyrus One et Amazon).
- Les industriels des data centers profitent Ă©galement dâune absence de planification territoriale et urbaine : il nâexiste pas de schĂ©ma directeur dâimplantation, ou dâoutil de rĂ©gulation sur lâexpansion territoriale des data centers (source). Ils sâaccaparent ainsi dâimmenses espaces fonciers : lâentreprise Ă©tasunienne de data centers Digital Realty possĂšde 17 data centers en France, occupe plus de 111 000 m2 de terrains, sans compter les dizaines de nouvelles implantations en cours, pour seulement 230 employé·es en CDI.
- Les data centers ne gĂ©nĂšrent presque aucun emploi. Le ratio est Ă©valuĂ© Ă un Emploi Temps Plein (ETP) pour 10 000 m2 occupĂ©s en moyenne. La prolifĂ©ration des data centers sur le territoire se fait donc au dĂ©triment dâautres projets plus alignĂ©s avec les besoins des territoires et crĂ©ateurs dâemplois locaux.
- Le modĂšle de dĂ©ploiement des data centers aggrave les inĂ©galitĂ©s territoriales, avec une concentration et prĂ©dation territoriale due Ă lâeffet « magnet » (« aimant ») : les data centers fonctionnent en « hub » et ne sont jamais isolĂ©s.
â Il est nĂ©cessaire de mettre ce dĂ©ploiement en pause, de construire une stratĂ©gie concertĂ©e sur des infrastructures du numĂ©riques qui rĂ©pondent aux besoins de la sociĂ©tĂ© et non aux intĂ©rĂȘts Ă©conomiques de la tech et des fonds dâinvestissements qui la soutiennent.
3. Les data centers se multiplient dans une opacité systémique, sans prise en compte des alternatives
- Les data center sont des infrastructures complexes, en constante évolution. Il en résulte une grande méconnaissance des pouvoirs publics et de la population, et donc une réelle difficulté à répondre aux argumentaires volontairement techniques et au greenwashing avancés par les industriels pour défendre le bien-fondé de leurs projets.
- Nous sommes confrontés à une absence totale de transparence, de données et de mesures partagées par les industriels sur leurs consommations (en eau ou électricité notamment), sur les impacts et coûts réels des data centers. Souvent, le débat est tronqué par des mensonges par omissions et autres manipulations. Ainsi, selon le Guardian, les émissions de gaz à effet de serre des centres de données de Google, Microsoft, Meta et Apple sont environ 662% plus élevées que les déclarations officielles.
- La Directive europĂ©enne sur lâEfficacitĂ© ĂnergĂ©tique (DEE) de 2022 rend obligatoire pour tous les data centers de plus de 500 kWh la publication dâun ensemble de donnĂ©es sur leurs consommations. Or, actuellement, en mars 2025, ces donnĂ©es ne sont toujours pas disponibles.
- Les alternatives au modĂšle dominant dans la construction des data centers sont aujourdâhui trĂšs mal connues et documentĂ©es, laissant supposer que des data centers de plus en plus gros sont absolument nĂ©cessaires au bon fonctionnement dâInternet et des services numĂ©riques. Or, de nombreux collectifs, associations, organisations, proposent des alternatives locales, low tech et dĂ©centralisĂ©es, qui ne reposent pas sur des besoins de stockages de donnĂ©es Ă grande Ă©chelle.
â Face Ă lâopacitĂ© systĂ©mique, il nous faut produire une connaissance prĂ©cise qui prenne en compte les enjeux sociaux, Ă©cologiques et gĂ©opolitiques des infrastructures du numĂ©riques aussi bien que les alternatives aux technologies dominantes.
4. Les data centers sont des infrastructures sensibles à la dangerosité mal évaluée
- Les data center sont des bĂątiments dangereux et prĂ©sentant de nombreux risques pour les habitant·es et les territoires. Cuves de fioul ou de gaz perfluorĂ©s susceptibles de fuiter, stockage important de batteries au lithium qui peuvent gĂ©nĂ©rer dâimmenses incendies (comme celui de Strasbourg), grande vulnĂ©rabilitĂ© Ă la chaleur. Bien loin de lâimage du simple entrepĂŽt inerte, un data center est bien une usine de production industrielle dĂ©diĂ©e au stockage de donnĂ©es et aux calculs informatiques.
- Ils gĂ©nĂšrent de nombreuses pollutions (accidentelles ou fonctionnelles), notamment atmosphĂ©riques, ainsi que des nombreuses nuisances ainsi quâune quantitĂ© importante de ainsi que des nombreuses nuisances ainsi quâune quantitĂ© importante de dĂ©chets non recyclables et une production de chaleur trĂšs importante qui augmente les risques de canicule ou de rĂ©chauffement non mesurĂ©s des milieux adjacents
- Selon lâADEME, le numĂ©rique est Ă lâorigine de 4,4 % de lâempreinte carbone en France en 2024, en nette augmentation (2,5% en 2020). Entre 2016 et 2024, lâempreinte carbone des data centers dans lâimpact global du numĂ©rique est passĂ©e de 16% Ă 46%.
â Les data centers sont des infrastructures dangereuses, et il est nĂ©cessaire de protĂ©ger les habitant.e.s et les Ă©cosystĂšmes des pollutions et des nuisances quâils engendrent.
5. Les data centers sâaccompagnent dâimpacts sociĂ©taux nombreux et insoutenables
- Les data centers encouragent lâextractivisme minier, les nombreux conflits qui y sont liĂ©s et les crimes contre lâhumanitĂ© documentĂ©s dans de nombreux contextes miniers, comme en RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo.
- Ils prĂ©sentent en outre des risques structurels pour lâĂ©conomie française, tel le dĂ©ploiement massif des IA et des processus dâautomatisation dans tous les pans de la sociĂ©tĂ©.
- Le gouvernement prĂ©tend assurer la souverainetĂ© nationale mais accroĂźt en fait notre dĂ©pendance technologique aux GAFAM, comme lâillustre le rĂŽle majeur dâentreprises Ă©tasuniennes telles Amazon, Microsoft ou Digital Realty ainsi que des fonds dâinvestissements extra-europĂ©ens dans le boom actuel de ces infrastructures. Compte tenu de la structure actuelle de lâĂ©conomie numĂ©rique, la « territorialitĂ© de la donnĂ©e » est une illusion.
- Parce que la France se targue dâune Ă©nergie nuclĂ©aire qui permet de faire baisser les « bilans carbone » des multinationales de la tech, et parce quâelle est idĂ©alement placĂ©e sur la carte internationale des cĂąbles sous-marins, elle est vue comme un territoire de choix, faisant de nos territoires une ressource vendue plus offrants dans un marchĂ© en surchauffe.
â Il faut reprendre la main sur les infrastructures du numĂ©riques et le monde quâelles gĂ©nĂšrent. Il ne sâagit jamais dâenjeux simplement techniques : derriĂšre les data centers, de nombreux enjeux politiques doivent ĂȘtre soulevĂ©s et dĂ©battus.
- Voir la proposition dâamendement de suppression de lâarticle 15, et celle portant sur un moratoire sur la construction de gros data centers.
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